Comité des droits de l'homme
Cinquante-huitième session
21 octobre - 8 novembre 1996
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquante-huitième session -
Communication No. 593/1994
Présentée par : Patrick Holland
Au nom de : L'auteur
État partie : Irlande
Date de la communication : 8 juin 1994 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 octobre 1996,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Patrick Holland, citoyen irlandais,
né le 12 mars 1939, qui purgeait une peine de prison en Irlande au moment
où la communication a été présentée. Il se déclare victime d'une violation
par l'Irlande des articles 14 et 26 du Pacte. Le Pacte et le Protocole
facultatif sont entrés en vigueur pour l'Irlande le 8 mars 1990.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté le 6 avril 1989 en application de l'article
30 de la loi de 1939 relative aux infractions contre l'Etat (Offences
against the State Act) et inculpé de détention d'explosifs à un usage
illicite. Il a été jugé le 27 juin 1989 par un tribunal pénal spécial
(Special Criminal Court), en même temps que quatre coaccusés, déclaré
coupable et condamné à 10 ans de réclusion. Il a fait appel du jugement
et, le 21 mai 1990, la cour d'appel a ramené sa peine à sept ans, considérant
que le jugement prononcé par le tribunal spécial pouvait donner l'impression
que l'auteur avait été condamné pour un délit plus grave que celui dont
il avait été accusé, à savoir la détention d'explosifs destinés à mettre
en danger la vie d'autrui. L'auteur a été libéré le 27 septembre 1994.
2.2 Lors de son procès devant le tribunal pénal spécial, l'auteur a plaidé
coupable parce que son avocat lui aurait dit "dans ce tribunal c'est la
police que l'on croira" et que sa peine serait plus lourde s'il plaidait
non coupable. A ce sujet, l'auteur indique que l'un de ses coaccusés qui
a plaidé non coupable a effectivement été condamné à une peine d'emprisonnement
plus longue.
2.3 L'auteur affirme qu'il n'y avait aucune preuve contre lui mais que
la police a prétendu qu'il avait avoué avoir connaissance de la présence
des explosifs à son domicile. Il n'a pas été fourni d'enregistrement des
aveux présumés de l'auteur, lequel n'a signé aucune déclaration.
2.4 L'auteur explique qu'en avril 1989, une de ses connaissances, A.M.,
venu d'Angleterre pour se renseigner sur la possibilité de prendre un
restaurant ou un pub en gérance, a séjourné chez lui. Le 3 avril 1989,
ils ont été rejoints par P.W., un ami de A.M., venu à Dublin pour assister
à un procès. L'auteur précise qu'il n'avait jamais rencontré P.W. auparavant
mais qu'il lui avait offer l'hospitalité. L'auteur, qui était propriétaire
d'une imprimerie, travaillait la plupart du temps et ne rentrait chez
lui que pour manger ou dormir. Le 6 avril 1989, à l'heure du déjeuner,
la police a effectué une descente à son domicile et l'a arrêté ainsi que
A.M., P.W. et une quatrième connaissance, un ancien collègue qui était
venu lui rendre visite. Des explosifs ont été découverts dans un sac noir
mais l'auteur nie avoir eu connaissance de leur présence.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il n'a pas été jugé équitablement du fait que
le tribunal pénal spécial n'est pas un organe indépendant et impartial,
ce qui est contraire aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 14
du Pacte. A ce sujet, l'auteur explique que la Constitution irlandaise
autorise la création de tribunaux spéciaux ("special courts") pour connaître
d'affaires pour lesquelles il est établi que les tribunaux ordinaires
ne sont pas en mesure d'assurer efficacement l'administration de la justice
et le maintien de la paix et de l'ordre publics. L'auteur fait observer
que c'est le gouvernement qui décide des affaires qui doivent être jugées
par un tribunal spécial. Il cite un extrait de l'article 39 de la loi
relative aux infractions contre l'Etat, qui dispose que le gouvernement
a toute latitude pour nommer et révoquer les membres des tribunaux spéciaux.
