Présentée par : Anthony Leehong (représenté par Ronald McHugh du
cabinet d'avocats londonien Clifford Chance)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 5 janvier 1995 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 13 juillet 1999,
Ayant achevé l'examen de la communication No 613/1995 présentée
par Anthony Leehong en vertu du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Anthony Leehong, citoyen jamaïcain,
qui était en attente d'exécution à la prison du district de St. Catherine
(Jamaïque) à la date de la communication. Il se déclare victime d'une
violation par la Jamaïque des articles 6, 7, 9, 10, 14 et 17 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté
par M. Ronald McHugh, du Cabinet d'avocats londonien Clifford Chance.
Sa peine a été commuée.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 5 décembre 1988, un mandat d'arrêt a été délivré contre l'auteur
/ Au cours du procès, l'officier de police judiciaire, Blanford
David, a déclaré que le 5 décembre 1988 il avait reçu un mandat d'arrêt
au nom d'Anthony Leehong, l'inculpé, également connu sous le nom de Peter
ou Powder-Puff, en liaison avec le meurtre de C. Wiggan./. Le 20 décembre
1988, alors qu'il marchait dans la rue, la police lui a tiré dans le dos
sans sommation. L'auteur a été conduit à l'h_pital public de Kingston
par deux passants. Le 22 décembre 1988, alors qu'il était à l'h_pital,
la police l'aurait informé qu'il était en état d'arrestation pour le meurtre
d'un policier qui avait eu lieu au début de décembre 1988. Il est resté
à l'h_pital, sous la garde de la police, jusqu'au 29 décembre 1988. Il
a alors été emmené au poste de police central de Kingston toujours dans
le cadre de l'enquête sur le meurtre du policier, où il a dû participer
à une séance d'identification. Le 31 mars 1989, l'auteur et une autre
personne ont comparu devant la Chambre de première instance de la Gun
Court pour répondre du meurtre du policier; ce chef d'inculpation a été
abandonné. L'auteur affirme que l'officier de police judiciaire ne l'a
pas reconnu et fait observer qu'il a demandé à son coïnculpé s'il s'appelait
Anthony Leehong. Ayant reçu une réponse négative, il a dit à l'auteur
et au magistrat instructeur qu'il était en possession d'un mandat d'arrêt
contre l'auteur et que, lorsque ce dernier était à l'h_pital, il avait
été inculpé du meurtre d'un certain Carlos Wiggan. L'auteur affirme qu'il
ignorait jusqu'alors qu'il avait été arrêté pour le meurtre de Carlos
Wiggan.
2.2 Le 21 février 1990, après 13 minutes de délibération, le jury a rendu
un verdict de culpabilité. L'auteur a été condamné à mort. Le 28 janvier
1991, la cour d'appel a rejeté sa demande d'autorisation de former un
recours. Une nouvelle demande d'autorisation spéciale de recours auprès
de la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée le 7 février 1994.
Le conseil affirme qu'en conséquence tous les recours internes ont été
épuisés. Le 13 novembre 1994, le crime commis par l'auteur a été requalifié
comme n'étant plus passible de la peine capitale en vertu de la loi jamaïcaine
de 1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes
(Jamaican Offences Against the Person (Amendment) Act 1992). Sa
condamnation à mort a été commuée en réclusion criminelle à perpétuité
avec une période de sûreté de 20 ans au minimum avant une éventuelle libération
conditionnelle.
2.3 La première audience de l'enquête préliminaire devant la Gun Court
concernant le meurtre de Carlos Wiggan a eu lieu le 20 juin 1989. L'auteur
était représenté par un avocat commis d'office, qui n'a pas assisté à
la deuxième audience tenue le 11 juillet 1989 au cours de laquelle le
policier, ayant procédé à l'arrestation, a fait sa déposition; l'auteur
n'était pas représenté à cette audience. L'avocat était présent à la troisième
séance, tenue le 13 septembre 1989. Au cours de ces audiences, des témoins
oculaires ont identifié l'auteur comme étant l'agresseur de Carlos Wiggan.
Aucune séance d'identification n'avait été organisée auparavant.
