Présentée par : Robert W. Gauthier
Au nom de : L'auteur
État partie : Canada
Date de la communication : 5 décembre 1994
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 7 avril 1999,
Ayant achevé l'examen de la communication No 633/1995, présentée par M. Robert W. Gauthier en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Robert G. Gauthier, citoyen canadien. Il affirme être victime d'une violation par le Canada de l'article 19 du Pacte.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est directeur d'un journal fondé en 1982, le National Capital News. Il a demandé à adhérer à un organisme appelé la Tribune de la presse parlementaire, qui se charge de l'administration des accréditations délivrées pour entrer dans l'enceinte du Parlement. Il a reçu un laissez-passer provisoire qui ne lui donnait que des privilèges restreints. Il a demandé à plusieurs reprises d'avoir accès au Parlement aux mêmes conditions que les autres journalistes et directeurs de publication, ce qui lui a été refusé.
2.2 L'auteur fait remarquer qu'un laissez-passer provisoire ne donne pas le même droit d'accès qu'une carte de membre permanent car, notamment, il n'est pas possible avec ce laissez-passer d'être inscrit sur la liste des membres de la Tribune de la presse ni d'avoir une boîte aux lettres pour recevoir les communiqués de presse.
2.3 Pour ce qui est de l'épuisement des recours internes, l'auteur explique qu'il a adressé de nombreuses demandes, non seulement à la Tribune de la presse mais aussi au Président de la Chambre, toutes sans succès. D'après l'auteur, on ne lui a jamais donné de motif de refus pour lui refuser un droit d'accès à part entière. Il a saisi la Cour fédérale d'une demande de révision de la décision de la Tribune de la presse, mais la Cour s'est déclarée incompétente parce que la Tribune de la presse n'est pas un ministère du Gouvernement du Canada. Il a également déposé une plainte auprès du Bureau de la politique de concurrence, faisant valoir que l'exclusion de son journal constituait de la concurrence déloyale; sa plainte a été rejetée.
2.4 L'auteur a alors engagé une action contre le Président de la Chambre des Communes auprès de la Cour provinciale, demandant que celle-ci déclare que le refus d'accès à l'enceinte du Parlement dans les mêmes conditions que les membres de la Tribune de la presse parlementaire porte atteinte au droit à la liberté de la presse consacré dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le 30 novembre 1994, la Cour a statué que la décision du Président de ne pas autoriser l'auteur à avoir accès aux services de la Chambre des Communes destinés aux membres de la Tribune de la presse ayant été prise dans l'exercice d'un privilège parlementaire, ne relevait donc pas de la Charte canadienne et n'était pas susceptible de révision par la Cour.
2.5 L'auteur fait remarquer qu'il essaie d'obtenir l'accès aux services de presse du Parlement dans les mêmes conditions que ses homologues depuis 1982 et fait valoir par conséquent que la procédure de recours interne est déraisonnablement longue, au sens de l'alinéa 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. L'auteur émet également des doutes quant à l'utilité d'un appel.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que le fait qu'on ne lui ait pas permis d'accéder dans des conditions d'égalité aux services de presse du Parlement constitue une violation de ses droits au titre de l'article 19 du Pacte.
Observations de l'État partie
4.1 Dans ses observations datées du 28 novembre 1995, l'État partie déclare que la communication est irrecevable.
4.2 L'État partie rappelle que l'auteur dirige une publication du titre de National Capital News, publication qui paraît à Ottawa à une fréquence plus ou moins régulière.
4.3 La Tribune de la presse parlementaire canadienne est une association privée, indépendante et bénévole, créée aux fins de rassembler des journalistes professionnels dont la principale occupation est de diffuser, d'analyser et de publier des informations sur le Parlement et le Gouvernement fédéral.
4.4 Le Président de la Chambre des Communes est le gardien des droits et des privilèges de la Chambre et de ses membres et, en cette qualité, exerce en vertu d'un privilège parlementaire, un contrôle exclusif sur la partie des locaux du Parlement qui est occupée par la Chambre des Communes. Une de ses responsabilités à cet égard est le contrôle de l'accès à ces locaux.
4.5 L'État partie signale que tous les citoyens canadiens peuvent entrer au Parlement s'ils sont munis d'une carte d'accès dont il existe différents types. La carte de presse permet d'accéder aux services de presse du Parlement et est délivrée automatiquement à tous les membres accrédités de la Tribune de la presse parlementaire.
4.6 L'État partie explique qu'il n'existe aucun lien formel, officiel ou juridique entre la Tribune de la presse et le Président de la Chambre des Communes. Ce dernier a gracieusement accordé à la Tribune de la presse certaines facilités (bureaux, téléphones, accès à la bibliothèque et au restaurant et octroi de sièges réservés dans les tribunes destinées au public). Le Président de la Chambre des Communes ne s'occupe pas de la gestion au quotidien de ces installations qui sont administrées d'une façon indépendante par la Tribune de la presse.
4.7 L'État partie fait observer que la plupart des installations de la Tribune de la presse ne sont pas situées sur la Colline parlementaire et, par conséquent, ne sont pas dans l'enceinte du Parlement. Il signale en outre que les débats de la Chambre des Communes sont diffusés en direct à la télévision dans tout le Canada et que, de ce fait, de nombreux journalistes ont, en réalité, rarement recours aux services de presse du Parlement.
4.8 Il y a différentes catégories de membres de la Tribune de la presse, les principaux étant les membres actifs et les membres temporaires. Les membres actifs ont accès à toutes les installations aussi longtemps qu'ils remplissent certaines conditions, c'est-à-dire tant qu'ils travaillent pour un organe de presse publié régulièrement et qu'ils ont besoin de se servir des installations de presse du Parlement dans l'exercice de leurs fonctions principales qui consistent à présenter des informations sur les activités du Parlement et du Gouvernement fédéral. À ceux qui ne remplissent pas ces conditions, la Tribune de la presse accorde le statut de membre temporaire, qui est conféré pour une période déterminée et permet d'accéder à pratiquement toutes les installations, à l'exception du restaurant du Parlement.
