Présentée par : Samuel Thomas (représenté par M. Jan Cohen, cabinet
Mishcon de Reya)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 5 janvier 1995 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 mars 1999,
Ayant achevé l'examen de la communication No 614/1995 présentée
au Comité des droits de l'homme au nom de M. Samuel Thomas en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques,
Ayant pris en considération toutes les informations qui lui ont
été présentées par écrit par l'auteur de la communication, son conseil
et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations énoncées en vertu du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Samuel Thomas, citoyen jamaïcain
qui, au moment de la présentation de la communication, était en attente
d'exécution à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque). Il se
déclare victime d'une violation par la Jamaïque des articles 6, 7, 9,
10, 14 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par Jan Cohen, du cabinet Mishcon de Reya. Il a depuis
lors bénéficié d'une commutation de peine.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 25 avril 1990, l'auteur et trois coïnculpés 1/
Parmi les coïnculpés figuraient Hixford Morrison et Byron Young, sur les
communications desquels le Comité des droits de l'homme s'est déjà prononcé.
Communication No 611/1995 (décision adoptée le 31 juillet 1998) et communication
No 615/1995 (décision adoptée le 4 novembre 1997)./ ont été reconnus coupables
du meurtre (entraînant la peine de mort) d'un certain Elijah McLean, commis
le 24 janvier 1989, et ont été condamnés à mort. La cour d'appel de la
Jamaïque a rejeté leur pourvoi le 16 mars 1992. Le 6 juillet 1994, la
section judiciaire du Conseil privé a rejeté la demande d'autorisation
spéciale de former recours présentée par l'auteur. Selon l'auteur, tous
les recours internes ont ainsi été épuisés. Comme suite à l'adoption de
la loi de 1992 portant modification de la loi sur les atteintes aux personnes,
une distinction est faite en Jamaïque entre les meurtres, selon qu'ils
emportent ou pas la peine de mort; en conséquence, les sentences prononcées
contre toutes les personnes reconnues coupables de meurtre ont été réexaminées
et reclassées en fonction du nouveau système. C'est ainsi qu'il a été
reconfirmé que l'infraction commise par l'auteur était un meurtre emportant
la peine de mort.
2.2 La thèse de l'accusation était la suivante : les quatre accusés appartenaient
à un groupe de sept individus qui avaient pénétré au domicile d'Elijah
McLean le 24 janvier 1989, à --l'aube, l'avaient tiré de son lit et l'avaient
traîné jusque dans la cour de sa maison et lui avaient donné plusieurs
coups de machette jusqu'à ce que mort s'ensuive.
2.3 La pièce maîtresse de l'accusation était le témoignage de trois membres
de la famille de la victime, âgés de 11, 14 et 17 ans, qui vivaient à
son domicile. D'après leur témoignage, ils avaient été réveillés par des
bruits provenant de la pièce où dormaient la victime et son épouse de
facto. Ils étaient allés jusqu'à la porte et avaient vu l'un des coïnculpés
de l'auteur (Byron Young) portant une lampe de poche dans une main et
une arme à feu braquée sur la victime dans l'autre. Six autres hommes,
parmi lesquels ils ont reconnu l'auteur, tous armés de machettes, se tenaient
à c_té du lit de la victime et l'un d'eux lui avait donné un coup de machette
sur le front. Les sept hommes avaient alors tiré la victime de son lit
et l'avait portée dehors. Elle s'était accrochée à la porte et avait reçu
un coup de machette sur la main. Les témoins ont ajouté que, dans la cour,
la victime avait reçu plusieurs coups de machette portés par six des agresseurs,
dont l'auteur, tandis que le septième, Byron Young, se tenait au milieu
du groupe, son arme toujours à la main. Les sept hommes étaient alors
partis.
2.4 Le moyen de défense développé par l'auteur était l'alibi. Il a fait
une déclaration depuis le banc des accusés sans prêter serment, affirmant
qu'il n'était pas sur les lieux du crime et qu'il ignorait ce qui s'était
passé. Le seul problème à résoudre était donc celui de l'identification
et la défense s'est attachée essentiellement à mettre en question la crédibilité
des témoins et la possibilité qu'ils avaient, compte tenu de l'éclairage
dans la pièce et dans la cour au moment des faits, de reconnaître l'accusé.