2.4 Par la suite, la mère de l'auteur a réussi à s'assurer les services
d'un autre avocat. Le procès devait commencer le 19 février 1990 mais
il a été reporté au 21 février 1990 pour permettre à l'avocat de l'auteur
de préparer son dossier. L'auteur a rencontré son avocat à deux reprises
pendant deux et quatre heures au total.
2.5 Selon la thèse de l'accusation, le matin du 4 décembre 1988, dans
la paroisse de St. Andrew, l'auteur a tué Carlos Wiggan en tirant sur
lui à deux reprises. L'auteur affirme qu'il est innocent et qu'il se trouvait
chez lui au moment du crime.
2.6 Au procès, la pièce maîtresse de l'accusation était le témoignage
du beau-père de la victime ainsi que de sa mère et de sa soeur. Le beau-père
de la victime a déclaré que le 4 décembre 1988, vers 9 h 30, il avait
entendu une explosion. Regardant par la fenêtre, il avait vu un homme
dont il savait qu'il répondait au nom de Peter et qu'il a identifié comme
étant l'auteur, courir derrière Carlos Wiggan et tirer sur lui à deux
reprises. L'auteur s'était enfui en tirant encore, en compagnie d'une
autre personne.
2.7 La mère de la victime a déclaré que, le matin des faits, elle avait
vu de son balcon son fils debout contre un mur et, face à lui, l'auteur
avec une arme à feu à la main. Elle avait aussi remarqué deux autres hommes
qui se tenaient à proximité. Elle avait vu alors l'auteur tirer sur son
fils, qui avait tenté de s'enfuir. Elle les avait ensuite perdus de vue
et n'avait pas pu voir distinctement ce qui se passait. Elle avait seulement
entendu des coups de feu. Lorsqu'elle était sortie de chez elle, elle
avait vu son fils étendu sur le sol. Elle a déclaré qu'elle avait entrevu
l'auteur l'espace de deux ou trois minutes, et qu'elle ne l'avait jamais
vu auparavant.
2.8 La soeur de la victime a déclaré lors de sa déposition qu'elle avait
vu l'auteur, qu'elle connaissait depuis deux ans, tirer sur son frère
puis le poursuivre. Elle avait alors entendu d'autres coups de feu et
vu l'auteur quitter les lieux, sans arme.
2.9 La défense a fait valoir que les trois témoins à charge avaient commis
une erreur en identifiant l'auteur. Celui-ci, dans une déclaration faite
sans prêter serment, a nié s'appeler Peter et avoir tué la victime. Aucun
témoin à décharge n'a été cité à comparaître.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil affirme que la façon dont la police a arrêté l'auteur,
en lui tirant dans le dos sans sommation, constitue une violation des
dispositions du paragraphe 1 de l'article 9. Il fait valoir à cet égard
que l'auteur n'était pas armé et ne représentait aucune menace pour la
police ou la population.
3.2 L'auteur affirme qu'il y a eu violation du paragraphe 2 de l'article
9 et du paragraphe 3 a) de l'article 14, parce qu'il a appris qu'il se
trouvait en état d'arrestation et était inculpé du meurtre de Carlos Wiggan
seulement lorsqu'il a été amené devant le magistrat instructeur, le 31
mars 1989. Il affirme que, le 22 décembre 1988 à l'h_pital, il n'a pas
été informé qu'il était arrêté et inculpé du meurtre pour lequel il a
été condamné et qu'on ne lui a pas remis de copie du mandat d'arrêt ou
de l'acte d'inculpation. En outre, l'auteur ne se rappelle pas avoir reçu
la notification d'usage. Le conseil fait valoir que, en admettant que
l'auteur ait été informé, il n'était pas en état de comprendre ce qui
se passait. Le conseil précise qu'il a, de même que le Conseil des droits
de l'homme de la Jamaïque, demandé à l'h_pital public de Kingston des
renseignements sur l'état physique dans lequel se trouvait l'auteur au
moment de son arrestation, mais qu'il n'a reçu aucune réponse à ce jour.
