Comité des droits de l'homme
Soixante-deuxième session
23 mars - 9 avril 1998
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-deuxième session -
Communication No 591/1994
Présentée par : Ian Chung (représenté par M. S. Lehrfreund du
cabinet d'avocats Simons, Muirhead et Burton)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 1er décembre 1993 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 9 avril 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 591/1994, présentée
au Comité par M. Ian Chung en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Ian Chung, citoyen jamaïcain qui,
au moment où il a présenté sa communication, était en attente d'exécution
à la prison du district de St. Catherine. Il se déclare victime de violations
par la Jamaïque des articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, du paragraphe 1 de l'article 10 et des paragraphes
1, 2 et 3 g) de l'article 14. Il est représenté par Saul Lehrfreund, du
cabinet d'avocats londonien Simons, Muirhead et Burton. Le 11 juillet
1995, sa peine a été commuée en réclusion à vie.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté avec deux coaccusés, Dwayne Hylton /
Les communications présentées au Comité par M. Hylton ont été enregistrées
en tant qu'affaires Nos 407/1990 et 600/1994 (constatations adoptées les
8 juillet 1994 et 6 juillet 1996, respectivement)./ et Dennie Wilson,
et inculpé du meurtre d'un chauffeur de taxi, commis le 21 août 1986.
Comme ses deux coaccusés, il a été jugé par la Circuit Court de Manchester
(district de Mandeville), reconnu coupable des chefs d'accusation retenus
contre lui et condamné à mort le 26 mai 1988. Son appel a été rejeté par
la cour d'appel de la Jamaïque le 16 mai 1990. Une demande d'autorisation
spéciale de former recours présentée ultérieurement a été rejetée le 21
juin 1993 par la section judiciaire du Conseil privé.
2.2 Selon l'accusation, dans la nuit du 6 au 7 juillet 1986, à leur sortie
d'une discothèque de Mandeville, M. Chung et ses coaccusés étaient montés
dans un taxi et avaient poignardé le chauffeur, qui était mort des suites
de ses blessures. Un témoin à charge, qui avait initialement été inculpé
en même temps que les défendeurs, a déclaré qu'il avait vu les accusés
dans le taxi et qu'en y montant lui-même il y avait trouvé un cadavre.
En descendant du véhicule à Kingston, il avait été menacé de représailles
par l'auteur au cas où il parlerait à la police.
2.3 Au procès, l'accusation a également présenté comme preuve les déclarations
faites par les défendeurs à la police après leur arrestation et après
avoir été informés de leurs droits. Il ressortait de ces déclarations
que l'auteur et ses coaccusés voulaient quitter la Jamaïque en embarquant
clandestinement sur un bateau. Ils avaient demandé au chauffeur de taxi
de les conduire à Kingston moyennant paiement, mais comme ils n'avaient
pas d'argent, ils l'avaient tué. Dans sa déclaration, l'auteur avait indiqué
qu'un des coaccusés lui avait demandé de trancher la gorge du chauffeur
de taxi mais qu'il avait préféré viser la poitrine, car il ne voulait
pas le tuer. La victime avait été mise dans le coffre du taxi, puis jetée
dans un marécage. En démarrant, les défendeurs s'étaient rendu compte
que la victime était encore vivante. Un des coaccusés de l'auteur était
alors descendu de la voiture et l'avait poignardée dans le dos.
2.4 Selon le rapport d'expertise médicale présenté au procès, la profonde
plaie à la poitrine, qui aurait été causée par le coup de poignard donné
par l'auteur, aurait pu tuer la victime, car le coeur avait été percé
à la base.
2.5 Au procès, l'auteur a déclaré, depuis le banc des accusés, sans prêter
serment, qu'il avait quitté la discothèque à 23 h 30 le 6 juillet 1986
et qu'il était retourné chez lui avec des amis dans le taxi de la victime.
Il a soutenu que la police l'avait forcé à signer une déclaration qui
avait été utilisée par la suite comme preuve par l'accusation. Après un
examen préliminaire, le juge a néanmoins accepté la déclaration à titre
de preuve.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que le 21 août 1986, au cours d'un interrogatoire
mené par trois policiers au poste de police de Mandeville, il a été sauvagement
battu par un des fonctionnaires de police présents. Il affirme en outre
avoir été menacé avec une arme à feu. Sous la contrainte, il a accepté
de signer une déclaration préparée à l'avance pour que les coups et le
harcèlement cessent. A ce moment-là, il n'avait pas d'avocat. L'auteur
fait valoir que le traitement auquel il a été soumis constitue une violation
de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 10 et du paragraphe 3 g)
de l'article 14 du Pacte.
