Comité des droits de l'homme
Cinquante-neuvième session
24 mars - 11 avril 1997
ANNEXE*
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Cinquante-neuvième session -
Décision du Comité des droits de l'homme en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques
- Cinquante-neuvième session -
Communication No 601/1994
Présentée par : Evan Julian et Carla Maria Drake
Au nom : Des auteurs et des anciens combattants néo-zélandais
Etat partie : Nouvelle-Zélande
Date de la communication : 20 février 1994 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 avril 1997,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. Les auteurs de la communication sont Evan Julian et Carla Maria Drake
(née Driessen), de nationalité néo-zélandaise, qui présentent la communication
en leur nom propre et au nom de citoyens et de résidents néo-zélandais
incarcérés par les Japonais pendant la seconde guerre mondiale ou de leurs
veuves et de leurs enfants (ci-après dénommés "les anciens combattants
néo-zélandais"). Ils se déclarent victimes d'une violation par la
Nouvelle-Zélande du paragraphe 3 a) de l'article 2 et de l'article 26
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont
représentés par M. H.C. Zeeman, Président de l'association EJOS (New Zealand
Action Committee ex Japanese War Victims) et par M. E.W. Gartrell, Vice-Président.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Mme Drake est née le 6 septembre 1941 à Sumatra de parents néerlandais.
Elle a émigré avec eux en Nouvelle-Zélande en 1958 et a obtenu la nationalité
néo-zélandaise en 1964. En 1942, âgée de sept mois, elle a été incarcérée
avec sa mère, sa soeur et ses deux frères dans un camp d'internement à
Brastagi (Sumatra). En juillet 1945, elle a été transférée dans un autre
camp de Sumatra, à Aek Paminke. Quand le camp a été libéré, en octobre
1945, elle souffrait de malnutrition grave, n'avait jamais marché et avait
contracté plusieurs maladies infectieuses comme la dysenterie, la jaunisse,
la coqueluche et la diphtérie, pour lesquelles elle n'avait jamais été
soignée; elle était couverte de plaies dont certaines ont laissé des cicatrices
encore visibles aujourd'hui. Après la libération, on a découvert dans
les magasins du camp un grand nombre de colis de la Croix-Rouge contenant
des vivres et des médicaments. L'auteur affirme que les terribles séquelles
de ce qu'elle a vécu pendant ses quatre premières années de vie, au sujet
desquelles elle en a appris davantage en lisant le journal que sa mère
tenait pendant son internement, ont gâché son enfance et son adolescence
et qu'elle en souffre encore aujourd'hui.
2.2 Le deuxième auteur, M. Evan Julian, était pilote dans la Royal Air
Force, dans l'escadrille de Hurricane 232. Il a combattu à Singapour,
à Sumatra et à Java. Ayant été fait prisonnier par les Japonais, il a
été transporté à bord d'un cargo de Batavia à Singapour puis de là à Saigon,
à Formose (où il est resté 18 mois), au Japon, en Corée et à Mukden en
Mandchourie. Il dit que les conditions dans lesquelles il a été interné
et transporté d'un endroit à l'autre étaient effroyables (les détenus
étaient entassés sur des planches, sans hygiène, nourris d'une infâme
bouillie, sans air et les hommes mouraient par dizaines tous les jours).
Il dit qu'il souffre encore des séquelles de ce qu'il a subi et qu'il
est resté handicapé.
2.3 Les auteurs déclarent qu'après la reddition des Indes néerlandaises,
les anciens combattants néo-zélandais ont été incarcérés par les Japonais,
qui les ont classés en trois grands groupes : les membres des forces armées,
les civils âgés de plus de 10 ans et les femmes et les enfants. Les auteurs
qualifient les conditions de vie dans les camps japonais d'inhumaines.
Les sévices et les tortures étaient courants. Les prisonniers étaient
obligés d'effectuer de longues marches dans des conditions très dures
et bon nombre de ceux qui tombaient étaient abattus par les gardes. Ils
étaient contraints de travailler comme des esclaves dans la chaleur tropicale,
sans la moindre protection contre le soleil. Comme il n'y avait pas d'abri,
de nourriture ni de médicaments, ils tombaient malades et beaucoup mouraient.