3.3 L'auteur fait observer qu'il n'a été conduit devant un juge que trois
mois après son arrestation et que c'était dans le cadre de l'enquête sur
le meurtre d'un policier pour lequel il n'a pas été inculpé. En revanche,
il a été inculpé ultérieurement et placé en détention provisoire pour
le meurtre de Wiggan. Trois mois se sont encore écoulés avant que l'auteur
ne comparaisse devant un juge au sujet de ce second meurtre, pour lequel
il a ultérieurement été condamné. Il dénonce, par conséquent, une violation
du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte. À ce sujet, l'auteur renvoie
à la jurisprudence du Comité / Voir les communications Nos
250/1987 (Paul Kelly c. Jamaïque) et 248/1987 (Glenford
Campbell c. Jamaïque)./, qui a estimé qu'un délai de six semaines
entre l'arrestation et la comparution devant un juge constituait une violation
de l'article 9.
3.4 L'auteur relève en outre que son procès n'a débuté que le 21 février
1990. Il fait valoir qu'un délai de 14 mois entre l'arrestation et le
jugement est contraire au paragraphe 3 de l'article 9. Il est dit en outre
que l'auteur aurait dû être mis en liberté provisoire dans l'attente de
son jugement.
3.5 L'auteur affirme qu'on ne lui a pas donné le temps et les facilités
nécessaires à la préparation de sa défense, en violation du paragraphe
3 b) de l'article 14. En ce qui concerne l'instruction préparatoire, il
affirme avoir vu pour la première fois l'avocat qui avait été commis d'office
à sa défense à la première audience, qu'aucun témoin à décharge n'a été
cité et que l'avocat n'a pas assisté à la deuxième audience, de sorte
qu'il n'y a pas eu de contre-interrogatoire du policier qui l'avait arrêté.
Pour ce qui est du procès, l'auteur affirme que l'avocat qu'il avait engagé
lui-même étant insuffisamment préparé, il n'a pas interrogé comme il le
fallait les témoins à charge. À ce propos, il est dit dans la communication
que d'importantes contradictions ont été relevées dans les dépositions
des témoins à charge, ce qui constituerait une violation du paragraphe
3 e) de l'article 14 du Pacte.
3.6 Invoquant une violation des droits énoncés au paragraphe 1 de l'article
14, le conseil se réfère à des extraits de l'exposé final du juge. Il
fait valoir que ce dernier n'a pas respecté, dans ses instructions au
jury, les règles applicables dans les cas d'identification (directives
Turnball) et que cela équivaut à un déni de justice. En particulier, le
juge n'aurait pas suffisamment souligné le danger qu'il y avait à se fonder
sur l'identification par un témoin ni mis en évidence les faiblesses des
témoignages. Le conseil fait valoir en outre que, dans ses instructions,
le juge a renversé la charge de la preuve. Le conseil estime qu'il s'agit
là d'une violation du paragraphe 2 de l'article 14.
3.7 Par ailleurs, selon le conseil, les dispositions du paragraphe 3
d) et du paragraphe 5 de l'article 14 n'ont pas été respectées en ce qui
concerne le droit de l'auteur de former un recours contre la déclaration
de culpabilité et sa condamnation devant la cour d'appel. Il explique
que l'avocat de l'auteur (qui le représentait aussi lors du procès) a
indiqué devant la cour d'appel, sans avoir consulté son client, que ce
recours n'était pas fondé. Il ressort de l'avis de comparution en appel
que l'auteur ne souhaitait pas être présent au tribunal lorsque son recours
serait examiné. De plus, le conseil affirme que l'auteur n'a pas été informé
de l'examen de son recours et, par conséquent, n'a pas eu l'occasion de
donner des instructions à son avocat. Si l'auteur avait su que son avocat
n'était pas convaincu du bien-fondé de ce recours et n'allait pas plaider
en sa faveur, ce qui revenait à retirer l'appel, il aurait changé d'avocat
/ À ce propos, il est fait référence aux constatations adoptées
par le Comité concernant les communications Nos 356/1989 (Trevor Collins
c. Jamaïque), 353/1989 (Lloyd Grant c. Jamaïque)
et 250/1987 (Carlton Reid c. Jamaïque)./.