3.2 Selon l'auteur, ses coaccusés et lui-même ont été brutalisés et terrorisés,
mentalement et physiquement, par des membres de l'assistance à chaque
audience du tribunal; il ajoute que sa famille et son conseil ont aussi
reçu des menaces. A l'ouverture du procès, le conseil de l'auteur a demandé
le renvoi de l'affaire devant une autre juridiction car la défense était
fortement compromise et son client ne bénéficierait pas d'un procès équitable.
Il a aussi fait valoir qu'en raison du battage autour de l'affaire avant
le procès, le public lui était hostile et que le jury sélectionné dans
la paroisse de Manchester n'était pas impartial. Il est affirmé que cela
constitue une violation du droit de l'auteur à un procès équitable conduit
par un tribunal indépendant et impartial et de son droit d'être présumé
innocent tant que sa culpabilité n'a pas été établie.
3.3 Le conseil de l'auteur affirme en outre que le juge du fond a commis
une irrégularité en ne donnant pas au jury la possibilité de rendre un
verdict d'homicide involontaire. Il fait valoir qu'au vu de la déclaration
de l'auteur à la police, il subsistait de nombreux doutes quant à son
intention, ce qui aurait dû exclure un verdict d'homicide volontaire.
Les instructions données par le juge au jury constituent un déni de justice,
en violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. En outre, la condamnation
à la peine capitale constituerait une violation des dispositions du paragraphe
2 de l'article 6 du Pacte car elle a été prononcée à l'issue d'un procès
non conforme aux dispositions de l'article 14.
3.4 L'auteur affirme que pendant son incarcération dans le quartier des
condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine, il a été battu
et soumis à d'autres types de mauvais traitement en violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. Il signale qu'en 1989 après
avoir battu à mort un prisonnier devant sa cellule, les gardiens étaient
revenus le lendemain pour le rouer de coups à son tour. Malgré une lésion
aux reins, il a été laissé dans sa cellule pendant quatre jours avant
d'être transporté à l'hôpital. M. Chung s'est plaint en vain de ce traitement
au médiateur parlementaire le 12 janvier et le 10 septembre 1989. Son
conseil a demandé à ce dernier des précisions à ce sujet mais n'a reçu
aucune réponse.
3.5 Enfin, l'auteur affirme que sa longue détention dans le quartier
des condamnés à mort (mai 1986-juillet 1995) est contraire à l'article
7 du Pacte. A cet égard, il renvoie à la décision rendue par la section
judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Pratt and Morgan c.
Attorney General of Jamaica.
Observations de l'Etat partie concernant la recevabilité et commentaires
du conseil
4.1 Dans ses observations du 17 février 1995, l'Etat partie objecte que
la décision de la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Pratt
and Morgan c. Attorney General of Jamaica ne fait pas jurisprudence,
car l'affirmation selon laquelle l'exécution d'une personne après plus
de cinq ans de détention dans le quartier des condamnés à mort constitue
automatiquement un traitement cruel et inhumain est contraire à la Constitution
jamaïcaine. Il renvoie le Comité à ses propres constatations au sujet
de l'affaire Pratt and Morgan dans lesquelles il a estimé qu'une
longue procédure judiciaire et une détention prolongée dans le quartier
des condamnés à mort ne constituaient pas, en soi, un traitement cruel,
inhumain ou dégradant.
4.2 L'Etat partie rappelle que les allégations de violation de l'article
7, de l'article 10 et du paragraphe 3 g) de l'article 14 parce qu'il aurait
été brutalisé durant l'interrogatoire mené par la police ont fait l'objet
d'un examen préliminaire au procès : elles ont donc été soumises à une
vérification judiciaire à un moment de la procédure où l'auteur bénéficiait
de l'assistance d'un conseil. Comme le juge du fond n'était pas convaincu
de la véracité des allégations et que cette partie de la plainte portait
sur l'appréciation des preuves, l'Etat partie conclut que les allégations
de l'auteur sont irrecevables ratione materiae pour incompatibilité
avec les dispositions du Pacte.
4.3 En ce qui concerne les mauvais traitements dont l'auteur aurait été
victime en 1989, l'Etat partie s'engage à ouvrir une enquête. Il ajoute
que le fait qu'il soit disposé à enquêter sur les allégations de l'auteur
ne signifie nullement qu'il admet que le médiateur parlementaire néglige
systématiquement d'enquêter sur de telles plaintes. Il ne souscrit pas
non plus à l'idée que les personnes détenues dans le quartier des condamnés
à mort ont généralement trop peur pour informer les autorités en cas de
mauvais traitement; d'ailleurs, le service d'inspection du Ministère de
la sécurité nationale et de la justice enquête actuellement sur plusieurs
affaires dans lesquelles des prisonniers se sont plaints de mauvais traitements.
