Présentée par: Everton Morrison
(représenté par le cabinet d'avocats londonien Allen & Overy)
Au nom de: L'auteur
État partie: Jamaïque
Date de la communication: 14 juin 1995 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques,
Réuni le 27 juillet 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication no 635/1995, présentée par M. Everton Morrison en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Everton Morrison, citoyen jamaïcain, en attente d'exécution à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque). Il se déclare victime de violations, par la Jamaïque, des articles 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté le 30 décembre 1988, dans le cadre de l'enquête sur le meurtre, commis le 26 décembre 1988, d'une certaine Angella Baugh-Dujon, dans la commune de St. Andrew (Kingston). Le 25 juillet 1990, la Home Circuit Court de Kingston l'a déclaré coupable et condamné à mort. L'auteur a été débouté par la cour d'appel de la Jamaïque le 20 janvier 1992 et sa demande d'autorisation spéciale de recours auprès de la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée le 25 mai 1995. Le conseil indique que tous les recours internes ont ainsi été épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
2.2 L'accusation a développé la thèse suivante. Dans la soirée du 26 décembre 1988, l'auteur, dans l'exécution d'un projet commun avec un complice désigné sous le pseudonyme de "Jacko", a tiré deux fois sur Angella Baugh-Dujon, qui est morte de ses blessures. Le corps de Mme Baugh-Dujon, à moitié nu, a été retrouvé à quelque distance de sa voiture, dans la commune de St. Andrew à Kingston. L'accusation reposait sur des indices. Il n'y avait pas de témoin oculaire.
2.3 Au procès, l'amie de l'auteur, appelée Plummer, a déclaré qu'elle vivait avec l'auteur depuis cinq ans, qu'ils avaient un enfant, et vivaient ensemble dans la maison de ses parents à Gordon Town (Kingston) en décembre 1988. Elle a déclaré que le 26 décembre 1988 vers 17 heures elle se trouvait chez elle quand un ami de l'auteur surnommé "Jacko" était arrivé, suivi vers 18 heures de l'auteur. Les deux hommes étaient partis ensemble et étaient revenus vers 20 heures; l'auteur avait alors pris un sac en plastique noir qui se trouvait sous le lit et les deux hommes étaient repartis pour ne revenir que vers une heure du matin. Plummer a déclaré que quand elle l'avait vu, l'auteur ne portait qu'un slip. Il lui aurait dit que si quelqu'un lui demandait s'il avait passé la nuit là, elle devait répondre "oui". Elle a ajouté qu'elle avait entendu l'auteur laver ses vêtements dehors, mais qu'elle ne l'avait pas vu. Elle a également affirmé que "Jacko" était resté à l'intérieur. Plummer a déclaré que quand elle s'était levée à 8 heures, le 27 décembre 1988, les deux hommes étaient partis et qu'elle avait trouvé le pantalon marron que l'auteur portait la nuit précédente dans un seau d'eau : le pantalon portait des taches de sang. Plummer a affirmé que le matin du 30 décembre 1988 l'auteur et elle-même avaient été réveillés, chez eux, par les aboiements de chiens policiers. L'auteur lui aurait dit : "Dis à Lloyd Brown de me donner 1 000 dollars" et "les armes sont dans les sacs en plastique sur la colline". La police a emmené l'auteur ce même matin. Plummer a précisé que Lloyd Brown n'était pas "Jacko".
2.4 Plummer a déclaré que le 7 janvier 1989 la police s'était rendue chez elle pour perquisitionner dans la maison et dans le jardin. Lors du contre-interrogatoire, elle a admis avoir été conduite au poste de police de Constant Spring le 31 décembre 1988, avoir fait ce même jour une déclaration à M. Dwyer et avoir été ensuite conduite au poste de police de Matilda's Corner, où elle était restée en garde à vue pendant trois semaines.
2.5 Un autre témoin, Adolphus Williams, a déclaré qu'en décembre 1988 il vivait avec la voisine de Plummer, et que la nuit du 26 décembre 1988 vers minuit, deux hommes - dont l'un était l'auteur - s'étaient approchés de chez lui. Williams a affirmé que l'auteur lui avait dit que s'il entendait quoi que ce soit le lendemain, il ne fallait pas qu'il dise qu'il l'avait vu, car "il aurait des ennuis". Williams a ajouté que l'auteur avait quelque chose dans la main, caché par un chiffon.