3.8 Le conseil affirme en outre que les retards intervenus aux différents
stades de la procédure judiciaire engagée contre l'auteur, et notamment
le long délai d'attente des pièces du dossier nécessaires à la préparation
d'une demande d'autorisation spéciale de recours devant la section judiciaire
du Conseil privé, constituent une violation du paragraphe 3 c) de l'article
14. Il précise qu'il a demandé pour la première fois ces documents le
27 juin 1991 et que ce n'est qu'en février 1992, après avoir adressé aux
autorités judiciaires jamaïcaines plusieurs demandes en ce sens avec le
Conseil des droits de l'homme de la Jamaïque, qu'il a reçu une copie du
compte rendu d'audience et de l'arrêt de la cour d'appel. L'auteur a finalement
reçu copie des dépositions faites au cours des audiences préliminaires
le 24 août 1992.
3.9 L'auteur fait une description détaillée des mauvais traitements auxquels
il aurait été soumis à la prison du district de St. Catherine. Le 17 novembre
1991, il aurait été privé de nourriture et d'eau, frappé à coups de matraque
le lendemain et à plusieurs reprises menacé de mort par les gardiens.
Il ajoute qu'il est privé de soins médicaux et de visites. Le conseil
de l'auteur a écrit plusieurs fois au médiateur parlementaire au nom de
son client. Le 8 février et le 6 avril 1994, les services du médiateur
parlementaire ont répondu que l'auteur avait été libéré de prison, ce
qui était faux. Selon le conseil, cela démontre le caractère superficiel
des enquêtes effectuées par le médiateur. Le conseil ayant fait observer
que l'auteur se trouvait toujours en prison et continuait d'être l'objet
de mauvais traitements, le médiateur a répondu que le gardien responsable
des mauvais traitements avait été transféré. Le conseil affirme toutefois
que l'auteur est toujours en butte à des menaces et à des violences. En
outre, le conseil a écrit à cinq reprises au Directeur général de l'administration
pénitentiaire qui, le 27 octobre 1994, s'est contenté de l'informer qu'un
nouveau directeur avait été nommé à la prison, sans évoquer aucune des
plaintes précises qui étaient formulées dans les lettres au nom de l'auteur.
Le 7 octobre 1994, le médiateur a fait savoir au conseil que les dernières
requêtes qu'il avait présentées au nom de l'auteur avaient été transmises
au Directeur du Service des enquêtes et qu'il recevrait prochainement
un rapport. À ce jour, le conseil n'a encore reçu aucun rapport.
3.10 Le conseil cite des témoignages écrits relatifs aux conditions inhumaines
de détention à la prison du district de St. Catherine, notamment sur le
plan de l'hygiène.
3.11 L'auteur conclut que les mauvais traitements dont il a été et est
toujours l'objet à la prison du district de St. Catherine et les conditions
actuelles de sa détention constituent des violations de l'article 7, du
paragraphe 1 de l'article 10, et de l'article 17 du Pacte. Il souligne
que ces conditions de détention sont à l'origine d'une grave détérioration
de son état de santé. Depuis qu'il se trouve dans le quartier des condamnés
à mort, il n'a été autorisé qu'une seule fois à voir un médecin bien qu'il
ait été à plusieurs reprises roué de coups par les gardiens et qu'il ait
demandé des soins médicaux.
3.12 Se référant à des décisions adoptées récemment par diverses instances
judiciaires au sujet du syndrome du quartier des condamnés à mort, le
conseil fait valoir qu'exécuter l'auteur après tout le temps qu'il a passé
dans ce quartier équivaudrait à un traitement cruel, inhumain ou dégradant
et serait par conséquent contraire à l'article 7 du Pacte.
Informations et observations de l'État partie concernant la recevabilité
et commentaires de l'auteur
4. Le 10 janvier 1995, la communication a été adressée à l'État partie
auquel il a été demandé de présenter au Comité des informations et des
observations ayant trait à la question de la recevabilité. Aucune réponse
n'a été reçue. Le 31 janvier 1995, l'État partie a fait savoir au Comité
que le crime pour lequel l'auteur avait été condamné n'emportait plus
la peine de mort et que celui-ci n'était donc plus dans le quartier des
condamnés à mort.
