Comité des droits de l'homme
Soixante-quatrième session
19 octobre - 6 novembre 1998
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-quatrième session -
Communication No 592/1994**
Présentée par : Clive Johnson
(représenté par M. Saul Lehrfreund, du cabinet Simons Muirhead & Burton)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 8 février 1994
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 20 octobre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 592/1994 présentée par M. Clive Johnson en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1.L'auteur de la communication est Clive Johnson, citoyen jamaïcain qui était, au moment de la présentation de la communication, en attente d'exécution à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque). Ses actes ayant été requalifiés de meurtre n'entraînant pas la peine de mort, la peine capitale qui avait été prononcée contre lui a été commuée en emprisonnement à perpétuité. Il affirme être victime d'une violation par la Jamaïque des articles 6, 7, 10, 14 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par M. Saul Lehrfreund, du cabinet Simons Muirhead & Burton de Londres (Angleterre).
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté le 13 octobre 1985, à la suite du meurtre, le 11 octobre 1985, d'un certain Clive Beckford. Le 13 novembre 1987, le deuxième jour de son procès devant la Home Circuit Court de Kingston, l'auteur a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort. Le 15 novembre 1988, la Cour d'appel a déclaré son appel irrecevable. Le 29 novembre 1992, la section judiciaire du Conseil privé a rejeté sa demande d'autorisation spéciale de former recours.
2.2 L'auteur n'a pas présenté de requête constitutionnelle à la Cour suprême pour violation de ses droits fondamentaux. Il affirme qu'il ne peut introduire une requête constitutionnelle parce qu'il n'en a pas les moyens, qu'il ne bénéficie pas de l'aide judiciaire pour ce faire et que son avocat jamaïcain ne veut pas le représenter gratuitement.
2.3 La thèse de l'accusation reposait sur la déposition d'un unique témoin oculaire, R. H., agent de police. Ce dernier a déclaré que le 11 octobre 1985, en début de soirée, il rentrait chez lui accompagné de sa fille âgée de 8 ans et de Clive Beckford, qui était âgé de 17 ans. Quatre hommes arrivèrent en courant derrière eux et, après une brève discussion, les encerclèrent. Ils étaient armés de pics à glace et de couteaux; deux d'entre eux, dont l'auteur, agressèrent le témoin, les deux autres Beckford. Au bout de trois ou quatre minutes, Beckford s'enfuit, poursuivi par ses deux agresseurs, qui revinrent une minute plus tard. La bagarre reprit, mais R. H. réussit à s'enfuir et les hommes laissèrent partir sa fille. R. H. et sa fille découvrirent Beckford gisant sur la route : il avait été poignardé et était mourant. Deux jours plus tard, R. H. vit l'auteur s'approcher, non loin de chez lui. Il le reconnut comme l'un des agresseurs. L'auteur aurait sorti un couteau et poignardé R. H., qui lui tira alors une balle dans la jambe.
2.4 Au procès, l'auteur a fait sans prêter serment une déclaration dans laquelle il a nié avoir été présent sur les lieux du meurtre le 11 octobre 1985. Aucun témoin à décharge n'a été appelé à la barre.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur déclare qu'il est né le 21 août 1968 et qu'il avait donc 17 ans et 7 semaines au moment des faits, le 11 octobre 1985. À l'appui de ses dires, il produit une copie certifiée conforme de son acte de naissance. Il affirme qu'il a été condamné à la peine capitale en violation de l'article 6, paragraphe 5, du Pacte.
3.2 L'auteur fait valoir qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. À son procès, le juge a commis une erreur en donnant pour instruction au jury d'appliquer des critères objectifs pour déterminer l'intention de l'auteur. La Cour d'appel a admis qu'il y avait eu là un manquement, mais elle n'a pas donné suite, estimant que cela n'avait pas en réalité entraîné un déni de justice car, selon elle, même s'il avait reçu des instructions correctes, le jury aurait inévitablement rendu le même verdict. L'auteur argue que les instructions données par le juge au jury doivent être particulièrement rigoureuses dans une affaire où la peine de mort peut être prononcée, et qu'en induisant le jury en erreur sur des éléments essentiels du crime de meurtre, le juge a rendu le procès inéquitable et le verdict contestable.
