Comité des droits de l'homme
Soixante-quatrième session
19 octobre - 6 novembre 1998
ANNEXE*
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-quatrième session -
Communication No 610/1995
Présentée par : Nicholas Henry (représenté par M. S. Lehrfreund
du cabinet d'avocats Simons Muirhead & Burton)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 14 novembre 1994 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 20 octobre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 610/1995, présentée
au Comité par M. Nicholas Henry en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'État partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1.1 L'auteur de la communication est M. Nicholas Henry, citoyen jamaïcain
qui, au moment où la communication a été présentée, était en attente d'exécution
à la prison de district de St. Catherine (Jamaïque). Il se déclare victime
d'une violation, par la Jamaïque, des articles 6, 7, 10 et 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté
par M. Saul Lehrfreund, du cabinet d'avocats Simons Muirhead & Burton,
dont le siège est à Londres.
1.2 À la suite de la modification, en 1992, de la loi sur les infractions
pénales dirigées contre les personnes, les faits reprochés à l'auteur
ont été classés parmi les infractions non passibles de la peine capitale.
Il doit accomplir une peine de prison de 20 ans avant de pouvoir être
libéré sous condition.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 2 mars 1988, la Circuit Court Division de la Gun Court a reconnu
l'auteur - ainsi qu'un coaccusé - coupable du meurtre de trois policiers
et l'a condamné à mort. Le 2 mars 1989, la Cour d'appel a rejeté la demande
d'autorisation de former recours. Le 10 novembre 1993, la section judiciaire
du Conseil privé a rejeté la demande d'autorisation spéciale de recours
formulée par l'auteur. On considère donc que tous les recours internes
ont été épuisés. À cet égard, on fait valoir que la requête constitutionnelle,
qui existe en théorie, n'est pas disponible dans la pratique pour l'auteur,
puisqu'il n'a pas les moyens d'engager un avocat et puisque l'aide judiciaire
n'est pas prévue pour ce recours. On invoque la jurisprudence du Comité
en la matière.
2.2 Au procès, l'accusation a développé la thèse suivante : le 19 novembre
1986, un certain nombre d'hommes armés se sont attaqués au poste de police
Olympic et ont tué trois des cinq policiers présents. L'auteur était soupçonné
de complicité dans le meurtre étant donné qu'il avait aidé les membres
du groupe armé à fabriquer des cocktails Molotov, avait menti au policier
au sujet des intentions de ces personnes, avait appris de la bouche des
autres qu'ils s'apprêtaient à s'attaquer au poste de police, avait reçu
chez lui les membres du groupe et avait aidé à cacher un grand nombre
d'armes après l'attaque. Les preuves retenues contre l'auteur étaient
une déclaration qu'il avait faite officiellement à la police et le témoignage
d'un policier qui avait parlé à l'auteur la nuit précédant l'attaque.
Après l'examen préliminaire des témoins, le juge avait accepté comme preuve
la déclaration faite officiellement par l'auteur à la police.
2.3 Le moyen de défense de l'auteur était qu'il avait agi sous la contrainte.
L'auteur a fait une déclaration sans prêter serment, dans laquelle il
a affirmé avoir aidé le groupe d'hommes parce qu'il avait peur des représailles,
ajoutant qu'il n'était pas sur les lieux lors de l'attaque dirigée contre
le poste de police, et qu'il avait signé la déclaration officielle parce
que la police lui avait dit qu'il ne pourrait rien en résulter de préjudiciable.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur se déclare victime d'une violation de l'article 7 et du
paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, alléguant qu'il a été frappé et
brutalisé par la police quand il a été arrêté à son domicile le 20 novembre
1986. Plus précisément, il dit avoir été forcé d'avaler des beignets brûlants
qui étaient en train de frire, ce qui lui a causé des brûlures et des
saignements dans la bouche. L'auteur affirme avoir signé la déclaration
enregistrée au poste de police parce qu'il espérait être soigné. Or on
lui avait donné de la glace, mais il n'avait pas reçu de soins médicaux;
il ajoute qu'il n'a pas pu manger pendant des mois et qu'il ne peut toujours
pas manger quoi que ce soit de chaud. Il déclare aussi avoir encore des
douleurs à la nuque en raison des coups reçus.