Lorsque les membres des tribunaux spéciaux sont rémunérés, c'est selon
un barème établi par le Ministère des finances. Ils ne doivent pas nécessairement
appartenir au corps judiciaire; des hommes de loi ayant une expérience
d'au moins sept ans et des officiers supérieurs des forces de défense
peuvent également être nommés.
3.2 L'auteur affirme que les tribunaux spéciaux compromettent le principe
de l'égalité de traitement des personnes ayant à répondre d'infractions,
l'indépendance des membres de ces tribunaux n'étant pas garantie. A ce
sujet, l'auteur se réfère au jugement rendu dans son cas, qui donnait
l'impression qu'il était condamné pour une infraction plus grave que celle
dont il était accusé.
3.3 L'auteur affirme également avoir été l'objet d'une discrimination
en prison pour s'être "battu pour ses droits" en entreprenant des actions
en justice pour faire reconnaître son droit à être placé sous le régime
de la libération conditionnelle. Il dit que deux de ses coaccusés, condamnés
à la même peine, ont été transférés en 1992 et au début de 1993 dans une
prison à régime ouvert, alors que lui même n'a été transféré qu'au début
1994. Dans une prison à régime ouvert, les détenus ont la permission de
passer régulièrement les week-ends avec leur famille alors qu'il n'a pas
pu obtenir l'autorisation d'aller voir sa soeur à l'h_pital avant sa mort,
le 22 décembre 1993; il a obtenu une mise en liberté conditionnelle du
22 au 27 décembre 1993, mais sa soeur était déjà décédée.
Observations de l'Etat partie et commentaires de l'auteur
4.1 Dans ses observations du 5 décembre 1994, l'Etat partie fait valoir
que la communication est irrecevable ratione temporis car l'aspect
essentiel de la plainte de l'auteur concerne son procès devant le tribunal
pénal spécial le 27 juin 1989, autrement dit avant l'entrée en vigueur
pour l'Irlande du Pacte et du Protocole facultatif.
4.2 L'Etat affirme également que la communication est irrecevable au
motif que les recours internes n'ont pas été épuisés. Il note que pour
l'essentiel l'auteur se plaint de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable
devant un tribunal indépendant et impartial et qu'il affirme ne pas avoir
commis les infractions dont il était accusé. Néanmoins, l'auteur étant
revenu sur sa décision de plaider non coupable, le tribunal n'a pas eu
d'autres solutions que d'accepter son aveu de culpabilité et de le condamner
en conséquence. L'Etat partie soutient qu'il aurait pu être acquitté s'il
avait plaidé non coupable. Il conteste l'allégation de l'auteur selon
laquelle les personnes jugées par un tribunal pénal spécial sont systématiquement
reconnues coupables.
4.3 L'Etat partie fait par ailleurs observer que l'auteur n'a pas demandé
que les judes du tribunal spécial soient récusés au motif qu'ils n'étaient
pas indépendants et impartiaux. A cet égard, l'Etat note que l'auteur
n'a en réalité jamais allégué que les juges du tribunal qui l'avaient
jugé avaient fait preuve de partialité. L'auteur semble avancer que la
méthode de nomination et de révocation des membres du tribunal pourrait
engendrer un manque d'indépendance et d'impartialité mais il ne dit pas
qu'il en a été ainsi.
4.4 L'Etat partie explique que les décisions du tribunal spécial peuvent
être réexaminées par la High Court. Toute personne qui se dit victime
d'une violation de la Constitution ou des principes élémentaires de la
justice peut s'adresser à la High Court pour qu'elle annule une
décision rendue par le tribunal pénal spécial ou interdise à celui-ci
d'aller à l'encontre des dispositions de la Constitution ou des principes
élémentaires de justice. Si l'auteur avait eu des raisons d'affirmer qu'il
n'avait pas été jugé de façon équitable par le tribunal spécial, il aurait
pu dans ce cas demander à la High Court d'ordonner une révision
du jugement, ce qu'il n'a pas fait.
