Comité des droits de l'homme
Soixante-quatrième session
19 octobre - 6 novembre 1998
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-quatrième session -
Communication No 628/1995
Présentée par : Tae Hoon Park (représenté par M. Yong-Whan Cho,
du cabinet d'avocats Duksu à Séoul)
Au nom de : L'auteur
État partie : République de Corée
Date de la communication : 11 août 1994
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 20 octobre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 628/1995 présentée
par Tae Hoon Park au Comité des droits de l'homme, en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est M. Tae-Hoon Park, de nationalité
coréenne, né le 3 novembre 1963. Il se prétend victime d'une violation
par la République de Corée du paragraphe 1 de l'article 18, des paragraphes
1 et 2 de l'article 19 et de l'article 26 du Pacte. Il est représenté
par M. Yong-Whan Cho, du cabinet d'avocats Duksu à Séoul. Le Pacte et
le Protocole facultatif s'y rapportant sont entrés en vigueur pour la
République de Corée le 10 juillet 1990.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 22 décembre 1989, le Tribunal pénal de district de Séoul a déclaré
l'auteur coupable l'infraction aux paragraphes 1 et 3 de l'article 7 de
la loi de 1980 sur la sécurité nationale /La loi sur la sécurité
nationale a été modifiée le 31 mai 1991. Toutefois, la loi appliquée à
l'auteur était celle de 1980, dont l'article 7 dispose ce qui suit (la
traduction en anglais provient de l'auteur) :
"1) Quiconque a agi dans l'intérêt d'une organisation hostile à
l'État en glorifiant, encourageant ou soutenant ou de toute autre manière
les activités d'une organisation hostile à l'État, des membres d'une
telle organisation ou d'une personne qui reçoit des instructions d'une
telle organisation, est passible d'un emprisonnement d'au moins sept
ans.
...
3) Quiconque a constitué une organisation visant à commettre les actes
énoncés au paragraphe 1 du présent article ou a adhéré à une telle organisation
est passible d'un emprisonnement de plus d'un an.
...
5) Quiconque a, en vue de commettre les actes énoncés aux paragraphes
1 à 4 du présent article, produit, importé, reproduit, possédé, transporté,
diffusé, vendu ou acheté des textes, des illustrations ou tout autre
document comparable sera puni de la peine prévue dans chaque paragraphe."
et l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et à un an de suspension
de l'exercice de sa profession. L'auteur a fait appel auprès de la High
Court de Séoul, mais entre-temps il a été incorporé à l'armée coréenne
en vertu de la loi sur le service militaire. La High Court de
Séoul a donc transféré le dossier à la juridiction militaire (High
Military Court of Army). La juridiction militaire l'ayant débouté
le 11 mai 1993, l'auteur s'est pourvu devant la Cour suprême, qui a
confirmé la condamnation le 24 décembre 1993. Avec cette démarche, tous
les recours internes auraient été épuisés. À ce sujet, l'auteur ajoute
que le 2 avril 1990 la Cour constitutionnelle a déclaré constitutionnels
les paragraphes 1 et 5 de l'article 7 de la loi sur la sécurité nationale.
D'après l'auteur, bien que la Cour n'ait pas mentionné le paragraphe
3 de cet article, il découle de sa décision qu'il est également déclaré
constitutionnel, puisqu'il est intrinsèquement rattaché aux paragraphes
1 et 5 de l'article.
2.2 L'auteur a été condamné parce qu'il était membre d'un mouvement de
jeunes appelé the Young Koreans United (YKU) et avait participé aux activités
du mouvement quand il faisait ses études à l'Université d'Illinois à Chicago
(États-Unis) entre 1983 et 1989. Il s'agit d'une organisation américaine,
composée de jeunes Coréens, dont le but est de débattre de questions liées
à la paix et à l'unification entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.
Ce mouvement était éminemment critique à l'égard du Gouvernement militaire
de la République de Corée et du soutien que lui apportaient les États-Unis.
L'auteur souligne que toutes les activités du mouvement étaient pacifiques
et respectueuses de la loi des États-Unis.
