Présentée par: M. Abdoulaye Mazou
Au nom de: L'auteur
Etat partie: Cameroun
Date de la communication: 31 octobre 1994 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 2001
Ayant achevé l'examen de la communication n° 630/1995 présentée
par M. Abdoulaye Mazou, en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif
1. L'auteur de la communication, datée du 31 octobre 1994, est Abdoulaye
Mazou, de nationalité camerounaise et magistrat de profession, actuellement
domicilié à Yaoundé (Cameroun). Il se déclare victime d'une violation par
le Cameroun du paragraphe 3 de l'article 2, du paragraphe 1 de l'article
14 et de l'alinéa c de l'article 25 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Le Pacte et le Protocole facultatif sont
entrés en vigueur pour le Cameroun le 27 septembre 1984.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 À la suite d'une tentative de coup d'État au Cameroun en avril 1984,
l'auteur, à l'époque magistrat de deuxième grade, a été arrêté, le 16
avril 1984. Il était soupçonné d'avoir hébergé son frère, recherché par
la police pour avoir participé à ce coup d'État. L'auteur a été reconnu
coupable et condamné par le tribunal militaire de Yaoundé à cinq ans d'emprisonnement.
D'après l'auteur, les charges retenues contre lui étaient fausses et au
tribunal, aucune preuve n'a été produite et aucun témoin appelé. Le procès
s'est déroulé à huis clos Note du secrétariat: L'auteur ne joint
aucune pièce afférente au procès pénal. La communication est essentiellement
axée sur le fait qu'il n'a pas été réintégré dans ses fonctions..
2.2 Pendant que l'auteur était détenu, le Président de la République a
signé le 2 juin 1987 un décret (no 87/747) le révoquant de ses fonctions
de Secrétaire général au Ministère de l'éducation nationale et de Président
du Conseil d'administration de l'Office national des sports. Le décret
n'était pas motivé et, d'après l'auteur, a été pris en violation de l'article
133 du Statut de la fonction publique.
2.3 Le 23 avril 1990, l'auteur a été remis en liberté mais a été assigné
en résidence surveillée à Yagoua, sa ville natale, dans l'extrême nord
du Cameroun. Ce n'est qu'à la fin du mois d'avril 1991, à la suite de
l'adoption de la loi d'amnistie no 91/002, du 23 avril 1991, que les restrictions
ont été levées. Toutefois, à la date de la transmission de sa communication,
le décret présidentiel du 2 juin 1987 était toujours valable et l'auteur
n'avait pas été réintégré dans ses fonctions.
2.4 Le 12 juin 1991, l'auteur a sollicité du Président de la République
sa réintégration dans la fonction publique. Le 18 juillet 1991, il a introduit
auprès du Ministre de la justice un recours demandant l'abrogation du
décret présidentiel du 2 juin 1987. Ne recevant aucune réponse, il a saisi,
le 9 septembre 1991, la Chambre administrative de la Cour suprême d'un
recours contentieux pour lui demander de constater que le décret était
illégal et devait par conséquent être annulé. L'auteur souligne que, malgré
la jurisprudence constante de la Cour suprême en faveur de l'annulation
de tels décrets, l'affaire n'avait toujours pas été tranchée en date du
31 octobre 1994.
2.5 Le 4 mai 1992, les décrets nos 92/091 et 92/092 qui régissaient les
modalités de réintégration et d'indemnisation des bénéficiaires de la
loi d'amnistie ont été publiés.
2.6 Le 13 mai 1992, l'auteur a saisi le Ministre de la justice d'une demande
de réintégration dans ses fonctions. Conformément au décret no 92/091,
sa requête était renvoyée à la Commission de suivi de la réintégration
dans la fonction publique. Le 12 mai 1993, cette Commission a prononcé
un avis favorable à la réintégration de l'auteur. D'après ce dernier toutefois,
le Ministre n'a pas suivi cet avis.
2.7 Le 22 septembre 1992, l'auteur a engagé une procédure devant la Chambre
administrative de la Cour suprême pour attaquer les décrets nos 92/091
et 92/092. D'après lui, ces décrets visaient à bloquer l'application intégrale
de la loi d'amnistie du 23 avril 1991 qui, affirmetil, prévoyait la
réintégration automatique. Ce recours était également pendant au moment
de l'introduction de sa communication.
2.8 Dans sa communication initiale, l'auteur déclarait qu'il était sans
travail depuis qu'il avait été libéré de prison. Il affirmait être victime
de persécution pour ses opinions et à cause de son origine ethnique, ajoutant
que d'autres bénéficiaires de la loi d'amnistie avaient été réintégrés
dans leurs fonctions.
2.9 Toujours à cette date, l'auteur indiquait que, compte tenu du silence
des autorités juridictionnelles et politiques, il ne lui restait plus
de recours interne dont il pourrait se prévaloir.
2.10 Depuis l'introduction de sa communication, la situation a néanmoins
évolué de manière significative pour l'auteur dans la mesure où il a été
réintégré dans ses fonctions le 16 avril 1998 suite à un arrêt de la Cour
suprême du 30 janvier 1997 annulant le décret no 87/747 qui révoquait
l'auteur de ses fonctions.