2.6 Le policier chargé de l'enquête, le Detective Superintendent Dwyer, a témoigné que l'auteur avait été conduit à son bureau et interrogé au sujet du meurtre commis le 6 janvier 1989 et que, après avoir entendu la notification d'usage, il avait reconnu qu'il se trouvait sur les lieux du crime. Il avait incriminé "Jacko", disant à Dwyer que c'était lui qui avait les armes du crime et qu'il fallait demander à Plummer car elle savait où elles se trouvaient. Dwyer a indiqué que le 7 janvier 1989 il s'était rendu chez Plummer accompagné d'autres policiers et qu'elle les avait conduits dans la cour, où un sac en plastique noir contenant deux armes à feu avait été saisi.
2.7 L'accusation avait également cité M. Wray - Assistant Commissioner - qui avait affirmé que les essais balistiques effectués avec les armes à feu saisies dans le jardin de l'auteur montraient que les deux armes "pouvaient avoir servi le 27" [décembre 1988] et que les balles retrouvées sur les lieux du crime provenaient de ces armes. Un témoin avait déposé au sujet de l'identité de la victime et un pathologiste avait témoigné au sujet des deux blessures par balle constatées sur le corps.
2.8 L'auteur a fait une déclaration depuis le banc des accusés sans prêter serment. Il a affirmé qu'il se trouvait chez lui le 26 décembre 1988. Il a prétendu n'avoir jamais parlé à Dwyer d'une arme à feu et que Plummer avait fait sa déclaration à la police sous la contrainte. Il a affirmé en outre n'avoir jamais parlé à Adolphus Williams et n'avoir jamais eu d'altercation avec lui. Son moyen de défense était l'alibi. Aucun témoin à décharge n'a été cité.
3.1 Le 30 juin 1995, le conseil de l'auteur a envoyé une autre communication, qui concernait le procès et la condamnation de l'auteur pour un autre meurtre - celui d'un certain Joseph Hunter, commis le 28 octobre 1988. L'auteur a reçu notification de ce meurtre le 17 janvier 1989 - alors qu'il avait déjà été arrêté pour le meurtre d'Angella Baugh-Dujon -, à la suite de la découverte de l'arme de Hunter dans son jardin.
3.2 Le 24 juillet 1991, l'auteur a été déclaré coupable du meurtre de Hunter. La cour d'appel a annulé ce jugement le 15 février 1993 et a ordonné un nouveau procès. Ce nouveau procès a abouti à une condamnation, le 29 septembre 1993, pour meurtre emportant la peine capitale. L'auteur a été débouté par la cour d'appel le 18 juillet 1994 et sa demande d'autorisation spéciale de recours auprès de la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée le 25 mai 1995.
3.3 Au procès, l'accusation a développé la thèse suivante. Le 28 octobre 1988, Joseph Hunter et Doreen McLean se trouvaient dans une Volkswagen sur une route (Hill Road) de St. Andres. Deux hommes, dont l'un était l'auteur, se sont approchés de la voiture, ont tiré sur Hunter et l'ont tué. L'accusation reposait uniquement sur des preuves indirectes.
3.4 Doreen McLean a déclaré qu'elle se trouvait avec Hunter ce soir-là vers 19 heures, qu'elle a entendu une voix d'homme dire "Ne bouge pas", venant du côté du conducteur, où Hunter était assis. Hunter s'est emparé d'un revolver et s'est mis à tirer. Mme McLean a entendu une explosion et s'est rendu compte que Hunter était blessé. Quand elle a entendu des pas, elle est sortie tout doucement de la camionnette et s'est cachée dessous. De sa cachette, elle ne pouvait rien voir, mais elle a entendu deux voix d'homme, l'une disant "Tu as l'arme? tu as trouvé l'arme?", l'autre répondant "Oui". Cinq minutes après, elle est sortie de dessous la camionnette. Hunter perdait son sang et ne lui a rien dit.
3.5 L'amie de l'auteur, Plummer, a de nouveau déclaré que, le 7 janvier 1989, elle avait montré à la police l'endroit où se trouvait un sac en plastique noir contenant deux armes. Elle a affirmé que l'auteur lui avait dit où les trouver. Elle a ajouté que les armes que, selon elle, l'auteur avait en sa possession depuis le mois de septembre, étaient précédemment rangées sous son lit et qu'elle avait vu l'auteur en limer une pour effacer le numéro de série.
3.6 La police a déclaré que l'une des armes trouvées dans le jardin de l'auteur portait le même numéro de série que l'arme pour laquelle Hunter détenait un permis. L'expert en balistique a témoigné que deux balles trouvées sur le lieu du crime provenaient de l'autre arme retrouvée dans le jardin de l'auteur.