3.2 L'auteur parle aussi d'une affection des testicules dont il souffre
depuis 1988. Les autorités pénitentiaires refusent de le conduire à l'h_pital
comme il le demande. Au début de l'année 1992, il a vu un médecin, qui
a préconisé une intervention chirurgicale et a indiqué provisoirement
que l'opération pourrait se faire au mois d'avril 1992. Malgré cet avis
médical et malgré plusieurs demandes de l'auteur et de ses représentants
(des copies de lettres sont jointes), l'auteur n'a jamais été hospitalisé
et n'a toujours pas reçu les soins médicaux exigés par son état. L'absence
de soins médicaux constitue, est-il déclaré, une violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. À cet égard, il est fait
référence à l'Ensemble de règles minima de l'ONU pour le traitement des
détenus et à l'Ensemble de principes de l'ONU pour la protection de toutes
les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement.
3.3 Il est également affirmé que l'auteur a été soumis à des brutalités
le 4 mai 1993. Ce jour-là, des gardiens et des soldats ont procédé à une
fouille et un soldat l'a frappé sur les testicules avec un détecteur de
métal. L'auteur s'est plaint auprès des autorités pénitentiaires et le
Conseil des droits de l'homme de la Jamaïque a recueilli sa déclaration.
Le 3 septembre 1993, l'avocat londonien de l'auteur a demandé au médiateur
parlementaire d'ouvrir d'urgence une enquête sur les allégations de mauvais
traitements. Le médiateur a dépêché un enquêteur à la prison et a présenté
un rapport au directeur de la prison, qui s'est engagé à prendre des dispositions
pour faire soigner l'auteur. Ce dernier affirme qu'il n'a jamais reçu
de traitement.
3.4 On déclare que l'auteur a fait tout ce qu'il était raisonnablement
possible de faire pour obtenir réparation en ce qui concerne les mauvais
traitements subis en détention, qu'étant donné que l'auteur n'a pas les
moyens nécessaires et que l'aide judiciaire n'est pas prévue la requête
constitutionnelle ne constitue pas un recours utile dans son cas, et que,
par conséquent, les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l'article
5 du Protocole facultatif sont remplies. On ajoute à cet égard que l'auteur
a commencé à recevoir des menaces dès qu'il s'est plaint de mauvais traitements,
et qu'il a peur de subir des représailles.
3.5 L'auteur déclare en outre qu'il se trouve dans le quartier des condamnés
à mort depuis qu'il a été condamné en mars 1988, c'est-à-dire depuis plus
de six ans. Les "affres de l'attente" provoquées par un aussi
long délai et par la hantise de la mort constituent un traitement cruel,
inhumain et dégradant. À cet égard, l'auteur se réfère à la décision prise
par le Conseil privé, le 2 novembre 1993, dans l'affaire Pratt et Morgan.
3.6 L'auteur se déclare également victime d'une violation des paragraphes
1 et 2 de l'article 14 du Pacte. Se référant à la jurisprudence du Comité,
il indique que l'exposé final fait par le juge avant la délibération du
jury manquait d'impartialité et a représenté un véritable déni de justice.
L'auteur affirme que, pour donner ses instructions au jury, le juge avait
un ton si passionné / On cite notamment le passage suivant
: "La mort est toujours un événement très triste, mais je crois que
c'est pire quand on meurt dans des circonstances comme celles-ci. Je ne
crois pas que l'un d'entre vous puisse, en toute honnêteté, dire qu'il
n'était pas au courant de cet incident, qui était effectivement effroyable,
sans précédent à la Jamaïque : notre presse en a parlé, et la presse étrangère
aussi. Je ne crois pas qu'il y ait une seule personne à la Jamaïque qui
n'ait pas frémi d'horreur en apprenant que nos concitoyens avaient pu
commettre un acte aussi odieux. Le temps a passé, et peut-être que la
colère que vous avez ressentie à l'époque est un peu passée, elle aussi.
Je vous demande aujourd'hui de ne pas confondre ou de ne pas mélanger
la colère et la rancoeur que vous avez pu ressentir à l'époque avec le
procès qui se déroule devant vous."/ que ses propos avaient suscité
la sympathie pour les victimes et une prévention contre l'accusé, avaient
affaibli la portée des paroles adressées par le juge au jury pour l'exhorter
à l'impartialité, et avaient fait oublier les instructions concernant
la charge de la preuve et la valeur probante des éléments soumis.
