University of Minnesota



Byron Young c. Jamaïque, Communication No. 615/1995, U.N. Doc. CCPR/C/61/D/615/1995/Rev.1 (1997).



Communication No 615/1995 **


Présentée par : Byron Young [représenté par le cabinet d'avocats londonien Kingsley Napley]

Au nom de : L'auteur

Etat partie : Jamaïque

Date de la communication : 13 janvier 1995 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 4 novembre 1997,

Ayant achevé l'examen de la communication No 615/1995, présentée au Comité par M. Byron Young en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'Etat partie,

Adopte les constatations suivantes :


Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5

du Protocole facultatif


1. L'auteur de la communication est Byron Young, de nationalité jamaïcaine; au moment où la communication a été présentée, il était en attente d'exécution à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque). Il se déclare victime d'une violation par la Jamaïque des articles 6, 7, 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. David Smythe, du cabinet d'avocats Kingsley Napley, à Londres. Le 8 septembre 1995, le conseil a informé le Comité que la peine de mort à laquelle son client avait été condamné avait été commuée en peine d'emprisonnement à vie.

Rappel des faits présentés par l'auteur

2.1 Le 25 avril 1990, l'auteur et trois coïnculpés ont été reconnus coupables du meurtre d'un certain Elijah McLean, commis le 24 janvier 1989, et ont été condamnés à mort. La cour d'appel de la Jamaïque les a déboutés de leur appel le 16 mars 1992. Le 11 janvier 1995, la section judiciaire du Conseil privé a rejeté la demande d'autorisation spéciale de recours présentée par l'auteur. Selon l'auteur, tous les recours internes ont donc été épuisés. Par la suite, le délit dont l'auteur avait été reconnu coupable a été qualifié de meurtre emportant la peine capitale conformément à la loi de 1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes.

2.2 La thèse présentée par l'accusation au procès était que les quatre accusés faisaient partie d'un groupe de sept individus qui avaient pénétré au domicile de la victime le 24 janvier 1989, à l'aube, l'avaient tirée hors de son lit et jusque dans la cour de sa maison et lui avaient donné plusieurs coups de machette, jusqu'à ce que mort s'ensuive.

2.3 La pièce maîtresse de l'accusation était le témoignage de trois membres de la famille de la victime, âgés de 11, 14 et 17 ans au moment du crime et qui vivaient à son domicile. D'après leur témoignage, ils avaient été réveillés par des bruits provenant de la pièce où dormaient la victime et son épouse de facto. Ils étaient allés jusqu'à la porte et avaient vu l'auteur - qu'ils connaissaient - tenant d'une main une lampe de poche et de l'autre une arme à feu braquée sur la victime. Six autres hommes armés de machettes se tenaient aussi à côté du lit de la victime et l'un d'eux lui avait donné un coup de machette sur le front. Les sept hommes avaient alors tiré la victime du lit et l'avaient portée dehors. La victime s'était accrochée à l'une des portes et avait reçu un coup de machette sur la main. Les témoins ont ajouté que dans la cour, la victime avait reçu plusieurs coups de machette portés par six des agresseurs, tandis que l'auteur se tenait au milieu du groupe, son arme à feu toujours à la main. Les sept hommes étaient alors partis.

2.4 La défense de l'auteur était fondée sur un alibi. Il a fait une déclaration du banc des accusés sans prêter serment, indiquant simplement qu'il ne savait rien du meurtre. Le seul problème à résoudre était donc celui de l'identification et la défense s'est attachée essentiellement à mettre en question la crédibilité des témoins et la possibilité qu'ils avaient, vu les conditions d'éclairage dans la pièce et dans la cour au moment des faits, de reconnaître l'auteur et le coïnculpé. Au procès, l'auteur était représenté par un avocat commis d'office. Aucun témoin à décharge n'a été cité à comparaître.