4.5 L'Etat partie renvoie à cet égard à la décision rendue dans l'affaire
Eccles (Eccles c. Irlande [1985] I.R. 545.) par la Cour
suprême, qui a conclu que le gouvernement ne pouvait légitimement mettre
fin au mandat des membres du tribunal spécial au motif qu'il n'était pas
d'accord avec leurs décisions. La Cour a estimé que les garanties constitutionnelles
expresses d'indépendance du pouvoir judiciaire ne s'appliquaient pas au
tribunal spécial mais que celui-ci bénéficiait d'une garantie d'indépendance
découlant des dispositions de la Constitution dans l'exercice de ses fonctions.
4.6 L'Etat partie affirme par ailleurs que lors de l'audience en appel,
l'auteur aurait pu faire valoir que sa condamnation était irrégulière
en raison du manque d'indépendance des juges. Il note que l'auteur n'a
toutefois pas fait appel de sa condamnatoion et qu'il n'a pas avancé que
le tribunal spécial avait manqué d'impartialité ou d'indépendance.
4.7 L'Etat partie affirme également que l'auteur n'a pas montré qu'il
était personnellement victime d'une violation alléguée. Il se réfère à
l'argument de l'auteur selon lequel la législation applicable ne saurait
garantir l'indépendance du tribunal. D'après l'Etat partie, il s'agit
d'un argument relevant de l'actio popularis, dans la mesure où
l'auteur ne dit pas que les magistrats qui l'ont jugé ont manqué effectivement
d'indépendance, ni qu'ils ont fait preuve de partialité à son égard, pas
plus qu'il ne fait état d'irrégularités dans la procédure. A cet égard,
l'Etat partie se réfère à la décision rendue dans l'affaire Eccles (Eccles
et consorts c. Irlande, requête No 12839/87, décision du 9
décembre 1988), par la Commission européenne des droits de l'homme qui
a conclu que le tribunal spécial était indépendant au sens de l'article
6 de la Convention européenne.
4.8 L'Etat partie explique que l'article 38 de la Constitution prévoit
que des tribunaux spéciaux peuvent être créés par la loi pour connaître
d'affaires pour lesquelles il peut être établi conformément à la loi visée
que les tribunaux ordinaires ne sont pas en mesure d'assurer efficacement
l'administration de la justice et le maintien de la paix et de l'ordre
publics. La loi de 1939 relative aux infractions contre l'Etat prévoit
la création de tels tribunaux lorsque le gouvernement a acquis la conviction
que les tribunaux ordinaires ne sont pas en mesure d'assurer efficacement
l'administration de la justice et le maintien de la paix et de l'ordre
publics et publie une proclamation en ce sens. Toute proclamation du gouvernement
de ce type peut être annulée par une décision de la Chambre des représentants.
Un tribunal pénal spécial a été créé pour la première fois en 1939 et
a fonctionné jusqu'en 1962. Ce tribunal a été rétabli en 1972 en raison
de la situation résultant des troubles survenus en Irlande du Nord.
4.9 L'article 39 de la loi relative aux infractions contre l'Etat réglemente
la nomination des membres du tribunal. L'Etat partie souligne qu'à quelques
exceptions près, les membres du tribunal spécial ont toujours été depuis
1972 des juges qui siègeaient dans les tribunaux ordinaires au moment
de leur nomination et que, depuis 1986, le tribunal est constitué uniquement
de juges en exercice. Aucun membre des forces de défense n'a été nommé
pour y sièger depuis son rétablissement en 1972.
4.10 L'article 40 de la loi prévoit que la décision du tribunal pénal
spécial doit refléter l'opinion de la majorité et que les opinions individuelles
ne doivent pas être divulguées. En vertu de l'article 44 de la loi , les
déclarations de culpabilité ou les condamnations prononcées par un tribunal
pénal spécial sont susceptibles de recours devant la Court of Criminal
Appeal (cour d'appel criminelle) de la même façon que les déclarations
de culpabilité et les condamnations prononcées par le Central Criminal
Court (tribunal pénal central). Les règles de la preuve applicables
au tribunal pénal spécial sont absolument les mêmes que celles qui s'appliquent
aux tribunaux ordinaires, en dehors des dispositions qui permettent de
recueillir des preuves sur commission rogative en Irlande du Nord.