2.5 À l'issue de l'exposé final du juge, le jury s'est retiré à 14 h
31; il est revenu dans la salle à 15 h 14 pour annoncer qu'il n'était
pas parvenu à rendre un verdict à l'unanimité. Le juge a alors déclaré
qu'à ce stade il ne pouvait accepter qu'un verdict unanime et le jury
s'est à nouveau retiré à 15 h 16. Il est revenu à 16 h 27 et le président
a déclaré qu'il n'y avait toujours pas l'unanimité parmi les membres du
jury. Le juge s'est alors adressé au jury en ces termes : "Malheureusement
dans cette affaire je ne peux pas accepter un verdict majoritaire car
il s'agit d'un meurtre et votre verdict doit être unanime dans un sens
ou dans l'autre. [...] Aucun de vous ne doit trahir le serment qu'il a
fait de rendre un verdict en toute bonne foi, mais afin d'aboutir à une
décision collective, c'est-à-dire une décision que vous approuvez tous,
il faut nécessairement faire quelques concessions. Vous devez discuter
[...], mais vous devez aussi envisager de changer d'avis. Chacun d'entre
vous doit écouter le point de vue des autres et ne pas exposer le sien
de façon péremptoire [...]. Aucun de vous ne devrait refuser d'écouter
les arguments des autres. Si l'un de vous a une opinion tranchée ou si
au contraire il est dans l'incertitude, il n'a ni l'obligation ni le droit
de renoncer à son point de vue et de se rallier à la majorité, mais ce
que je vous demande, c'est d'exposer vos arguments et d'examiner la question
tous ensemble pour voir si vous pourriez arriver à un verdict unanime".
Le président du jury a alors posé au juge une question au sujet des éléments
de preuve et, ayant reçu les explications demandées, le jury s'est retiré
à 16 h 41. Il est revenu à 17 h 30 et le président a annoncé que les jurés
reconnaissaient à l'unanimité la culpabilité des quatre accusés.
2.6 Le conseil transmet des déclarations sous serment de Terence Douglas
et de Daphne Harrison, deux membres du jury qui ont assisté à tout le
procès et étaient présents lors des délibérations du jury :
a) Dans sa déclaration sous serment, datée du 3 mai 1990, Terence Douglas
déclare ce qui suit : "[...] Le dernier jour du procès, trois jurés
seulement - sur les 12 membres du jury - ont déclaré ces hommes coupables.
Comme il se faisait tard et que le président nous pressait de conclure,
nous lui avons dit de faire comme il voulait. Le président s'est levé
à 18 h 10 et a déclaré que les quatre hommes avaient été reconnus coupables.
[...] Après la levée de l'audience, je suis sorti et je me suis mis à
pleurer car je savais que ces quatre hommes étaient innocents, bien que
je ne les aie jamais vus avant le premier jour du procès. J'aimerais que
le Conseil [des droits de l'homme de la Jamaïque] demande une révision
du procès car ces hommes n'ont pas bénéficié d'un procès équitable";
b) Dans sa déclaration sous serment datée du 12 juin 1990, Daphne Harrison
a déclaré "[...] Lors de la première séance de délibération du jury,
nous étions neuf à penser que les témoignages étaient tellement faibles
et contradictoires qu'il n'y avait pas de raison que ces hommes ne soient
pas acquittés. Quand le président a annoncé au tribunal que les jurés
ne parvenaient pas à rendre un verdict unanime, le juge du fond s'est
à nouveau adressé à nous. Toutefois, lors de la deuxième séance de délibération,
la situation était toujours la même. À la dernière séance, nous étions
tous les neuf campés sur nos positions, estimant sincèrement que les preuves
étaient insuffisantes. Cependant, comme il se faisait tard et que nous
voulions tous rentrer chez nous et que, de plus, nous ne voyions pas de
solution, nous avons dit au président et aux deux autres membres du jury
: 'D'accord, faites ce que vous voulez mais sachez que nous ne sommes
pas favorables à un verdict de culpabilité'". Le président a alors
dit : "J'espère seulement qu'une fois dans la salle, aucun de vous
ne dira quoi que ce soit". Mme Harrison ajoute : "Je suis prête
à répéter cette déclaration à tout moment devant n'importe quel tribunal
si on me le demande".