4.9 Selon l'État partie, l'auteur a présenté à plusieurs reprises une demande d'adhésion à la Tribune de la presse depuis la création du National Capital News en 1982. Il n'a pu obtenir le statut de membre actif parce que la Tribune de la presse n'a pas pu déterminer s'il remplissait les conditions requises. Par conséquent, une carte de membre temporaire lui a été délivrée et a été renouvelée plusieurs fois. À cet égard, l'État partie signale que l'auteur s'est montré peu coopératif lorsque la Tribune de la presse a voulu savoir avec quelle fréquence son journal était publié. En l'absence de tels renseignements, qui sont nécessaires pour déterminer si l'auteur remplit les conditions requises pour obtenir une carte de membre actif, la Tribune de la presse ne peut lui accorder le statut de membre à part entière.
4.10 L'auteur a demandé que le Président de la Chambre des Communes intercède en sa faveur. Comme il a pour principe de ne pas s'ingérer dans les affaires de la Tribune de la presse, le Président a refusé d'intervenir. L'État partie tient à souligner que l'auteur a toujours pu entrer dans les locaux du Parlement et a pu accéder aux installations de presse pendant toutes les périodes où il détenait une carte de membre temporaire de la Tribune de la presse.
4.11 L'État partie signale en outre que l'auteur a plusieurs fois attaqué en justice la Tribune de la presse, lui reprochant de lui avoir refusé de lui délivrer une carte de membre actif. En 1989, il a déposé une plainte auprès du Bureau de la politique de concurrence, dont la conclusion a été que la loi sur la concurrence n'avait pas été enfreinte. En octobre 1991, la Cour fédérale a rejeté une demande de révision de la décision du Bureau présentée par l'auteur, au motif que cette décision n'était pas susceptible de révision. En 1990, saisie par l'auteur d'une demande de révision de la décision de la Tribune de la presse de ne pas lui accorder le statut de membre actif, la Cour fédérale a rejeté cette demande et s'est déclarée incompétente.
4.12 Une autre plainte contre la Tribune de la presse est en instance devant la Cour de l'Ontario (Division générale). L'auteur réclame 5 millions de dollars de dommages-intérêts.
4.13 Le 30 novembre 1994, la Cour de l'Ontario (Division générale) a rejeté une action intentée par l'auteur contre le Président de la Chambre des Communes pour obtenir que la Cour déclare que «le refus à l'auteur de l'accès aux locaux du Parlement dans les mêmes conditions que les membres de la Tribune de la presse parlementaire» constitue une atteinte à son droit à la liberté de la presse garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour s'est appuyée sur la jurisprudence selon laquelle l'exercice d'un privilège inhérent à un organe législatif canadien ne peut faire l'objet d'une révision fondée sur la Charte. L'auteur a déposé un avis d'appel de cette décision auprès de la Cour d'appel de l'Ontario mais n'a pas encore présenté les documents de la demande en bonne et due forme.
4.14 L'État partie fait valoir que la communication est irrecevable car les moyens de recours internes n'ont pas été épuisés. Il note que l'auteur a tort de dénoncer essentiellement dans sa communication la responsabilité du Président de la Chambre des Communes car, en ce qui concerne l'accès aux installations de presse du Parlement, ce dernier a pour principe de se fonder sur la décision de la Tribune de la presse d'octroyer ou non le statut de membre. La détermination de ce statut ne dépend aucunement du Président de la Chambre des Communes : elle est entièrement du ressort de la Tribune de la presse. Selon l'État partie, en s'ingérant, comme le suggère l'auteur dans les affaires internes de la Tribune de la presse, le Président de la Chambre des Communes porterait atteinte à la liberté de la presse. Comme l'origine de la plainte de l'auteur est le refus de la Tribune de la presse de lui accorder le statut de membre actif, l'État partie est d'avis que l'auteur n'a pas épuisé toutes les voies de recours dont il dispose à cet égard.
4.15 L'État partie déclare qu'ayant refusé de coopérer avec la Tribune de la presse, l'auteur n'a manifestement pas épuisé tous les recours internes disponibles. Il note en outre que la plainte de l'auteur contre la Tribune de la presse est en instance devant la Cour de l'Ontario (Division générale) et que son appel de la décision de la Cour de l'Ontario (Division générale) de rejeter sa requête contre le Président de la Chambre des Communes n'a pas encore été tranché, car l'auteur n'a pas satisfait à certaines exigences procédurales.
4.16 En outre, l'État partie fait valoir que la communication est irrecevable puisque l'auteur n'a pas étayé l'allégation selon laquelle le refus de lui octroyer le statut de membre à part entière de la Tribune de la presse constitue un déni de ses droits garantis par l'article 19 du Pacte. À cet égard, l'État partie rappelle que l'auteur n'a jamais été empêché d'entrer dans les locaux du Parlement et qu'il a pu accéder aux installations de presse chaque fois qu'il a été en possession d'une carte d'accès temporaire. L'auteur ne mentionne nulle part qu'il a été empêché à un moment ou un autre d'accéder aux bâtiments du Parlement ou de diffuser des informations sur le Parlement.
Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie
5.1 Dans des observations datées du 17 janvier 1996, l'auteur informe le Comité que l'accès aux installations de presse du Parlement lui est interdit (puisqu'il n'a pas de carte d'accès). Il explique que la tribune des visiteurs lui est certes ouverte mais que cela n'est d'aucune utilité pour un journaliste professionnel car les occupants de cette tribune ne sont pas autorisés à prendre des notes.
5.2 L'auteur indique en outre qu'à la demande de la Tribune de la presse, les tribunaux ont émis le 8 janvier 1996 une ordonnance lui interdisant d'entrer dans les installations en question. Tout en reconnaissant que ces installations ne sont pas situées sur la Colline parlementaire, l'auteur fait observer que les communiqués de presse du Gouvernement et les autres documents distribués dans les locaux de la Tribune de la presse sont financés par les contribuables canadiens et font partie des services fournis par les autorités aux médias.
6.1 Dans ses commentaires sur la communication de l'État partie datés du 5 février 1996, l'auteur soutient que la réponse de l'État partie contient des informations fausses et incomplètes et de nombreuses affirmations pouvant induire en erreur.
6.2 L'auteur affirme que même si, sur le plan légal, ni le Parlement ni le Gouvernement canadien n'a transféré de compétence à la Tribune de la presse parlementaire, cette dernière a le pouvoir d'autoriser ou d'interdire l'accès aux installations et services fournis par le Parlement et le Gouvernement canadiens aux médias. Il fait valoir que les nombreuses demandes qu'il a adressées à la Tribune de la presse pour être autorisé à accéder aux installations de presse du Parlement n'ont rien donné et que celles qu'il a envoyées aux autorités administratives du Parlement ont connu le même sort. Ses tentatives pour se faire rétablir dans ses droits par les tribunaux n'ont pas eu plus de succès.