Les auteurs citent à ce propos le jugement rendu en novembre 1948 par
le Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient, qui traite
des atrocités commises dans les camps (p. 395 à 448); le Tribunal a conclu
que les forces japonaises avaient pour pratique, voire pour politique
de soumettre les prisonniers de guerre et les civils internés à des mauvais
traitements graves et à la torture et de procéder à des exécutions arbitraires,
en violation flagrante des lois de la guerre et du droit humanitaire.
2.4 En août 1945, après que le Japon se fut rendu aux forces alliées,
on a découvert le sort horrible des prisonniers de guerre d'Extrême-Orient.
Les anciens combattants néo-zélandais avaient été emprisonnés par les
Japonais dans des conditions indescriptibles; ils n'avaient quasiment
rien à manger, n'avaient rien ou presque pour se protéger contre les éléments
et recevaient pour seuls soins médicaux ceux qu'ils pouvaient improviser
eux-mêmes, alors qu'ils étaient exposés à toutes sortes de maladies tropicales
et autres. La grande majorité d'entre eux avait été forcée de travailler
comme des esclaves à la construction de routes et de terrains d'aviation.
Certains avaient été utilisés à des fins d'expériences médicales à Mukden.
Un grand nombre avait été transporté par bateau au Japon, dans des conditions
inhumaines et des conditions d'hygiène déplorables, pour travailler sur
les quais, dans les chantiers de construction navale et dans les mines
de charbon et de cuivre.
2.5 A cause des traitements barbares subis dans les camps, quand ils
ont été libérés les prisonniers étaient en mauvaise santé, ils souffraient
de malnutrition grave et d'avitaminose telle que le béribéri et la pellagre,
du paludisme et d'autres maladies tropicales, de la tuberculose, de lésions
tropicales et des séquelles des mauvais traitements physiques. Selon les
auteurs, les anciens combattants néo-zélandais conservent des infirmités
et des incapacités graves, conséquences directes des traitements subis.
2.6 Certes, le Traité de paix de 1952 entre le Japon et les forces alliées
a finalement abouti à une indemnisation symbolique des anciens combattants
néo-zélandais, mais cette indemnisation ne comprenait pas de réparation
appropriée pour les travaux forcés qui leur avaient été imposés et pour
les violations flagrantes des droits de l'homme dont ils avaient été victimes.
2.7 Les auteurs indiquent qu'en 1987 le Comité néo-zélandais d'action
en faveur des anciennes victimes de guerre du Japon a adressé une communication
à la Commission des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies
dans le cadre de la procédure établie par la résolution 1503 (XLVIII)
du Conseil économique et social, pour dénoncer les violations flagrantes
des droits de l'homme perpétrées par le Japon avec l'incarcération de
soldats et de civils néo-zélandais, détenus comme prisonniers de guerre.
En 1991, la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires
et de la protection des minorités a fait sienne l'opinion de son Groupe
de travail des communications, qui était d'avis que "la procédure
régie par la résolution 1503 (XLVIII) du Conseil économique et social
ne pouvait pas être considérée comme un mécanisme de réparation ou de
recours en ce qui concerne les demandes d'indemnisation pour les souffrances
humaines ou les pertes causées pendant la seconde guerre mondiale".
2.8 Les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes. Ils
indiquent qu'au cours des nombreuses années pendant lesquelles ils ont
cherché à négocier pour obtenir réparation en faveur des anciens combattants
néo-zélandais, le Gouvernement néo-zélandais a toujours soutenu que les
indemnisations dues aux prisonniers de guerre et internés civils néo-zélandais
étaient couvertes par le Traité de paix avec le Japon.
2.9 Les auteurs réaffirment que le Traité de paix ne portait pas sur
les préjudices subis par les anciens combattants du fait des conditions
d'emprisonnement imposées par le Gouvernement japonais pendant la guerre
et, plus précisément, qu'il n'y est pas question d'une indemnisation pour
les violations flagrantes des droits de l'homme et pour les travaux forcés.