4.11 Enfin, l'Etat partie informe le Comité que le tribunal qui a jugé
l'auteur était composé d'un juge de la High Court, d'un juge de
la Circuit Court et d'un district Justice (juge de première
instance). L'Etat partie ajoute qu'il n'a pas connaissance d'une quelconque
remise en cause de l'impartialité et de l'indépendance personnelles des
membres du tribunal.
5.1 Le 8 février 1995, l'auteur a adressé ses commentaires sur les observations
de l'Etat partie. Il réitère que le gouvernement a toute latitude pour
révoquer les membres du tribunal spécial et que leur indépendance et leur
impartialité ne sont donc pas garanties.
5.2 En ce qui concerne l'argument de l'Etat partie selon lequel la communication
est irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes du fait
que l'auteur est revenu sur sa décision de plaider coupable, l'auteur
explique qu'après qu'il eut plaidé non coupable, son avocat a demandé
au tribunal de suspendre l'audience pour un moment. Il est alors venu
le voir et lui a conseillé de plaider coupable car il comparaissait devant
le tribunal pénal spécial et s'il plaidait coupable, il serait condamné
à une peine de 12 ans d'emprisonnement. C'est la raison pour laquelle
il a plaidé coupable.
5.3 En ce qui concerne l'argument de l'Etat partie selon lequel l'auteur
n'a pas demandé que les juges soient récusés ou que son procès soit révisé,
ni fait appel de sa condamnation ou invoqué le manque présumé d'indépendance
du tribunal comme motif de recours, l'auteur indique qu'il ne pouvait
rien faire de tout cela du fait que son propre défenseur lui avait déjà
recommandé de plaider coupable et que lui-même ne connaissait pas encore
les instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme. L'auteur
reppelle que n'étant pas juriste, il dépendait entièrement de ses conseils,
lesquels ne l'ont pas aidé et n'ont jamais soulevé ces questions. A cet
égard, l'auteur dit qu'il connaît de nombreuses personnes qui n'ont pas
reconnu la compétence du tribunal et ont été condamnées pour ce seul motif.
Observations complémentaires de l'Etat partie
6.1 A la demande du Comité, l'Etat partie, dans un nouvel exposé, daté
du 2 juillet 1996, formule des observations concernant la recevabilité
de la plainte de l'auteur selon laquelle il aurait été victime d'une discrimination
en prison, et explique la législation et la pratique qui sont à la base
de la décision de déférer l'affaire concernant l'auteur au tribunal pénal
spécial.
6.2 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle il est
victime d'une discrimination, l'Etat partie confirme que les deux coaccusés
qui avaient été condamnés à six ans d'emprisonnement ont été transférés
dans un établissement à régime ouvert avant d'avoir achevé leur peine
et que l'auteur et un autre coaccusé sont restés dans un établissement
à régime fermé jusqu'à leur libération. Il explique en outre que les coaccusés
qui ont été transférés dans un établissement à régime ouvert ont bénéficié
de la remise de peine habituelle de 25% et ont été libérés six mois avant
leur terme. Le troisième coaccusé a exécuté la durée de sa peine dans
un établissement de haute sécurité et a été libéré 36 jours avant la date
à laquelle devait intervenir sa libération.
6.3 L'Etat partie explique que le cas de l'auteur a été examiné en vue
du transfert dans un établissement à régime ouvert, mais que, comme l'auteur
avait des amis et des parents à Dublin et que tous les établissements
à régime ouvert se trouvaient en dehors de la région de Dublin, il a été
jugé préférable qu'il reste dans un établissement à régime fermé à Dublin.
Il a été proposé à l'auteur de le libérer avant terme à compter du 27
juin 1994, c'est-à-dire trois mois avant la date à laquelle devait intervenir
sa libération. Mais il a refusé de quitter la prison parce qu'il n'avait
aucun point de chute. Il a été ultérieurement libéré le 22 septembre 1994,
avec quatre jours d'anticipation.