6.3 L'auteur fait observer qu'il essaie de trouver une solution au problème posé par le refus de l'autoriser à accéder aux installations de presse depuis 1982, l'année où il a fondé son journal, et qu'il y a lieu par conséquent de considérer que la procédure de recours interne est déraisonnablement longue. À cet égard, il appelle l'attention sur "les atermoiements sans fin auxquels il a dû faire face, sur ses demandes d'information et d'assistance raisonnables restées sans réponse ou dont on n'a même pas accusé réception et sur sa conviction que ces atermoiements continueront".
6.4 En outre, l'auteur pense que les chances pour qu'une procédure de recours au Canada aboutisse dans un avenir proche sont nulles. À cet égard, il note que les mesures visant à l'empêcher d'exercer sa profession se sont multipliées récemment comme en témoignent l'avis par lequel il lui a été signifié que l'accès aux locaux de la Tribune de la presse lui était interdit, le fait qu'il ait été tour à tour déclaré coupable d'intrusion dans les locaux de la Tribune de la presse et sur la Colline parlementaire et l'ordonnance du Tribunal lui interdisant l'accès aux locaux de la Tribune de la presse, c'est-à-dire "à des installations et des services financés par l'État et mis par le Gouvernement canadien à la disposition des médias".
6.5 L'auteur déclare en outre "que tout en prétendant qu'elle fait tout pour faciliter l'accès aux installations et services fournis à la presse par le Gouvernement canadien, la Tribune de la presse parlementaire canadienne continue d'appliquer l'ordonnance du Tribunal interdisant au Directeur du National Capital News l'accès à l'ensemble de ces installations et services - à l'heure actuelle, non seulement l'auteur se voit refuser l'accès à l'information, mais il risque d'être condamné pour outrage à magistrat s'il cherchait à obtenir le même accès que ses concurrents à des informations que le Gouvernement et le Parlement canadiens destinent spécifiquement aux médias canadiens et étrangers".
6.6 L'auteur affirme que l'on a voulu le ridiculiser et banaliser son cas. Il se réfère aux observations d'un juge du Tribunal fédéral qui l'a comparé à "Don Quichotte se battant contre les moulins à vent" et à celles d'un juge de cour provinciale qui lui a dit : "Vous semblez prendre ombrage de tout", ainsi qu'à la réponse de l'État partie au Comité des droits de l'homme qui, selon lui, banalise la plainte dont est saisi le Comité. D'après l'auteur, c'est là une preuve qu'il n'y a pour lui aucun moyen de recours effectif au Canada.
6.7 L'auteur conteste l'affirmation de l'État partie selon laquelle tous les travaux de la Chambre des Communes sont transmis en direct à la télévision.
6.8 L'auteur s'élève contre l'argument de l'État partie selon lequel il est en conflit avec un organisme privé. Il affirme que l'objet de sa plainte est que des fonctionnaires et des tribunaux canadiens lui ont refusé l'accès à des installations et des services fournis à la presse par le Parlement et le Gouvernement canadiens. Il ajoute que "l'argument selon lequel, pour bénéficier d'un tel accès, il faut être membre d'un groupe de journalistes qui s'est autoproclamé Tribune de la presse parlementaire canadienne n'est qu'un prétexte et ne constitue pas un élément pertinent dans cette affaire au regard du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte". L'auteur fait observer que la Tribune de la presse a été dotée de la personnalité juridique en 1987 de façon à limiter la responsabilité personnelle de ses membres et que, dans la pratique, elle contrôle l'accès aux installations fournies à la presse par le Canada. Or, l'auteur est d'avis que rien ne l'oblige à se plier à des conditions préalables fixées par la Tribune de la presse qui ont pour effet de restreindre sa liberté d'expression. Il fait observer en outre que le personnel des services de presse du Parlement est constitué de fonctionnaires du Gouvernement et que le matériel de bureau appartient à l'État.
6.9 L'auteur affirme qu'il publie le National Capital News "avec une fréquence qui satisfait largement aux critères servant à définir un journal" / Il ressort du numéro du National Capital News du 26 octobre 1992, qui a été fourni par l'auteur, que le journal a été "fondé en 1982 pour devenir un quotidien"./. Il soutient qu'il n'y a pas de véritable procédure de demande d'adhésion à la Tribune de la presse et que l'accès est accordé ou refusé arbitrairement. Selon l'auteur, la Tribune de la presse n'a jamais étudié sérieusement sa demande et n'a pas examiné les renseignements qu'il a fournis. À cet égard, il affirme que l'on n'a pas donné aux membres de la Tribune de la presse la possibilité de prendre connaissance d'une liste des dates de parution de son journal. Il conteste l'argument de l'État partie selon lequel il aurait refusé de coopérer avec la Tribune de la presse. Il soutient en outre que le Président de la Chambre des Communes peut intervenir pour régler des problèmes se posant aux journalistes et qu'il l'a déjà fait dans le passé.
6.10 En outre, l'auteur signale qu'il a obtenu en 1982-1983 des cartes d'accès journalières qui ont été par la suite transformées en cartes hebdomadaires puis mensuelles. Ce n'est qu'en 1990 que lui a été délivrée une carte de membre temporaire valable pendant six mois. Il déclare qu'il a renvoyé cette carte parce qu'elle ne lui permettait pas d'accéder aux locaux de la Tribune de la presse dans des conditions d'égalité. Il soutient que le statut de membre temporaire ne lui permettait pas de voter, de poser des questions aux conférences de presse, de disposer d'une boîte à lettres pour recevoir toutes les informations auxquelles ont accès les membres actifs et de figurer sur la liste de membres. De ce fait, il n'y avait "aucune garantie que toutes les informations seraient communiquées à l'auteur et que celles qui étaient envoyées à titre individuel aux journalistes par les sources auprès desquelles la liste des membres était diffusée lui parviendraient".
6.11 L'auteur ajoute que, le 4 janvier 1996, la Cour de l'Ontario a rejeté sa plainte contre la Tribune de la presse. Il signale qu'il compte faire appel du jugement mais que, comme la procédure est prolongée déraisonnablement, rien n'empêche que sa communication soit déclarée recevable. Il affirme en outre que sa communication vise l'État partie et que son action contre la Tribune de la presse ne constitue pas un recours devant être épuisé aux fins du Protocole facultatif. L'auteur ajoute que, le 30 novembre 1994, il a retiré son appel du jugement de la Cour de l'Ontario relatif à sa plainte contre le Président de la Chambre des Communes, car il est exact que le Parlement ne relève pas de la compétence des tribunaux.