2.7 L'avocat de l'auteur a interjeté appel devant la cour d'appel de
la Jamaïque le 1er mai 1990. Les moyens d'appel des quatre coaccusés étaient
les suivants : le juge du fond, dans ses instructions au jury, n'avait
pas fait ressortir certaines incohérences dans les dépositions des témoins
à charge, il avait dit au président et aux membres du jury que leur verdict
devait être unanime dans un sens ou dans l'autre, ce qui avait eu pour
effet d'inciter le jury à rendre un verdict de culpabilité, et n'avait
pas donné des instructions appropriées quant à la question des déclarations
faites par les quatre coaccusés sans prêter serment. Comme indiqué plus
haut, la cour d'appel a rejeté les quatre pourvois le 16 mars 1992.
2.8 La demande d'autorisation spéciale de recours devant la section judiciaire
du Conseil privé présentée par l'auteur était fondée notamment sur les
motifs suivants :
a) Le juge du fond avait induit les jurés en erreur en insistant trop
sur la nécessité de rendre une décision unanime et en ne soulignant pas
assez qu'ils avaient le droit et le devoir de ne pas être d'accord de
sorte que le jury s'était senti obligé de rendre un verdict unanime;
b) Il y avait eu une irrégularité matérielle puisque le président du
jury avait annoncé à tort et de façon abusive qu'un verdict de culpabilité
avait été rendu à l'unanimité contre l'auteur alors que sur les 12 membres
du jury, neuf s'étaient prononcés pour l'acquittement de l'auteur.
2.9 Le conseil signale que la question de l'irrégularité matérielle pendant
les délibérations du jury et des pressions exercées sur eux pour qu'ils
rendent un verdict unanime a été soulevée devant le Conseil privé.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil souligne que, depuis sa condamnation, le 25 avril 1990,
l'auteur est détenu dans le quartier des condamnés à mort de la prison
du district de St. Catherine. Il affirme qu'exécuter l'auteur maintenant,
après une attente de plus de six ans, constituerait une violation de l'article
7 du Pacte, car un tel délai ferait de l'exécution un traitement cruel,
inhumain et dégradant, ainsi qu'il a été reconnu dans les affaires Pratt
et Morgan c. the Attorney-General of Jamaica 2/
Décision du Conseil privé de Jamaïque rendue le 2 novembre 1993 (recours
No 10 de 1993)./, Catholic Commission for Justice and Peace in Zimbabwe
c. the Attorney-General of Zimbabwe 3/ Arrêt
No SC. 73/93 de la Cour suprême du Zimbabwe, rendu le 24 juin 1993./ et
Soering c. Royaume-Uni 4/ 1989, II EHRR
439./. Le conseil ajoute que l'auteur a déjà été soumis à des peines ou
traitements cruels, inhumains et dégradants du fait qu'il est détenu depuis
si longtemps dans le quartier des condamnés à mort de la prison du district
de St. Catherine, où les conditions d'incarcération sont effroyables.
3.2 À propos de l'article 9, le conseil se réfère aux longueurs de la
procédure judiciaire dont l'auteur fait l'objet, qui sont imputables à
l'État partie. Il relève qu'il s'est écoulé près de 14 mois entre l'arrestation
de l'auteur (27 février 1989) et son jugement (23 au 25 avril 1990), qu'une
nouvelle période d'environ 23 mois s'est écoulée entre sa condamnation
(25 avril 1990) et le rejet de son recours (16 mars 1992) et que l'auteur
a dû à nouveau attendre près de 10 mois entre le moment où les avocats
londoniens ont accepté de le représenter (13 mai 1992) et la date à laquelle
il a reçu le compte rendu d'audience et l'arrêt écrit de la cour d'appel
(8 mars 1993), pièces qui lui étaient nécessaires pour déterminer s'il
y avait matière à former recours devant la section judiciaire du Conseil
privé. À ce propos, le conseil signale qu'il a demandé à plusieurs reprises
aux autorités judiciaires jamaïcaines les pièces du dossier de l'auteur.
