Communication No 597/1994
Présentée par : Peter Grant (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 12 août 1994 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 mars 1996,
Ayant achevé l'examen de la communication No 597/1994, présentée
par M. Peter Grant en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, par son conseil
et par l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif
1. L'auteur de la communication est Peter Grant, citoyen jamaïcain, actuellement
détenu au South Camp Rehabilitation Centre, une prison à Kingston (Jamaïque).
Au moment de l'envoi de sa communication, il était en attente d'exécution
à la prison de district de St. Catherine. Le 14 juillet 1995, sa peine
a été commuée en emprisonnement à vie. L'auteur se dit victime de violations
par la Jamaïque des articles 6 (par. 2), 7, 9, 10 (par. 1) et 14 (par.
1 et 3 g)) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur, ainsi que ses coaccusés, Dennie Chaplin et Howard Malcolm
/ Dennie Chaplin et Howard Malcolm ont eux aussi adressé au
Comité des droits de l'homme des communications qui ont été enregistrées,
respectivement, sous les numéros 596/1994 et 595/1994. A la suite de la
commutation de sa peine, Howard Malcolm a retiré sa plainte, aussi le
Comité a-t-il classé l'affaire en juillet 1995./, a été reconnu coupable
du meurtre d'un certain Vincent Myrie et condamné à mort le 15 décembre
1988 par la Circuit Court de St. James, à Montego Bay (Jamaïque). Leurs
recours ont été rejetés par la cour d'appel de la Jamaïque le 16 juillet
1990. La demande d'autorisation spéciale présentée par l'auteur en vue
d'interjeter appel auprès de la section judiciaire du Conseil privé a
été rejetée le 22 novembre 1993.
2.2 Son conseil affirme que l'auteur ne peut pas, dans la pratique, exercer
les recours constitutionnels faute de moyens financiers. Il fait donc
valoir que tous les recours internes ont été épuisés au sens du Protocole
facultatif et rappelle la jurisprudence du Comité dans des affaires semblables
/ Communication No 445/1991 (Lynden Champagnie, Delroy
Palmer et Oswald Chisholm c. Jamaïque), constatations adoptées
le 18 juillet 1994./.
2.3 Selon l'accusation, le 18 juin 1987, à 11 heures du matin, Myrie
a été poignardé dans le dos, frappé à coups de barre de fer, aspergé d'essence
et incinéré. Le réquisitoire s'appuyait sur les déclarations faites par
l'accusé à la police ainsi que sur des preuves indirectes.
2.4 Le 18 juin 1987, au cours du procès, l'oncle de l'auteur a déclaré
que ce dernier et Dennie Chaplin étaient venus chez lui vers 7 heures
du matin pour emprunter une camionnette rouge, modèle Marina de marque
Morris. L'oncle de Grant n'avait pas pu la leur prêter car il l'avait
promise à M. Myrie. Chaplin et l'auteur étaient partis en disant qu'ils
s'arrangeraient pour emprunter le véhicule directement à M. Myrie. Un
autre témoin, une femme (S.W.), a déclaré que vers 8 heures du matin,
le même jour, elle avait été emmenée en auto-stop par Myrie de Johnson
Town à Hopewell dans une camionnette où se trouvaient trois hommes; elle
a identifié l'un d'eux, Howard Malcolm. Elle a par ailleurs déclaré avoir
vu une barre de fer qui dépassait d'un coffre se trouvant à l'arrière
de la camionnette. Un troisième témoin (S.C.), une femme également, a
témoigné qu'à 11 heures du matin, alors qu'elle marchait le long de la
route de Lithe, elle avait vu d'abord un bidon en matière plastique qui
brûlait sur le c_té de la route, puis avait remarqué une camionnette rouge
qui était passée deux fois devant elle en sens inverse. Enfin, un employé
de la station-service de Ramble a dit avoir vu la camionnette vers 13
heures.
2.5 La tante de Chaplin a déclaré que Chaplin et l'auteur étaient venus
chez elle le 19 juin 1987. Chaplin lui avait déclaré qu'il "avait
des ennuis"; il lui avait demandé s'il pouvait laisser la camionnette
chez elle; il lui avait laissé aussi les clés et les plaques minéralogiques
du véhicule.
2.6 Le 13 juillet 1987, l'auteur a été arrêté et emmené au poste de police
de Sandy Bay. Il a été entendu par le responsable de l'enquête le 20 juillet
1987 et a signé une déclaration après avoir été informé de ses droits.