2.5 A l'issue de l'exposé final du juge, le jury s'est retiré à 14 h 31. Il est revenu dans la salle à 15 h 14 pour informer le juge qu'il n'était pas parvenu à rendre un verdict unanime. Le juge a répondu qu'il ne pouvait à ce stade accepter qu'un verdict unanime et le jury s'est à nouveau retiré à 15 h 16. Il est revenu à 16 h 27 et le Président a annoncé à nouveau qu'il n'y avait toujours pas l'unanimité parmi les membres du jury. Le juge s'est alors adressé au jury en ces termes : "Il s'agit malheureusement d'une affaire dans laquelle je ne peux pas accepter un verdict majoritaire car il s'agit d'un meurtre et votre verdict doit être unanime dans un sens ou dans l'autre. [...] Aucun de vous ne doit trahir le serment qu'il a fait de rendre un verdict en toute bonne foi, mais afin d'aboutir à une décision collective, c'est-à-dire que vous approuvez tous, il faut nécessairement faire quelques concessions. Vous devez discuter [...], mais vous devez aussi [...] envisager de modifier votre point de vue. Chacun d'entre vous doit écouter le point de vue des autres et ne pas exposer le sien de façon tranchante [...]. Aucun de vous ne devrait refuser d'écouter les arguments des autres. Si l'un de vous a une opinion assurée ou s'il est au contraire dans l'incertitude, il n'a ni l'obligation ni le droit de renoncer à son point de vue et de se rallier à la majorité, mais ce que je vous demande c'est d'exposer vos arguments et d'examiner la question tous ensemble pour voir si vous pourriez arriver à un verdict unanime". Le Président du jury a alors posé au juge une question au sujet de l'appréciation des preuves et, ayant reçu les explications demandées, le jury s'est retiré pour la troisième fois à 16 h 41. Il est revenu à 17 h 30 et le Président a annoncé que les membres du jury reconnaissaient à l'unanimité la culpabilité des quatre accusés.

2.6 Le conseil transmet les déclarations sous serment de Terence Douglas et Daphne Harrison, deux membres du jury qui ont assisté à tout le procès et étaient présents lors des délibérations du jury.

2.7 Dans sa déclaration sous serment, datée du 3 mai 1990, M. Douglas déclare ce qui suit : "[...] Le dernier jour du procès, trois jurés seulement - sur les douze membres du jury - ont déclaré ces hommes coupables. Comme il se faisait tard et que le Président nous pressait de conclure, nous lui avons dit de faire ce qu'il voulait. Le Président s'est alors levé [...] et a dit qu'il estimait que les quatre hommes étaient coupables. [...] J'étais à l'intérieur, en train de parler aux trois jurés en question, lorsque le Président s'est tourné vers moi et m'a dit qu'il allait dire au juge qu'on m'avait payé pour dire qu'ils n'étaient pas coupables. Je lui ai alors répondu qu'il était libre de le faire et que je savais me défendre. Après la levée de l'audience, je suis sorti et je me suis mis à pleurer car je savais que ces quatre hommes étaient innocents [...]. J'aimerais que le Conseil des droits de l'homme de la Jamaïque demande une révision du procès car ces hommes n'ont pas bénéficié d'un procès équitable".

2.8 Dans sa déclaration sous serment datée du 12 juin 1990, Mme Harrison déclare : "[...] Lors de la première séance de délibération du jury, nous étions neuf à penser qu'en raison de la piètre qualité des témoignages et des contradictions qu'ils présentaient, il n'y avait pas de raison que ces hommes ne soient pas acquittés. Après que le Président eut annoncé au tribunal que les membres du jury ne parvenaient pas à rendre un verdict unanime, le juge du fond s'est à nouveau adressé à nous. Toutefois, lors de notre deuxième séance de délibération, la situation était toujours la même. A notre dernière séance, nous étions, tous les neuf, campés sur nos positions, estimant sincèrement que les preuves étaient insuffisantes. Cependant, comme il se faisait tard et que nous voulions tous rentrer chez nous et que, de plus, nous ne voyions aucune solution, nous avons dit au Président et aux deux autres membres du jury : 'D'accord, faites ce que vous voulez, mais sachez que nous ne sommes pas favorables à un verdict de culpabilité'. Le Président a alors dit : 'J'espère seulement qu'une fois dans la salle aucun de vous ne dira quoi que ce soit'". Mme Harrison ajoute qu'elle est prête à répéter cette déclaration à tout moment devant n'importe quel tribunal.