6.12 En ce qui concerne l'affirmation de l'État partie selon laquelle il n'aurait pas étayé son allégation, l'auteur fait valoir que l'État partie lui a interdit l'accès aux locaux de la Tribune de la presse situés dans les bâtiments du Parlement et qu'il n'a rien fait pour lui permettre d'accéder aux locaux de la Tribune de la presse se trouvant à l'extérieur des bâtiments du Parlement. Selon l'auteur, il est évident que l'État partie "n'a ni le désir ni l'intention de s'acquitter des responsabilités et des obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte".
Autres observations de l'État partie
7.1 Dans une communication datée du 25 octobre 1996, l'État partie apporte quelques précisions et admet que l'accès aux locaux du Parlement a été refusé à l'auteur, du 25 juillet au 4 août 1995, à la suite d'un incident intervenu le 25 juillet qui a valu à l'auteur d'être accusé de violation des locaux de la Tribune de la presse parlementaire. L'auteur a été déclaré coupable de violation des locaux le 26 avril 1996 et l'appel qu'il a formé a été rejeté le 9 juillet 1996.
7.2 L'État partie explique que l'auteur a accès aux bâtiments du Parlement mais pas aux locaux de la Tribune de la presse qui sont situés dans ces bâtiments. Il n'y a cependant aucune ordonnance judiciaire lui interdisant cet accès; l'ordonnance existante porte uniquement sur l'accès aux locaux de la Tribune de la presse qui ne sont pas situés sur la Colline du Parlement.
7.3 L'État partie fait tenir au Comité une copie du jugement de la Cour de l'Ontario (Division générale) en date du 4 janvier 1996, dans lequel la Cour a estimé que la plainte de l'auteur contre la Tribune de la presse ne justifiait pas l'ouverture d'une procédure. Le juge a estimé, sur la base d'un témoignage sous serment non contesté, que l'octroi des privilèges (accès aux installations de presse au Parlement) que réclamait l'auteur était du ressort du Président de la Chambre des Communes et non de la Tribune de la presse. Pour ce qui est du refus d'octroyer à l'auteur le statut de membre, le juge a estimé que la Tribune de la presse n'avait pas violé les droits naturels de l'auteur. Le juge a noté que l'auteur avait obtenu le statut de membre temporaire à plusieurs reprises et que, si le statut de membre actif lui a été refusé, c'est parce qu'il n'a pas répondu aux questions posées par le Conseil d'administration de la Tribune de la presse aux fins de déterminer s'il remplissait les conditions requises pour devenir membre actif.
7.4 L'État partie rappelle que si l'auteur n'a pas pu accéder à la Tribune de la presse parlementaire c'est simplement parce qu'il s'est montré peu coopératif lors de l'examen de sa demande de statut de membre actif. Selon l'État partie, en agissant ainsi l'auteur s'est soustrait au moyen de recours le plus simple et le plus direct dont il pouvait se prévaloir. L'État partie ajoute que le Président de la Chambre des Communes a "de bonnes raisons de demander aux personnes qui souhaitent accéder aux locaux de la Tribune de la presse parlementaire situés dans les bâtiments du Parlement de suivre la procédure normale. Pour que les règles régissant l'accès aux locaux du Parlement soient respectées, le Président de la Chambre des Communes doit veiller à ce que tous les points d'accès à ces locaux soient contrôlés. À cet effet, dans le cas particulier des locaux de la Tribune de la presse parlementaire situés à l'intérieur du Parlement, il a décidé, pour des raisons pratiques, que cet accès ne serait accordé qu'aux membres de la Tribune de la presse parlementaire". L'État partie fait valoir que la façon de procéder du Président de la Chambre des Communes est raisonnable et justifiée et n'est pas contraire à la liberté d'expression et de la presse.
Autres commentaires de l'auteur
8.1 Dans ses commentaires sur les observations complémentaires de l'État partie, l'auteur se plaint des atermoiements de l'État partie et fait valoir que sa plainte est fondée compte tenu, surtout, du comportement et de l'intention clairement établie de l'État partie de ne pas régler rapidement l'affaire au niveau local.
8.2 L'auteur réaffirme que le Gouvernement canadien l'empêche de rechercher et de recevoir des informations et d'assister aux débats pour pouvoir en rendre compte à ses lecteurs et lui interdit également l'accès aux installations et aux services mis à la disposition des médias. Il souligne que les journalistes qui sont dans les bonnes grâces des autorités bénéficient de privilèges spéciaux (téléphones gratuits, services de neuf employés payés par l'État, accès aux conférences de presse, bureaux mis à leur disposition, accès aux communiqués de presse et à l'information sur l'itinéraire des personnalités officielles, places de stationnement, accès à la bibliothèque du Parlement, etc.).
8.3 L'auteur fait valoir que la Cour a décidé qu'il ne pouvait obtenir de la Tribune de la presse les privilèges qu'il réclamait car leur octroi était du ressort du Président de la Chambre des Communes. Or ce dernier refuse d'intervenir dans ce qu'il considère comme les affaires intérieures de la Tribune de la presse. L'auteur affirme avoir essayé de se conformer aux exigences de la Tribune de la presse / Il signale qu'en une année il a publié en moyenne trois numéros par mois./, mais les décisions de cette dernière sont sans appel. Il n'est pas d'accord avec l'affirmation selon laquelle le fait de ne détenir qu'une carte d'accès temporaire ne restreint pas sa liberté d'expression, une telle carte ne permettant pas d'accéder à toutes les installations et à tous les services mis à la disposition de la presse.
8.4 Tout en reconnaissant que la Tribune de la presse a sans doute raison de passer au crible les demandes des personnes qui souhaitent accéder aux installations et aux services mis à la disposition des médias, l'auteur soutient qu'il devrait y avoir une possibilité de recours contre toute décision inéquitable ou constituant une violation des droits fondamentaux. Il affirme que le Canada n'est manifestement pas disposé à offrir un tel recours - comme en témoignent le refus persistant du Président de la Chambre des Communes de s'occuper de la question, ainsi que la réponse du Gouvernement au Comité - et fait valoir qu'il a donc épuisé tous les recours utiles dont il pourrait se prévaloir au niveau local.