3.3 L'auteur fait valoir qu'il n'a pas bénéficié d'une bonne représentation en justice, que ce soit en première instance ou en appel. Il souligne qu'il a été détenu pendant plus de 18 mois avant de rencontrer un avocat, qu'il n'a pas du tout été représenté à l'audience préliminaire et que, lorsqu'une avocate a finalement été commise d'office pour le défendre, il l'a rencontrée pour la première fois quelques jours seulement avant le procès, pendant trois minutes, et ne s'est entretenu avec elle qu'une seule fois au cours du procès lui-même. Il ajoute qu'il n'a à aucun moment rencontré son avocat avant l'audience en appel. L'auteur affirme qu'il y a là une violation du paragraphe 3 b) et d) de l'article 14, aux termes duquel l'accusé doit disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense, et avoir l'assistance d'un conseil.
3.4 L'auteur argue en outre que le fait que l'État partie ne lui ait pas accordé l'aide judiciaire pour l'introduction d'une requête constitutionnelle constitue une violation du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.
3.5 L'auteur affirme également qu'il a subi des mauvais traitements pendant sa détention dans le quartier des condamnés à mort. Par exemple, le 4 mai 1993, au cours d'une fouille, des soldats l'ont frappé à deux reprises sur les testicules avec un détecteur de métal. Suite à cela, l'auteur a constaté qu'il avait du sang dans les urines, mais il est resté sans soins jusqu'au 8 mai 1993, date à laquelle un médecin lui a été envoyé par le Conseil jamaïcain pour les droits de l'homme. Après l'avoir examiné, le médecin a remis une ordonnance aux autorités de la prison, mais l'auteur n'a jamais reçu les médicaments prescrits. Pour l'auteur, cela constitue une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, lus conjointement avec les paragraphes 25.1 et 31 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Le conseil de l'auteur indique qu'il n'existe aucun recours interne à cet égard et ajoute que les détenus, dont l'auteur, qui ont dénoncé la manière dont ils étaient traités, ont été menacés de mort par les gardiens. Il affirme en outre que la procédure permettant de saisir l'Ombudsman parlementaire est inefficace. Il renvoie au rapport d'Amnesty International intitulé Jamaica - Proposal for an Enquiry into Deaths and Ill-Treatment of Prisoners in St. Catherine District Prison ("Jamaïque -Demande d'enquête sur les décès de détenus et mauvais traitements infligés aux détenus dans la prison du district de St. Catherine").
3.6 Le conseil de l'auteur affirme également qu'en l'espèce le paragraphe 1 de l'article 17 du Pacte a été violé. Il indique qu'entre le 10 janvier 1991 et le 18 juin 1992, plusieurs lettres qui lui ont été adressées par l'auteur ne sont jamais arrivées à son cabinet, ayant fait l'objet d'immixtions illégales de la part des autorités de la prison.
3.7 L'auteur affirme enfin qu'il est incarcéré dans le quartier des condamnés à mort depuis le 13 novembre 1987 et fait valoir que la durée de cette détention, ainsi que le fait qu'il puisse être exécuté après une si longue période, constituent une violation de l'article 7 du Pacte. À ce sujet, il renvoie notamment à la décision rendue le 2 novembre 1993 par le Conseil privé dans l'affaire Earl Pratt et Ivan Morgan c. Attorney General for Jamaica.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
4.1 Dans une lettre datée du 25 janvier 1995, l'État partie n'élève aucune objection à la recevabilité de la communication et fait des observations sur le fond de l'affaire, pour en accélérer l'examen.
4.2 L'État partie rejette l'argument de l'auteur selon lequel, comme suite à la décision du Conseil privé dans l'affaire Earl Pratt et Ivan Morgan, la détention pendant plus de cinq ans dans le quartier des condamnés à mort constitue automatiquement un traitement cruel et inhumain. L'État partie estime que chaque affaire doit être examinée dans son ensemble et il renvoie aux constatations du Comité à cet égard 1/ Pratt et Morgan c. Jamaïque, communications Nos 210/1986 et 225/1987, constatations adoptées le 6 avril 1989 (CCPR/C/35/D/210/1986 et 225/1987)./.
4.3 L'État partie indique qu'une enquête sur les allégations de mauvais traitements en détention est en cours et qu'il informera le Comité des résultats des investigations.