3.7 L'auteur a fait une déclaration sous serment, affirmant qu'il n'était au courant de rien, qu'il était resté chez Plummer toute la journée du 28 octobre 1988 parce qu'il aidait des ouvriers à réparer le toit de la maison. Il a déclaré que ses relations avec Plummer n'étaient pas bonnes et que celle-ci mentait. Aucun témoin à décharge n'a été cité.
Teneur de la plainte
4.1 En ce qui concerne son arrestation et son procès pour le meurtre d'Angella Baugh-Dujon, l'auteur affirme qu'il est resté détenu pendant trois ou quatre semaines sans avoir été inculpé, ce qui, déclare-t-il, constitue une violation du paragraphe 3 a) de l'article 14.
4.2 L'auteur affirme qu'il a été frappé et insulté par deux policiers, dont l'un était témoin à charge, après avoir été placé en détention. Il s'est plaint à son avocat, qui n'a pas insisté.
4.3 L'auteur indique qu'il est resté environ un an et sept mois en détention avant jugement, en violation du paragraphe 3 c) de l'article 14.
4.4 L'auteur signale aussi qu'il a été "rudoyé" par l'avocat qui lui a été commis d'office, lequel proférait des jurons pendant qu'il lui parlait et a refusé de se rendre sur les lieux du crime comme l'auteur le lui avait demandé. L'auteur ajoute qu'il n'a pu rencontrer son avocat que pendant le procès, car l'avocat refusait d'avoir un entretien en privé avec lui pour parler de l'affaire. En outre, l'avocat n'a pas contesté les preuves balistiques ni la crédibilité du principal témoin à charge. L'avocat, déclare l'auteur, n'a pas non plus présenté le dossier de la défense et n'a fait aucun effort pour avancer des arguments en sa faveur. L'auteur affirme en outre qu'en appel l'avocat n'a avancé aucun moyen de défense. Pour toutes ces raisons, il se déclare victime d'une violation des paragraphes 3 b) et d) de l'article 14.
4.5 L'auteur invoque aussi le droit à un procès équitable, qui, selon lui, a été violé en raison des instructions données au jury par le juge du fond. Celui-ci a indiqué que les deux participants à un projet commun étaient responsables "même si des conséquences inhabituelles découlent de l'accomplissement du projet commun". Selon l'auteur, le juge du fond a commis une erreur fondamentale en omettant de mentionner l'élément intellectuel qui fait partie intégrante d'un projet commun, à savoir que, si l'un des participants va plus loin que ce qui a été décidé tacitement, les autres participants au projet commun ne sont pas responsables des conséquences de l'acte dont il n'était pas convenu. Le conseil de l'auteur déclare que, comme l'accusation n'a pas établi que l'auteur avait tiré ou que le projet commun consistait à commettre un acte pouvant provoquer des lésions corporelles graves sur la personne d'un tiers, il est impossible de savoir si le jury aurait condamné l'auteur si les instructions du juge avaient été correctes. De plus, l'auteur affirme que le juge du fond a commis une erreur fondamentale en indiquant au jury qu'il était "plus sûr et préférable" de condamner sur la foi de preuves indirectes. Selon le conseil, les instructions données par le juge au sujet de l'alibi étaient fondamentalement viciées car il a dit que l'auteur n'avait pas à prouver quoi que ce soit mais qu'il pouvait essayer de le faire, donnant ainsi l'impression que l'auteur avait un devoir à accomplir. Le juge n'a pas non plus donné d'indications au jury sur l'obligation qu'avait l'accusation de prouver que l'alibi était faux.
4.6 L'auteur affirme, en outre, que les conditions pénitentiaires générales et l'insuffisance des soins médicaux qu'il a reçus alors qu'il souffre d'asthme entraînent une violation de l'article 10 du Pacte.
4.7 Il est précisé que l'affaire n'a été soumise à aucune autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
5.1 En ce qui concerne l'arrestation et le procès pour le meurtre de Joseph Hunter, l'auteur déclare que, bien que la police lui ait fait savoir que les armes trouvées chez lui l'impliquaient dans la mort de Hunter, il n'a, en fait, été accusé du meurtre que lorsqu'il a comparu devant le Gun Court. L'auteur affirme qu'il y a eu ainsi violation du paragraphe 3 a) de l'article 14.
5.2 L'auteur déclare également qu'il a été maltraité après son arrestation et que les policiers chargés de l'enquête l'ont menacé, déclarant qu'il se ferait tuer s'il n'avouait pas le meurtre de Joseph Hunter.
5.3 L'auteur souligne qu'il a attendu environ deux ans et demi l'ouverture de son procès, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14.