4.4 L'Etat partie réfute l'allégation de violation du paragraphe 1 de
l'article 14 parce que le juge a refusé de changer le lieu du procès et
n'a pas donné au jury la possibilité de rendre un verdict d'homicide involontaire;
il s'agit selon lui d'une question d'appréciation des faits et des éléments
de preuve. Pour ce qui est du renvoi du procès à une autre juridiction,
il fait observer que l'article 34 de la loi sur l'organisation judiciaire
(Cour suprême) autorise un juge à changer le lieu du procès lorsqu'il
a de bonnes raisons de le faire : en l'espèce, le juge du fond a exercé
son pouvoir d'appréciation et n'a pas autorisé un tel renvoi. Pour l'Etat
partie, il n'appartient pas au Comité de juger la manière dont ce pouvoir
a été exercé à moins qu'il n'y ait eu une violation flagrante des droits
fondamentaux.
4.5 De même, l'Etat partie note que la question de savoir s'il aurait
fallu laisser aux jurés la possibilité de déterminer s'il y avait eu homicide
involontaire a bien été examinée par la cour d'appel. Pour l'Etat partie,
"... lorsqu'une décision relève de l'appréciation des faits et des
preuves, [le Comité] n'est pas habilité à statuer qu'il y a violation
du Pacte, à moins que l'on soit en présence d'un cas de violation flagrante
des droits fondamentaux".
5.1 Dans ses commentaires, le conseil conteste l'interprétation que donne
l'Etat partie de la décision de la section judiciaire du Conseil privé
dans l'affaire Pratt and Morgan. Il fait observer que les instructions
de la section judiciaire, selon lesquelles la détention pendant plus de
cinq ans dans le quartier des condamnés à mort est en soi un traitement
cruel, inhumain et dégradant s'appliquent à toutes les personnes
détenues dans le quartier des condamnés à mort pendant plus de cinq ans.
5.2 Le conseil objecte que l'examen préliminaire de la question des mauvais
traitements infligés par la police pendant les interrogatoires, auquel
il a été procédé lors du procès, ne se rapporte pas à l'appréciation des
faits et des preuves et ne peut être cause d'irrecevabilité; il estime
au contraire que la question doit être examinée au fond.
5.3 En ce qui concerne les mauvais traitements dans le quartier des condamnés
à mort, le conseil rappelle que M. Chung a adressé deux plaintes distinctes
au bureau du médiateur parlementaire qui y a répondu le 2 février 1989
et le 26 septembre 1989 en donnant à M. Chung l'assurance que ces griefs
seraient examinés promptement. Le conseil de l'auteur a lui-même écrit
au bureau du médiateur parlementaire le 15 septembre et le 19 octobre
1993 pour demander de plus amples détails sur la plainte de son client
mais n'a reçu aucune réponse.
5.4 Enfin, le conseil réaffirme que les brutalités et le harcèlement
subis par M. Chung lors de sa comparution devant la Circuit Court de Manchester
révèlent des violations flagrantes des paragraphes 1 et 2 de l'article
14. Ces allégations ne portent pas sur l'appréciation des faits et des
éléments de preuve et devraient être examinées quant au fond.
Décision de recevabilité du Comité
6.1 A sa cinquante-cinquième session, le Comité a examiné la question
de la recevabilité de la communication. En ce qui concerne l'allégation
relative au syndrome du quartier des condamnés à mort (art. 7), il a rappelé
que la détention dans le quartier des condamnés à mort pour une période
déterminée quelle qu'elle soit ne constituait pas une violation de l'article
7 en l'absence d'autres circonstances impérieuses/ Voir décision d'irrecevabilité
dans l'affaire Errol Simms c. Jamaïque (communication No
541/1993), adoptée le 3 avril 1995, par. 6.5./. En l'espèce, l'auteur
n'avait pas montré qu'il existait d'autres circonstances impérieuses de
nature à soulever une question au titre de l'article 7 du Pacte. Cette
partie de la communication a donc été déclarée irrecevable en vertu de
l'article 2 du Protocole facultatif.
6.2 Pour ce qui était des mauvais traitements que l'auteur aurait subis
pendant l'interrogatoire, le Comité a noté l'argument de l'Etat partie
qui avait objecté que, ces griefs ayant été jugés sans fondement à l'issue
de l'examen préliminaire mené au procès, ils portaient sur l'appréciation
des faits et des preuves et devaient donc être déclarés irrecevables.