2.9 L'appel interjeté par l'auteur était fondé sur les motifs suivants : le juge du fond, dans ses instructions au jury, n'avait pas fait ressortir certaines incohérences dans les dépositions des témoins à charge, il avait dit aux membres du jury que leur verdict devait être unanime dans un sens ou dans l'autre, ce qui avait eu pour effet "d'inciter" le jury à prononcer un verdict de culpabilité et il n'avait pas donné d'instructions appropriées aux jurés quant à la question des déclarations faites par l'auteur et les quatre coaccusés sans prêter serment. Tous les moyens d'appel ont été rejetés.

2.10 La demande d'autorisation spéciale de recours devant la section judiciaire du Conseil privé présentée ultérieurement par M. Young était fondée notamment sur les motifs suivants :

2.11 Le conseil précise en outre que la question du vice de forme qui aurait été constaté au cours des délibérations du jury n'a pas été soulevée devant la cour d'appel de la Jamaïque, apparemment parce que l'avocat de l'auteur en appel estimait que la décision rendue par la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Lalchan Nanan v. The State / [1986] 3 AER 248./ empêchait la cour de s'interroger et de s'informer sur les délibérations du jury. Il explique également que cette question a été soulevée dans la demande d'autorisation spéciale de recours devant le Conseil privé, mais que ce dernier a refusé de l'examiner en raison du précédent que constituait sa décision dans l'affaire Nanan.

Teneur de la plainte

3.1 Le conseil affirme que les irrégularités dont ont été entachées les délibérations du jury, comme il est indiqué ci-dessus, constituent une violation des droits garantis par l'article 14 du Pacte, quelles que soient les restrictions que la jurisprudence établie et les précédents judiciaires peuvent imposer aux tribunaux de l'Etat partie.

3.2 Le conseil affirme qu'il y a eu violation du paragraphe 3 e) de l'article 14 du Pacte, étant donné que l'avocat commis d'office pour assurer la défense de l'auteur au procès n'a cité aucun témoin à décharge. Il produit à ce propos une déclaration sous serment datée du 22 octobre 1993 et signée de trois personnes qui affirment que, la nuit du meurtre, elles se trouvaient avec l'auteur de 23 heures à 4 heures du matin, dans un bar situé à une dizaine de kilomètres de l'endroit où les faits avaient eu lieu. Ces personnes insistent sur le fait que l'auteur est resté avec elles tout le temps et qu'il est donc innocent du crime pour lequel il a été jugé; elles confirment qu'elles n'ont pas été citées comme témoins au procès de l'auteur.

3.3 Le conseil indique qu'à l'époque où s'est déroulé le procès de l'auteur, il n'existait qu'une seule catégorie de meurtre, lequel était puni obligatoirement de la peine capitale. La loi de 1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes, qui a été adoptée depuis la condamnation de M. Young, distingue deux catégories de meurtres : ceux qui emportent la peine capitale et les autres. La loi de 1992 propose en son article 7 4) une classification des condamnations qui ont été prononcées avant son entrée en vigueur en deux catégories : les condamnations pour délits punis de la peine de mort et les condamnations pour délits punis d'autres peines. Le meurtre doit être classé dans la catégorie des délits entraînant la peine capitale s'il est commis, notamment, à l'occasion d'un vol qualifié, d'un vol avec effraction ou d'un cambriolage. Selon le conseil, aucun de ces motifs supplémentaires n'avait été retenu contre l'auteur à son procès et du fait que la question était sans objet à l'époque, on n'avait pas cherché à établir si d'autres infractions avaient été commises.

3.4 Conformément au paragraphe 2 de l'article 2 de la loi de 1992, est passible de la peine capitale quiconque a, de son propre fait, causé la mort d'une personne, lui a infligé ou a tenté de lui infliger des coups et blessures susceptibles d'entraîner la mort, ou a lui-même usé de violence à son égard. La question de savoir si la personne identifiée comme étant M. Young avait personnellement infligé des blessures à la victime ou avait fait directement usage de la force à son égard n'a pas été examinée au cours du procès puisqu'elle était sans objet à cette époque aux yeux de la loi. Le conseil fait observer que d'après la loi de 1992, un condamné ne peut pas produire de nouvelles preuves ou faire citer des témoins, lorsque la condamnation a été prononcée avant l'entrée en vigueur de ladite loi.