2.3 Le tribunal a conclu que l'organisation YKU avait pour but de commettre
le délit consistant à soutenir et à promouvoir les activités du Gouvernement
nord-coréen et qu'il s'agissait donc d'une "organisation agissant
dans l'intérêt de l'ennemi". Du fait de son appartenance à cette
organisation, l'auteur était donc coupable de l'infraction prévue au paragraphe
3 de l'article 7 de la loi sur la sécurité nationale. De surcroît, sa
participation à des manifestations organisées aux États-Unis pour demander
la cessation de l'intervention des États-Unis signifiait qu'il prenait
parti pour la Corée du Nord, en violation du paragraphe 1 de l'article
7 de la loi. L'auteur fait remarquer que le jugement rendu contre lui
est tel que tout membre du mouvement YKU peut être traduit en justice
pour appartenance à une "organisation agissant dans l'intérêt de
l'ennemi".
2.4 D'après la traduction, communiquée par le conseil, des décisions
de justice concernant l'auteur, il apparaît qu'il a été déclaré coupable
et condamné pour avoir exprimé son soutien ou son accord à l'égard de
certains slogans et positions politiques, lors de manifestations et autres
rassemblements pacifiques auxquels il a participé aux États-Unis.
2.5 L'auteur affirme qu'il a été condamné sur la foi d'aveux faits sous
la contrainte. Il a été arrêté sans mandat à la fin du mois d'août 1989
et a été interrogé pendant 20 jours par l'organe de planification de la
sécurité nationale, puis maintenu en détention pendant 30 autres jours
avant d'être inculpé. Sans soulever la question de la régularité de son
procès dans la communication, l'auteur appelle l'attention sur le fait
que les tribunaux coréens ont fait preuve de mauvaise foi quand ils ont
examiné son dossier.
2.6 Le conseil indique que, même si les activités qui ont valu à l'auteur
d'être condamné ont eu lieu avant la date de l'entrée en vigueur du Pacte
pour la République de Corée, le tribunal militaire et la Cour suprême
ont examiné l'affaire après cette date. Par conséquent le Pacte s'appliquait
bien et les tribunaux auraient dû tenir compte des articles applicables.
À cet égard, l'auteur indique que, dans le recours qu'il a formé auprès
de la Cour suprême, il a rappelé les observations finales adoptées par
le Comité des droits de l'homme après l'examen du rapport initial soumis
par la République de Corée conformément à l'article 40 du Pacte (CCPR/C/79/Add.6),
où le Comité se déclarait préoccupé du maintien en vigueur de la loi sur
la sécurité nationale; il a fait valoir que la Cour suprême devrait appliquer
et interpréter la loi sur la sécurité nationale conformément aux recommandations
du Comité des droits de l'homme. Or, dans son arrêt du 24 décembre 1993,
la Cour suprême a indiqué :
"Même si le Comité des droits de l'homme institué en vertu du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques a mis en évidence
des problèmes liés à la loi sur la sécurité nationale, la Cour affirme
que la loi sur la sécurité nationale ne perd pas sa validité pour cette
simple raison. (...) Par conséquent, on ne peut pas dire que la peine
infligée au défendeur pour avoir enfreint la loi sur la sécurité nationale
constitue une violation des règles internationales en matière de droits
de l'homme, ni qu'elle représente une application de la loi contraire
au Pacte, au mépris des principes d'équité." (traduction en anglais
faite par l'auteur)
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il a été condamné parce qu'il avait des opinions
critiques à l'égard de la situation en Corée du Sud et de la politique
menée par ce pays, opinions assimilées par les autorités sud-coréennes
à une défense de la Corée du Nord, simplement parce que la Corée du Nord
est également critique à l'égard des politiques sud-coréennes. D'après
l'auteur, ce sont des présomptions absurdes qui empêchent la libre expression
du moindre avis critique à l'égard de la politique du Gouvernement.