4.4 L'État partie signale en outre qu'il ouvrira une enquête sur l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'a pu rencontrer d'avocat durant les 18 mois pendant lesquels il était en détention provisoire.
4.5 En ce qui concerne l'absence de conseil pour représenter l'auteur à l'audience préliminaire, l'État partie indique qu'il était loisible à l'auteur de solliciter l'aide judiciaire. En l'absence de tout élément attestant que l'État partie a empêché l'auteur de se prévaloir de ce droit, l'État partie n'est pas responsable du fait que l'auteur n'a pas bénéficié de l'assistance d'un conseil. À cet égard, l'État partie déclare qu'il ne saurait être tenu responsable du comportement prétendument fautif en première instance ou en appel d'un avocat commis d'office, pas plus qu'il ne saurait être tenu responsable du comportement d'un conseil que l'accusé rémunérerait lui-même.
4.6 L'État partie rejette en outre l'argument selon lequel la décision de la cour d'appel de ne pas annuler le jugement de première instance et de ne pas ordonner un nouveau procès constitue une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. À cet égard, il fait observer que la cour d'appel a examiné les faits de la cause, exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à la loi, et maintenu la décision de première instance. L'État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle il est préférable de laisser l'appréciation de faits et de preuves aux juridictions d'appel et il argue que le Comité n'est pas habilité à examiner la manière dont la cour d'appel a exercé sa compétence.
4.7 L'État partie nie qu'il y ait eu violation du paragraphe 5 de l'article 14. Il fait valoir que cet article ne concerne que les infractions pénales, et que l'État partie est donc tenu de faire en sorte que toute personne reconnue coupable d'une telle infraction puisse faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure. Ce droit étant garanti par la loi jamaïcaine et ayant été exercé par l'auteur, il n'y a pas eu violation du paragraphe 5 de l'article 14.
4.8 Quant à l'allégation de l'auteur selon laquelle il aurait été victime d'une violation de l'article 17, l'État partie soutient qu'il n'y a absolument rien qui prouve qu'il y ait eu interception arbitraire ou illégale de la correspondance de l'auteur.
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, le conseil de l'auteur ne voit pas d'inconvénient à ce que le Comité examine immédiatement la communication au fond.
5.2 Le conseil invoque plusieurs décisions judiciaires / Notamment Pratt & Morgan c. Attorney General (1993) All ER 769, Catholic Commission for Justice and Peace in Zimbabwe c. Attorney General, jugement No SC73/93, 24 juin 1993./ à l'appui de son argument selon lequel l'auteur est soumis à une peine ou traitement inhumain et dégradant, en violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, du fait qu'il est incarcéré au quartier des condamnés à mort depuis sa condamnation, le 13 novembre 1987, soit depuis presque huit ans. À cet égard, le conseil renvoie à l'arrêt rendu par le Conseil privé dans l'affaire Pratt et Morgan, à savoir qu'un État doit accepter qu'il lui incombe de faire en sorte que l'exécution intervienne aussi rapidement que possible après la condamnation, étant entendu qu'un délai suffisant doit être ménagé pour permettre l'exercice d'un recours et l'examen du dossier en vue d'une commutation de la peine.
5.3 Le conseil invoque également l'Observation générale du Comité sur l'article 7 /Observation générale No 20, adoptée à la quarante-quatrième session du Comité, le 7 avril 1992./, dans laquelle il est dit que "lorsque la peine de mort est appliquée par un État partie ..., elle doit ... être exécutée de manière à causer le minimum de souffrances, physiques ou mentales". Le conseil fait valoir qu'en détenant une personne condamnée à mort pendant plus de cinq ans après sa condamnation, on lui inflige nécessairement des souffrances morales et, partant, un traitement inhumain et dégradant.
5.4 S'agissant de l'argument de l'État partie selon lequel il ne saurait être tenu responsable de manquements imputables à des avocats commis d'office, le conseil renvoie aux constatations du Comité concernant la communication No 283/1988 / Little c. Jamaïque, constatations adoptées le 1er novembre 1991, par. 8.3./, à savoir que "dans les cas où la peine capitale peut être prononcée à l'encontre de l'accusé, il va de soi qu'il faut lui accorder ainsi qu'à son conseil suffisamment de temps pour préparer sa défense". Il fait valoir que bien que le Comité ait jugé que des manquements imputables à un défenseur choisi et rétribué par l'accusé ne sauraient engager la responsabilité d'un État partie, il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit d'avocats de l'aide judiciaire, lesquels, une fois qu'ils sont commis à la défense d'un accusé, doivent le représenter utilement.