3.3 Le conseil fait observer que l'auteur a été maintenu en détention
depuis le jour de son arrestation (27 février 1989) jusqu'au jour de sa
condamnation (25 avril 1990) et que, pendant toute cette période, il n'a
pas été séparé des condamnés ni soumis à un traitement distinct correspondant
à sa situation de prévenu ce qui constitue une violation de l'article
10 du Pacte. En outre, l'auteur affirme que, pendant sa détention, il
n'a pas été autorisé à recevoir des visites ainsi qu'il en avait le droit
et a été battu par des policiers et menacé d'autres violences physiques.
3.4 Le conseil dénonce une violation du droit à un procès équitable, étant
donné que la procédure a été entachée d'irrégularités, le président du
jury ayant annoncé à tort et de façon abusive qu'un verdict unanime de
culpabilité avait été rendu contre l'auteur alors que 9 des 12 jurés étaient
favorables à l'acquittement. À ce propos, le conseil se réfère aux déclarations
sous serment des deux jurés citées plus haut. Le fait que la cour d'appel
n'ait pas reconnu ni rectifié les erreurs et omissions commises par le
juge du fond lorsqu'il a expliqué au jury qu'il devait rendre un verdict
unanime dans un sens ou dans l'autre, constitue aux yeux du conseil une
grave injustice, en violation de l'article 14 du Pacte.
3.5 Le conseil affirme en outre que le juge du fond a manqué à son devoir
d'impartialité en insistant exagérément sur le fait que le jury devait
prendre une décision unanime et en n'indiquant pas aux jurés qu'ils avaient
le droit et le devoir d'être en désaccord. Il réaffirme que le juge du
fond, en disant qu'il ne pouvait en aucun cas accepter un verdict majoritaire
(contrairement à ce qu'il avait laissé entendre au jury lorsque ce dernier
était revenu dans la salle pour la première fois, à savoir qu'il ne pouvait
accepter, à ce stade, un verdict qui n'était pas unanime) a contraint
les jurés à accepter hâtivement le verdict unanime dont le président du
jury a donné lecture.
3.6 Le conseil fait observer que l'avocat de l'auteur a déposé un recours
le 1er mai 1990 et qu'il a fallu 22 mois à la cour d'appel pour examiner
et rejeter ce pourvoi, ce qui est selon lui contraire aux dispositions
du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
3.7 Il rappelle les conclusions du Comité selon lesquelles l'imposition
de la peine capitale à l'issue d'un procès au cours duquel les dispositions
du Pacte ont été violées constitue une violation de l'article 6 du Pacte,
s'il n'existe aucune autre possibilité de recours contre cette condamnation.
En l'occurrence, plus aucun recours n'est ouvert et, la condamnation définitive
à mort ayant été prononcée sans que les conditions énoncées dans le Pacte
soient respectées, il y a eu violation de l'article 6.
3.8 Enfin, pour ce qui est de l'allégation de violation de l'article
17, l'auteur affirme qu'il est l'objet d'immixtions répétées et illégales
dans sa correspondance de la part des gardiens de la prison. Ainsi les
lettres qu'il a envoyées ne seraient pas parvenues à leurs destinataires.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
4. Par une lettre du 18 mai 1995, l'État partie a fait part de ses observations
sur le fond de la communication afin d'accélérer l'examen de l'affaire.
Il s'est engagé à informer le Comité des résultats des enquêtes qu'il
devait mener au sujet de plusieurs allégations de l'auteur mais les renseignements
promis n'ont toujours pas été reçus.
5. Le 28 juillet 1995, le conseil de l'auteur a objecté à ce que la communication
soit examinée en même temps du point de vue de la recevabilité et du fond,
car l'État partie n'avait pas répondu à toutes les questions soulevées
dans la communication. Le conseil n'en a pas moins adressé des commentaires
sur les aspects qui ont été abordés par l'État partie.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 Pendant sa cinquante-huitième session, le Comité des droits de --l'homme
a examiné la question de la recevabilité de la communication.