5. Le 24 janvier 1995, le conseil a fait savoir au Comité que la condamnation
à mort de l'auteur avait été commuée.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 À sa cinquante-huitième session, le Comité a examiné la question
de la recevabilité de la communication.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme l'exige l'alinéa a) du paragraphe 2
de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n'était pas
déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
6.3 Le Comité a noté avec inquiétude l'absence de coopération de la part
de l'État partie dans l'affaire à l'examen. Il a observé en particulier
que l'État partie n'avait pas fourni d'information sur la question de
la recevabilité de la communication. Sur la base des informations dont
il disposait, le Comité a considéré que les dispositions de l'alinéa b)
du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif ne lui interdisaient
pas d'examiner la communication.
6.4 Le Comité a considéré qu'en l'absence d'information émanant de l'État
partie, l'auteur avait suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité
de sa communication, ses allégations concernant les coups de feu tirés
sur lui avant son arrestation et les mauvais traitements infligés à la
prison du district de St. Catherine. Cette partie de la communication
pouvait soulever des questions au titre de l'article 7, du paragraphe
1 de l'article 9 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte qui devaient
être examinées quant au fond. Le conseil avait prétendu qu'il y avait
violation de l'article 17 du Pacte sans étayer son allégation.
6.5 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle la durée
de sa détention dans le quartier des condamnés à mort équivalait à une
violation de l'article 7 du Pacte, le Comité a renvoyé à sa jurisprudence
antérieure, à savoir que la détention dans le quartier des condamnés à
mort ne constitue pas en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant
en violation de l'article 7 du Pacte, si cette détention n'est pas entourée
d'autres circonstances impérieuses / Voir les constatations
du Comité concernant la communication No 588/1994 (Errol Johnson
c. Jamaïque), adoptées le 22 mars 1996, par. 8.2 à 8.5./.
6.6 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'a
pas été jugé sans retard excessif, en violation du paragraphe 3 de l'article
9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14, le Comité a estimé qu'un délai
de 14 mois ne pouvait pas être considéré comme déraisonnable. Il a conclu
en conséquence qu'à cet égard, l'auteur ne pouvait pas se prétendre victime
de violation conformément à l'article 2 du Protocole facultatif.
6.7 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il aurait
été jugé avec un retard excessif, en violation du paragraphe 3 c) de l'article
14, du fait du retard intervenu dans l'obtention des pièces du procès
par le conseil de Londres, le dossier indique que les comptes rendus d'audience
étaient à la disposition de l'auteur (ou de son conseil) lorsque le recours
en appel a été examiné. Il ressort également des pièces du procès que
les dépositions préliminaires des témoins étaient à la disposition de
l'auteur (ou de son conseil) lors du procès, comme le prouvait le contre-interrogatoire
auquel il a été procédé. Le Comité a considéré que le conseil de l'auteur
n'avait pas étayé cette allégation aux fins de la recevabilité. En conséquence,
cette partie de la communication était recevable au titre de l'article
2 du Protocole facultatif.
6.8 En ce qui concerne l'allégation de violation des paragraphes 1 et
2 de l'article 9 et du paragraphe 3 a) de l'article 14 du Pacte, au motif
que l'auteur n'a pas été informé des raisons de son arrestation, le Comité
a considéré qu'en l'absence d'information de la part de l'État partie,
l'auteur et son conseil avaient suffisamment étayé cette allégation aux
fins de la recevabilité de la communication. En conséquence, le Comité
a considéré que cette partie de la communication devait être examinée
quant au fond. Il a invité le conseil à lui fournir des renseignements
plus précis concernant le premier crime, soit le meurtre du policier,
et ses suites, l'incident du 20 décembre 1988 au cours duquel l'auteur
avait essuyé des coups de feu, puis avait été arrêté. Il a demandé à l'État
partie de lui communiquer l'état chronologique détaillé des faits de l'affaire
concernant l'auteur.