3.5 Le conseil affirme que le fait de décider, près de cinq ans après le procès, que le meurtre dont l'auteur a été accusé appartient à la catégorie de ceux qui entraînent la peine capitale, et de dénier à l'auteur le droit d'être jugé selon les critères applicables en la matière, prive celui-ci de la protection dont bénéficie une personne accusée de meurtre après l'entrée en vigueur de la loi de 1992. En outre, l'auteur a été reconnu coupable de meurtre uniquement sur la base de témoignages, et la question de savoir s'il s'agissait d'un meurtre emportant ou non la peine capitale n'a été examinée à aucun stade de la procédure. Au regard de la loi de 1992, l'auteur s'est donc vu dénier la possibilité de soumettre l'un ou l'autre des témoins à un interrogatoire sérieux dont les résultats auraient pu être déterminants pour ce qui est des motifs supplémentaires requis par la nouvelle loi pour classer un meurtre dans la catégorie de ceux qui emportent la peine capitale. Le conseil fait aussi valoir que l'auteur a été privé du droit à la présomption d'innocence en ce qui concerne les actes ou délits supplémentaires requis à cet effet (selon la nouvelle définition des meurtres emportant la peine capitale). Il affirme que de ce fait, il y a eu violation non seulement de l'article 14, mais aussi de l'article 15 du Pacte.

3.6 Le conseil affirme que l'auteur est victime d'une violation de l'article 7 en raison des conditions dans lesquelles il est détenu. L'auteur n'a droit qu'à un nombre réduit de visites, il n'est pas autorisé à travailler ou à s'instruire, et il est enfermé (dans le quartier des condamnés à mort), dans une cellule de 2 m2. Il aurait été victime de mauvais traitements de la part des gardiens, qui lui auraient notamment confisqué ses affaires, l'auraient brutalisé et auraient inondé régulièrement sa literie.

3.7 Après la commutation de la peine de l'auteur au milieu de l'année 1995, le conseil a retiré les plaintes relatives aux violations présumées de l'article 6 (privation arbitraire de la vie), de l'article 7 (détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort), et de l'article 15 du Pacte.

Observations de l'Etat partie

4.1 Dans des observations datées du 16 juin 1995, l'Etat partie admet que la communication est recevable et fait des commentaires sur le fond des plaintes présentées par l'auteur. Il réfute l'argument de l'auteur selon lequel il n'a pas bénéficié des nouveaux critères de classification des condamnations applicables en vertu de la loi de 1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes, et que s'il avait pu produire de nouvelles preuves sur certaines circonstances dans lesquelles le délit pour lequel il avait été condamné avait été commis, il aurait eu droit à une peine plus légère, conformément à l'article 15. A ce propos, l'Etat partie fait observer que l'article 2 4) de la loi de 1992 autorise les condamnés à demander un réexamen de la décision de classification dans les 21 jours qui suivent sa notification. Cet examen est effectué par trois juges de la cour d'appel, et le requérant peut comparaître en personne devant eux ou être représenté par un conseil. L'Etat partie constate que M. Young ne s'est pas prévalu de ce droit et que l'absence de réexamen de la décision de classification ne peut donc être imputable à l'Etat partie. De toute façon, ajoute l'Etat partie, la preuve de vol avec effraction figurait parmi les éléments de preuve sur la base desquels l'auteur a été condamné; or en vertu de l'article 2 de la loi de 1992, un meurtre doit être qualifié de meurtre emportant la peine capitale s'il est commis à l'occasion d'un cambriolage ou d'un vol avec effraction. En conséquence, selon la loi de 1992, le délit pour lequel l'auteur a été condamné a été classé à juste titre parmi les délits entraînant la peine capitale, et l'article 15 du Pacte ne s'applique pas.

4.2 L'Etat partie affirme qu'il ne saurait y avoir de violation du paragraphe 3 e) de l'article 14, parce qu'il n'appartient pas aux autorités de l'Etat partie d'intervenir dans la façon dont un avocat assure la défense d'un accusé. C'est à l'accusé et à son conseil qu'il appartient de se préoccuper de ces questions, et l'Etat partie ne peut donc être tenu pour responsable du fait que le représentant de M. Young n'a cité aucun témoin à décharge.