6.2 Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était
pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
6.3 En ce qui concerne l'épuisement des recours internes requis en vertu
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité note
que la cour d'appel a débouté l'auteur et que le Conseil privé a rejeté
sa demande d'autorisation spéciale de former recours. Par conséquent,
pour ce qui est de l'allégation de l'auteur qui affirme que son procès
n'a pas été équitable en raison des irrégularités matérielles qui ont
entaché les délibérations du jury, de la façon dont le verdict a été prononcé
et des instructions données au jury par le juge, lequel a demandé aux
jurés de rendre un verdict à l'unanimité, le Comité n'a pas de doute que
les recours internes ont été épuisés aux fins du Protocole facultatif.
Il considère de plus que les allégations soulèvent des questions au regard
de l'article 14 du Pacte, et, partant, de l'article 6, qui doivent être
examinées quant au fond.
6.4 En ce qui concerne la détention dans le quartier des condam-nés à
mort, dont l'auteur affirme qu'elle représente une violation des articles
7 et 10 du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle la
détention dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas en soi
un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l'article 7 et du
paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, en l'absence d'autres circonstances
impérieuses. Le Comité constate que l'auteur n'a pas montré en quoi précisément
la façon dont il était traité relevait des articles 7 et 10 du Pacte.
Cette partie de la communication est donc irrecevable au titre de l'article
2 du Protocole facultatif.
6.5 Pour ce qui est de la longueur excessive des procédures d'appel dont
se plaint l'auteur, le Comité estime que celui-ci et son conseil ont suffisamment
montré, aux fins de la recevabilité, que l'intervalle de 23 mois entre
la condamnation et le rejet du pourvoi peut soulever des questions au
titre des paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14 du Pacte qui devraient
être examinées quant au fond.
6.6 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur qui affirme avoir été
victime de mauvais traitements pendant sa détention avant jugement et
ne pas avoir été séparé des condamnés, le Comité estime que ces griefs
peuvent soulever des questions au titre de l'article 10 du Pacte, en attendant
d'avoir connaissance des résultats des enquêtes ouvertes par l'État partie.
6.7 En ce qui concerne les immixtions arbitraires dans sa correspondance
dont, selon son conseil, l'auteur aurait fait l'objet, en violation du
paragraphe 1 de l'article 17, le Comité considère que ni l'auteur ni son
conseil n'ont suffisamment étayé cette allégation aux fins de la recevabilité
au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.8 En conséquence, le 17 octobre 1996, le Comité des droits de l'homme
a déclaré la communication recevable dans la mesure où elle semblait soulever
des questions au titre de l'article 6, du paragraphe 3 de l'article 9,
de l'article 10 et des paragraphes 1, 3 c) et 5 de l'article 14.
Observations de l'État partie sur le fond et commentaires du conseil
7.1 Dans une lettre datée du 6 juin 1997, l'État partie a fait savoir
au Comité qu'il n'avait pas pu enquêter sur l'allégation selon laquelle
l'auteur avait été battu par un policier, faute de précision, notamment,
sur le lieu de la détention, le moment où ces incidents se seraient produits
et, éventuellement, le ou les noms du ou des policiers en question. Tant
qu'il ne recevrait pas ces précisions, l'État partie se verrait dans l'impossibilité
d'enquêter sur lesdites allégations.
7.2 En ce qui concerne le fait que, selon ses dires, l'auteur n'était
pas séparé des condamnés pendant sa détention, l'État partie fait valoir
que, comme l'auteur parle de "détention par la police" ("police
detention"), il doit s'agir d'un poste de police ou de locaux pour
la détention provisoire des personnes en instance de jugement. Les condamnés
ne sont pas détenus dans ce type de locaux, sauf en cas de retard dans
leur transfert vers un établissement pénitentiaire pour l'exécution des
peines. Le Comité est invité à noter que, dans la commune où l'auteur
a été jugé, Clarendon, il n'existe pas d'établissement pénitentiaire où
des condamnés peuvent être détenus sans risques sérieux pour la sécurité.