3.2 L'auteur affirme que sa condamnation et la peine qui lui a été infligée
représentent une violation du paragraphe 1 de l'article 18, des paragraphes
1 et 2 de l'article 19 ainsi que du paragraphe 26 du Pacte. Il fait valoir
que, bien qu'il ait été condamné pour appartenance à une organisation
déterminée, le véritable motif est le caractère critique d'opinions exprimées
par lui-même et par d'autres membres de l'organisation YKU à l'égard de
la politique officielle du Gouvernement sud-coréen. Il ajoute que, même
si la liberté d'association est garantie par la Constitution, la loi sur
la sécurité nationale en restreint l'exercice dans le cas de ceux dont
les opinions diffèrent de la ligne politique officielle. De l'avis de
l'auteur, il y a là une discrimination, en violation de l'article 26 du
Pacte. En raison de la réserve émise par la République de Corée, l'auteur
n'invoque pas l'article 22 du Pacte.
3.3 L'auteur demande au Comité de déclarer que la liberté de pensée,
d'opinion et d'expression et le droit à un traitement équitable devant
la loi dans l'exercice de la liberté d'association ont été violés par
la République de Corée, et de lui enjoindre d'abroger les paragraphes
1, 3 et 5 de l'article 7 de la loi sur la sécurité nationale et de suspendre
l'application desdits articles en attendant l'abrogation par l'Assemblée
nationale des dispositions susdites. Il demande en outre à être rejugé
et à être déclaré innocent, ainsi qu'à obtenir réparation pour les violations
subies.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
4.1 Dans ses observations présentées le 8 août 1995, l'État partie rappelle
que ce qui a été reproché à l'auteur c'est notamment d'avoir partagé l'opinion
que les États-Unis contr_laient la Corée du Sud par l'entremise de la
dictature militaire en Corée, ainsi que d'autres points de vue hostiles
à l'État.
4.2 L'État partie soutient que la communication n'est pas recevable au
motif que tous les recours internes n'ont pas été épuisés. À cet égard,
l'État partie fait observer que, l'auteur prétendant avoir été arrêté
sans mandat et détenu arbitrairement, il aurait pu exercer un recours
par voie de procédure d'urgence exceptionnelle ou en s'adressant à la
Cour constitutionnelle. L'État partie soutient également que l'auteur
pourrait exiger d'être rejugé s'il est en mesure d'établir manifestement
son innocence ou si les membres du ministère public ont commis des infractions
dans l'exercice de leurs fonctions.
4.3 L'État partie soutient en outre que la communication est irrecevable
en ce qu'il y est fait état d'événements antérieurs à l'entrée en vigueur
du Pacte et du Protocole facultatif.
4.4 Enfin, l'État partie relève que, le 11 janvier 1992, une tierce partie
a introduit une requête devant la Cour constitutionnelle au sujet de la
constitutionnalité des paragraphes 1 et 3 de l'article 7 de la loi sur
la sécurité nationale. La Cour constitutionnelle examine actuellement
cette requête.
5.1 Commentant les observations de l'État partie, le conseil de l'auteur
note que l'État partie s'est mépris sur le sens de la plainte de l'auteur.
Il souligne que celle-ci ne vise pas les violations des droits de l'auteur
qui auraient être pu commises pendant l'instruction et durant le procès
et note à cet égard qu'il n'y a aucun rapport entre la question d'un nouveau
procès et la plainte de l'auteur. Celui-ci ne conteste pas la réalité
des faits retenus contre lui, mais il soutient qu'il n'aurait pas dû être
condamné et puni en raison de ces faits, car ses activités se situaient
dans le cadre de l'exercice pacifique de sa liberté de pensée, d'opinion
et d'expression.
5.2 En ce qui concerne l'argument de l'État partie selon lequel la communication
n'est pas recevable ratione temporis, le conseil fait observer
que, même si les tribunaux ont été saisis de l'affaire avant la date d'entrée
en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif, la High Military Court
et la Cour suprême ont confirmé la condamnation après la date de l'entrée
en vigueur. Le Pacte s'applique donc en l'espèce et la communication est
recevable.