3.7 L'auteur affirme aussi que l'avocat qui lui a été commis d'office
n'a pas bien assuré sa défense. À cet égard, il précise que la police
avait envoyé un petit garçon chercher des armes dans la cave. Or, ajoute-t-il,
aucune arme à feu n'a été retrouvée dans sa cour. Il a demandé à l'avocat
d'obtenir une déclaration du garçon, mais l'avocat ne l'a jamais fait.
L'auteur déclare que l'avocat n'a pas non plus utilisé les déclarations
de sa mère et de sa compagne, entendues par la police. Il considère que
le paragraphe 3 d) de l'article 14 donne à toute personne accusée le droit
à une représentation en justice efficace. Il ajoute à ce sujet
qu'aucun témoin à décharge n'a été cité. Cela, affirme-t-il, l'autorise
à affirmer que son avocat n'a pas agi avec diligence et ne lui a pas assuré
une représentation efficace, ce qui constitue une violation du paragraphe
3 d) de l'article 14.
3.8 De plus, l'auteur indique qu'un autre avocat l'avait représenté lors
des auditions préliminaires et que c'est seulement le premier jour du
procès qu'il a rencontré celui qui a en fait assuré sa défense. Le juge,
accédant à une demande qui lui avait été faite, a ajourné le procès au
lendemain. L'avocat est alors venu voir l'auteur en prison le soir même
et le procès a commencé le lendemain. On fait valoir qu'un seul jour pour
préparer la défense dans une affaire de meurtre emportant la peine capitale
est un délai nettement insuffisant, ce qui constitue une violation du
paragraphe 3 b) de l'article 14 du Pacte. On soutient que si l'avocat
avait eu plus de temps pour préparer la défense, il aurait été en mesure
de citer des témoins à décharge ou d'obtenir d'eux des déclarations.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
4.1 Par une note du 15 mars 1995, l'État partie a présenté ses observations
quant au fond afin d'accélérer l'examen de la communication.
4.2 En ce qui concerne les allégations de l'auteur selon lesquelles des
soins médicaux lui ont été refusés et il a subi des mauvais traitements
en prison le 4 mai 1993, l'État partie s'engage à faire enquêter sur ces
allégations et à informer le Comité du résultat de ces investigations.
4.3 En ce qui concerne le fait que l'auteur invoque les dispositions
des paragraphes 1 et 2 de l'article 14 du Pacte au sujet du résumé fait
par le juge avant la délibération du jury, l'État partie soutient qu'il
s'agit là de questions qui ne relèvent pas de la compétence du Comité,
et il invoque à son tour la jurisprudence du Comité sur ce point. L'État
partie fait observer que les juridictions d'appel ont déjà examiné le
résumé fait par le juge.
4.4 L'État partie ne reconnaît pas qu'il y ait eu, en ce qui concerne
les alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l'article 14, des infractions
dont il soit responsable. Au sujet de l'affirmation de l'auteur selon
laquelle ce dernier n'a pas eu assez de temps pour préparer sa défense,
l'État partie fait observer que l'avocat a demandé avec succès un ajournement.
Si l'avocat avait eu besoin de plus de temps, il lui appartenait d'en
demander davantage. Pour ce qui est de la manière dont la défense a été
menée, l'État partie déclare que son devoir est de fournir les services
juridiques d'un avocat compétent et non pas de s'immiscer dans la conduite
de la défense. Il soutient qu'il n'est pas responsable de la manière dont
un avocat traite une affaire ni des erreurs d'appréciation qui ont pu
être faites.
5.1 Dans ses commentaires, l'avocat donne son accord pour l'examen de
la communication quant au fond.
5.2 Au sujet du résumé fait par le juge, l'avocat déclare que s'il apparaît
que les instructions étaient manifestement arbitraires ou constituaient
un déni de justice, ou que le juge, d'une autre manière, a manqué à l'obligation
d'impartialité, la question peut rentrer dans la compétence du Comité.
À cet égard, il invoque la jurisprudence du Comité / Communication
No 237/1987, Denroy Gordon c. Jamaïque, constatations adoptées
le 5 novembre 1992, et communication No 232/1987, Daniel Pinto
c. Trinité-et-Tobago, constatations adoptées le 20 juillet 1990./.
Il soutient que le résumé fait par le juge ne satisfaisait pas aux normes
d'impartialité et constituait un déni de justice.
5.3 En ce qui concerne la conduite du procès, l'avocat concède que les
défaillances des avocats commis à titre privé ne peuvent être attribués
à l'État partie, mais il soutient que cela n'est pas vrai des avocats
commis d'office, qui, une fois désignés, doivent fournir une représentation
efficace.