5.4 Quant à son avocat, l'auteur affirme avoir eu des difficultés à lui donner des instructions car il n'était manifestement pas intéressé par l'affaire, comme le montrait son attitude agressive. En outre, l'avocat avait déjà quitté le tribunal lorsque le verdict a été rendu et il n'a pas pris contact avec l'auteur après sa condamnation. L'auteur soutient donc qu'il n'était pas en mesure de préparer correctement sa défense, et qu'il y a violation du paragraphe 3 b) de l'article 14.
5.5 L'auteur déclare aussi qu'après que la cour d'appel eut ordonné le renvoi, il a demandé à ne pas être représenté par le même avocat que lors du premier procès, car il estimait avoir été condamné parce que cet avocat l'avait mal défendu. Mais son objection a été rejetée par la cour.
5.6 L'auteur affirme en outre qu'au début du nouveau procès, il a dit au tribunal, par l'intermédiaire de son avocat, que son état de santé ne lui permettait pas de comparaître, mais que le juge du fond n'a pas fait droit à sa demande. Il ressort des minutes du procès que le juge savait que l'auteur avait été examiné par un médecin, lequel l'avait déclaré en état de comparaître, mais que l'auteur n'était pas de cet avis.
5.7 L'auteur affirme que le paragraphe 3 d) de l'article 14 a été violé étant donné qu'il n'a rencontré son avocat que pendant le procès, que son avocat ne lui a pas montré le dossier de l'accusation, qu'il n'a pas contesté la crédibilité du principal témoin à charge, Plummer, qui vivait avec un policier au moment du procès, et qu'il n'a pas pris contact avec le seul témoin à décharge qui aurait pu déclarer que Plummer n'avait pas montré où étaient cachées les armes, contrairement à ce qu'elle prétendait.
5.8 L'auteur affirme aussi que le juge n'a pas donné au jury des instructions correctes en ce qui concerne les différentes situations de fait résultant des témoignages, la question de la possession récente, la valeur des preuves indiciaires, la valeur probante des mensonges d'un accusé et l'alibi de l'auteur. Selon l'auteur, tout cela représente une violation de l'article 14 en général.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
6.1 Dans ses observations du 22 août 1995 l'État partie traite des allégations de l'auteur concernant son arrestation et son procès pour le meurtre d'Angella Baugh-Dujon et indique qu'il enquêtera sur les mauvais traitements que l'auteur dit avoir subis lors de son arrestation en décembre 1988.
6.2 En ce qui concerne l'intervalle de trois ou quatre semaines qui, selon l'auteur, s'est écoulé entre son arrestation et son inculpation, l'État partie s'engage à mener une enquête, bien que cela risque d'être difficile après sept ans. Il fait observer, par ailleurs, que le droit de toute personne à être informée dans le plus court délai des charges retenues contre elle est également garanti par l'article 20, paragraphe 6 a), de la Constitution et que le mieux aurait été, pour l'auteur, de soulever cette question lors du procès, ce qu'il n'a pas fait.
6.3 L'État partie affirme en outre qu'un délai d'un an et sept mois avant l'ouverture du procès ne constitue pas un retard excessif, étant donné que l'enquête préliminaire a eu lieu pendant cette période.
6.4 Pour ce qui est du comportement du conseil de l'auteur au procès, l'État partie objecte qu'une fois qu'il a attribué un avocat compétent à des détenus sans ressources, il n'est pas responsable de la manière dont l'avocat assure leur défense. Il signale en outre des contradictions dans les allégations de l'auteur, qui dit tantôt qu'il a vu son conseil avant le procès, tantôt qu'il ne l'a vu que pendant le procès.
6.5 En ce qui concerne les allégations de l'auteur relatives aux instructions données par le juge au jury, l'État partie fait observer que, selon la jurisprudence du Comité, il n'appartient pas au Comité de les examiner, à moins qu'elles ne soient manifestement arbitraires ou ne constituent un déni de justice, ou que le juge n'ait manqué à son devoir d'impartialité. L'État partie note que rien dans l'affaire ne justifie une exception à ce principe.
6.6 Enfin, l'État partie fait savoir au Comité que, selon le registre d'audience de la cour d'appel, l'infraction commise par l'auteur, en ce qui concerne le meurtre d'Angella Baugh-Dujon, a été qualifiée de meurtre n'entraînant pas la peine capitale.
6.7 Au sujet de l'insuffisance des soins médicaux que l'auteur a reçus en prison pour son asthme, l'État partie objecte qu'il n'y a pas violation de l'article 10 du Pacte. Il explique que, faute de ressources, les services pénitentiaires n'ont pas toujours les médicaments nécessaires et que, s'ils les avaient eus, ils les auraient donnés à l'auteur. Il fait observer que le fait que l'auteur puisse se procurer des médicaments ailleurs sans que l'on s'y oppose indique qu'il s'agit là d'une conséquence regrettable du manque de ressources et non d'un mauvais traitement délibéré.