Ils estiment en outre que le Gouvernement néo-zélandais n'était pas légalement
habilité ou mandaté pour renoncer à faire valoir en leur nom un droit
à réparation pour les violations flagrantes de leurs droits. A l'appui
de cet argument, les auteurs citent la Convention de La Haye du 18 octobre
1907, la troisième Convention de Genève de 1949, le Protocole additionnel
aux Conventions de Genève (Protocole I) et les commentaires juridiques
élaborés par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ainsi que
l'Etude concernant le droit à indemnisation des victimes de violations
flagrantes des droits de l'homme, présentée par M. Theo van Boven à la
Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de
la protection des minorités.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs font valoir que les anciens combattants néo-zélandais
souffrent toujours d'infirmités et d'incapacités physiques, mentales et
psychiques graves provoquées par leur incarcération. Ces incapacités et
infirmités dont ils souffrent encore ont eu des effets destructeurs sur
leur vie et sont une source de souci permanent pour eux et leurs familles.
Dans ce contexte, il est fait mention d'un rapport sur l'étude des infirmités
et des problèmes des anciens combattants de Hong-kong (1964-1965) faite
par la Commission canadienne des pensions, dont les conclusions seraient
applicables à tous les anciens prisonniers de guerre et civils internés
par le Japon. Il est fait aussi état d'un rapport établi par M. Gustave
Gingras sur les séquelles laissées par les conditions inhumaines et les
travaux forcés imposés aux membres des bataillons canadiens des forces
armées à Hong-kong, prisonniers du Gouvernement japonais entre 1941 et
1945, décrivant la nature et la gravité des infirmités et incapacités
dont les anciens combattants de Hong-kong et autres prisonniers de guerre
et prisonniers civils des forces alliées souffrent encore aujourd'hui.
3.2 D'après les auteurs, l'action du Gouvernement néo-zélandais, qui
a conclu le Traité de paix de 1952 avec le Japon et libéré les Japonais
de toute autre obligation en matière d'indemnisation, constitue une violation
flagrante du droit international et continue de porter atteinte aux droits
fondamentaux des anciens combattants néo-zélandais. A ce sujet, les auteurs
affirment que le Gouvernement néo-zélandais s'est expressément fondé sur
le Traité de paix pour s'abstenir d'appuyer les demandes d'indemnisation
en faveur des anciens combattants néo-zélandais soumises à des organes
internationaux. Ils ajoutent que les actions du Gouvernement néo-zélandais
à cet égard se sont traduites par un déni du "droit à un recours"
énoncé au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte.
3.3 Les auteurs affirment en outre que le Gouvernement néo-zélandais
a, par ses actes, exercé une discrimination à l'encontre des anciens combattants
néo-zélandais, en violation de l'article 26 du Pacte, car il n'a pas fourni
d'aide financière et d'indemnisation appropriée pour les incapacités et
infirmités dont les auteurs continuent de souffrir.
Observations de l'Etat partie concernant la recevabilité et commentaires
de l'auteur
4.1 Dans des observations datées du 30 janvier 1995, l'Etat partie objecte
que la communication est irrecevable ratione materiae et ratione
temporis.
4.2 En ce qui concerne l'allégation des auteurs qui affirment qu'en signant
le Traité de paix avec le Japon le Gouvernement néo-zélandais leur a dénié
le droit à un recours en violation du paragraphe 3 a) de l'article 2,
l'Etat partie fait observer que le Comité des droits de l'homme a établi
que cet article ne pouvait être invoqué que conjointement avec un autre
article du Pacte garantissant un droit précis, et qui serait violé, et
que le droit à un recours ne pouvait être invoqué qu'une fois établie
une violation d'un droit consacré dans le Pacte 1/
L'Etat partie renvoie aux décisions du Comité concernant les communications
No 268/1987 (M.G.B et S.P. c. Trinité-et-Tobago) et Nos
343, 344 et 345/1988 (R.A.V.N. et consorts c. Argentine)./.
Certes, les auteurs invoquent également l'article 26 du Pacte, mais ils
ne se plaignent pas d'avoir été privés d'un recours pour la violation
de cet article et invoquent le paragraphe 3 de l'article 2 indépendamment.
L'Etat partie objecte donc que cette allégation est irrecevable pour incompatibilité
avec les dispositions du Pacte, conformément à l'article 3 du Protocole
facultatif.
4.3 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle le Gouvernement néo-zélandais
ne leur a pas offert de possibilité de recours pour les injustices subies
pendant leur incarcération par le Japon et pour les incapacités et infirmités
dont ils souffrent encore, en violation de l'article 26 du Pacte, l'Etat
partie se réfère à la définition de la discrimination donnée par le Comité
2/Observation générale No 18, par. 6./.