5.3 En ce qui concerne la déclaration de l'État partie qui a affirmé
que la Cour constitutionnelle examinait actuellement la question de la
constitutionnalité des paragraphes 1 et 3 de l'article 7 de la loi sur
la sécurité nationale, le conseil note que la Cour avait décidé, dès le
2 avril 1990, que les articles de ladite loi étaient constitutionnels.
Par la suite, elle a rejeté d'autres requêtes concernant cette même question.
Le conseil soutient donc qu'il n'y a rien à espérer d'un nouvel examen
de la Cour constitutionnelle, celle-ci devant naturellement confirmer
sa jurisprudence antérieure.
Décision de recevabilité
6.1 À sa cinquante-septième session, le Comité a examiné la question
de la recevabilité de la communication.
6.2 Le Comité a pris note de l'argument de l'État partie selon lequel
la communication était irrecevable, les événements invoqués dans la plainte
s'étant produits avant l'entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif.
Toutefois, il a noté que, même si l'auteur avait été condamné en première
instance le 22 décembre 1989, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur
pour la Corée du Pacte et du Protocole facultatif s'y rapportant, les
deux recours qu'il avait formés avaient été examinés après la date
d'entrée en vigueur desdits instruments. En l'espèce, le Comité a considéré
que les violations alléguées avaient continué après l'entrée en vigueur
du Pacte et du Protocole facultatif s'y rapportant et qu'il n'existait
donc aucun obstacle ratione temporis à l'examen de la communication.
6.3 Le Comité a pris note également de l'argument de l'État partie selon
lequel l'auteur n'a pas épuisé tous les recours internes disponibles.
Il a noté que certains des recours suggérés par l'État partie se rapportaient
à des aspects du procès de l'auteur qui ne faisaient pas partie de sa
communication au Comité. Il a pris note aussi de l'argument de l'État
partie selon lequel la question de la constitutionnalité de l'article
7 de la loi sur la sécurité nationale était toujours pendante devant la
Cour constitutionnelle. Le Comité a également noté l'argument de l'auteur
selon lequel il était parfaitement inutile de saisir la Cour constitutionnelle,
celle-ci ayant déjà jugé, pour la première fois le 2 avril 1990 et à plusieurs
reprises depuis lors, que l'article en question était compatible avec
la Constitution coréenne. Compte tenu des informations qui lui avaient
été soumises, le Comité a considéré que l'auteur ne disposait plus d'aucun
recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
6.4 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du
paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question
n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement.
6.5 Le Comité a estimé que les faits présentés par l'auteur pouvaient
soulever, au regard des articles 18, 19 et 26 du Pacte, des questions
qu'il convenait d'examiner quant au fond.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme a décidé le 5 juillet
1996 que la communication était recevable.
Observations de l'État partie quant au fond et commentaires du
conseil
8.1 Dans ses observations, l'État partie relève que l'auteur a été condamné
pour infraction à la législation nationale, à l'issue d'une enquête menée
en bonne et due forme qui a établi les faits non contestés de l'espèce.
L'État partie affirme que, nonobstant une situation précaire en matière
de sécurité, il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour garantir
intégralement tous les droits fondamentaux de l'homme, y compris la liberté
de pensée et d'opinion. Il relève cependant que la nécessité impérieuse
de préserver l'essence de son système démocratique le contraint à prendre
des mesures de protection.
8.2 En vertu du paragraphe 2 de l'article 37 de la Constitution coréenne,
la loi ne peut restreindre les libertés et les droits des citoyens que
pour des raisons tenant à la sécurité nationale, au maintien de l'ordre
et au bien-être des citoyens. Conformément à la Constitution, la loi sur
la sécurité nationale contient certaines dispositions susceptibles de
restreindre à certains égards les libertés ou les droits des individus.