Décision du Comité sur la recevabilité
9.1 Le Comité a examiné la recevabilité de la communication à sa soixantième session.
9.2 Le Comité note que l'État partie fait valoir que la communication est irrecevable parce que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes. Après avoir soigneusement examiné les voies de droit énumérées par l'État partie, le Comité est arrivé à la conclusion que l'auteur ne dispose d'aucun recours utile. À ce propos, le Comité note qu'il ressort des décisions de justice prononcées dans cette affaire que c'est au Président de la Chambre des Communes qu'il appartient d'accorder ou de refuser l'accès réclamé par l'auteur et que ses décisions en la matière ne sont pas susceptibles de révision judiciaire. L'argument de l'État partie selon lequel une solution peut être trouvée si l'auteur accepte d'apporter sa coopération dans le cadre de la procédure visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour être membre de la Tribune de la presse parlementaire canadienne est sans rapport avec la question soulevée par l'auteur de la communication qui est celle de savoir si le fait de limiter l'accès aux installations de presse aux seuls membres de la Tribune de la presse constitue ou non une violation du droit de l'auteur consacré par l'article 19 du Pacte.
9.3 L'État partie a en outre fait valoir que l'auteur n'a pas étayé son allégation et que la communication est par conséquent irrecevable car l'existence d'une violation n'a pas été prouvée. Le Comité note qu'il ressort de l'information dont il est saisi que l'auteur s'est vu refuser l'accès aux installations de presse au Parlement parce qu'il n'est pas membre de la Tribune de la presse parlementaire canadienne. Il note en outre que, faute de pouvoir accéder à la Tribune de la presse, l'auteur n'est pas autorisé à prendre des notes durant les débats du Parlement. Le Comité estime que l'allégation peut soulever une question au titre du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte, question qui doit être examinée quant au fond.
9.4 Le Comité considère en outre que la question de savoir si l'État partie peut faire de l'affiliation à un organisme privé une condition pour la jouissance de la liberté de rechercher et de recevoir des informations doit être examinée quant au fond, car elle peut soulever des questions non seulement au titre de l'article 19, mais aussi au titre des articles 22 et 26 du Pacte.
10. En conséquence, le Comité des droits de l'homme a décidé le 10 juillet 1997 que la communication était recevable.
Observations de l'État partie quant au fond
11.1 Dans des observations datées du 14 juillet 1998, l'État partie soumet une réponse quant au fond de la communication. Il réitère ses observations antérieures et explique que, en vertu d'un privilège parlementaire, le Président de la Chambre des Communes est responsable des locaux et des services dans les parties de l'enceinte du Parlement qui sont occupées par ou pour la Chambre des Communes. L'une de ses responsabilités à cet égard est le contrôle de l'accès à ces locaux. L'État partie souligne que l'autorité absolue du Parlement sur son propre fonctionnement constitue un principe fondamental et essentiel de l'ensemble du cadre constitutionnel canadien.
11.2 En ce qui concerne les liens entre le Président de la Chambre et la Tribune de la presse, l'État partie explique que ces liens ne sont ni formels, ni officiels, ni juridiques. Bien que le Président de la Chambre ait l'autorité suprême sur l'accès aux installations de presse à l'intérieur du Parlement, il ne prend pas part aux opérations générales de ces installations qui sont administrées et gérées par la Tribune de la presse.
11.3 Des cartes de presse permettant d'avoir accès aux installations de presse du Parlement ne sont attribuées qu'aux membres de la Tribune de la presse. L'État partie rappelle que l'attribution du statut de membre de la Tribune de la presse est une question interne et que le Président de la Chambre a toujours eu une position de non-ingérence absolue. L'État partie soumet que, à titre de membre du public, l'auteur a accès aux édifices du Parlement ouverts au public et qu'il peut assister aux débats publics de la Chambre des Communes.
11.4 À ce propos, l'État partie rappelle que les débats de la Chambre des Communes sont diffusés à la télévision et que tout journaliste peut efficacement faire des reportages sur les débats de la Chambre des Communes sans utiliser les installations de presse du Parlement. L'État partie ajoute qu'il est possible d'avoir accès aux transcriptions des débats de la Chambre sur l'Internet le lendemain. Les discours et les communiqués de presse du Premier Ministre sont conservés dans une salle ouverte au public et sont aussi publiés sur l'Internet. De même, les communiqués de presse et les rapports du Gouvernement sont présentés sur l'Internet.
11.5 L'État partie soutient que l'auteur n'a pas été privé de sa liberté de recevoir et de répandre des informations. Même si, à titre de membre du public, il ne peut pas prendre de notes dans la tribune du public de la Chambre des Communes, il peut observer les débats de la Chambre et faire des reportages à ce sujet. L'État partie explique que "la prise de notes a toujours été interdite dans les tribunes du public de la Chambre des Communes pour des motifs d'ordre et de décorum et pour des raisons de sécurité (par exemple, pour éviter que l'on ne lance des objets aux députés à partir des tribunes)". De plus, les renseignements que l'auteur désire sont diffusés en direct et se trouvent sur l'Internet.
11.6 Subsidiairement, l'État partie fait valoir que si l'auteur est empêché de recevoir et de répandre des informations par l'interdiction de prendre des notes dans la tribune du public à la Chambre des Communes, cet empêchement est minime et qu'il est justifié pour permettre d'atteindre un équilibre entre, d'une part, le droit à la liberté d'expression et, d'autre part, la nécessité d'assurer au Parlement un fonctionnement efficace et digne et de garantir la sécurité et la protection de ses membres. Selon l'État partie, les États devraient se voir reconnaître beaucoup de souplesse pour décider des questions de bonne gouvernance et de sécurité étant donné qu'ils sont en meilleure position pour évaluer les risques et les besoins.