7. Dans une deuxième série d'observations, l'État partie traite de la communication de l'auteur en ce qu'elle concerne sa condamnation pour le meurtre de J. Hunter. Il note que les allégations concernant les deux affaires sont presque identiques et il demande donc au Comité de se reporter à ses premières observations. En ce qui concerne le retard avec lequel l'auteur a été informé des charges retenues contre lui dans l'affaire du meurtre de J. Hunter, l'État partie note que ce retard n'est pas le même que dans la première affaire mais que le même principe est à retenir.
8.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, le conseil de l'auteur fait observer que si la question du retard avec lequel l'auteur a été inculpé n'a pas été soulevée lors de l'enquête préliminaire ou lors du procès, cela prouve une fois de plus que l'auteur a été mal défendu.
8.2 Le conseil précise que l'auteur a effectivement vu son avocat avant le procès et que, s'il dit ne l'avoir vu que pendant le procès, c'est que, bien qu'il lui ait demandé un entretien privé, l'avocat ne le lui a pas accordé et ne l'a vu qu'à l'audience.
8.3 Le conseil affirme que les allégations de l'auteur concernant les instructions du juge prouvent à l'évidence que le juge a agi de façon arbitraire, a commis un déni de justice à l'égard de l'auteur et a manqué à son devoir d'impartialité. En conséquence, le jury n'a jamais pu examiner des points de droit qui avaient une importance fondamentale dans l'affaire.
9.1 Le conseil précise que l'auteur n'a jamais été formellement inculpé du meurtre de J. Hunter mais qu'on lui a simplement dit lors de l'audience préliminaire qu'il était accusé de ce meurtre.
9.2 Selon le conseil, les indications trompeuses données au jury par le juge du fond en ce qui concerne le meurtre de J. Hunter étaient si importantes qu'elles constituent manifestement un déni de justice.
Décision concernant la recevabilité
10. À sa cinquante-huitième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication.
11.1 En ce qui concerne la plainte de l'auteur concernant son arrestation et son procès pour le meurtre d'Angella Baugh-Dujon, le Comité s'est assuré, comme il est stipulé au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
11.2 Le Comité a noté que l'État partie n'avait pas contesté la recevabilité de la communication au motif du non-épuisement des recours internes. Il a considéré, dans ces conditions, que le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif ne lui interdisait pas d'examiner la communication au fond.
11.3 Le Comité a noté que les allégations de l'auteur avaient trait en partie à l'appréciation des preuves, aux instructions données par le juge au jury et à la conduite du procès. Il a renvoyé à sa jurisprudence et a réaffirmé que c'était généralement aux juridictions d'appel des États parties au Pacte qu'il appartenait d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. De même, il n'appartenait pas au Comité d'examiner dans le détail les instructions données au jury par le juge du fond, à moins qu'il ne puisse être établi qu'elles avaient été manifestement arbitraires ou avaient constitué un déni de justice. Or les éléments portés à la connaissance du Comité ne permettaient pas de conclure que les instructions du juge du fond ou la conduite du procès aient été entachées de telles irrégularités. En conséquence cette partie de la communication était irrecevable dans la mesure où elle est incompatible avec les dispositions du Pacte, en application de l'article 3 du Protocole facultatif.
11.4 Au sujet de l'allégation de l'auteur concernant la manière dont sa défense avait été assurée par l'avocat commis d'office à sa défense, le Comité a rappelé que, selon sa jurisprudence / Voir la décision déclarant irrecevable la communication no 536/1993 (CCPR/C/53/D/536/1993 - par. 6.3)./, l'État partie ne pouvait pas être tenu pour responsable d'éventuelles erreurs de l'avocat de la défense, sauf si le juge avait constaté ou aurait dû constater que la conduite de l'avocat était contraire aux intérêts de la justice. Comme rien dans le dossier ne permettait de penser qu'il en avait été ainsi, cette partie de la communication était irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.
11.5 Le Comité avait noté que l'État partie s'était engagé à mener une enquête sur les mauvais traitements que l'auteur se plaignait d'avoir subis de la part des policiers lors de son arrestation, ainsi que sur l'affirmation selon laquelle il n'avait pas été informé dans le plus court délai des charges retenues contre lui. Le Comité a estimé que ces allégations pouvaient soulever des questions au titre des articles 7 et 10, ainsi que du paragraphe 2 de l'article 9 et du paragraphe 3 a) de l'article 14, questions qui devaient être examinées au fond.