Il objecte que les auteurs n'ont pas indiqué en quoi ils étaient traités
différemment des autres citoyens néo-zélandais, en quoi leur situation
était particulière ou en quoi ils avaient été traités différemment d'autres
anciens combattants en ce qui concerne l'octroi d'une pension de guerre
ou l'accès aux soins de santé. L'Etat partie explique à ce sujet que les
pensions de guerre (pour invalidité ou décès en service), les pensions
d'anciens combattants (perçues par les victimes d'invalidités importantes
à la suite de la guerre) et certaines prestations particulières sont servies
à tous les anciens combattants qui habitaient en Nouvelle-Zélande quand
la seconde guerre mondiale a éclaté. En outre, tous les citoyens sont
couverts par le système public de santé.
4.4 L'Etat partie fait également observer que le Comité a considéré que
l'article 26 ne contenait pas en soi une obligation à l'égard des questions
qui peuvent être prévues par la législation nationale 3/
Constatations du Comité relatives à la communication No 172/1984 (Broeks
c. Pays-Bas), par. 12.4./. Il note que les auteurs se déclarent
victimes d'une discrimination de la part du Gouvernement parce que celui-ci
ne leur a pas assuré une aide financière et une indemnisation, mais qu'ils
n'affirment pas que la législation promulguée est discriminatoire et n'ont
pas davantage montré en quoi l'action de l'administration pouvait représenter
une discrimination. D'après l'Etat partie, les auteurs n'ont donc pas
avancé le moindre commencement de preuve. L'allégation de violation de
l'article 26 est en conséquence irrecevable pour incompatibilité avec
les dispositions du Pacte et pour absence d'éléments venant l'étayer.
4.5 Enfin, l'Etat partie renvoie à la jurisprudence du Comité qui a établi
qu'il n'était compétent que pour examiner des violations qui se seraient
produites au plus t_t le jour de l'entrée en vigueur du Protocole facultatif
pour l'Etat partie en cause 4/ L'Etat partie
renvoie aux décisions du Comité concernant les communications Nos 343,
344 et 345/1988 (R A.V.N. et consorts c. Argentine), 117/1984
(M.A. c. Italie) et 174/1984 (J.K. c. Canada)./.
Il explique qu'il a signé le Traité de paix avec le Japon en septembre
1951, que le Pacte est entré en vigueur pour la Nouvelle-Zélande le 28
mars 1979 et le Protocole facultatif le 26 août 1989. Pour ce qui est
de l'argument des auteurs qui affirment que la signature du Traité de
paix a des effets persistants, l'Etat partie objecte que les auteurs n'ont
pas démontré que les conséquences du Traité constituaient en soi une violation
du Pacte. Il note à ce sujet que les auteurs n'ont pas cité la moindre
action du Gouvernement, après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif
pour la Nouvelle-Zélande, à l'appui de leur allégation selon laquelle
les violations persistent. Il conclut donc que la communication est irrecevable
ratione temporis.
5.1 Dans leurs commentaires sur la réponse de l'Etat partie, les auteurs
font valoir qu'une discrimination est exercée à l'encontre des civils
faits prisonniers par l'armée impériale japonaise parce que les pensions
de guerre ne sont accordées que pour les personnels qui étaient en service
et leurs ayants droit. Ils ajoutent que les anciens combattants incarcérés
par le Japon sont victimes de discrimination parce que le personnel militaire
incarcéré par les forces allemandes a reçu certaines allocations de la
part du Gouvernement néo-zélandais en 1988, contrairement à ceux qui avaient
été incarcérés par les forces japonaises.
5.2 Les auteurs font valoir en outre que les anciens combattants qui
ne vivaient pas en Nouvelle-Zélande quand la seconde guerre mondiale a
éclaté sont exclus du bénéfice des pensions de guerre et que celles-ci
ne sont versées que pour des incapacités précises, très étroitement définies.
5.3 En ce qui concerne la définition de la discrimination, les auteurs
avancent que l'expression "autre situation" vise des catégories
ou groupes particuliers de la société et couvre par conséquent leur cas.