6.4 L'Etat partie fait valoir que le transfert d'un établissement pénitentiaire
à régime fermé à un établissement pénitentiaire à régime ouvert est un
avantage accordé à certains détenus compte tenu de leur conduite, du fait
qu'ils ont un domicile et d'autres considérations pertinentes, mais que
ce n'est pas un droit auquel tous les prisonniers peuvent prétendre également.
A cet égard, il est fait référence à la décision rendue par la Cour européenne
des droits de l'homme dans l'affaire Ashingdane (14/1983/70/106).
6.5 Il est déclaré en outre que l'auteur n'a pas fait l'objet d'un traitement
différent, mais que la décision de la maintenir dans un établissement
à régime fermé à Dublin a été prise, comme la décision de transférer deux
de ses coaccusés dans un établissement à régime ouvert à l'extérieur de
Dublin, en tenant compte de la situation personnelle et de la situation
de famille des intéressés et avec le souci de faciliter les contacts entre
les détenus et leurs proches. En outre, il est déclaré que si malgré tout
le Comité estimait que l'auteur avait fait l'objet d'un traitement différent,
ce traitement était fondé sur des critères raisonnables et objectifs et
ne constituait pas une discrimination.
6.6 L'Etat partie soutient que la communication est irrecevable en vertu
de l'article 3 du Protocole facultatif parce qu'elle est incompatible
avec les dispositions du Pacte. En outre, il fait valoir que la plainte
de l'auteur est irrecevable au motif que les recours internes n'ont pas
été épuisés, étant donné que l'auteur avait la faculté de faire appel
devant les tribunaux de la décision du Ministre de la justice de le transférer
en centre de détention de Whatefield à Dublin et non dans un établissement
pénitentiaire à régime ouvert. L'auteur avait également la possibilité
d'intenter une action pour violation présumée de ses droits constitutionnels,
étant donné que l'article 10.1 de la Constitution protège la droit de
tous les citoyens à l'égalité devant la loi. L'auteur ne s'est jamais
prévalu d'aucun des recours dont il disposait.
7.1 En ce qui concerne les procédures suivies pour décider si une affaire
doit être jugée par le tribunal pénal spécial, l'Etat partie explique
que le Procureur de la République décide conformément à la loi si une
affaire doit être jugée par le tribunal pénal ordinaire ou par le tribunal
pénal spécial en vertu de la partie V de la loi relative aux infractions
contre l'Etat (Offences against the State Act). Le Procureur exerce ses
fonctions en toute indépendance vis-à-vis du gouvernement et de la police.
La loi relative aux infractions contre l'Etat établit certaines infractions
qu'elle définit. Quand une personne est accusée d'une infraction établie
par cette loi, le Procureur de la République peut, en vertu de l'article
47 1) de cette loi, déférer cette personne au tribunal pénal spécial pour
être jugée de cette infraction. L'auteur a été inculpé de détention d'explosifs
destinés à un usage illicite, ce qui, aux termes de l'article 47 1) de
la loi susmentionnée, constitue une infraction grave.
7.2 Un collège de neuf juges, désignés par le gouvernement parmi les
juges de la High Court, de la Circuit Court ou de la District
Court, est chargé de juger les affaires renvoyées au tribunal pénal
spécial. Il appartient exclusivement aux juges de ce collège de désigner
ceux de leurs membres qui doivent juger une affaire. L'Etat partie s'élève
énergiquement contre toute insinuation donnant à entendre que les juges
du tribunal pénal spécial ne sont pas entièrement indépendants ou ont
pu avoir un parti pris contre l'auteur.
7.3 L'Etat partie explique que la décision d'inculper l'auteur de l'infraction
en question ainsi que la décision de renvoyer l'affaire au tribunal pénal
spécial ont été fondées sur une évaluation des éléments de preuve qui
ont été fournies au Procureur de la République par la police irlandaise.
7.4 L'Etat partie explique qu'il est possible de contester l'institution
d'un tribunal pénal spécial et de faire contr_ler sa constitutionalité.
Il est également possible de contester la constitutionalité de divers
aspects de la législation relative au tribunal pénal spécial. Cela a été
fait plusieurs fois. Or l'auteur n'a jamais tenté d'engager aucune procédure
en ce sens.