11.6 Le Comité a noté que, selon l'État partie, le délai écoulé entre l'arrestation de l'auteur et l'ouverture de ses deux procès n'avait pas été excessivement long, étant donné que l'enquête préliminaire avait eu lieu pendant cette période. Il a considéré toutefois que la question de savoir si ce délai constituait une violation du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 devait être examinée au fond. Il a invité l'État partie à fournir des informations plus précises sur les enquêtes menées pendant la période comprise entre l'arrestation et l'enquête préliminaire et à lui faire savoir les dates exactes des audiences préliminaires.
12.1 En ce qui concernait la plainte de l'auteur relative à son arrestation et à son procès pour le meurtre de J. Hunter, le Comité s'est assuré, comme il y est tenu en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
12.2 Le Comité a noté que l'État partie n'avait pas contesté la recevabilité de la communication au motif du non-épuisement des recours internes. Il a considéré, dans ces conditions, que le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif ne lui interdisait pas d'examiner la communication quant au fond.
12.3 Le Comité a noté que les allégations de l'auteur avaient trait en partie à l'appréciation des preuves, aux instructions données par le juge au jury et à la conduite du procès. Il a renvoyé à sa jurisprudence et a réaffirmé que c'était généralement aux juridictions d'appel des États parties au Pacte qu'il appartenait d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. De même, il n'appartenait pas au Comité d'examiner dans le détail les instructions données au jury par le juge du fond, à moins qu'il ne puisse être établi qu'elles avaient été manifestement arbitraires ou avaient constitué un déni de justice. Or les éléments portés à la connaissance du Comité ne permettaient pas de conclure que les instructions du juge du fond ou la conduite du procès aient été entachées de telles irrégularités. En ce qui concerne notamment la question de savoir si l'état de santé de l'auteur lui permettait de comparaître devant le tribunal, le Comité a noté que le juge avait fondé sa décision sur un examen médical subi par l'auteur et que, par conséquent, le rejet de la demande de l'auteur ne pouvait pas être considéré comme arbitraire. Cette partie de la communication était donc irrecevable dans la mesure où elle était incompatible avec les dispositions du Pacte, en application de l'article 3 du Protocole facultatif.
12.4 Le Comité a estimé que l'allégation de l'auteur selon laquelle des policiers ont proféré des menaces de mort à son encontre s'il n'avouait pas le meurtre de J. Hunter pouvait soulever des questions au titre de l'article 7 et du paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte, questions qui devaient être examinées au fond.
12.5 Quant à une autre allégation de l'auteur, qui affirme n'avoir jamais été formellement inculpé du meurtre de J. Hunter, mais avoir simplement entendu lors de l'enquête préliminaire qu'il était accusé de ce meurtre, le Comité a estimé qu'elle pouvait soulever des questions au titre du paragraphe 2 de l'article 9 du Pacte, questions qui devaient être examinées au fond.
12.6 Le Comité a noté que, selon l'État partie, le délai écoulé entre l'arrestation de l'auteur et l'ouverture de ses procès n'avait pas été excessivement long, étant donné que l'enquête préliminaire avait eu lieu pendant cette période. Il a considéré toutefois que la question de savoir si ce délai constituait une violation du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 devait être examinée au fond. Il a invité l'État partie à fournir des informations plus précises sur les enquêtes menées pendant la période comprise entre l'arrestation et l'ouverture du procès et sur les audiences préliminaires qui avaient eu lieu.
12.7 L'auteur a déclaré qu'il n'avait pas voulu être représenté à son deuxième procès par le même avocat que lors du premier, en raison des erreurs commises selon lui par cet avocat, et que son objection avait été rejetée par le tribunal. Le Comité a estimé que cette allégation pouvait soulever une question au titre du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte, question qui devait être examinée au fond. Il a invité le conseil à fournir des informations plus précises sur cette allégation, en indiquant en particulier la date à laquelle on avait soulevé cette objection, devant quelle juridiction et les motifs du refus.
13. Le Comité a estimé en outre que la question de savoir si les conditions de détention de l'auteur, aggravées par son asthme, constituaient une violation du paragraphe 1 de l'article 10 devait être examinée au fond.