5.4 Dans une autre lettre, l'avocat relate un incident survenu en prison
à la suite d'une protestation organisée par les prisonniers, qui estimaient
qu'on avait réduit le nombre des visites auxquelles ils avaient droit
(28 février 1995). Le jour suivant, le 1er mars 1995, les gardiens, est-il
déclaré, sont venus dans le quartier des condamnés à mort et ont commencé
à brutaliser les prisonniers. L'auteur s'est vu intimer l'ordre de sortir
de sa cellule, et il a été battu par les gardiens. Ensuite, on l'a jeté
dans les escaliers. Il a reçu en tombant deux coups à la tête ainsi qu'un
coup dans un coude. Il a eu les oreilles entaillées et des bourdonnements
d'oreilles. Il avait mal aux mains et ses doigts étaient enflés. Il y
avait du sang dans ses urines et, sur un c_té du corps, ses c_tes étaient
si douloureuses qu'il ne pouvait même pas les toucher. L'auteur déclare
que ses blessures ont été pansées à l'infirmerie et qu'on lui a donné
un analgésique qu'il n'a pas pris. Il déclare qu'il souffrait beaucoup.
Après que lui-même et d'autres prisonniers avaient commencé une grève
de la faim, le Commissioner of Prisons a dit aux gardiens d'emmener l'auteur
à l'h_pital. Au contraire, on lui a envoyé un médecin qui lui a dit qu'il
n'avait pas de c_tes fracturées, mais qu'un poumon était atteint. On lui
a prescrit des médicaments. Après trois jours, selon lui, les gardiens
ont substitué au médicament prescrit un autre produit, que l'auteur n'a
pas pris. Il est affirmé que les mauvais traitements, ainsi que le refus,
par la suite, de fournir des soins médicaux appropriés, constituent une
violation des articles 7 et 10 du Pacte.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, conformément à l'alinéa a) du paragraphe
2 de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'est pas
déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
6.3 Au sujet de l'affirmation de l'auteur concernant le résumé fait par
le juge lors du procès, le Comité renvoie à sa jurisprudence et répète
que, généralement, ce n'est pas à lui, mais aux juridictions d'appel des
États parties qu'il appartient d'examiner les instructions données par
le juge au jury au cours du procès, à moins qu'il ne soit constaté que
ces instructions étaient manifestement arbitraires ou constituaient un
déni de justice. La documentation dont le Comité est saisi n'indique pas
que le résumé ait été entaché de ce genre de défaut. En conséquence, cette
partie de la communication est irrecevable comme incompatible avec les
dispositions du Pacte, compte tenu de l'article 3 du Protocole facultatif.
6.4 Le Comité note que l'État partie a communiqué des observations sur
la communication quant au fond et que l'avocat a accepté que les questions
de fond soient examinées à ce stade. Le Comité juge recevables les autres
prétentions formulées dans la communication et va donc les examiner quant
au fond sans plus de retard à la lumière des informations qui lui ont
été fournies par les parties, comme l'exigent les dispositions du paragraphe
1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.1 En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle les dispositions
de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte ont été violées
du fait que l'auteur a été brutalisé par la police lors de son arrestation,
le Comité note que la question a été soumise à un examen préliminaire
et que le jury en était saisi au cours du procès, que ce jury a rejeté
les allégations de l'auteur, et que la question n'a pas été évoquée en
appel. Le Comité constate que les informations dont il est saisi ne justifient
pas que l'on conclue à une violation de l'article 7 et du paragraphe 1
de l'article 10 du Pacte à cet égard.
7.2 L'auteur a soutenu que sa détention dans le quartier des condamnés
à mort constitue en elle-même une violation des dispositions de l'article
7 du Pacte. Le Comité réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle,
lorsqu'il n'existe pas d'autres circonstances déterminantes, la détention
dans le quartier des condamnés à mort pendant un certain temps - dans
ce cas plus de sept ans - ne constitue pas en elle-même une violation
du Pacte / Voir notamment les constatations adoptées par le
Comité le 22 mars 1996 concernant la communication No 588/1994 (Errol
Johnson c. Jamaïque)./.
7.3 Cependant, M. Henry allègue aussi avoir souffert d'un manque de soins
médicaux alors qu'un médecin avait recommandé une intervention chirurgicale.