Aucun magistrat ou autre représentant de l'autorité judiciaire n'était
présent. Dans cette déclaration, l'auteur admettait avoir participé au
meurtre et impliquait Dennie Chaplin et Howard Malcolm. Lors de son procès,
l'auteur a affirmé avoir signé cette déclaration contre son gré après
avoir été menacé de mort et autres sévices.
2.7 Les coaccusés, Dennie Chaplin et Howard Malcolm, avaient été arrêtés
les 3 et 2 juillet 1987, respectivement; ils avaient reconnu avoir été
présents sur les lieux du crime et avait impliqué l'auteur.
2.8 Malgré des présentations de suspects à témoins, l'auteur n'a pas
été désigné. Il a toutefois été identifié au cours du procès par son oncle,
la tante de Chaplin et l'employé de la station-service.
2.9 La déclaration de l'auteur a donné lieu à procès pendant le procès.
Après avoir entendu l'auteur et les policiers, qui ont nié que l'auteur
avait fait sa déclaration sous la contrainte, le juge a admis la déclaration
en tant que preuve, malgré les objections du conseil de l'auteur.
2.10 Lors du procès, les trois accusés ont fait des déclarations à la
barre, niant chacun leur propre participation mais impliquant les deux
autres.
2.11 Il est précisé que cette affaire n'a été soumise à aucune autre
instance internationale d'enquête ou de règlement.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur prétend que les sévices exercés par le responsable de l'enquête
pour le contraindre à signer des aveux constituent une violation des articles
7, 10 (par. 1) et 14 (par. 3 g)) du Pacte.
3.2 Le conseil affirme qu'aucune justification n'a été fournie pour le
délai de sept jours intervenu entre l'arrestation de l'auteur et sa comparution
devant le responsable de l'enquête. Selon lui, il s'agissait de faire
pression sur l'auteur pour l'amener à signer des aveux. Le conseil allègue
aussi que l'auteur n'a été informé des faits qui lui étaient reprochés
qu'après sept jours, lors de sa comparution devant le responsable de l'enquête
et qu'il n'a pas été traduit dans le plus court délai devant un juge.
Le conseil allègue une violation des paragraphes 2, 3 et 4 de l'article
9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans
ce contexte, il se réfère à la jurisprudence du Comité des droits de l'homme
/ Communication No 277/1988 (Jijon c. Equateur),
constatations adoptées le 26 mars 1992, et communication No 253/1987 (Kelly
c. Jamaïque), constatations adoptées le 8 avril 1991./ qui a conclu
à une violation du paragraphe 3 de l'article 9 dans des cas de gardes
à vue supérieures à quelques jours.
3.3 Selon le conseil, le juge du fond aurait commis une erreur en admettant
comme preuve la déclaration faite par l'auteur à la police. Il l'accuse
par ailleurs d'avoir mal instruit le jury en négligeant de lui recommander
de prendre en considération le caractère illégal de la détention de l'auteur,
en déclarant : "... Je ne vois pas l'intérêt de savoir s'il y est
allé un jour plus t_t ou s'il lui a fallu une semaine pour avoir Grant"
et aussi en l'informant qu'il avait admis la déclaration de l'auteur en
tant que preuve. A cet égard, le conseil fait valoir que même lorsqu'une
déclaration a été admise en tant que preuve, il appartient au jury de
dire s'il a la conviction qu'elle a été obtenue dans les règles. De l'avis
du conseil, en formulant des observations sur la recevabilité de la déclaration,
le juge prenait le risque d'influencer le jury. La bienséance exigeait
que le juge n'informe pas le jury qu'il avait admis la déclaration de
l'auteur en tant que preuve et se contente de lui indiquer qu'il lui appartenait
de l'examiner et de se prononcer sur sa fiabilité. Après avoir, à bon
escient, instruit le jury qu'une déclaration officielle de l'un des accusés
n'était pas une preuve à charge contre les autres, le juge du fond n'aurait
pas dû faire valoir que les trois accusés, dans leurs déclarations respectives,
tentaient de se disculper et de compromettre les deux autres. Le conseil
prétend que les directives données par le juge au jury constituent, à
l'évidence, un déni de justice, en violation du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
3.4. Enfin, le conseil souligne que l'auteur a été détenu dans le quartier
des condamnés à mort pendant six ans en attente d'exécution. Il déclare
que "l'angoisse et l'incertitude" associées à une aussi longue
période d'attente dans le quartier des condamnés à mort constituent un
traitement cruel, inhumain et dégradant. Il renvoie à la décision de la
section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Pratt et Morgan
/ Earl Pratt et Ivan Morgan c. Procureur général
de la Jamaïque; PC Appeal No. 10 de 1993, jugement rendu le 2 novembre
1993./ selon laquelle, notamment, le délai imposé dans l'exécution de
la peine constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant. Il affirme
en outre que dans le cas d'espèce le délai intervenu suffit en soi à constituer
une violation des articles 7 et 10 (par. 1). Il ajoute que les conditions
de détention à la prison du district de St. Catherine constituent une
violation des droits de l'auteur en vertu des articles 7 et 10 (par. 1).