14. En conséquence, le 17 octobre 1996, le Comité des droits de l'homme a décidé que la communication était recevable :
- en ce qui concerne l'arrestation de l'auteur et son procès pour le meurtre d'Angella Baugh-Dujon, dans la mesure où elle porte sur les mauvais traitements que l'auteur affirme avoir subis lors de son arrestation et après celle-ci, sur le délai qui selon l'auteur s'est écoulé avant qu'il ne soit inculpé et sur le délai qui selon lui s'est écoulé avant l'ouverture du procès;
- en ce qui concerne l'arrestation de l'auteur et son procès pour le meurtre de J. Hunter, dans la mesure où elle porte sur les menaces de mort que, selon l'auteur, des policiers ont proférées à son encontre, sur l'allégation selon laquelle l'auteur n'a pas été inculpé, sur le délai qu'on a laissé s'écouler avant de le juger et sur le refus de l'auteur d'être représenté par son avocat lors du nouveau procès;
- dans la mesure où elle porte sur les conditions de détention de l'auteur.
Observations de l'État partie sur le fond et commentaires du conseil
15.1 Par des notes en date du 20 mars et du 18 avril 1997, l'État partie répond à la décision de recevabilité du Comité. Il fait savoir à celui-ci que les enquêtes qu'il a fait mener n'ont pas révélé le moindre élément à l'appui de l'allégation de l'auteur, qui affirme avoir été insulté et passé à tabac par des policiers après avoir été placé en garde à vue. L'État partie fait remarquer en outre que ces allégations n'ont pas été avancées lors de l'enquête préliminaire ni au procès. En conclusion, il nie que l'auteur ait jamais subi de mauvais traitements.
15.2 L'État partie fait également valoir que les enquêtes qu'il a fait mener n'ont rien révélé qui puisse étayer l'allégation de l'auteur, qui affirme n'avoir été inculpé que quatre semaines après son arrestation, et il conclut qu'il n'y a eu aucune violation du Pacte.
15.3 L'État partie réaffirme qu'un intervalle d'un an et sept mois entre l'arrestation et le procès ne représente pas un délai excessif au sens du Pacte. Il affirme que puisqu'une audience préliminaire a eu lieu pendant cette période, la procédure pénale était bien engagée et il n'y a donc eu aucune violation du Pacte.
16.4 Au sujet de l'inculpation pour le meurtre de Joseph Hunter, l'État partie objecte que les enquêtes n'ont révélé aucun élément à l'appui de l'allégation selon laquelle les policiers ont menacé l'auteur de le tuer.
16.5 De plus, l'État partie note qu'il ressort de la déclaration même de l'auteur qu'il savait qu'il avait été arrêté dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de Joseph Hunter et que des pièces à conviction permettant de l'impliquer dans le crime avaient été trouvées à son domicile. Quand l'auteur dit qu'il n'a été inculpé que lorsqu'il a comparu devant la Gun Court, il veut certainement parler de l'acte de mise en accusation proprement dit. Le Ministère nie qu'il y ait eu violation du Pacte.
16.6 En ce qui concerne le laps de temps écoulé entre l'arrestation et le procès, l'État partie demande qu'on se reporte aux observations reproduites plus haut.
16.7 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle celui-ci a demandé qu'un nouvel avocat lui soit commis, ce qui lui a été refusé, l'État partie indique qu'il aurait besoin de plus de renseignements pour pouvoir répondre. Il note qu'il ne ressort pas des comptes rendus d'audience que l'auteur ait soulevé une objection quand il a su que le même avocat allait le représenter.
17.1 Dans ses commentaires relatifs aux observations de l'État partie, le conseil de l'auteur note que l'État partie ne rend pas compte en détail des enquêtes qu'il a fait mener sur les mauvais traitements que la police avait fait subir à l'auteur au moment de son arrestation, et que les résultats ne sont donc pas convaincants. L'auteur voulait se plaindre de ces mauvais traitements mais ne savait pas comment le faire et pensait que ce serait trop difficile.
17.2 Dans une déclaration sous serment datée du 9 septembre 1997, l'auteur affirme avoir été roué de coups en décembre 1988, par deux policiers dont il donne les noms, au poste de police de Constant Spring. Il déclare avoir eu le visage tuméfié et les côtes et les épaules couvertes d'ecchymoses. Il n'avait pas été soigné et les blessures avaient mis trois semaines à guérir.
17.3 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle celui-ci a été inculpé seulement quatre semaines après son arrestation, le conseil note que l'État partie n'a présenté aucun élément pour réfuter cette allégation.