5.5 Dans une autre lettre datée du 17 novembre 1995, le conseil de l'auteur explique que la question de l'âge de M. Johnson n'a pas été évoquée lors du procès parce que ce dernier n'avait pas disposé du temps et des moyens nécessaires pour préparer sa défense. Ce n'est qu'en octobre 1992 que le Conseil jamaïcain des droits de l'homme s'est rendu compte qu'il était mineur. L'avocat qui représentait M. Johnson en appel a informé l'avocat londonien dans une lettre datée du 29 mars 1993 que si l'extrait de naissance était authentique, l'affaire pouvait être de nouveau soumise à la cour d'appel. Le 18 mars 1994, le Conseil jamaïcain des droits de l'homme a envoyé à l'avocat londonien une copie certifiée conforme de l'acte de naissance. Cet avocat affirme que l'avocat jamaïcain qui représentait l'auteur en appel ne semblait guère désireux de l'aider à porter l'affaire à l'attention des autorités jamaïcaines. Il ressort de copies de la correspondance qu'il n'y a plus eu de contact avec l'avocat jamaïcain depuis mars 1993.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 À sa cinquante-sixième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme l'exige l'alinéa a) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.3 Le Comité a noté que l'État partie ne contestait pas la recevabilité de la communication et avait fait parvenir ses observations sur le fond afin d'accélérer la procédure, et que le conseil de l'auteur avait donné son accord pour que le Comité examine la communication au fond. Néanmoins, le Comité a estimé que les informations dont il disposait n'étaient pas suffisantes pour lui permettre d'adopter ses constatations. Il s'est donc prononcé uniquement sur les questions concernant la recevabilité.
6.4 Le Comité a noté qu'une partie des allégations de l'auteur avaient trait aux instructions données par le juge au jury. Il a renvoyé à sa jurisprudence et réaffirmé qu'en règle générale, ce n'était pas à lui, mais aux cours d'appel des États parties, qu'il appartenait d'examiner les instructions données au jury par le juge de première instance, à moins qu'il puisse être établi que celles-ci étaient manifestement arbitraires ou constituaient un déni de justice. Le Comité a pris note de ce que l'auteur faisait valoir qu'en l'espèce les instructions données au jury n'avaient pas la rigueur qui est requise lorsque l'accusé encourt la peine capitale. Le Comité a également noté que la cour d'appel avait examiné cette allégation et avait conclu qu'en l'espèce les instructions données au jury par le juge de première instance ne comportaient pas de vices de nature à les rendre arbitraires ou assimilables à un déni de justice. Cette partie de la communication était donc irrecevable, en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif, comme étant incompatible avec les dispositions du Pacte.
6.5 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle sa détention prolongée au quartier des condamnés à mort constituait une violation de l'article 7 du Pacte, le Comité a noté que l'État partie n'avait pas élevé d'objections à la recevabilité de la plainte. Il examinerait donc quant au fond la question de savoir si la détention prolongée de l'auteur dans le quartier des condamnés à mort constituait, compte tenu du jeune âge de l'intéressé, une violation de l'article 7 du Pacte.
6.6 Le Comité a noté que l'affirmation de l'auteur selon laquelle certaines des lettres qu'il avait adressées à son conseil en 1991 et 1992 n'étaient pas parvenues au cabinet de ce dernier manquait de précision et il a estimé que l'auteur n'avait pas étayé, aux fins de la recevabilité, l'allégation selon laquelle cela était dû à des immixtions illégales dans sa correspondance de la part des autorités carcérales, en violation de l'article 17 du Pacte. Cette partie de la communication était donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.7 Le Comité a estimé que les allégations de l'auteur selon lesquelles il avait été condamné à mort en violation du paragraphe 5 de l'article 6 du Pacte, avait été soumis à des mauvais traitements pendant qu'il était en détention, n'avait pas eu accès à un avocat durant les 18 premiers mois de sa détention, n'avait pas été représenté lors de l'audience préliminaire et s'était vu refuser toute aide judiciaire pour la présentation d'une requête constitutionnelle en violation de l'article 14 du Pacte étaient suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et devaient donc être examinées sur le fond.