11.7 L'État partie nie aussi toute violation de l'article 26 en ce qui concerne l'auteur. L'État partie reconnaît qu'il existe une différence de traitement entre les journalistes qui sont membres de la Tribune de la presse et ceux qui ne remplissent pas les conditions d'adhésion, mais il soumet que cela n'a pas causé d'inconvénient important à l'auteur. L'État partie renvoie aussi à la jurisprudence du Comité voulant que tout traitement différent n'est pas nécessairement discriminatoire et il soumet que la distinction qui est établie est compatible avec les dispositions du Pacte et fondée sur des critères objectifs. À ce sujet, l'État partie souligne que l'accès aux installations de presse du Parlement doit nécessairement être restreint étant donné que ces installations ne peuvent servir qu'à un nombre limité de personnes. Il est raisonnable de réserver cet accès aux journalistes qui rendent régulièrement compte des débats du Parlement. Le Président connaît les conditions pour devenir membre de la Tribune de la presse et considère que ces conditions constituent des normes appropriées pour déterminer qui devrait ou ne devrait pas avoir accès aux installations de presse du Parlement. L'État partie soumet que ces conditions, que le Président a implicitement adoptées et fait siennes, sont précises, justes et raisonnables et que l'on ne peut pas présumer qu'elles sont arbitraires et déraisonnables.
11.8 En ce qui concerne l'article 22 du Pacte, l'État partie fait remarquer que l'auteur n'est pas forcé par le Gouvernement de devenir membre de quelque association que ce soit. Il est libre de ne pas devenir membre de la Tribune de la presse et, pour exercer le métier de journaliste, il n'est pas obligé d'être membre de la Tribune de la presse.
Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie
12.1 Dans ses commentaires, datés du 25 septembre 1998, l'auteur renvoie à ses observations antérieures. Il souligne qu'il est sans recours étant donné le refus du Président d'intervenir en sa faveur et de lui donner accès aux installations de presse ou même de l'entendre. L'auteur souligne que le Président n'a transféré aucun pouvoir à la Tribune de la presse et qu'il n'a pas l'autorité de déléguer ses responsabilités à un groupe particulier, qui n'a aucun compte à rendre au Parlement. Selon l'auteur, les privilèges parlementaires sont sans fondement ni effet s'ils portent atteinte aux droits fondamentaux comme ceux qui sont inscrits dans le Pacte. L'auteur fait valoir que l'État partie permet à un organisme privé de restreindre l'accès aux nouvelles et aux informations.
12.2 L'auteur soumet aussi des exemples de cas où, par le passé, des présidents de la Chambre sont intervenus pour donner accès aux installations de presse du Parlement à des journalistes à qui la Tribune de la presse avait refusé le statut de membre. Il rejette la prétention de l'État partie selon laquelle le Président porterait atteinte à la liberté de la presse s'il intervenait et il fait valoir, au contraire, que le Président a le devoir d'intervenir afin de protéger la liberté d'expression.
12.3 L'auteur réitère que, à titre de journaliste, il a besoin d'avoir un accès égal aux installations de presse du Parlement / L'auteur mentionne à l'Assemblée annuelle de 1992 de la Tribune de la presse, au cours de laquelle des membres ont déclaré qu'ils avaient un droit fondamental aux installations du Parlement pour pouvoir avoir accès à l'information./. Il déclare que, même s'il peut paraître raisonnable que le Président confie l'accréditation des journalistes au personnel assigné à la Tribune de la presse, les choses sont devenues hors de contrôle et que la Tribune de la presse s'est mise à agir avec favoritisme, d'une part, et par contrainte et chantage, d'autre part, avec le résultat que l'auteur s'est vu refuser l'accès et se trouve sans recours. Il souligne qu'il répond à toutes les exigences d'accréditation. Il fait aussi valoir que, de toute façon, le règlement interne de la Tribune ne peut pas porter atteinte aux droits fondamentaux d'accès aux informations qui lui sont reconnus par le paragraphe 2 de l'article 19. Il ajoute que le règlement interne de la Tribune est arbitraire, incohérent et tyrannique et qu'il est en violation non seulement du Pacte mais aussi de la Constitution même de l'État partie. L'auteur soumet que si des journalistes souhaitent constituer leur propre association ils sont sûrement libres de le faire. Cependant, cette organisation bénévole et privée ne devrait en aucune façon se voir accorder le pouvoir de superviser des services et des activités financées avec les fonds publics, comme c'est le cas en l'espèce, à plus forte raison s'il n'existe aucune possibilité de recours contre les décisions de cette association. Il considère que l'adhésion à cette association ne devrait pas constituer une condition préalable pour jouir du droit fondamental à la liberté d'expression et il soumet qu'il ne devrait pas être contraint d'être membre de la Tribune de la presse pour recevoir les informations distribuées par la Chambre des Communes.
12.4 En ce qui concerne l'argument de l'État partie selon lequel il y a une diffusion en direct de tous les débats de la Chambre des Communes, l'auteur soutient que la Chaîne d'affaires publiques par câble, qui diffuse les débats de la Chambre des Communes, est un service de nouvelles qui est un de ses concurrents. Il déclare que, pour un journaliste, ce service est très peu utile étant donné qu'il faut regarder tout ce que la Chaîne veut bien diffuser. De plus, l'auteur conteste l'affirmation qu'il existe une couverture en direct de tous les débats de la Chambre des Communes, étant donné que, très souvent, les débats sont diffusés en reprise et que la plupart des réunions des comités ne sont pas télévisées. L'auteur fait valoir que le travail d'un reporter concernant les activités du Parlement comprend beaucoup plus que l'observation des séances de la Chambre des Communes. De plus, le fait d'être reconnu aux yeux de la communauté gouvernementale comme partie intégrante des médias établis est essentiel pour pouvoir constituer des réseaux au sein de cette communauté. Par conséquent, l'auteur soutient que les limitations imposées par le fait de ne pas avoir accès aux installations de presse du Parlement constituent un obstacle important sinon prohibitif pour son travail de recherche d'informations sur les activités du Parlement et du Gouvernement du Canada.
12.5 L'auteur rejette l'argument de l'État partie selon lequel le fait de lui permettre de faire son travail avec les 300 autres journalistes accrédités porterait atteinte à la dignité et à l'efficacité du fonctionnement du Parlement ainsi qu'à la sécurité et à la protection de ses membres. En ce qui concerne l'article 26 du Pacte, l'auteur considère que la distinction de traitement faite entre lui et les autres journalistes membres de la Tribune de la presse n'est pas raisonnable et il répète qu'on lui a refusé arbitrairement un accès égal aux installations de presse. Même s'il reconnaît que l'État partie peut limiter l'accès aux installations de presse du Parlement, il soutient que ces limitations ne doivent pas constituer des contraintes déraisonnables, qu'elles doivent être gérées équitablement, qu'elles ne doivent pas violer le droit à la liberté d'expression ni le droit de rechercher et de recevoir des informations, et qu'elles doivent pouvoir faire l'objet d'un recours. Selon l'auteur, l'inexistence d'une voie de recours contre une décision de la Tribune de la presse constitue une violation du principe de protection égale devant la loi. L'auteur conteste que le manque d'espace justifie de ne pas l'autoriser à profiter des installations de presse, étant donné que d'autres nouveaux journalistes ont été admis et qu'il y aurait d'autres moyens de résoudre ce problème, par exemple en limitant le nombre de journalistes accrédités qui travaillent pour un même service de nouvelles / L'auteur cite le cas de la société d'État Canadian Broadcasting Corporation, qui compte 105 membres à la Tribune de la presse./.