7.3 L'État partie nie que l'intervalle de 23 mois qui s'est écoulé entre
la condamnation et le rejet du recours constitue une violation des paragraphes
3 c) et 5 de l'article 14 du Pacte, tout en reconnaissant qu'une période
moins longue serait souhaitable.
7.4 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle le procès de l'auteur
n'a pas été équitable en raison d'irrégularités matérielles qui auraient
entaché les délibérations du jury, de la manière dont les jurés sont parvenus
à leur verdict et des instructions données par le juge du fond au jury,
auquel il a enjoint de rendre un verdict unanime, l'État partie fait valoir
que la question des instructions données par le juge au jury a été examinée
par deux cours d'appel. L'État partie estime également que, selon la jurisprudence
du Comité, il appartient aux cours d'appel d'examiner les instructions
données par le juge, et que seule la présence de circonstances particulières
amène le Comité à se pencher sur cette question. L'État partie considère
que les circonstances particulières définies par le Comité n'existent
pas en l'espèce et affirme par conséquent que cette question ne relève
pas de la compétence du Comité.
7.5 Quant à la question des délibérations du jury et de la manière dont
celui-ci est parvenu à un verdict, l'État partie nie que cela constitue
une violation du Pacte dont l'État partie puisse être tenu pour responsable.
Les membres du jury connaissaient bien leurs obligations et ont à l'évidence
bien compris les instructions du juge; ils ont décidé de ne pas en tenir
compte. Ils savaient qu'ils pouvaient être en désaccord si leur opinion
était bien arrêtée, mais n'ont pas choisi cette solution. Il n'est pas
justifié de dire que l'État partie est responsable parce que certains
jurés, fatigués, voulaient rentrer chez eux et n'ont par conséquent pas
osé affirmer qu'ils n'étaient pas convaincus de la culpabilité de l'auteur.
Les jurés savaient que l'on jugeait un homme qui, s'il était reconnu coupable,
risquait la mort. S'ils n'ont pas agi selon leur conscience et leur conviction,
après avoir entendu les témoignages, l'État ne peut en être tenu pour
responsable. L'État partie affirme en outre que le système du jury est
fondé sur l'hypothèse selon laquelle, après avoir entendu tous les témoignages,
sans parti pris, les jurés rendront un verdict de bonne foi fondé sur
l'opinion qu'ils se sont faite à partir des témoignages en question. Lorsque
des jurés décident d'agir autrement, pour des raisons qui leur sont propres,
la faute n'en incombe pas à l'État.
8. Par une lettre datée du 14 janvier 1998, le conseil a posé plusieurs
questions à l'État partie au sujet de ses propres observations sur la
lettre de l'État partie concernant la recevabilité. Il a demandé confirmation
du fait qu'une enquête préliminaire avait eu lieu, et un complément d'information
sur le moment où M. Thomas a été présenté à un juge et sur les indices
sérieux rassemblés contre l'auteur. Il a également demandé des précisions
au sujet des enquêtes que l'État partie prétendait mener sur les allégations
selon lesquelles l'auteur aurait été battu et aurait été détenu avec des
condamnés alors qu'il n'avait pas encore été jugé. Le conseil a également
demandé des éclaircissements sur ce que peut dire l'État partie lorsqu'il
déclare que dans la commune où l'auteur était détenu, il n'existait pas
d'établissement de détention pour les condamnés.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises
par les parties, comme il y est tenu par le paragraphe 1 de l'article
5 du Protocole facultatif.
9.2 L'auteur a formulé deux plaintes au titre de l'article 10 du Pacte,
en invoquant a) les mauvais traitements subis pendant qu'il était détenu
par la police et b) le fait d'avoir été détenu avec des condamnés. Le
Comité note que les allégations de l'auteur concernant les mauvais traitements
qu'il aurait subis pendant qu'il était détenu par la police sont très
imprécises (voir par. 3.3 ci-dessus) et estime qu'il est de la responsabilité
de la victime supposée de fournir suffisamment de précisions afin que
l'État partie intéressé puisse enquêter à ce sujet. À cet égard, le Comité
note également que l'État partie a de fait demandé un complément d'information
afin de pouvoir enquêter sur les plaintes. De l'avis du Comité, les précisions
apportées par l'auteur et son conseil quant aux conditions décrites au
paragraphe 3.3 sont insuffisantes pour permettre à l'État partie d'enquêter
efficacement. En conséquence, le Comité considère que ni l'auteur ni son
conseil n'ont apporté suffisamment d'éléments établissant le bien-fondé
d'une plainte au titre de l'article 3 du Pacte en ce qui concerne la violation
présumée du paragraphe 1 de l'article 10.