La question des aveux que l'auteur aurait faits sous la contrainte avait
été débattue en détail pendant le procès et laissée à l'appréciation du
jury. Le Comité a rappelé sa jurisprudence au sujet de la question de
l'appréciation des faits et des preuves, qui relevait de la seule compétence
des juridictions d'appel des Etats parties, et sa jurisprudence concernant
les instructions données par le juge au jury, que le Comité ne pouvait
pas de manière générale remettre en question sauf si elles étaient manifestement
arbitraires ou équivalaient à un déni de justice. Rien n'indiquait que
la décision de la magistrate de déclarer recevable à titre de preuve la
déclaration officielle à la police signée par l'auteur ou les instructions
qu'elle avait données au jury aient été entachées de telles irrégularités.
En conséquence, cette partie de la communication a été déclarée irrecevable
pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte, en vertu de l'article
3 du Protocole facultatif.
6.3 Le Comité est parvenu à la même conclusion au sujet de l'allégation
de l'auteur qui affirme que le juge a commis une irrégularité en ne laissant
pas au jury la possibilité de rendre un verdict d'homicide involontaire.
Les informations dont le Comité était saisi ne permettaient pas de conclure
que les instructions données au jury par le juge sur cette question aient
été manifestement arbitraires ou équivalaient à un déni de justice.
6.4 Le Comité a noté que M. Chung se plaignait de ce que son procès avait
été inéquitable à cause des pressions auxquelles lui-même et ses coaccusés
avaient été soumis lors de leur comparution devant la Circuit Court de
Manchester et à cause du refus du juge de renvoyer le procès devant une
autre juridiction. Le Comité n'a pas retenu l'argument de l'Etat partie
qui avait fait valoir que la décision du juge, dans l'exercice de son
pouvoir discrétionnaire, de ne pas changer de tribunal devait être considérée
comme relevant de l'appréciation des faits et des preuves - l'auteur laissait
entendre qu'il régnait un climat d'hostilité et de partialité à son égard
qui pouvait avoir eu une incidence sur son droit à un procès équitable
devant un tribunal indépendant et impartial; le Comité a estimé que cette
question devait être examinée quant au fond.
6.5 Le Comité a regretté que l'Etat partie n'ait communiqué aucun renseignement
au sujet des résultats de l'enquête qu'il avait menée sur les brutalités
que les gardiens du quartier des condamnés à mort auraient fait subir
à l'auteur. L'affirmation selon laquelle les tentatives de l'auteur pour
porter ses griefs à l'attention des autorités pénitentiaires et du médiateur
parlementaire avaient été vaines n'avait pas été contestée. Dans ces circonstances,
le Comité a conclu que l'auteur avait rempli les conditions prescrites
au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.6 Le 13 octobre 1995, le Comité a déclaré la communication recevable
dans la mesure où elle semblait soulever des questions au titre de l'article
7, du paragraphe 1 de l'article 10 et des paragraphes 1 et 2 de l'article
14 du Pacte.
Observations de l'Etat partie sur le fond et commentaires du conseil
7.1 Dans une réponse du 13 janvier 1997, l'Etat partie fait valoir que
son enquête n'a révélé aucun élément étayant la plainte de l'auteur relative
aux mauvais traitements que les gardiens du quartier des condamnés à mort
lui auraient infligés; il nie par conséquent toute violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10.
7.2 L'Etat partie nie toute violation des paragraphes 1 et 2 de l'article
14 qui découlerait des pressions exercées sur l'auteur et son avocat dans
la Circuit Court de Manchester et du refus du juge de renvoyer le procès
devant une autre juridiction. Il réaffirme que l'exercice par le juge
de son pouvoir discrétionnaire relève de l'appréciation des faits, une
demande de changement de juridiction devant être justifiée par la présentation
de faits particuliers. Ce serait au juge qui était présent dans le prétoire
qu'il appartiendrait d'apprécier la situation et d'exercer son pouvoir
discrétionnaire. L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire serait examiné
par les juridictions d'appel, et le Comité n'est pas compétent pour examiner
la question.
7.3 Dans ses commentaires, le conseil fait observer que l'Etat partie
a rejeté en termes généraux les allégations de mauvais traitements infligés
par les gardiens du quartier des condamnés à mort; il note que l'Etat
partie n'a fourni aucune information au sujet des enquêtes qu'il a pu
mener à bien, n'a pas indiqué les résultats concrets de ces enquêtes ni
l'organe responsable. De même, la dénégation générale de l'Etat partie
concernant une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article
10 ne remet pas en cause l'argument de l'auteur qui a fait valoir qu'aucune
de ses tentatives pour porter ses griefs à l'attention des autorités et
du médiateur parlementaire n'avait abouti.