12.6 Enfin, l'auteur soutient que le fait d'interdire aux journalistes qui ne sont pas membres de la Tribune de la presse parlementaire d'avoir accès aux services et aux installations essentiels fournis à la presse par la Chambre des Communes constitue une violation du droit à la liberté d'association, étant donné que personne ne devrait être contraint de devenir membre d'une association afin de jouir d'un droit fondamental comme la liberté de rechercher des informations.
Délibérations du Comité
13.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication sur la base des informations qui lui avaient été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
13.2 En ce qui concerne les plaintes formulées par l'auteur au titre des articles 22 et 26 du Pacte, le Comité a réexaminé, conformément au paragraphe 4 de l'article 93 de son règlement intérieur, la décision concernant la recevabilité qu'il avait prise à sa soixantième session et estime que l'auteur n'a pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations au titre desdits articles. Il ne l'a pas fait davantage, aux mêmes fins, dans ses commentaires ultérieurs. Dans ces circonstances, le Comité conclut que la communication de l'auteur est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif, pour ce qui a trait aux articles 22 et 26 du Pacte. À cet égard, la décision concernant la recevabilité est donc annulée.
13.3 La question soumise au Comité est donc de savoir si les limitations imposées à l'auteur en ce qui regarde l'accès aux installations de la presse du Parlement constituent une violation de son droit reconnu par l'article 19 du Pacte de rechercher, de recevoir et de répandre des informations.
13.4 À ce sujet, le Comité mentionne aussi le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, établi à l'article 25 du Pacte et il renvoie, en particulier, à l'Observation générale No 25 (57), dont un extrait se lit ainsi : "La communication libre des informations et des idées concernant des questions publiques et politiques entre les citoyens, les candidats et les représentants élus est essentielle au plein exercice des droits garantis à l'article 25. Cela exige une presse et d'autres organes d'information libres, en mesure de commenter toute question publique, sans censure ni restriction, et capables d'informer l'opinion publique" / Observation générale No 25, par. 25, adoptée par le Comité le 12 juillet 1996./. Lu en regard de l'article 19, cela signifie que les citoyens devraient, notamment grâce aux médias, avoir largement accès aux informations et avoir la possibilité de diffuser des informations et des opinions au sujet des activités des organes élus et de leurs membres. Cependant, le Comité reconnaît qu'un tel accès ne doit pas perturber l'exercice des fonctions des organes élus et que, par conséquent, un État partie a le droit de limiter cet accès. Toutefois, toute restriction imposée par l'État partie doit être compatible avec les dispositions du Pacte.
13.5 En l'espèce, l'État partie a limité aux représentants des médias qui sont membres d'un organisme privé, la Tribune de la presse parlementaire, le droit de jouir des installations de presse du Parlement financées avec des fonds publics, y compris le droit de prendre des notes en assistant aux séances du Parlement. L'auteur s'est vu refuser le droit de devenir membre actif (c'est-à-dire membre de plein droit) de la Tribune de la presse. À l'occasion, il a été membre temporaire, ce qui lui a donné accès à certains services de cet organisme, mais pas à tous. S'il n'est pas au moins membre temporaire, il n'a pas accès aux installations de presse et ne peut pas prendre de notes lors des débats du Parlement. Le Comité note que l'État partie a prétendu que l'auteur ne souffre d'aucun inconvénient majeur étant donné que les progrès technologiques permettent de rendre rapidement accessibles au public les informations relatives aux débats du Parlement. L'État partie a fait valoir que l'auteur peut faire des reportages sur les débats en utilisant les services de diffusion ou en observant les débats. Cependant, compte tenu de l'importance des informations sur la vie démocratique, le Comité n'accueille pas l'argument de l'État partie et est d'avis que l'exclusion de l'auteur constitue une restriction au droit d'accès aux informations reconnu au paragraphe 2 de l'article 19. La question est de savoir si cette restriction est justifiée aux termes du paragraphe 3 de l'article 19. D'aucuns diront que cette restriction est imposée par la loi en ce que l'exclusion de certaines personnes de l'enceinte du Parlement, en tout ou en partie, sous l'autorité du Président, repose sur le droit établi par un privilège parlementaire.
13.6 L'État partie fait valoir que les contraintes sont justifiées pour établir un équilibre entre le droit à la liberté d'expression et la nécessité de garantir le fonctionnement efficace et digne du Parlement ainsi que la sécurité et la protection de ses membres et que l'État partie est lui-même dans la meilleure position pour déterminer les risques et les besoins en question. Comme on l'a vu ci-dessus, le Comité convient que la protection du déroulement des activités du Parlement peut sembler être un but légitime d'ordre public et que, par conséquent, un système d'accréditation peut être un moyen justifié d'arriver à ce but. Cependant, comme ce système d'accréditation représente une limite aux droits énoncés à l'article 19, son opération et son application doivent apparaître nécessaires et proportionnées à l'objectif en question, et non pas arbitraires. Le Comité n'accepte pas qu'il s'agisse là d'une question devant être tranchée exclusivement par l'État. Les critères du régime d'accréditation doivent être précis, justes et raisonnables et leur application doit être transparente. En l'espèce, l'État partie a autorisé un organisme privé à contrôler l'accès aux installations de presse du Parlement, sans ingérence. Ce régime ne garantit pas qu'il n'y aura pas de refus arbitraires d'accès aux installations de presse du Parlement. En l'espèce, le Comité est d'avis que l'on n'a pas démontré que le régime d'accréditation constituait une limite, nécessaire et appropriée, aux droits énoncés au paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte afin de garantir un fonctionnement efficace du Parlement et la protection de ses membres. Le fait d'interdire à l'auteur l'accès aux installations de presse du Parlement au motif qu'il n'est pas membre de la Tribune de la presse constitue donc une violation du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte.