6.9 L'auteur avait affirmé qu'il n'avait été amené devant un juge que
trois mois après son arrestation et que c'était au bout de six mois seulement
qu'il avait comparu devant un juge à propos du meurtre pour lequel il
a finalement été condamné. Le Comité a estimé qu'en l'absence de réponse
de l'État partie sur ce point, l'auteur et son conseil avaient suffisamment
étayé cette allégation aux fins de la recevabilité de la communication,
et qu'elle devrait être examinée quant au fond.
6.10 En ce qui concerne la plainte de l'auteur qui se dit victime d'une
violation du paragraphe 3 b) et e) de l'article 14 parce qu'il n'a pas
été convenablement défendu pendant son procès, le Comité a considéré que
l'État partie ne pouvait être tenu pour responsable des erreurs qu'aurait
commises un avocat de la défense, sauf s'il était manifeste aux yeux du
juge que le comportement de l'avocat était incompatible avec les intérêts
de la justice. En l'espèce, il n'y avait pas de raison de croire que le
conseil n'avait pas agi avec discernement et cette partie de la communication
était donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.11 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur qui prétend ne pas avoir
été convenablement défendu par son conseil en appel, en violation du paragraphe
3 d) de l'article 14, le Comité a relevé dans les informations dont il
disposait que le conseil avait en fait consulté l'auteur avant l'audience,
et qu'à l'audience, la cour d'appel avait examiné l'affaire. Le Comité
a considéré qu'il ne lui appartenait pas de mettre en cause les choix
professionnels faits par le conseil sur la manière de plaider ou de ne
pas plaider pour le recours, sauf s'il était manifeste que son comportement
était incompatible avec les intérêts de la justice. Le Comité a rappelé
que l'alinéa d) du paragraphe 3 de l'article 14 n'autorise pas l'accusé
à choisir le défenseur qui lui était attribué sans frais. Le Comité a
estimé par conséquent que, sur ce point, l'auteur ne pouvait se prévaloir
de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.12 Les autres allégations de l'auteur concernaient des irrégularités
qui auraient été commises au cours du procès et des instructions incorrectes
données par le juge au jury sur la question de l'identification. Le Comité
a réaffirmé que l'article 14 garantissait le droit à un procès équitable,
mais qu'il ne lui appartenait pas d'examiner les instructions spécifiques
données au jury par le juge dans un procès devant jury, à moins qu'il
ne puisse être établi que les instructions données au jury étaient manifestement
arbitraires ou équivalaient à un déni de justice, ou que le juge avait
manifestement enfreint son devoir d'impartialité. Il ne ressortait pas
des documents dont le Comité était saisi que les instructions du juge
aient été entachées de tels vices; au contraire, la cour d'appel a indiqué
clairement dans son arrêt que les instructions du juge du fond avaient
été "claires, justes et appropriées". Cette partie de la communication
était donc irrecevable, en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif,
parce qu'elle était incompatible avec les dispositions du Pacte.
6.13 Le 16 octobre 1996, le Comité des droits de l'homme a décidé en
conséquence que la communication était recevable dans la mesure où elle
semblait soulever des questions au titre de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 en ce qui concerne les mauvais traitements, et au titre
des paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 9 et de l'alinéa a) du paragraphe
3 de l'article 14 du Pacte.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
7.1 Dans des observations datées du 17 décembre 1997, l'État partie a
informé le Comité qu'il enquêterait sur la plainte de l'auteur concernant
les mauvais traitements dont ce dernier aurait été victime en prison.
7.2 S'agissant de l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article
9, due à la façon dont la police aurait arrêté l'auteur, en lui tirant
dans le dos, l'État partie s'est engagé à enquêter sur ce point. Il a
toutefois demandé que le conseil fournisse des informations supplémentaires
au sujet de l'incident : l'auteur avait-il été arrêté à l'occasion d'une
opération de police conjointe ? Y avait-il eu échange de coups de feu
entre la police et les autres parties ? Il a ajouté que ces questions
ne signifiaient en rien une reconnaissance d'une quelconque violation
de cet article.