7.5 L'Etat partie explique qu'il est également possible de contester
le renvoi d'une affaire devant le tribunal pénal spécial en demandant
le réexamen judiciaire de la décision du Procureur de la République. Toutefois,
tous les précédents en la matière concernent des cas où l'inculpé était
poursuivi pour des infractions autres que celles qui sont définies par
la loi relative aux infractions contre l'Etat et où le procureur avait
décidé qu'il devait être jugé par le tribunal pénal spécial. S'il s'était
prévalu de ce recours, l'auteur aurait dû prouver que le Procureur de
la République avait agi de mauvaise foi.
7.6 L'Etat partie réaffirme que la communication doit être déclarée irrecevable.
Commentaire de l'auteur sur les observations de l'Etat partie
8.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'Etat partie, l'auteur
souligne que son principal grief est que le tribunal pénal spécial était
illégal, parce qu'il avait été instituté sans qu'ait été faite la communication
prévue dans le paragraphe 3 de l'article 4 du Pacte. Il affirme qu'il
n'y a pas moyen d'échapper à une condamnation devant le tribunal spécial
et réaffirme que quand il avait plaidé non coupable, son avocat lui avait
dit qu'il serait condamné à une peine moins sévère en plaidant coupable,
et que c'était la raison pour laquelle il avait changé de défense.
8.2 L'auteur réaffirme qu'il n'a pas été autorisé à quitter la prison
pour aller voir sa soeur mourante en décembre 1993, et qu'on ne l'a laissé
sortir qu'après son décès, pour assister aux obsèques.
Délibérations du Comité
9.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
9.2 Le Comité a pris note de l'argument de l'Etat partie selon lequel
la communication est irrecevable ratione temporis. Il renvoie à
ses décisions antérieures et réitère qu'il ne peut examiner une communication
si les violations alléguées sont intervenues avant l'entrée en vigueur
du Pacte pour l'Etat partie, à moins que lesdites violations ne
persistent ou qu'elles n'aient d'effets persistants, qui constitutent
en eux-mêmes une violation du Pacte. Le Comité note que bien que l'auteur
ait été déclaré coupable et condamné en première instance en juin 1989,
autrement dit avant l'entrée en vigueur du Pacte pour l'Irlande, son recours
a été rejeté le 21 mai 1990, soit après l'entrée en vigueur pour l'Irlande
du Pacte, et il est resté incarcéré jusqu'en août 1994. Dans ces conditions,
il n'est pas interdit au Comité ratione temporis d'examiner la
communication.
9.3 En ce qui concerne la plainte de l'auteur selon laquelle il n'a pas
bénéficié d'un procès équitable du fait qu'il a été jugé par un tribunal
pénal spécial, qui a été instituté en violation de l'article 14 du Pacte,
le Comité note que l'auteur a plaidé coupable du chef d'accusation retenu
contre lui, qu'il n'a pas fait appel de sa condamnation, et qu'il n'a
jamais formulé la moindre objection en ce qui concerne l'impartialité
et l'indépendance du tribunal spécial. A cet égard, le Comité note que
l'auteur a été représenté par un conseil durant toute la procédure et
qu'il ressort du dossier qu'il a usé de son droit de recours devant la
High Court pour d'autres questions mais qu'il n'a pas soulevé la
question de l'impartialité des juges. Dans ces cirsconstances, le Comité
estime que l'auteur n'a pas satisfait à la condition énoncée au paragraphe
2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif concernant l'épuisement de
tous les recours internes disponibles.
9.4 En ce qui concerne la plainte de l'auteur selon laquelle il a été
victime de discrimination du fait qu'il n'a pas été transféré dans une
prison à régime ouvert en même temps que ses coaccusés, le Comité note
que l'Etat partie a fait valoir, ce que n'a pas nié l'auteur, qu'il aurait
été loisible à celui-ci de se prévaloir du recours en révision de cette
décision. Dans ces circonstances, le Comité estime que sa plainte est
également irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole
facultatif concernant l'épuisement de tous les recours internes disponibles.
10. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.
[Adopté en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.
À paraître aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]