9.3 L'auteur a affirmé qu'il n'était pas séparé des condamnés lorsqu'il
était détenu par la police, mais n'en a apporté aucune preuve. Le Comité
note que l'État partie a indiqué que dans la commune où l'auteur a été
jugé, il n'existait pas d'établissement adapté pour la détention des condamnés.
Le Comité considère que la plainte de l'auteur est insuffisamment fondée
au vu de la réponse apportée par l'État partie et de l'information dont
il dispose. Le Comité ne peut pas conclure qu'il y ait eu violation du
paragraphe 2 de l'article 10 du Pacte.
9.4 La question que doit trancher le Comité au sujet de l'article 14
est celle de savoir si le fait que le juge ait exigé que les jurés rendent
un verdict unanime et les irrégularités matérielles qui auraient entaché
les délibérations du jury constituaient une violation du Pacte. Le Comité
observe que la question de l'exposé final du juge dans lequel il a exigé
que les jurés rendent un verdict unanime a été examinée par la cour d'appel
de la Jamaïque et par la section judiciaire du Conseil privé, qui ont
l'une et l'autre considéré les instructions du juge comme acceptables.
Il n'appartient pas au Comité d'examiner les conclusions de ces deux organes,
étant donné que rien n'indique que leurs conclusions aient été arbitraires
ou qu'elles aient représenté un déni de justice. En conséquence, il n'y
a pas eu violation de l'article 14 du Pacte.
9.5 L'auteur a fait valoir que le délai de 23 mois qui sépare sa condamnation
de l'audience en appel constitue une violation des paragraphes 3 c) et
5 de l'article 14 du Pacte. Le Comité rappelle que toutes les garanties
prévues à l'article 14 du Pacte doivent être strictement respectées dans
toute procédure pénale, en particulier dans les affaires où l'accusé est
passible de la peine de mort et note, en ce qui concerne la période de
23 mois qui s'est écoulée entre le procès et l'appel, que l'État partie
a reconnu que cela constituait un retard malencontreux sans donner aucune
explication. En l'absence de circonstances justifiant ce retard, le Comité
considère qu'il y a eu en l'espèce violation de l'alinéa c) du paragraphe
3, lu conjointement avec le paragraphe 5, de l'article 14 du Pacte.
9.6 En revanche, s'agissant du délai de près de 14 mois qui s'est écoulé
entre l'arrestation de l'auteur (le 27 février 1989) et son procès (du
23 au 25 avril 1990), le Comité note que l'État partie n'a pas abordé
cette question mais il considère néanmoins que ce retard, compte tenu
de l'ensemble des faits de l'espèce, ne constitue pas une violation du
paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation de l'alinéa c) du paragraphe 3
et du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques.
11. Aux termes de l'alinéa a) du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte,
l'État partie a l'obligation d'assurer à M. Samuel un recours utile sous
la forme d'une indemnisation. L'État partie est tenu de veiller à ce que
des violations similaires ne se reproduisent pas à l'avenir.
12. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le
Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation
du Pacte. La Communication a été soumise à l'examen du Comité avant que
la dénonciation du Protocole facultatif par la Jamaïque n'ait pris effet
le 23 janvier 1998; conformément au paragraphe 2 de l'article 12 du Protocole
facultatif, les dispositions du Protocole facultatif continuent de lui
être applicables. Conformément à l'article 2 du Pacte, l'État partie s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le
Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
L'État partie est aussi prié de publier les constatations du Comité.