7.3 En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 2 de
l'article 9 et du paragraphe 3 a) de l'article 14 au motif que l'auteur
n'a pas été informé dans le plus court délai de la nature de l'accusation
portée contre lui, l'État partie fait valoir que ces allégations ne sont
pas claires : "Au paragraphe 7 de la lettre [initiale], il est dit
que l'auteur a été arrêté le 22 décembre 1988. Au paragraphe 31, l'auteur
indique ne pas avoir su qu'il était en état d'arrestation. Dans le même
souffle, il admet avoir été informé qu'il était en état d'arrestation,
ainsi que la nature de l'accusation portée contre lui, ce que sa mère
a confirmé. L'auteur ne peut donc dire honnêtement qu'il n'a été informé
du motif de l'accusation qu'au moment du procès.
7.4 L'État partie nie en outre toute violation du paragraphe 3 de l'article
9 du Pacte étant donné que l'auteur a été traduit devant un juge avant
le début de l'enquête préliminaire.
8.1 Dans des commentaires datés du 8 avril 1998, le conseil a fourni
un mémoire comportant une chronologie des événements tels que la défense
en avait connaissance, et dans lequel il réitère les allégations de l'auteur,
à savoir qu'on lui a tiré dans le dos au moment de son arrestation et
qu'il ignorait la nature de l'accusation portée contre lui.
8.2 Dans de nouveaux commentaires datés du 29 juin 1998, le conseil dit
attendre avec impatience les informations que le Comité a demandé à l'État
partie de fournir dans sa décision concernant la recevabilité au sujet
des circonstances dans lesquelles l'auteur a été arrêté, des mauvais traitements
dont il a été victime à la prison de district de St. Catherine et de la
chronologie des événements ayant mené à son arrestation. Le conseil renvoie
l'État partie à ses commentaires d'avril 1998 dans lesquels il répond
aux questions soulevées par l'État partie dans la note verbale du 17 décembre
1997.
8.3 Pour ce qui est de la contestation par l'État partie qu'il y ait
eu violation du paragraphe 2 de l'article 9 et du paragraphe 3 a) de l'article
14 au motif que l'auteur n'avait pas été informé dans le plus court délai
de la nature de l'accusation portée contre lui, le conseil réitère qu'au
moment de son arrestation, le 22 décembre 1988, l'auteur ignorait ce qui
lui était reproché. Il affirme en particulier que la police jamaïcaine
n'a pas informé l'auteur qu'il était en état d'arrestation, ni n'a précisé
pourquoi, et s'est contentée de lui dire qu'il devait participer à une
séance de tapissage. L'auteur n'a été informé de la nature de l'accusation
portée contre lui que le 31 mars 1989, plus de trois mois après son arrestation
dans des circonstances violentes. Le conseil fait observer que l'État
partie ne souffle mot du fait que le chef d'inculpation retenu contre
l'auteur le 22 décembre a été abandonné et que le requérant a été informé
seulement le 31 mars 1989 qu'il était accusé du meurtre (de M. Wiggan)
pour lequel il a été jugé par la suite.
8.4 En ce qui concerne la violation du paragraphe 3 de l'article 9, le
conseil réitère ce qu'il a déjà dit dans la lettre initiale. Il note que
l'auteur a été arrêté le 22 décembre 1988 pour le meurtre d'un policier,
traduit devant un juge le 31 mars et inculpé alors du meurtre de M. Wiggan.
Les poursuites intentées contre lui pour le meurtre du policier ont été
abandonnées faute de preuve. L'enquête préliminaire pour le meurtre de
Carlos Wiggan a eu lieu le 20 juin 1989. Le conseil réaffirme que six
mois se sont écoulés avant que l'auteur ne comparaisse devant un juge
en liaison avec le crime pour lequel il a finalement été condamné.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
à la lumière de toutes les informations qui lui avaient été soumises par
les parties, comme il y est tenu par le paragraphe 1 de l'article 5 du
Protocole facultatif.
9.2 En ce qui concerne la plainte de mauvais traitements subis pendant
la détention à la prison de district de St. Catherine, le Comité note
que l'auteur a formulé des allégations très précises concernant les incidents
décrits au paragraphe 3.9 ci-dessus. Ces allégations n'ont pas été contestées
par l'État partie, qui s'est contenté de dire qu'il ferait une enquête.