Ils font remarquer à ce sujet que les Etats parties ont le devoir d'assurer
une protection contre la discrimination. Ils font valoir que la législation
néo-zélandaise actuelle établit une discrimination au détriment des prisonniers
civils puisque ceux-ci sont entièrement exclus du bénéfice des pensions
de guerre alors qu'ils ont subi le même traitement en détention que les
soldats. De la même manière, le versement d'une allocation à titre gracieux
aux soldats prisonniers des forces allemandes seulement, à l'exclusion
de ceux qui ont été capturés par les forces japonaises, serait discriminatoire.
Les auteurs expliquent que la raison avancée pour justifier le versement
d'une allocation à titre gracieux était l'absence de traité ou d'accord
avec l'Allemagne qui faisait que les Néo-Zélandais ne pouvaient pas demander
réparation au Gouvernement allemand. D'après les auteurs, comme la Nouvelle-Zélande
a conclu un traité de paix avec le Japon en 1951, eux-mêmes ne pouvaient
pas demander réparation au Gouvernement japonais et leur situation est
donc la même; ils auraient dû par conséquent bénéficier aussi de ce versement
à titre gracieux.
5.4 D'après les auteurs, la signature du Traité de paix avec le Japon
établit une discrimination parce que les autorités ont renoncé à toute
possibilité d'indemnisation alors qu'ils avaient un droit internationalement
reconnu à une réparation. Ils font valoir à ce sujet qu'en entérinant
la renonciation à ce droit, comme il le fait en refusant de les aider
à demander réparation à l'Etat japonais, l'Etat partie enfreint le jus
cogens et les principes du droit international. Etant donné que l'Etat
partie n'avait pas le droit de renoncer aux prétentions des auteurs, le
fait qu'il continue d'agir en fonction du Traité constitue une discrimination,
empêchant les auteurs de faire valoir leur droit à réparation. Les auteurs
ajoutent à ce sujet que la raison pour laquelle les autorités néo-zélandaises
avaient renoncé à ce droit, qui était la déroute de l'économie japonaise,
a cessé d'exister.
5.5 Les auteurs affirment en outre que, à cause de ce qu'ils ont subi
pendant la seconde guerre mondiale, ils ont des besoins différents de
ceux des citoyens ordinaires et que le système de santé publique, que
l'Etat partie mentionne, ne couvre pas les violations des droits fondamentaux
dont ils ont été victimes.
5.6 En ce qui concerne l'argument de l'Etat partie qui oppose l'irrecevabilité
de la communication ratione temporis, les auteurs renvoient à la
jurisprudence du Comité 5/Décisions du Comité
concernant les communications Nos 196/1985 (Gueye c. France)
et R.6/24 (Lovelace c. Canada)./ qui a conclu que la discrimination
dénoncée avait des effets persistants et que par conséquent le Comité
était compétent pour examiner la plainte. Les auteurs font valoir que
les effets du Traité de paix signé avec le Japon continuaient puisque
ce traité est encore en vigueur et par conséquent que la discrimination
existe toujours. Après la ratification du Protocole facultatif, l'Etat
partie a continué de ne rien faire, ce qui révèle la persistance de la
violation des droits fondamentaux des auteurs.
5.7 Pour ce qui est des recours internes, les auteurs renvoient à une
décision précédente du Comité qui avait estimé qu'il n'était pas toujours
efficace de recourir à la justice 6/Constatations
du Comité relatives à la communication No 167/1984 (Ominayak c.
Canada)./. Les auteurs indiquent qu'ils ont saisi le Premier Ministre
de leur affaire mais que cette autorité a refusé de s'en occuper. Ils
font valoir que le refus du Gouvernement de soutenir leur cause indique
que les recours internes n'existent pas ou sont insuffisants.
Observations complémentaires de l'Etat partie et commentaires des
auteurs
6.1 Dans une nouvelle réponse datée de mai 1996, l'Etat partie note que
les auteurs n'ont apporté aucun renseignement permettant d'étayer leur
allégation initiale, qui était que la signature du Traité de paix avec
le Japon constituait de la part du Gouvernement néo-zélandais une violation
de leurs droits garantis à l'article 26 du Pacte. L'Etat partie explique
que les anciens prisonniers de guerre des forces japonaises avaient reçu
une indemnisation conformément à l'article 16 du Traité en 1962-63
7/ D'après l'Etat partie, les sommes versées s'élevaient
à 2 943-0-2 livres néo-zélandaises et 531-12-0 livres néo-zélandaises
et avaient été versées à 114 et à 110 anciens membres des forces armées
victimes de guerre./, puis à nouveau en 1973. Il réaffirme que la communication
est irrecevable pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte et
pour défaut d'argument à l'appui de la recevabilité.