L'auteur a également formulé des affirmations détaillées selon lesquelles
il a été brutalisé par des soldats et des gardiens le 4 mai 1993, puis
de nouveau le 1er mars 1995. Les affirmations de l'auteur n'ont pas été
réfutées par l'État partie, qui s'est engagé à enquêter mais n'a pas communiqué
les résultats de ses investigations, alors que plus de trois ans se sont
écoulés depuis. Le Comité rappelle que l'État partie est tenu d'enquêter
avec soin sur les allégations relatives à des violations du Pacte qui
sont formulées au titre du Protocole facultatif. Vu l'absence de toute
explication de la part de l'État partie, il y a lieu d'accorder tout le
poids voulu aux allégations de l'auteur. Le Comité considère que l'absence
de soins médicaux est contraire aux dispositions de l'article 10 du Pacte,
et que les voies de fait subies par l'auteur constituent des violations
de l'article 7.
7.4 L'auteur a soutenu qu'il a été mal défendu par son avocat au cours
du procès, ce qui l'a privé du bénéfice d'un procès équitable. Il allègue
en particulier que l'avocat n'a pas cité de témoins à décharge. Le Comité
rappelle sa jurisprudence selon laquelle l'État partie ne peut avoir à
répondre des erreurs éventuellement faites par un défenseur, à moins qu'il
ne soit apparu clairement au juge que le comportement de l'avocat était
incompatible avec les intérêts de la justice, ou que cela aurait dû lui
apparaître. La documentation dont le Comité est saisi n'indique pas qu'il
en ait été ainsi dans la présente affaire et, en conséquence, rien ne
justifie que l'on conclue à une violation des alinéas d) et e) du paragraphe
3 de l'article 14 à cet égard.
7.5 L'auteur a également affirmé n'avoir pas eu assez de temps pour préparer
sa défense étant donné qu'il n'avait rencontré son avocat que le premier
jour du procès. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence selon
laquelle le droit, pour une personne accusée, de disposer du temps et
des facilités nécessaires à la préparation de sa défense est un aspect
important du principe de l'égalité des armes. Dans les affaires où la
peine capitale pourrait être prononcée contre l'accusé, il est particulièrement
important qu'un temps suffisant soit accordé à ce dernier et à son avocat
pour la préparation de cette défense. Pour savoir ce que signifient les
termes "temps nécessaire", il importe de déterminer quelles
sont les circonstances propres à chaque cas. Le Comité note, en se fondant
sur les informations dont il est saisi, que l'avocat de l'auteur a demandé
un report d'un jour au début du procès et qu'il a été fait droit à cette
demande. La documentation dont le Comité est saisi ne fait pas apparaître
que l'avocat ou l'auteur se soient plaints au juge, lors du procès, d'un
temps de préparation insuffisant. Si l'avocat ou l'auteur s'estimaient
insuffisamment préparés, il leur appartenait de demander un report. En
l'occurrence, rien ne permet de conclure à une violation de l'alinéa b)
du paragraphe 3 de l'article 14.
8. Le Comité des droits de l'homme, se fondant sur le paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi montrent qu'il y a eu des violations de l'article 7 et du
paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
9. En vertu de l'alinéa a) du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'État
partie est tenu de fournir à M. Nicholas Henry un recours utile, y compris
un examen et des soins médicaux immédiats et, si nécessaire, une indemnisation,
ainsi que d'envisager la possibilité d'une prochaine libération. L'État
partie est tenu de prendre des mesures visant à ce que des violations
analogues ne se produisent pas à l'avenir.
10. En devenant partie au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu
que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait ou non violation
du Pacte. La présente affaire a été communiquée pour examen avant que
la Jamaïque n'ait dénoncé le Protocole facultatif avec effet au 23 janvier
1998; en vertu du paragraphe 2 de l'article 12 dudit Protocole facultatif,
les dispositions de celui-ci continuent de lui être applicables. Conformément
à l'article 2 du Pacte, l'État partie s'est engagé à garantir à tous les
individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction
les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire
lorsque l'existence d'une violation a été établie. Le Comité souhaite
recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures qui auront été prises pour donner effet à ses constatations.
L'État partie est invité à publier les constatations du Comité.
________________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Prafullachandra N. Bhagwati, M. Thomas
Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, M. Omar El Shafei, Mme
Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart Klein, M. David
Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Julio Prado Vallejo, M. Martin
Scheinin, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia./
[Adopté en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.
À paraître aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]