7.4 En ce qui concerne le refus du juge du fond de renvoyer l'affaire
devant une autre juridiction, le conseil de l'auteur réaffirme que s'il
y a la moindre possibilité d'atteinte aux droits de la défense de M. Chung,
de telle façon qu'il ait été privé du droit d'être entendu équitablement
par un tribunal indépendant, le Comité est nécessairement compétent pour
examiner la plainte quant au fond.
Examen quant au fond
8.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises
par les parties, comme il y est tenu par le paragraphe 1 de l'article
5 du Protocole facultatif.
8.2 Le Comité a noté l'argument de l'Etat partie qui avait fait valoir
que les enquêtes menées sur les allégations de mauvais traitements n'avaient
pas étayé la version donnée par M. Chung, lequel affirmait avoir été roué
de coups et brutalisé pendant sa détention dans le quartier des condamnés
à mort. Il fait remarquer que l'Etat partie n'a pas précisé si un rapport
officiel d'enquête avait été établi ni qui avait mené l'enquête et à quel
moment. De son côté, M. Chung a exposé en détail les mauvais traitements
subis en 1989. Le Comité rappelle que tout Etat partie est tenu d'enquêter
sérieusement sur les allégations de violation du Pacte portées en vertu
de la procédure instituée par le Protocole facultatif / Voir
entre autres les constatations du Comité concernant la communication No
161/1983 (Herrera Rubio c. Colombie), adoptées le 2 novembre
1987./ et, partant, de lui rendre compte dans le détail et sans retard
excessif de l'issue des enquêtes menées. En l'absence de toute réponse
circonstanciée de l'Etat partie, force est d'accorder le crédit voulu
aux allégations de l'auteur. Le Comité estime que les mauvais traitement
décrits par l'auteur constituent une violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte.
8.3 En ce qui concerne le refus du juge du fond de renvoyer le procès
devant une autre juridiction, refus qui aurait empêché M. Chung de bénéficier
d'un procès équitable et lui aurait dénié le droit à la présomption d'innocence,
le Comité note que la demande de renvoi devant une autre juridiction a
été examinée longuement au début du procès par la magistrate (p. 3 à 11
des comptes rendus d'audience). Celle-ci a entendu le défenseur de M.
Chung ainsi que le Directeur adjoint du Département des poursuites - représentant
le ministère public - sur la question; elle a noté que les craintes de
l'auteur étaient nées des expressions d'hostilité manifestées à son égard
bien avant le procès et que l'auteur était le seul des cinq coaccusés
à avoir demandé le renvoi devant une autre juridiction. Après avoir entendu
les exposés des parties et avoir vérifié que les jurés avaient été désignés
dans le respect de la procédure, la magistrate a autorisé, dans l'exercice
de son pouvoir discrétionnaire, la poursuite du procès dans la paroisse
de Manchester. Dans ces circonstances, le Comité ne considère pas que
la décision de ne pas renvoyer l'affaire devant une autre juridiction
ait porté atteinte au droit de l'auteur d'être jugé équitablement et d'être
présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie. Une certaine
liberté d'appréciation est nécessaire dans les décisions telles que celle
qui concerne le lieu du procès et, en l'absence de tout élément indiquant
que la décision ait été arbitraire ou manifestement inique, le Comité
n'est pas en mesure de substituer ses conclusions à celles du juge du
fond. En conséquence, le Comité conclut qu'il n'y a pas eu de violation
des paragraphes 1 et 2 de l'article 14 du Pacte.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître que la Jamaïque a violé l'article 7 et le paragraphe
1 de l'article 10.
10. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'auteur a droit
à un recours utile comportant une indemnisation. L'Etat partie est tenu
de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à
l'avenir.
11. En adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie a reconnu que
le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation
du Pacte. La présente affaire a été communiquée pour examen avant que
la Jamaïque n'ait dénoncé le Protocole facultatif avec effet au 23 janvier
1998; en vertu du paragraphe 2 de l'article 12 dudit Protocole, les dispositions
de celui-ci continuent de lui être applicables. Conformément à l'article
2 du Pacte, l'Etat partie s'est engagé à garantir à tous les individus
se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits
reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une
violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'Etat partie,
dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour
donner effet à ses constatations.
_________
Annexe* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à
l'examen de la communication considérée : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
N. Bhagwati, M. Thomas Buergenthal, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt,
M. Eckart Klein, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto
Pocar, M. Julio Prado Vallejo, M. Martin Scheinin, M. Maxwell Yalden et
M. Abdallah Zakhia./
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]