6.2 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 26 avancée
par les auteurs parce que les anciens prisonniers civils sont exclus du
bénéfice des pensions de guerre alors que les militaires et leurs ayants
droit en bénéficient, l'Etat partie explique que les pensions de guerre
sont versées en vertu de la loi relative aux pensions de guerre de 1954
aux anciens membres des forces armées, indépendamment du lieu où ils ont
servi ou de la nature de ce service. Les seuls civils qui peuvent prétendre
à ces prestations sont ceux qui ont servi à l'étranger dans une guerre
quelle qu'elle soit ou dans une situation d'urgence, sans être membres
des forces armées; pour un service de cette nature, le Gouvernement néo-zélandais
verse une pension.
6.3 L'Etat partie note que la distinction entre les membres des forces
armées et les civils ne tient en aucune manière au fait que les civils
ont pu être internés dans des camps au Japon. La distinction établie par
la loi repose sur des critères raisonnables et objectifs. A ce sujet,
l'Etat partie explique que la loi de 1954 relative aux pensions de guerre
prévoit qu'une pension peut être versée en cas de décès ou d'incapacité
causés ou aggravés par un service de guerre pour la Nouvelle-Zélande à
l'étranger. Les pensions de guerre ne sont pas versées à titre d'indemnisation
pour une incarcération. D'après l'Etat partie, les auteurs n'ont pas apporté
le moindre commencement de preuve d'une violation de l'article 26, car
ils ne montrent pas en quoi la distinction porte atteinte à la reconnaissance,
à la jouissance ou à l'exercice par les civils d'un droit ou d'une liberté.
6.4 En réponse à l'allégation des auteurs qui affirment qu'il y a violation
de l'article 26 du Pacte parce que les pensions de guerre ne sont servies
que pour une catégorie d'invalidités étroitement définie, l'Etat partie
note que les auteurs ne prétendent pas que les procédures et les critères
ne sont pas appliqués également à tous. Il en conclut donc que les auteurs
ne sont pas fondés à invoquer l'article 2 du Protocole facultatif et renvoie
à la jurisprudence du Comité à ce sujet.
6.5 En ce qui concerne l'allégation de discrimination entre les membres
des forces armées selon qu'ils ont été incarcérés par l'Allemagne ou par
le Japon, l'Etat partie reconnaît qu'en 1987 un montant de 250 000 dollars
a été réservé pour indemniser les anciens prisonniers de guerre détenus
dans les camps de concentration allemands. Il explique qu'il a pris cette
mesure parce qu'il estimait que, en l'absence d'un traité de paix final
avec l'Allemagne, il n'y aurait guère de chances d'obtenir la moindre
réparation. L'indemnisation n'était versée qu'aux personnes placées dans
des camps autres que les camps ordinaires pour prisonniers de guerre,
pour marquer que l'on reconnaissait la rigueur particulière des traitements
subis. L'Etat partie avance que l'indemnisation visait un groupe distinct,
spécial, en considération de circonstances exceptionnelles 8/
Plus de 80 personnes ont demandé une indemnisation et 24 seulement ont
été admises à en bénéficier; chacun des bénéficiaires a reçu des montants
allant de 5 000 à 13 000 dollars./. L'Etat partie fait remarquer que les
anciens prisonniers de guerre du Japon avaient déjà été indemnisés en
application de l'article 16 du Traité de paix signé avec le Japon. Il
avance que la différence de traitement entre les membres des services
armés incarcérés dans les camps de concentration allemands et d'autres
membres des forces armées incarcérés par l'Allemagne ou par le Japon était
raisonnable et objective et ne constituait pas une violation de l'article
26 du Pacte. Il affirme donc que l'allégation est incompatible avec les
dispositions du Pacte et n'a pas été suffisamment étayée aux fins de la
recevabilité.