A cet égard, l'auteur indique qu'il est isolé dans une cellule 22 heures
par jour, laissé inactif et la plupart du temps dans l'obscurité.
Observations de l'Etat partie
4.1 Dans sa communication du 10 février 1995, l'Etat partie ne conteste
pas la recevabilité de la communication mais traite du fond, afin d'accélérer
la procédure.
4.2 Quant à l'allégation de violation du paragraphe 2 de l'article 9
du Pacte, l'Etat partie dit que le principe de droit pénal qui garantit
à tout individu arrêté le droit d'être informé des motifs de cette arrestation
est bien connu, mais fait valoir qu'il est des cas où l'individu arrêté
est à l'évidence conscient des faits qui lui sont reprochés (R.
c. Howarth [1928], Mood CC 207). Dans le cas d'espèce, les faits
montrent que M. Peter Grant connaissait les motifs de son arrestation.
4.3 S'agissant de l'allégation de violation du paragraphe 3 de l'article
9 du Pacte, l'Etat partie fait observer qu'en principe tout individu arrêté
doit comparaître devant un juge dans un délai raisonnable, mais fait valoir
que la détermination du délai raisonnable dépend des circonstances de
l'affaire. Selon l'Etat partie, M. Grant a été jugé avec diligence.
4.4 S'agissant de l'allégation de violation du paragraphe 4 de l'article
9, l'Etat partie conteste une quelconque violation de ses dispositions.
Aux termes de ce paragraphe, tout individu arrêté a le droit d'introduire
un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sur la légalité
de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
M. Grant pouvait faire demander une ordonnance d'habeas corpus
aux fins d'obtenir son élargissement. L'Etat ne s'est pas opposé à l'exercice
de ce droit, c'est M. Grant qui ne l'a pas exercé.
4.5 L'Etat partie rejette l'allégation de violation des articles 7, 10
(par. 1) et 14 (par. 3 g)) s'agissant de la déclaration de l'auteur. Il
soutient que la décision de recevabilité de cette déclaration par la Circuit
Court de St. James est déterminante en ce qui concerne le Comité puisqu'il
s'agit d'un point de fait et de preuve qui ne relève pas de la compétence
du Comité, comme ce dernier l'a lui-même souligné.
4.6 Quant à l'allégation de violation des articles 7 et 10 (par. 1) du
fait du maintien de l'auteur dans le quartier des condamnés à mort pendant
plus de cinq ans, l'Etat partie soutient que le jugement du Conseil privé
dans l'affaire Pratt et Morgan c. Procureur général ne saurait
être invoqué comme faisant jurisprudence chaque fois qu'un prisonnier
se trouve dans le quartier des condamnés à mort depuis plus de cinq ans.
Chaque affaire doit être examinée quant au fond avant qu'il puisse être
déterminé si elle relève des principes établis par le Conseil privé dans
le cas Pratt et Morgan c. Procureur général.
4.7 Cet argument est d'ailleurs soutenu par la propre jurisprudence du
Comité. En fait, dans l'affaire Pratt et Morgan, le Comité a adopté
le point de vue qu'un retard, en soi, ne constituait pas nécessairement
une violation de l'article 7 / CCPR/C/35/D/210/1986 et 225/1987,
constatations du Comité des droits de l'homme concernant les communications
Nos 210/1985 et 225/1987, par. 3.6./.
Commentaires du conseil
5.1 Dans sa communication du 7 mars 1995, le conseil accepte, à ce stade,
l'examen de l'affaire quant au fond.
5.2 En ce qui concerne l'article 9 du Pacte, le conseil conteste l'argument
de l'Etat partie selon lequel Peter Grant connaissant la nature des faits
pour lesquels il avait été arrêté, il n'était pas nécessaire de l'informer
des motifs de son arrestation et sa comparution devant une autorité habilitée
à exercer des fonctions judiciaires sept jours après son arrestation était
raisonnable. Dans son Observation générale No 8 (seizième session, 1982)
relative à l'article 9, le Comité des droits de l'homme a noté que les
délais évoqués au paragraphe 3 de l'article 9 ne doivent pas excéder quelques
jours et que la détention provisoire "devrait être une exception
et aussi brève que possible". Le conseil fait valoir qu'aucune circonstance
impérieuse n'explique l'intervalle de sept jours entre l'arrestation de
Peter Grant et sa comparution devant le responsable de l'enquête.