Il n'a pas fait savoir s'il y avait eu une enquête ni, le cas échéant,
quels en avait été les résultats, alors qu'il est tenu de coopérer avec
le Comité comme l'y oblige le paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole
facultatif. De l'avis du Comité, les mauvais traitements et les conditions
décrits aux paragraphes 3.9 à 3.11 sont de nature à violer le droit de
l'auteur d'être traité avec humanité et avec le respect de la dignité
inhérente à l'être humain et son droit de ne pas être soumis à la torture
ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, et elles sont donc
contraires à l'article 7 et au paragraphe 1 de l'article 10.
9.3 Pour ce qui est de la plainte selon laquelle la police a tiré dans
le dos de l'auteur avant de l'arrêter, le Comité renvoie à sa jurisprudence
et rappelle qu'il a toujours jugé insuffisant que l'État partie se contente
de dire qu'il n'y avait pas eu violation du Pacte. Il conclut donc que,
l'État partie n'ayant pas fourni d'indications concernant l'enquête qu'il
affirme avoir menée, les coups de feu ne sont pas contestés et que les
allégations de l'auteur doivent être dûment prises en compte. En conséquence,
le Comité conclut qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article
9 du Pacte en ce qu'il y a eu atteinte à la sécurité de sa personne.
9.4 L'auteur a dénoncé une violation du paragraphe 2 de l'article 9 et
du paragraphe 3 a) de l'article 14 pour n'avoir pas été informé, au moment
de son arrestation, des charges portées contre lui. Après le meurtre d'un
policier, l'auteur a été inculpé et arrêté. Plus tard, après une enquête,
la première inculpation a été abandonnée pour manque de preuve, mais il
semble que l'auteur était soupçonné d'un autre meurtre et qu'il ait été
maintenu en détention avant d'être inculpé et condamné pour le deuxième
crime. Dans les circonstances de l'affaire, le Comité estime qu'il n'y
a pas eu violation du paragraphe 2 de l'article 9 ni du paragraphe 3 de
l'article 14 du Pacte.
9.5 L'auteur affirme qu'il y a violation du paragraphe 3 de l'article
9 en ce qu'il n'a pas été traduit devant un juge après son arrestation,
le 22 décembre 1988. Ce n'est que le 31 mars 1989 qu'il a comparu devant
la Chambre de première instance de la Gun Court. Il s'est donc écoulé
plus de trois mois avant qu'il ne comparaisse devant une autorité judiciaire.
Le Comité note que l'État partie lui-même reconnaît qu'il s'est écoulé
plus de trois mois entre l'arrestation et la comparution devant un magistrat,
mais ne donne aucune explication et soutient qu'il n'y a pas eu violation
du Pacte. De l'avis du Comité, se contenter d'affirmer que la lenteur
de la procédure ne constitue pas une violation n'est pas une explication
suffisante. Le Comité conclut donc qu'il est contraire aux garanties minimales
énoncées dans le Pacte d'attendre trois mois avant de traduire un accusé
devant une autorité judiciaire. En conséquence, il conclut qu'en l'espèce
il y a eu violation du paragraphe 3 de l'article 9.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation des articles 7, 10, paragraphe
1 et 9, paragraphes 1 et 3 du Pacte.
11. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
a l'obligation d'assurer à M. Leehong un recours utile, sous la forme
d'une indemnisation. Il est tenu de veiller à ce que des violations analogues
ne se reproduisent pas à l'avenir.
12. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le
Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou non violation du
Pacte. La présente affaire a été communiquée pour examen avant que la
dénonciation du Protocole facultatif par la Jamaïque ne prenne effet,
le 23 janvier 1998; celui-ci, selon le paragraphe 2 de l'article 12 dudit
Protocole, continue d'être applicable à la communication. Conformément
à l'article 2 du Pacte, l'État partie s'est engagé à garantir à tous les
individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction
les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire
lorsqu'une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État
partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures
prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est également
prié de publier les constatations du Comité.
____________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra N. Bhagwati,
Mme Christine Chanet, Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer,
M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fauto Pocar, M. Martin
Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell
Yalden et M. Abdallah Zakhia./
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]