7. En conséquence, le 14 mars 1996, le Comité des droits de l'homme a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions au titre du paragraphe 5 de l'article 6, de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 10 et des paragraphes 1, 3 b) et d) et 5 de l'article 14 du Pacte, s'il s'avérait que l'auteur n'avait pas bénéficié d'une représentation en justice pendant ses 18 premiers mois de détention et à l'audience préliminaire, ni eu accès à une aide judiciaire pour la présentation d'une requête constitutionnelle.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
8.1 Dans une note datée du 28 octobre 1996, l'État partie informe le Comité que, s'agissant de l'affirmation selon laquelle l'auteur aurait été battu le 4 mai 1993, une enquête a révélé qu'il n'y avait dans les dossiers de la prison aucun rapport faisant état de blessures. De même, il n'y avait aucun élément indiquant que des soins médicaux avaient été dispensés ou des médicaments prescrits. Selon l'État partie, il n'est question de l'incident que dans le procès-verbal d'une réunion entre un représentant du Conseil jamaïcain des droits de l'homme, un responsable de la prison et des détenus du quartier des condamnés à mort. Un agent de probation de rang supérieur a tenté à deux reprises d'interroger l'auteur, mais ce dernier s'est montré peu disposé à parler, indiquant qu'il souhaitait obtenir au préalable l'accord de son avocat. Dans ces conditions, l'État partie nie qu'il y ait eu violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
8.2 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle l'auteur n'a pas bénéficié d'une représentation en justice pendant sa détention provisoire et à l'audience préliminaire, l'État partie réaffirme qu'il appartenait à l'auteur de demander une aide judiciaire et qu'à moins d'apporter la preuve qu'une telle représentation lui a été refusée, alors qu'il l'avait réclamée, on ne saurait considérer qu'il y a eu violation du Pacte.
8.3 Pour ce qui est de l'absence d'aide judiciaire pour les requêtes constitutionnelles, l'État partie fait valoir qu'une telle requête, étant un recours constitutionnel, ne constitue pas une procédure d'appel. Selon l'État partie, les obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte ont trait aux procédures devant la cour d'appel et le Conseil privé. Le fait de ne pas avoir fourni à l'auteur une aide judiciaire pour un recours constitutionnel ne saurait être, selon lui, considéré comme une violation du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.
8.4 L'État partie fait observer que la peine de mort prononcée contre l'auteur a été commuée et qu'en conséquence le paragraphe 5 de l'article 6 n'a pas été violé. À cet égard, l'État partie note que le paragraphe 1 de l'article 29 de la loi sur les mineurs interdit l'exécution d'une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment où elle a commis l'infraction.
9.1 Dans ses commentaires, le conseil fait valoir que ce n'est pas parce qu'il n'y a dans les dossiers aucun rapport sur les brutalités dont a été victime l'auteur le 4 mai 1993 que son allégation est sans fondement. Il note que le 14 mai 1993, l'auteur a relaté les faits dans une déclaration faite à un avocat. L'État partie, dans ses observations, n'a nullement réfuté cette allégation, et le fait qu'il n'y ait pas de rapport médical concorde avec l'affirmation de l'auteur selon laquelle on lui a refusé tous soins. Le conseil fait observer que, compte tenu des risques de représailles, il n'est pas surprenant que l'auteur se soit montré réticent face à l'agent venu l'interroger.
9.2 Le conseil déclare que la plainte de l'auteur au titre du paragraphe 3 b) de l'article 14 porte sur le fait qu'il n'a pas bénéficié d'une représentation en justice non seulement avant le procès mais aussi pendant le procès et au cours de la procédure d'appel, griefs auxquels l'État partie n'a pas répondu. Le conseil soutient que l'État partie a le devoir de nommer des avocats au titre de l'aide judiciaire à temps pour qu'ils puissent préparer la défense de l'inculpé et le représenter d'une manière efficace.