Selon l'État partie, il existe un consensus national pour considérer que
la loi sur la sécurité nationale joue un r_le essentiel dans la défense
du pays contre les communistes nord-coréens. Et l'État partie de signaler
des incidents violents. Selon lui, les activités déployées par l'auteur
en tant que membre de l'YKU, une organisation qui promeut les intérêts
de l'ennemi en appuyant la politique des communistes nord-coréens, constituaient
indubitablement une menace pour la préservation du système démocratique
dans la République de Corée.
8.3 En ce qui concerne l'argument de l'auteur selon lequel la Cour aurait
dû appliquer les dispositions du Pacte en l'espèce, l'État partie fait
valoir que "l'auteur a été condamné non parce que la Cour avait refusé
délibérément d'appliquer le Pacte, mais parce qu'il fallait impérativement
faire passer les dispositions de la loi sur la sécurité nationale avant
certains droits des particuliers consacrés dans le Pacte, compte tenu
de la situation de la Corée sur le plan de la sécurité".
9.1 Commentant les observations de l'État partie, le conseil estime que
la situation précaire que l'État partie connaît sur le plan de la sécurité
n'est liée en rien à l'exercice pacifique par l'auteur de son droit à
la liberté de pensée, d'opinion, d'expression et de réunion. Selon lui,
l'État partie n'a pu établir l'existence d'un lien quelconque entre les
communistes nord-coréens et l'YKU ou l'auteur, et a été bien en peine
de préciser quelles politiques des communistes nord-coréens l'YKU ou l'auteur
appuyaient. Toujours selon le conseil, l'État partie n'a pu expliquer
quel genre de menace les activités de l'YKU ou de l'auteur faisaient peser
sur la sécurité du pays.
9.2 Selon le conseil, l'auteur s'est affilié à l'YKU, alors qu'il était
étudiant et aspirait à la démocratie et à l'unification pacifique de son
pays. Il n'a jamais eu la moindre intention d'agir au profit de la Corée
du Nord ou de compromettre la sécurité de son pays. Selon le conseil,
le type d'opinion qu'exprime l'auteur peut être battu en brèche par voie
de discussion et de débat. Mais dans la mesure où l'expression de cette
opinion est pacifique, elle ne devrait jamais être supprimée par des poursuites
pénales. À cet égard, le conseil affirme qu'il n'appartient pas à l'État
de se poser en juge suprême de la vérité et de l'erreur ou du bien et
du mal.
9.3 Le conseil prétend que l'auteur a été sanctionné en raison de ses
opinions politiques et de leur expression pacifique. Il affirme aussi
que l'auteur s'est vu refuser le droit à une égale protection de la loi
au titre de l'article 26 du Pacte. En effet, selon le conseil, bien que
tout citoyen soit assuré de jouir du droit à la liberté d'association
en vertu de l'article 21 de la Constitution, l'auteur a été sanctionné,
et a donc été victime de discrimination, pour s'être affilié à l'YKU qui
professait, semble-t-il, des opinions politiques différentes de celles
du Gouvernement de la République de Corée.
9.4 L'auteur renvoie au rapport sur sa mission en République de Corée
établi par le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du
droit à la liberté d'opinion et d'expression
/E/CN.4/1996/39/Add.1.. L'auteur demande au Comité de recommander
au Gouvernement de publier au Journal officiel le texte de ses constatations
concernant la communication et sa traduction en coréen.
Délibérations du Comité
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient
communiquées conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
10.2 Le Comité prend note du fait que l'auteur n'a pas invoqué l'article
22 du Pacte, qui a trait à la liberté d'association. Pour expliquer cette
position, le conseil a fait état d'une réserve ou d'une déclaration de
la République de Corée selon laquelle l'article 22 doit être appliqué
de manière à être conforme aux lois coréennes, y compris la Constitution.
La plainte et les arguments de l'auteur pouvant être examinés au titre
d'autres dispositions du Pacte, le Comité n'a pas à se prononcer de sa
propre initiative sur l'effet que peut avoir une réserve ou une déclaration.
Il appartient donc au Comité de se prononcer sur le point de savoir si
la condamnation de l'auteur en application de la loi sur la sécurité nationale
a violé ses droits au titre des articles 18, 19 et 26 du Pacte.