Décision concernant la recevabilité et examen quant au fond

5.1 Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient communiquées, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. Il note que l'Etat partie a admis que la communication était recevable; il estime que les griefs de l'auteur au titre de l'article 7 et de l'article 14 du Pacte sont recevables et il passe donc directement à leur examen quant au fond. Le conseil de l'auteur ayant retiré les plaintes initiales au titre des articles 6, 7 (concernant la durée de la détention de l'auteur dans le quartier des condamnés à mort) et 15, le Comité n'a plus à examiner ces questions.

5.2 Le conseil affirme que M. Young est victime d'une violation de l'article 7 étant donné qu'il a été victime de mauvais traitements de la part des gardiens, qui l'auraient notamment brutalisé et auraient à plusieurs reprises inondé sa literie. L'Etat partie n'a pas répondu à cette allégation bien qu'il ait eu la possibilité de le faire. Dans ces conditions, le Comité conclut que M. Young a été soumis à un traitement dégradant, en violation de l'article 7.

5.3 En ce qui concerne l'article 14, le Comité doit déterminer : a) si l'insistance du juge sur le fait que le jury devait rendre un verdict unanime et les irrégularités dont auraient été entachées les délibérations du jury constituent une violation du paragraphe 1 de l'article 14 et, b) si le fait que le défenseur de l'auteur n'a pas cité de témoin à décharge lors du procès constitue une violation du paragraphe 3 e) de l'article 14.

5.4 Le Comité observe que la question de l'exposé final du juge et de son insistance auprès du jury pour qu'il rende un verdict unanime a été examinée par la cour d'appel de la Jamaïque et la section judiciaire du Conseil privé et que ces deux instances ont jugé les instructions du juge acceptables. Il n'appartient pas au Comité d'examiner les conclusions de ces organes si rien n'indique qu'elles étaient arbitraires ou équivalaient à un déni de justice. En ce qui concerne les irrégularités dont les délibérations du jury auraient été entachées, le Comité prend note des déclarations sous serment des deux jurés, exposées aux paragraphes 2.7 et 2.8. Rien dans la présente affaire n'indique que le procès lui-même ait été inéquitablement mené ni que les jurés aient opposé une objection, à l'issue de l'audience, aux instructions que le juge a données au jury vers 16 h 30 le 25 avril 1990; les jurés n'ont pas davantage soulevé d'objection quand le président du jury a annoncé que le jury était parvenu à l'unanimité à un verdict de culpabilité. Etant donné qu'il existait ces possibilités d'objection, le Comité ne peut pas considérer que le refus de la section judiciaire du Conseil privé de revoir ses conclusions dans l'affaire Nanan v. The State constituerait une violation de l'article 14 du Pacte, même si le Comité n'est nullement lié par la jurisprudence d'un Etat partie.

5.5 Pour ce qui est du paragraphe 3 e) de l'article 14, il n'est pas contesté qu'aucun effort n'a été fait pour que trois témoins à décharge qui pouvaient fournir un alibi à l'auteur soient cités au procès. On ne peut partir du principe que le juge aurait rejeté une telle demande si elle avait été présentée. Toutefois, il n'apparaît pas, à la lecture des informations soumises au Comité et des minutes du procès, qu'en prenant la décision de ne pas citer de témoin à décharge, le défenseur de l'auteur ait manqué à son devoir professionnel. Dans ces circonstances, l'Etat partie ne peut pas être tenu pour responsable du fait qu'aucun témoin à décharge n'a été cité à comparaître et rien ne permet de conclure à une violation du paragraphe 3 e) de l'article 14.

6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits portés à son attention font apparaître une violation par la Jamaïque de l'article 7 du Pacte.

7. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, M. Byron Young a droit à un recours utile. Le Comité se félicite de la commutation de la peine de mort par l'Etat partie durant l'été 95 mais il estime que l'auteur a droit à une indemnisationé pour les mauvais traitements dont il a été victime pendant sa détention dans le quartier des condamnés à mort.

8. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

_______________

* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M. Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, lord Colville, M. Omran El Shafei, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Julio Prado Vallejo, M. Martin Scheinin, M. Danilo Türk, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia./

** Le texte d'une opinion individuelle signée d'un membre du Comité est joint en annexe au présent document.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]


ANNEXE


Opinion individuelle de M. Prafullachandra N. Bhagwati

J'approuve les constatations du Comité mais je souhaite ajouter mes raisons propres à celles qui sont indiquées dans les constatations.