13.7 À ce sujet, le Comité note qu'il n'existe pas de possibilité de recours aux tribunaux ou au Parlement pour établir la légalité d'une exclusion ou sa nécessité aux fins énoncées à l'article 19 du Pacte. Le Comité rappelle qu'en vertu du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, les États parties se sont engagés à garantir que toute personne dont les droits ont été violés ait un recours utile et que l'autorité compétente statue sur les droits de la personne qui formule le recours. Par conséquent, dans tous les cas où un droit reconnu par le Pacte est touché par une action d'un agent de l'État, l'État doit avoir établi une procédure permettant à la personne dont les droits sont touchés de se plaindre de la violation de ses droits à un organe compétent.
14. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte.
15. En vertu de l'alinéa a) du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'assurer à M. Gauthier un recours utile, notamment un examen indépendant de sa demande d'accès aux installations de presse du Parlement. L'État partie est aussi tenu de veiller à ce que des violations semblables ne se répètent pas.
16. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est aussi prié de publier les constatations du Comité.
________________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitán de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Abdallah Zakhia. Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité, M. Maxwell Yalden n'a pas participé à l'examen de l'affaire.
** Le texte de quatre opinions individuelles signées par sept membres du Comité est joint au présent document.
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle des membres ci-après : Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Cecilia Medina Quiroga
et M. Hipólito Solari Yrigoyen
(en partie dissidente)
En ce qui concerne le paragraphe 13.2 des constatations du Comité, notre opinion est que les allégations de l'auteur au titre des articles 22 et 26 du Pacte sont suffisamment étayées et qu'il n'est pas justifié de réviser la décision concernant la recevabilité.
L'article 26 du Pacte stipule que toutes les personnes sont égales devant la loi. L'égalité signifie que l'application des lois et règlements comme des décisions administratives par les pouvoirs publics ne devrait pas être arbitraire mais fondée sur des motifs clairs et cohérents, garantissant l'égalité de traitement. Il était arbitraire de refuser à l'auteur, qui est journaliste et tente de rendre compte des débats parlementaires, l'accès aux installations de presse du Parlement sans en donner précisément les raisons. En outre, aucune procédure d'examen par recours n'était possible. Dans ces circonstances, nous sommes d'avis que le principe de l'égalité devant la loi protégé par l'article 26 du Pacte a été violé dans le cas de l'auteur.
Pour ce qui regarde l'article 22, l'allégation de l'auteur est que le caractère obligatoire de l'appartenance à la Tribune de la presse pour avoir accès aux installations de presse du Parlement constituait une violation de ses droits au titre de l'article 22. Le droit à la liberté d'association implique qu'en règle générale, personne ne peut être contraint par un État de faire partie d'une association. Si l'appartenance à une association est une condition nécessaire pour exercer une profession ou un métier particulier, ou si le fait de ne pas être membre d'une association est sanctionné, l'État partie devrait être invité à démontrer que l'affiliation obligatoire est nécessaire dans une société démocratique, dans un but autorisé par le Pacte. En l'espèce, il ressort des délibérations du Comité exposées au paragraphe 13.6 des constatations que l'État partie n'a pas démontré que l'obligation d'être membre d'une organisation particulière constituait une restriction nécessaire au sens du paragraphe 2 de l'article 22, permettant de limiter l'accès à la tribune de la presse du Parlement aux fins mentionnées. Les restrictions imposées à l'auteur sont donc contraires à l'article 22 du Pacte.
Lord Colville [signé] Mme Elizabeth Evatt [signé]
Mme Cecilia Medina Quiroga [signé] M. Hipólito Solari Yrigoyen [signé]
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de M. Prafullachandra N. Bhagwati,
(en partie dissidente)
En ce qui concerne le paragraphe 13.2 des constatations du Comité, mon opinion est que les allégations de l'auteur au titre des articles 22 et 26 du Pacte sont suffisamment étayées et qu'il est injustifié de réviser la décision concernant la recevabilité.
L'article 26 du Pacte stipule que toutes les personnes sont égales devant la loi. L'égalité signifie que l'application des lois et règlements comme des décisions administratives par les pouvoirs publics ne devrait pas être arbitraire mais fondée sur des motifs clairs et cohérents, garantissant l'égalité de traitement. Il était arbitraire de refuser à l'auteur, qui est journaliste et tente de rendre compte des débats parlementaires, l'accès aux installations de presse du Parlement. L'auteur s'est vu dénier cet accès au seul motif qu'il n'était pas membre de la Tribune de la presse. Ce que l'article 26 réprouve, c'est le caractère arbitraire du traitement. En l'occurrence, le fondement du traitement différent réservé à un journaliste comme l'auteur - qui s'est vu dénier l'accès - et aux journalistes qui se sont vu octroyer l'accès était l'appartenance à une organisation privée, à savoir la Tribune de la presse, fondement qui n'offrait aucun lien rationnel ni pertinent avec l'objet de l'accréditation. Le fait de rendre obligatoire l'appartenance à la Tribune de la presse était donc clairement arbitraire. En outre, aucune procédure d'examen par recours n'était possible. Dans ces circonstances, je suis d'avis que le principe de l'égalité devant la loi protégé par l'article 26 du Pacte a été violé dans le cas de l'auteur.
Pour ce qui regarde l'article 22, l'auteur allègue que le fait de faire de l'appartenance à la Tribune de la presse une condition obligatoire de l'accès aux installations de presse du Parlement constituait une violation de ses droits en vertu de l'article 22, lu à la lumière de l'article 19. Le droit à la liberté d'association implique qu'en règle générale, personne ne peut être contraint par un État d'appartenir à une association. Si l'appartenance à une association est une condition nécessaire pour exercer une profession ou un métier particulier, ou si la non-appartenance à une association est sanctionnée, il convient d'inviter l'État partie à démontrer que l'affiliation obligatoire est nécessaire dans une société démocratique, dans un but autorisé par le Pacte. En l'espèce, il ressort des délibérations du Comité exposées au paragraphe 13.6 des constatations que l'État partie n'a pas démontré que l'obligation d'être membre d'une organisation particulière constituait une restriction nécessaire au sens du paragraphe 2 de l'article 22, permettant de limiter l'accès à la tribune de la presse du Parlement aux fins mentionnées. Les restrictions imposées à l'auteur sont donc contraires à l'article 22 du Pacte.