6.6 Enfin, l'Etat partie note que les indemnités servies aux anciens
prisonniers de guerre incarcérés dans les camps de concentration allemands
ont été versées en 1988 et que le Protocole facultatif a pris effet en
Nouvelle-Zélande le 26 août 1989. Il note en outre que les auteurs n'ont
pas prétendu que cette indemnité, qui serait discriminatoire, continuait
d'avoir des effets. Se référant à la jurisprudence du Comité, l'Etat partie
objecte donc que la communication est irrecevable ratione temporis.
7.1 Dans leurs commentaires, les auteurs objectent que la distinction
entre les anciens prisonniers de guerre faite selon qu'ils étaient incarcérés
dans les camps de concentration allemands ou dans les camps japonais ne
repose pas sur des critères raisonnables ou objectifs mais est clairement
discriminatoire puisque les conditions de détention dans les camps japonais
étaient pires que dans les camps de concentration allemands et par conséquent
étaient tout aussi exceptionnelles. De plus, tous les anciens prisonniers
civils sont exclus du bénéfice de l'indemnisation. Les auteurs précisent
que les sommes versées en application de l'article 16 du Traité de paix
avec le Japon étaient dérisoires 9/ Quinze
livres par personne, versées à 214 personnes, sans qu'il soit tenu compte
de la situation particulière de chacun./ au regard des graves violations
des droits fondamentaux et sans commune mesure avec les allocations versées
à titre gracieux par le Gouvernement aux anciens prisonniers de guerre
incarcérés dans les camps de concentration allemands.
7.2 D'après les auteurs, dans le cas de l'Allemagne comme dans le cas
du Japon, le Gouvernement néo-zélandais était responsable de l'impossibilité
dans laquelle les victimes se trouvaient de demander directement une indemnisation
à l'Etat en cause, dans le cas de l'Allemagne pour ne pas avoir signé
de traité de paix et dans le cas du Japon pour avoir signé un traité de
paix dans lequel il renonçait à toute demande d'indemnisation. Ils affirment
donc que l'octroi d'une indemnisation aux seuls prisonniers de guerre
incarcérés dans les camps de concentration allemands, à l'exclusion de
ceux qui étaient incarcérés au Japon, représente une différence de traitement
pour des personnes se trouvant dans une situation analogue et constitue
dès lors une discrimination.
7.3 Etant donné que les victimes subissent encore aujourd'hui les séquelles
des sévices infligés dans les camps japonais, les auteurs affirment que
la violation de l'article 26 continue parce qu'aucune réparation ne leur
a été offerte et que le Gouvernement néo-zélandais persiste dans son refus
de soutenir leur cause.
7.4 A ce sujet, les auteurs expliquent qu'au Japon les militaires et
les civils étaient incarcérés dans les mêmes camps et qu'il n'y avait
donc pas nécessairement de différence entre les camps des prisonniers
de guerre et les camps de concentration. Le traitement infligé par le
Japon aux prisonniers contrevenait aux normes internationales et aux conventions
applicables, comme il était reconnu dans le jugement du Tribunal militaire
international pour l'Extrême-Orient. D'après les auteurs, pour justifier
une distinction entre des catégories de personnes, il faut appliquer des
critères objectifs et l'Etat partie n'en a avancé aucun, se fondant exclusivement
sur le pays où les victimes ont été incarcérées (Allemagne ou Japon) sans
s'attacher aux conditions de détention (aussi attentatoires aux droits
de l'homme dans un cas que dans l'autre).
Délibérations du Comité
8.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en
vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
8.2 La communication des auteurs porte en partie sur la renonciation
au droit à toute indemnisation autre que celle qui est acceptée dans le
Traité de paix signé en 1952 avec le Japon. A ce sujet, le Comité rappelle
que selon sa jurisprudence constante, il ne peut pas examiner une communication
qui fait état de violations commises avant l'entrée en vigueur du Pacte.
En l'espèce, les auteurs n'ont pas montré que la Nouvelle-Zélande avait
agi de quelque façon que ce soit, en application du Traité de paix, après
l'entrée en vigueur du Pacte, d'une manière produisant des effets qui
constituent en soi des violations du Pacte par l'Etat partie après cette
date. De plus, le Comité note que le fait que la Nouvelle-Zélande n'a
pas garanti le droit d'obtenir du Japon une indemnisation ne peut pas
être considéré ratione materiae comme une violation d'un droit
protégé par le Pacte. Cette partie de la communication des auteurs est
donc irrecevable.