5.3 L'obligation d'indiquer les raisons d'une arrestation s'est imposée
en droit commun (Christie c. Leachinsky [1947] AC 573, HL)
et est consacrée à l'article 28 de la loi de 1984 relative à la police
et à la preuve pénale. Il en découle que toute personne arrêtée doit être
informée à la fois des faits et des motifs de l'arrestation aussi rapidement
que possible. Cette obligation s'applique aussi aux cas d'arrestations
par un agent de police, que les motifs de l'arrestation soient ou non
flagrants. Lorsque aucun motif n'est donné, l'arrestation est proprement
illégale.
5.4 Aux termes du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte, tout individu
arrêté du chef d'une infraction pénale sera traduit dans le plus court
délai devant un juge. Dans l'affaire Kelly c. Jamaïque (communication
No 257/1987), le Comité des droits de l'homme a souligné que ce délai
"ne devrait pas excéder quelques jours".
5.5 Aux termes du paragraphe 4 de l'article 9 du Pacte, quiconque
se trouve privé de sa liberté par arrestation ou détention a le droit
d'introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans
délai sur la légalité de sa détention. L'Etat partie soutient qu'il n'a
pas empêché M. Grant d'exercer ce droit, mais plut_t que c'est M. Grant
qui ne s'est pas prévalu du droit de demander une ordonnance d'habeas
corpus. Le conseil fait valoir que Peter Grant n'ayant pas comparu
promptement devant une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires,
au sens du paragraphe 3 de l'article 9, il n'a pas été en mesure d'introduire
un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sur la légalité
de sa détention.
5.6 Eu égard aux articles 7, 10 (par. 1) et 14 (par. 3 g)), le conseil
soutient que le traitement infligé à Peter Grant par les autorités chargées
de l'enquête s'apparentait à des pressions physiques et psychologiques
évidentes, qu'il s'est efforcé de démontrer de son mieux, dans les limites
de ses capacités, lors de son procès. L'avocat qui a représenté M. Grant
lors du procès a déclaré que ce dernier s'était plaint qu'on l'avait battu
pour le contraindre à signer des aveux. En dépit du témoignage de Peter
Grant et des représentations, en son nom, de son conseil, le juge Wolfe
a décidé que la déclaration serait admise à titre de preuve. Nonobstant
la décision du juge du fond, le conseil soutient que les aveux ont été
obtenus par des méthodes assimilables à la torture.
5.7 En ce qui concerne le "syndrome du couloir de la mort",
le conseil renvoie à la décision de la section judiciaire du Conseil privé
dans l'affaire Pratt et Morgan c. Procureur général de la Jamaïque,
où l'on peut lire que "dans toute affaire où l'exécution peut avoir
lieu plus de cinq ans après le verdict, il y aura de fortes raisons de
penser que le délai constitue, en soi, un châtiment inhumain et dégradant".
La section judiciaire a considéré en outre qu'un Etat "doit veiller
à ce que l'exécution soit conduite aussi rapidement que possible après
la sentence, tout en laissant un délai raisonnable pour l'appel et l'examen
du recours en grâce".
5.8 Le conseil renvoie aussi à l'Observation générale du Comité concernant
l'article 7 du Pacte selon laquelle "... lorsque la peine de mort
est appliquée par un Etat partie pour les crimes les plus graves, elle
doit ... être exécutée de manière à causer le moins de souffrances possible,
physiques ou mentales". Le conseil affirme que toute exécution qui
aurait lieu plus de cinq ans après la condamnation entraînerait des souffrances
physiques et mentales en violation de l'article 7.
Décision concernant la recevabilité et examen quant au fond
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, conformément au paragraphe 2 a) de l'article
5 du Protocole facultatif, que la même question n'est pas déjà en cours
d'examen par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.3 Le Comité note que l'Etat partie ne conteste pas la recevabilité
de la communication et qu'il a fait connaître ses observations quant au
fond en vue d'accélérer la procédure. Le Comité note aussi que le conseil
de l'auteur accepte que la communication soit examinée quant au fond à
ce stade de la procédure.
6.4 Bien que disposé à déclarer la communication recevable, le Comité
s'est néanmoins efforcé de déterminer si toutes les allégations de l'auteur
répondaient aux critères de recevabilité établis par le Protocole facultatif.