________________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M.
Prafullachandra N. Bhagwati, M. Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet,
Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart
Klein, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen,
M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
également en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité
à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle (dissidente) de M. Hipólito Solari Yrigoyen,
membre du Comité
On trouvera ci-après le texte des paragraphes 6.4 et 9.4
tels qu'ils auraient dû être libellés selon M. Hipólito Solari Yrigoyen
6.4 L'avocat de l'auteur a affirmé que la détention de celui-ci dans
le quartier des condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine
constitue un traitement cruel et inhumain, en raison tout à la fois du
temps qu'il y a passé et des conditions générales de détention, qu'il
a décrites au paragraphe 3.1 comme étant "effroyables". À cet
égard, il convient de relever que si, conformément à la jurisprudence
du Comité, le temps n'est pas un élément qui peut faire que la détention
constitue une violation du Pacte, il en est autrement des conditions de
détention. Dans le cas d'espèce, l'État n'a pas réfuté les allégations
précises concernant le traitement subi par l'auteur, en violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, et il n'a fourni aucun
renseignement sur ce point, alors même que le paragraphe 2 de l'article
4 du Protocole facultatif lui fait obligation de le faire. Qui plus est,
dans le cas d'espèce, l'État partie ne s'est pas acquitté de l'obligation
qui lui incombe d'indiquer si le régime pénitentiaire et le traitement
du détenu sont conformes aux dispositions de l'article 10 du Pacte. Ces
faits importants font que le plaignant devrait avoir gain de cause. Le
Comité considère que l'auteur a été la victime d'un traitement cruel qui
le prive du respect de la dignité inhérente à la personne humaine, en
violation des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques susmentionnées dans le présent paragraphe.
9.4 Le Conseil de l'auteur considère que le droit de celui-ci à un procès
équitable a été violé, en contradiction avec l'article 14 du Pacte. Il
affirme, au paragraphe 3.4, que le président du jury a commis une "irrégularité"
en annonçant à tort un verdict unanime de culpabilité, et il fait valoir,
au paragraphe 3.5, que le juge du fond a manqué à son devoir d'impartialité
en insistant exagérément sur le fait que le jury devait prendre une décision
unanime et en n'indiquant pas aux jurés qu'ils avaient le droit et le
devoir d'être en désaccord, ainsi qu'en disant qu'il ne pouvait en aucun
cas accepter un verdict majoritaire. L'État partie fait observer qu'il
ne saurait être tenu responsable si les membres du jury n'ont pas agi
selon leur conscience et leur conviction, après avoir entendu les témoignages,
et il nie donc qu'il y ait eu une violation qui lui soit imputable. Il
soutient que lorsque des jurés, pour des raisons qui leur sont propres,
ne rendent pas un verdict de bonne foi fondé sur l'opinion qu'ils se sont
faite à partir des témoignages en question, la faute n'en incombe pas
à l'État. Nonobstant ces arguments, il faut faire observer que l'État
est tenu de veiller à ce que des cours de justice compétentes, indépendantes
et impartiales, établies par la loi, décident du bien-fondé de toute accusation
en matière pénale, conformément à l'article 14 du Pacte.
Il ressort des déclarations sous serment des jurés Terence Douglas et
Daphne Harrison, que le conseil de l'auteur a signalées au Comité et que
l'État partie n'a pas réfutées, que ledit président a agi de manière irrégulière
en faisant pression sur les jurés afin qu'ils rendent un verdict unanime,
alors que neuf d'entre eux estimaient que l'auteur n'était pas coupable
et trois seulement étaient d'un avis contraire, et que, par ailleurs,
le changement apporté à l'annonce du verdict montre que l'auteur n'a pas
bénéficié de la procédure régulière que l'article 14 du Pacte accorde
aux accusés dans les affaires pénales. Ce fait est d'autant plus grave
que le verdict annoncé comme étant celui auquel le jury était parvenu
revient à une condamnation à mort de l'accusé. La confirmation du verdict
par la cour d'appel tend à accréditer le point de vue selon lequel l'accusé
n'a pas eu un procès équitable. De l'avis du Comité, les irrégularités
décrites plus haut constituent une violation des droits visés à l'article
14 du Pacte.
[Fait en anglais, en espagnol (version originale) et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]