9.3 Pour ce qui est de la non-fourniture d'une aide judiciaire pour les requêtes constitutionnelles, le conseil fait valoir que l'État partie est tenu en vertu du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte de faire en sorte que chacun puisse se prévaloir d'un recours utile auprès de la Cour constitutionnelle en cas de violation de ses droits fondamentaux. Le conseil renvoie à la jurisprudence du Comité / Voir Anthony Currie c. Jamaïque, communication No 377/1989, constatations adoptées le 29 mars 1994./, faisant valoir que la non-fourniture d'une aide judiciaire a privé l'auteur de la possibilité de contester des irrégularités commises au cours de son procès pénal, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2. Selon le conseil, cela est particulièrement important vu le jeune âge de l'auteur.
9.4 Le conseil fait observer que l'auteur est né le 21 août 1968 et avait donc 17 ans et 7 semaines le 11 octobre 1985, au moment des faits. Sa condamnation à mort, alors qu'il n'avait pas atteint l'âge de 18 ans au moment de l'infraction, constitue une violation du paragraphe 5 de l'article 6 du Pacte. Le conseil ajoute que la violation a été commise au moment de la condamnation de l'auteur et a persisté jusqu'à ce que la peine ait été commuée. La commutation de la peine a peut-être permis de remédier à l'abus mais ne change rien au fait qu'il y a eu violation.
9.5 En ce qui concerne la violation du paragraphe 5 de l'article 6, le conseil soutient que la détention prolongée de l'auteur dans le quartier des condamnés à mort est contraire à l'article 7 et au paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. Se référant à la jurisprudence du Comité, il affirme que la condamnation de l'auteur à la peine de mort en violation du paragraphe 5 de l'article 6 du Pacte est une circonstance impérieuse qui, s'ajoutant à la durée de son incarcération dans le quartier des condamnés à mort, fait que sa détention constitue une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
Délibérations du Comité
10.1 Conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l'homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties.
10.2 Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle le paragraphe 3 b) et d) de l'article 14 du Pacte a été violé, le Comité considère qu'une aide judiciaire doit être fournie à toute personne accusée d'un crime punissable de la peine de mort. Cela vaut non seulement pour la procédure de jugement en première instance mais aussi pour toute audience préliminaire. En l'espèce, l'État partie ne conteste pas que l'auteur n'ait pas été représenté à l'audience préliminaire, se contentant de faire observer que rien n'indique qu'il ait demandé l'assistance d'un avocat. Le Comité estime que, lorsque l'auteur s'est présenté à l'audience préliminaire sans représentant en justice, le juge d'instruction aurait dû l'informer de son droit d'être représenté en justice et faire en sorte qu'il bénéficie des services d'un avocat si tel était son souhait. Par conséquent, il conclut que le fait que l'auteur n'ait pas bénéficié d'une représentation en justice à l'audience préliminaire constitue une violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte.
10.3 S'agissant de la condamnation de l'auteur à la peine de mort, le Comité note que l'État partie ne conteste pas l'authenticité de l'extrait de naissance présenté par M. Johnson et ne nie pas qu'il ait eu moins de 18 ans lorsque le crime dont il a été reconnu coupable a été commis. En conséquence, la condamnation de l'auteur à la peine de mort constituait une violation du paragraphe 5 de l'article 6 du Pacte.
10.4 Dans ces circonstances, puisque l'auteur de la communication a été condamné à mort en violation du paragraphe 5 de l'article 6 du Pacte et que l'imposition de la peine de mort était donc nulle ab initio, sa détention dans le quartier des condamnés à mort constituait une violation de l'article 7 du Pacte.
10.5 Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle il aurait été victime de brutalités le 4 mai 1993, le Comité note que l'auteur a fourni des renseignements détaillés et que l'enquête de l'État partie n'a pas permis de réfuter cette allégation. Sur la base des éléments d'information dont il dispose, le Comité conclut que l'affirmation de l'auteur selon laquelle il a été victime de brutalités le 4 mai 1993 est suffisamment étayée et qu'il y a eu violation de l'article 7 du Pacte.
10.6 Compte tenu de ses autres constatations, le Comité n'a pas besoin de se pencher sur l'affirmation du conseil selon laquelle la non-fourniture d'une aide judiciaire pour la présentation d'une requête constitutionnelle constituait en soi une violation du Pacte.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l'article 6, de l'article 7 et du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte.