Teneur de la plainte
3. D'après l'auteur, les faits exposés plus haut constituent une violation
du paragraphe 3 de l'article 2, du paragraphe 1 de l'article 14 et de
l'alinéa c de l'article 25 du Pacte. L'auteur demande au Comité
d'enjoindre l'État partie de le réintégrer dans la fonction publique avec
effet rétroactif et de lui verser des dommagesintérêts en réparation
du préjudice subi.
Observations de l'État partie sur la recevabilité
4. Par une note en date du 13 mai 1997, l'État partie informait le Comité
que la Chambre administrative de la Cour suprême a, par un arrêt du 30
janvier 1997, annulé le décret no 87/747 (révoquant l'auteur de ses fonctions).
Décision du Comité sur la recevabilité
5.1 Durant sa soixante-troisième session, le Comité a examiné la recevabilité
de la communication.
5.2 Le Comité avait alors constaté que l'État partie ne contestait pas
la recevabilité de la communication mais l'avait informé que la Cour suprême
avait annulé le décret ordonnant la révocation de l'auteur. Toutefois,
l'État partie n'avait pas indiqué si l'auteur avait été réintégré dans
ses fonctions et, si tel était le cas, à quelles conditions ou, dans le
cas contraire, pour quelles raisons. Le Comité a donc considéré que la
communication devrait être examinée quant au fond.
5.3 En conséquence, le Comité a décidé, en date du 6 juillet 1998, que
la communication était recevable.
Commentaires de l'État partie sur le fond de la communication
6.1 Par un courrier du 10 août 2000, l'État partie a fait part de ses
observations en ce qui concerne le fond de la communication.
6.2 L'État partie précise qu'en exécution de la décision de la Cour suprême
du 30 janvier 1997, l'auteur de la communication a été réintégré comme
magistrat de deuxième grade au Ministère de la justice en date du 16 octobre
1998 et que son salaire a été repris en solde à compter du 1er avril 1987,
date à laquelle il avait à tort été suspendu de ses fonctions puis évoqué.
Commentaires de l'auteur sur le fond de la communication
7.1 Par un courrier du 8 novembre 2000, l'auteur a transmis ses remarques
sur les observations de l'État partie.
7.2 L'auteur confirme tout d'abord qu'il a bien été réintégré au sein
du Ministère de la justice et que l'administration a bien rétabli son
salaire à partir du 1er avril 1987.
7.3 Néanmoins, l'auteur considère que l'administration n'a pas tiré toutes
les conséquences de la décision de la Cour suprême du 30 janvier 1997.
Étant donné que les effets de cette dernière agissent rétroactivement,
l'auteur estime être en droit de voir sa carrière reconstituée, c'est-à-dire
qu'il soit réintégré à un grade qui aurait pu être le sien s'il n'avait
pas été révoqué. Or, malgré les demandes qu'il a faites en ce sens auprès
du Ministère de la justice, l'auteur n'a toujours pas reçu de décision.
7.4 L'auteur maintient également une demande de dommages et intérêts en
raison du préjudice qu'il a subi suite à sa révocation.
Délibérations du Comité sur le fond
8.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication en tenant
compte de toutes les informations mises à sa disposition par les parties,
conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
8.2 Le Comité a été informé de ce que, suite à la décision de la Cour
suprême du 30 janvier 1997, l'auteur a été réintégré dans ses fonctions
et que son salaire lui a été payé rétroactivement depuis la date de sa
révocation. Cependant, il ne semble pas contesté que l'État partie n'a
ni fait droit à la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice
subi ni opéré une reconstitution de la carrière de l'auteur qui aurait
eu pour conséquence de le voir réintégré à un grade auquel il aurait pu
prétendre s'il n'avait pas été révoqué.
8.3 Le Comité constate cependant que l'auteur s'est contenté d'invoquer
ces griefs au Ministère de la justice par voie épistolaire et n'a soumis
aucun élément de preuve démontrant qu'une autorité judiciaire ait effectivement
été invitée à statuer sur la question des dommages et intérêts. Cette
partie de la communication ne respecte pas le principe d'épuisement des
voies de recours internes tel que prévu au paragraphe 2 (b) de l'article
5 du Protocole facultatif et doit donc être déclarée irrecevable.
8.4 En ce qui concerne les allégations de l'auteur selon lesquelles l'État
partie aurait violé les articles 2 et 25 combinés du Pacte, le Comité
considère que la procédure qui s'est déroulée devant la Cour suprême et
qui a donné suite à la décision du 30 janvier 1997 lui donnant satisfaction
au regard de la demande qu'il avait formulée dans sa communication a été
tardive, intervenue plus de 10 ans après la décision de révocation et
n'a pas été suivie d'une reconstitution de carrière au moment de sa réintégration,
laquelle était de droit, compte tenu de la décision d'annulation du 10
janvier 1997. Cette procédure ne peut donc pas être considérée comme un
remède satisfaisant au regard de l'article 2 et 25 du Pacte.
9. En conséquence, l'Etat partie a l'obligation de réintégrer l'auteur
de la communication dans la carrière avec toutes les conséquences que
cela implique en vertu du droit camerounais et est tenu de veiller à ce
que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
10. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie
a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait
ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte,
il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le
Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
L'Etat partie est également invité à rendre publiques les constatations
du Comité.
_________________
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M.
Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas
Posada, M. Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito
Solari Yrigoyen, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Patrick Vella et M. Maxwell
Yalden.
Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.