6.5 Quant aux allégations de l'auteur selon lesquelles on l'aurait torturé
pour le contraindre à faire des aveux, le Comité note que ce point a fait
l'objet d'un procès dans le procès pour établir si la déclaration de l'auteur
était un élément de preuve recevable. A cet égard, le Comité renvoie à
sa jurisprudence et rappelle qu'il appartient généralement aux juridictions
des Etats parties au Pacte d'apprécier les faits et les éléments de preuve
dans un cas d'espèce, et note que la justice jamaïcaine, après examen
des allégations de l'auteur, a décidé que la déclaration n'avait pas été
obtenue sous la contrainte. En l'absence d'indices évidents de partialité
ou de faute de la part du juge, le Comité ne peut réévaluer les faits
et les éléments de preuve sur lesquels celui-ci a fondé son jugement.
En conséquence, cette partie de la communication, étant incompatible avec
les dispositions du Pacte, est irrecevable, conformément à l'article 3
du Protocole facultatif.
6.6 Pour ce qui est des instructions données par le juge au jury, le
Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle il n'est pas de son ressort
d'examiner les instructions données au jury par un juge du fond, sauf
s'il peut être établi qu'elles ont été manifestement arbitraires ou ont
représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du
Comité, y compris le jugement écrit de la cour d'appel, ne montrent pas
que les instructions du juge ou la conduite du procès aient été entachées
de telles irrégularités. En conséquence, cette partie de la communication,
étant incompatible avec les dispositions du Pacte, est irrecevable conformément
à l'article 3 du Protocole facultatif.
6.7 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle une détention
prolongée dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation
de l'article 7 du Pacte, le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle
la durée de la détention ne constitue pas, en soi, une violation de l'article
7 du Pacte en l'absence d'autres circonstances déterminantes particulières
à l'intéressé / Voir les constatations du Comité concernant
la communication No 588/1994 (Errol Johnson c. Jamaïque),
adoptées le 22 mars 1996. Voir aussi les constatations du Comité concernant
les communications No 210/1986 et 225/1987 (Errol Pratt et Ivan Morgan
c. Jamaïque), adoptées le 6 avril 1989. /. Dans le cas d'espèce,
le Comité note que l'auteur n'a pas fait valoir de circonstances susceptibles
de soulever une question au titre de l'article 7 du Pacte. Cette partie
de la communication est donc irrecevable, conformément à l'article 2 du
Protocole facultatif.
7. Quant aux autres allégations de l'auteur, le Comité les déclare recevables
et procède sans délai à leur examen quant au fond à la lumière de toutes
les informations qui lui ont été communiquées par les Parties, conformément
au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
8.1 Quant à l'allégation de l'auteur faisant état d'une violation de
l'article 9, le Comité relève que l'Etat partie n'est pas délié de l'obligation
qui lui incombe en vertu du paragraphe 2 de l'article 9 du Pacte d'informer
tout individu arrêté, au moment de son arrestation, des raisons de celle-ci
et des accusations portées contre lui du fait que, de l'avis de l'agent
ayant procédé à l'arrestation, la personne concernée connaissait ces raisons.
Dans le cas d'espèce, l'auteur a été arrêté plusieurs semaines après le
meurtre pour lequel il a été ultérieurement inculpé et l'Etat partie n'a
pas contesté que l'intéressé n'avait été informé des raisons de son arrestation
que sept jours plus tard. Dans les circonstances, le Comité conclut qu'il
y a eu violation du paragraphe 2 de l'article 9.
8.2. Pour ce qui est de l'allégation de violation du paragraphe 3 de
l'article 9 faite par l'auteur, le Comité note qu'il ne ressort pas clairement
des informations qui lui sont soumises à quel moment l'auteur a été traduit
pour la première fois devant un juge ou une autre autorité habilitée par
la loi à exercer des fonctions judiciaires. Il ne fait, néanmoins, pas
de doute que lorsque l'auteur a été entendu par le responsable de l'enquête
sept jours après son arrestation, il n'avait pas encore comparu devant
un magistrat et n'avait pas été déféré ce jour-là devant un juge. Le Comité
conclut, en conséquence, que le délai qui s'est écoulé entre le moment
où l'auteur a été arrêté et celui où il a été déféré devant un juge est
trop long et constitue une violation du paragraphe 3 de l'article 9 du
Pacte et, dans la mesure où cela l'a empêché de demander à la justice
de statuer sur la légalité de sa détention, une violation du paragraphe
4 de l'article 9.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation des paragraphes 2, 3 et 4 de l'article
9 du Pacte.
10. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'Etat partie
est dans l'obligation d'assurer à M. Grant un recours utile. L'Etat partie
est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent
pas à l'avenir.
11. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie
a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait
eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte,
il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le
Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
*/ Conformément à l'article 85 du règlement intérieur, M. Laurel
Francis, membre du Comité, n'a pas pris part à l'adoption des constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]