12. Aux termes du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, M. Clive Johnson a droit à un recours utile. Eu égard au fait que l'auteur était mineur au moment de son arrestation et qu'il a passé près de 13 ans en détention, dont plus de sept dans le quartier des condamnés à mort, le Comité recommande sa libération immédiate. L'État partie a l'obligation de veiller à ce que des violations analogues ne se produisent plus à l'avenir.
13. En devenant partie au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu la compétence du Comité pour déterminer s'il y a eu ou non violation du Pacte. La présente affaire a été soumise avant que la dénonciation du Protocole facultatif par la Jamaïque ne prenne effet le 23 janvier 1998; en vertu du paragraphe 2 de son article 12, elle reste donc soumise à l'application de ses dispositions. Aux termes de l'article 2 du Pacte, l'État partie s'est engagé à assurer à toutes les personnes se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est aussi invité à publier les constatations du Comité.
______________
* Participants: Mr. Prafullachandra N. Bhagwati, Mr. Thomas Buergenthal, Ms. Christine Chanet, Lord Colville, Mr. Omar El Shafei, Ms. Elizabeth Evatt, Ms. Pilar Gaitan de Pombo, Mr. Eckart Klein, Mr. David Kretzmer, Mr. Rajsoomer Lallah, Ms. Cecilia Medina Quiroga, Mr. Martin Scheinin, Mr. Roman Wieruszewski, Mr. Maxwell Yalden, and Mr. Abdallah Zakhia.
** Le texte d'une opinion individuelle d'un membre du Comité, David Kretzmer, est joint en annexe au présent document./
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. À paraître aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de David Kretzmer (concordante)
Je pense comme le Comité qu'en l'espèce le fait de maintenir l'auteur dans le quartier des condamnés à mort équivalait à lui infliger une peine cruelle et inhumaine. Cependant, comme le Comité a toujours affirmé par le passé que la détention dans le quartier des condamnés à mort pendant une période déterminée ne constituait pas à elle seule une violation de l'article 7, il est important d'expliquer pourquoi, dans ce cas, le Comité est arrivé à un résultat différent.
L'avis du Comité selon lequel le simple fait de maintenir pendant un certain temps une personne condamnée à la peine capitale dans le quartier des condamnés à mort n'équivaut pas à imposer une peine cruelle et inhumaine repose sur l'idée qu'en affirmant autre chose on donnerait à penser qu'un État partie pourrait éviter de violer le Pacte en exécutant une personne condamnée. Comme le Pacte laisse fortement entendre que l'abolition de la peine de mort est souhaitable, le Comité ne pouvait accepter une interprétation du Pacte qui conduirait à considérer qu'un État partie viole cet instrument en n'exécutant pas une personne mais ne le viole pas dans le cas contraire.
Bien évidemment, cet avis du Comité ne vaut que dans les cas où l'imposition et l'exécution de la peine de mort ne sont pas en elles-mêmes une violation du Pacte. La logique à la base de cet avis ne s'applique pas lorsque l'État partie violerait le Pacte en imposant et exécutant la peine de mort. En pareil cas, la violation liée à l'imposition de la peine de mort est aggravée par le maintien pendant un certain temps de la personne condamnée dans le quartier des condamnés à mort, temps pendant lequel elle vit dans l'angoisse en attendant son exécution. Cette détention dans le quartier des condamnés à mort peut certainement être assimilée à une peine cruelle et inhumaine, surtout lorsqu'elle dure plus longtemps qu'il n'est nécessaire pour le déroulement des procédures judiciaires nationales requises pour corriger l'erreur liée à l'imposition de la peine de mort.
Dans le cas considéré, comme le Comité l'a affirmé au paragraphe 10.4, l'imposition de la peine de mort était contraire à l'obligation qui incombait à l'État partie en vertu du paragraphe 5 de l'article 6 du Pacte. L'auteur a par la suite passé près de huit ans dans le quartier des condamnés à mort, avant que sa peine ne soit commuée en emprisonnement à perpétuité, l'infraction ayant été requalifiée d'acte n'entraînant pas la peine de mort. Dans ces circonstances, la détention de l'auteur dans le quartier des condamnés à mort constituait une peine cruelle et inhumaine contraire à l'article 7 du Pacte.
D. Kretzmer [signé]