8.3 En ce qui concerne l'allégation des auteurs qui se déclarent victimes
d'une discrimination parce que les anciens membres de l'armée qui avaient
été incarcérés dans les camps de concentration allemands pendant la seconde
guerre mondiale ont reçu en 1988 de la Nouvelle-Zélande un versement à
titre gracieux, ce à quoi les auteurs (civils et anciens combattants)
n'ont pas eu droit, le Comité note que, si le Pacte est entré en vigueur
pour la Nouvelle-Zélande en 1979, le Protocole facultatif n'est entré
en vigueur qu'en 1989. Ayant pris note de l'objection ratione temporis
de l'Etat partie qui conteste la recevabilité de la communication en invoquant
la jurisprudence du Comité, ce dernier se considère empêché d'examiner
l'allégation des auteurs quant au fond. Cette partie de la communication
est donc irrecevable.
8.4 Les auteurs affirment que la Nouvelle-Zélande a commis une violation
de l'article 26 du Pacte en n'assurant pas un moyen de réparation pour
les injustices qu'ils ont subies pendant leur incarcération par le Japon
et pour les infirmités et incapacités qu'ils ont conservées de cette période.
Cette plainte se rapporte à la distinction qui serait faite entre les
civils et les prisonniers de guerre et entre les militaires prisonniers
des Japonais et les militaires prisonniers des Allemands. Parmi les auteurs
et dans les groupes qu'ils représentent se trouvent des civils et des
anciens combattants.
8.5 En ce qui concerne le grief portant sur l'exclusion des anciens prisonniers
civils du bénéfice des prestations prévues dans la loi relative aux pensions
de guerre, qui serait discriminatoire, le Comité relève dans les renseignements
portés à sa connaissance que la loi avait précisément pour objet de garantir
un droit à pension en cas d'invalidité et de décès pour ceux qui étaient
au service de la Nouvelle-Zélande à l'étranger pendant la guerre et n'avait
pas pour objet d'indemniser les victimes d'une incarcération ou d'une
violation des droits de l'homme. En d'autres termes, le droit à pension
est reconnu aux anciens combattants frappés d'invalidité que les intéressés
aient ou non été faits prisonniers et qu'ils aient ou non été soumis à
un traitement cruel durant leur captivité. Compte tenu de sa jurisprudence
10/ Voir notamment les constatations du
Comité concernant les communications No 172/1984 (Broeks c. Pays-Bas),
par. 13; No 180/1984 (Danning c. Pays-Bas), par. 13; No
182/1984 (Zwaan-de Vries c. Pays-Bas), par. 13; No 415/1990
(Pauger c. Autriche), par. 7.3; et No 425/1990 (Neefs
c. Pays-Bas), par. 7.2. Voir également l'Observation générale No
18 (Non-discrimination), par. 13./ d'après laquelle une distinction fondée
sur des critères objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination
au sens de l'article 26 du Pacte, le Comité estime que l'allégation des
auteurs est incompatible avec les dispositions du Pacte et est par conséquent
irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
8.6 Les auteurs affirment également que ceux d'entre eux qui sont d'anciens
combattants sont victimes d'une violation de l'article 26 du Pacte en
raison de la définition étroite de la catégorie d'invalidités pour lesquelles
des pensions peuvent être versées au titre de la loi relative aux pensions
de guerre. Le Comité note que les auteurs n'ont apporté aucune information
pour montrer en quoi leur situation personnelle s'en trouve touchée. Les
auteurs n'ont donc pas étayé leur allégation aux fins de la recevabilité
et cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article
2 du Protocole facultatif.
9. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera transmise à l'Etat partie, aux auteurs
et au conseil des auteurs.
____________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont pris part à l'examen de la
communication : MM. Nisuke Ando et Prafullachandra N. Bhagwati, lord Colville,
M. Omran El Shafei, Mmes Elizabeth Evatt et Pilar Gaítan de Pombo, MM.
Eckart Klein, David Kretzmer et Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga,
MM. Julio Prado Vallejo, Martin Scheinin et Danilo Türk.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]