Le Président du jury a annoncé le verdict le 25 avril 1990. Il a annoncé que le jury était parvenu à l'unanimité à un verdict de culpabilité dans le cas de tous les accusés. Aucun des deux jurés qui ont par la suite fait les déclarations sous serment pour dire qu'à leur avis les accusés n'étaient pas coupables et qu'ils n'approuvaient pas le verdict de culpabilité ne s'est présenté pour contredire le Président lorsque celui-ci a indiqué que le verdict était un verdict unanime. Si la version que les deux jurés ont donnée par la suite dans leur déclaration sous serment était correcte, on ne voit pas pourquoi ils n'ont pas fait savoir au juge que ce que le Président du jury disait n'était pas juste et que le verdict du jury n'était pas du tout unanime. La seule raison que les deux jurés ont indiquée pour expliquer qu'ils n'avaient pas contredit le Président était que celui-ci les pressait et qu'ils voulaient rentrer chez eux parce qu'il était tard. Ce motif n'est pas convaincant. Quand ils sont désignés les jurés prêtent serment et il est difficile de croire que les deux jurés aient pu se parjurer et aient laissé le Président annoncer que tous les jurés, y compris eux-mêmes, étaient parvenus à un verdict de culpabilité alors que ce n'était pas vrai, simplement parce que le Président les pressait d'en finir et qu'ils voulaient rentrer chez eux. En tout état de cause, comment le Comité peut-il ajouter foi à des déclarations faites sous serment par des personnes qui étaient prêtes à envoyer les accusés à la mort alors qu'elles ne les croyaient pas coupables, simplement parce qu'il se faisait tard et qu'elles voulaient rentrer chez elles. Il n'est donc pas possible pour moi d'accepter les déclarations sous serment des deux jurés et aucune foi ne peut être ajoutée à de telles déclarations.

Dans son exposé le conseil de l'auteur a fait valoir que, étant donné que l'Etat partie n'avait pas de son c_té fait de déclaration pour contester la véracité des déclarations sous serment des deux jurés, la teneur de ces deux déclarations devait être réputée correcte. Tout d'abord en vertu de la loi jamaïcaine, qui est la même que la loi britannique et la loi en vigueur dans les autres pays de common law où le système des procès avec jury est appliqué, on ne peut pas demander aux jurés de révéler dans quel sens ils ont voté lors du verdict. Ils ont une obligation de réserve à ce sujet. L'Etat ne pouvait donc pas demander aux autres jurés quelle avait été leur décision et ne pouvait pas faire une déclaration sur la base de ces renseignements. On ne peut donc tirer aucune conclusion du fait que l'Etat n'a pas contredit les déclarations sous serment des deux jurés. De plus, comme je l'ai indiqué plus haut, même en l'absence d'une déclaration de l'Etat, les déclarations des deux jurés sont inacceptables, du fait de leur faiblesse inhérente, et le Comité ne peut y ajouter foi.

Je ferai observer également que, selon la loi jamaïcaine telle que fixée par la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Nanan, la cour ne peut pas pénétrer dans la salle de délibérations du jury pour s'enquérir de ce qui s'y passe. La cour ne peut pas chercher à connaître les raisons du verdict tel qu'il est annoncé par le Président au nom des jurés. Toutefois, la décision prise dans l'affaire Nanan ne lie pas le Comité, qui n'est pas non plus régi par la loi jamaïcaine. Le Comité doit se faire une opinion sur la validité du verdict au regard de l'article 14 du Pacte et se demander si le procès a été équitable et a été mené dans le respect des règles énoncées à l'article 14. Or, si l'on ne peut pas ajouter foi aux déclarations sous serment des deux jurés, rien dans le dossier ne montre que le procès ait été inéquitable ou n'ait pas été conforme aux prescriptions de l'article 14.

Les raisons que j'expose dans la présente opinion individuelle et qui me conduisent à conclure qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 sont un développement des motifs exposés dans les constatations du Comité, auxquelles je souscris sans réserve. Je suis d'accord avec le Comité qui a conclu à une violation de l'article 7, ce qui donnait à l'auteur droit à compensation.


(Signé) [Prafullachandra N. Bhagwati]

[Original : anglais]



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