10.3 Le Comité observe que l'article 19 garantit la liberté d'opinion
et d'expression et n'admet pas de restrictions, sauf lorsqu'elles sont
expressément fixées par la loi et sont nécessaires a) au respect des droits
et de la réputation d'autrui; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale,
de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Le droit à
la liberté d'expression revêt une importance essentielle dans toute société
démocratique, et toute restriction apportée à son exercice doit être rigoureusement
justifiée. L'État partie a déclaré que les restrictions étaient justifiées
en ce qu'elles étaient nécessaires à la sauvegarde de la sécurité nationale
et qu'elles étaient fixées par la loi, en vertu de l'article 7 de la loi
sur la sécurité nationale, mais le Comité doit encore déterminer si les
mesures prises contre l'auteur étaient nécessaires aux fins indiquées.
Il note que l'État partie a invoqué la sécurité nationale en faisant état
de la situation générale dans le pays et de la menace constituée par "les
communistes nord-coréens". Le Comité considère que l'État partie
n'a pas précisé la nature exacte de la menace que représenterait l'exercice
par l'auteur de sa liberté d'expression et estime qu'aucun des arguments
avancés par l'État partie ne suffit à rendre compatible avec le paragraphe
3 de l'article 19 la restriction apportée au droit de l'auteur à la liberté
d'expression. Ayant examiné avec soin les décisions des trois juridictions
qui ont condamné l'auteur, le Comité conclut que ni ces décisions ni les
observations de l'État partie ne font apparaître que la condamnation de
l'auteur était nécessaire pour protéger l'un des objectifs légitimes énoncés
dans le paragraphe 3 de l'article 19. Le fait qu'il ait été condamné pour
avoir exercé son droit à la liberté d'expression doit donc être considéré
comme une violation de son droit au titre de l'article 19 du Pacte.
10.4 Dans ce contexte, le Comité ne peut marquer son accord sur la déclaration
de l'État partie selon laquelle "l'auteur a été condamné non parce
que la Cour avait refusé délibérément d'appliquer le Pacte, mais parce
qu'il fallait impérativement faire passer les dispositions de la loi sur
la sécurité nationale avant certains droits des particuliers consacrés
dans le Pacte, compte tenu de la situation de la Corée sur le plan de
la sécurité". Le Comité observe qu'en devenant partie au Pacte, l'État
partie s'est engagé, conformément à l'article 2, à respecter et à garantir
les droits reconnus dans cet instrument. Il s'est également engagé à adopter
toute mesure de caractère législatif ou autre qui pourrait être nécessaire
pour donner effet à ces droits. Le Comité estime incompatible avec le
Pacte que l'État partie ait fait passer l'application de sa législation
nationale avant l'exécution des obligations qui lui incombent en application
du Pacte. À cet égard, le Comité note que l'État partie n'a pas fait la
communication visée au paragraphe 3 de l'article 4 du Pacte pour signaler
qu'il existait un danger public exceptionnel et qu'il dérogeait de ce
fait à certaines dispositions du Pacte.
10.5 Compte tenu de ce qui précède, le Comité peut se dispenser d'examiner
le point de savoir si la condamnation de l'auteur violait les articles
18 et 26 du Pacte.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation de l'article 19 du Pacte.
12. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
est tenu de fournir à M. Tae Hoon Park un recours utile, y compris une
indemnisation adéquate du fait qu'il a été condamné pour avoir exercé
son droit à la liberté d'expression. L'État partie est tenu de garantir
que semblables violations ne se produiront plus à l'avenir.
13. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie
a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait
eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte,
il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le
Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
L'État partie est tenu de traduire et de publier les constatations du
Comité et, en particulier, d'informer le pouvoir judiciaire desdites constatations.
_____________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Prafullachandra N. Bhagwati, M. Th.
Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, M. Omran El Shafei,
Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart Klein, M. David
Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Julio Prado
Vallejo, M. Martin Scheinin, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zahkia.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]