17.4 Pour ce qui est du temps écoulé avant la comparution de l'auteur en justice, le conseil note que l'État partie n'a pas donné les renseignements précis demandés par le Comité dans sa décision concernant la recevabilité. Pour cette raison, le conseil fait valoir que l'État partie n'a pas été en mesure de justifier le retard. En ce qui concerne l'argument de l'État partie, qui a fait valoir que la procédure pénale avait commencé avec l'enquête préliminaire et qu'en conséquence il n'y avait eu aucune violation, le conseil objecte qu'un tel avis est tout à fait contestable puisqu'une première audience préliminaire peut très bien avoir lieu et ensuite le procès proprement dit peut être reporté pour une durée indéterminée.
18.1 Dans sa déclaration sous serment datée du 9 septembre 1997, l'auteur affirme que, lorsque les policiers ont procédé au premier interrogatoire, ils lui ont dit que s'il refusait de coopérer et d'avouer le meurtre de Joseph Hunter, ils l'emmèneraient et le tueraient. Plus tard, ils lui ont précisé qu'ils l'emmèneraient dehors, l'obligeraient à courir puis lui tireraient dessus, comme s'il s'agissait d'une tentative d'évasion, s'il ne coopérait pas. À ce sujet, le conseil renvoie à ses observations précédentes (voir plus haut par. 17.1).
18.2 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle celui-ci n'a été inculpé du meurtre de Joseph Hunter qu'au moment où il a comparu devant la Gun Court, le conseil note que l'auteur a peut-être été informé des éléments qui l'impliquaient dans le meurtre de M. Hunter mais que ce n'est pas là la même chose que d'être véritablement inculpé de meurtre. Faute pour l'État partie de prouver que l'auteur a bien été inculpé, le conseil affirme qu'il y a eu violation de l'article 9 du Pacte.
18.3 Le conseil note qu'il s'est écoulé 30 mois entre l'arrestation de l'auteur et son premier procès pour le meurtre de Joseph Hunter. Il renvoie à ses observations, reprises plus haut au paragraphe 16.5, et fait valoir qu'un tel intervalle représente une violation du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
18.4 Le conseil reconnaît que les comptes rendus d'audience ne font pas état d'une objection que l'auteur a soulevée en voyant qu'il allait être représenté par le même avocat que lors du premier procès, mais il avance que tout ce qui se dit au tribunal n'est pas consigné dans les comptes rendus. Il précise que l'auteur a signalé le 27 septembre 1993 qu'il ne voulait pas de cet avocat et qu'en réponse à cette objection le juge du fond a indiqué que l'avocat n'était pas très bien payé pour défendre les accusés bénéficiant de l'aide judiciaire et que par conséquent l'auteur devait continuer avec cet avocat. Le conseil se réfère aussi aux pages 2 à 5 du compte rendu d'audience, d'où il ressort que l'auteur a refusé de faire une déclaration, et il fait valoir que c'était une façon de signifier au juge qu'il ne voulait pas être représenté par son avocat.
18.5 Dans sa déclaration sous serment datée du 9 septembre 1997, l'auteur explique qu'il avait eu une si mauvaise expérience avec cet avocat qu'il avait protesté énergiquement mais que le juge lui avait dit qu'il était obligé de continuer avec lui. Il déclare ne pas savoir pourquoi cet échange n'apparaît pas dans le compte rendu d'audience. Selon l'auteur, quand il a voulu objecter de nouveau, le juge ne l'a pas laissé parler et lui a dit de parler à son avocat.
19.1 Pour ce qui est des conditions de détention, l'auteur dit que le quartier dans lequel il est détenu a été fouillé le 5 mars 1997. On lui a donné l'ordre de sortir de sa cellule et on l'a roué de coups. Toutes ses affaires ont été brûlées. Il s'est plaint au directeur mais apparemment rien n'a été fait. L'auteur dit également qu'un gardien lui a pris 1 600 dollars en lui disant qu'il les confisquait. Il ajoute qu'il est resté enfermé dans sa cellule le 12 août 1997 sans rien manger ni boire de toute la journée et qu'il a été menacé quand il avait demandé de l'eau.
19.2 Le conseil déclare que l'auteur a eu des troubles de la vision dus à l'obscurité qui règne dans sa cellule. Il a consulté un ophtalmologiste à Kingston le 25 mai 1994 mais n'a apparemment reçu une ordonnance qu'un an plus tard. Les verres qui avaient été prescrits étaient trop forts. Il a demandé à revoir un médecin mais n'a obtenu satisfaction que plus tard; quand enfin il a eu ses nouveaux verres, ils ont été cassés lors de l'incident du 5 mars 1997.
Délibérations du Comité
20. Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
Allégations concernant l'inculpation pour le meurtre d'Angella Baugh-Dujon
21.1 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il a été passé à tabac par des policiers, en décembre 1988, après son arrestation, le Comité note que les policiers nommément désignés par l'auteur comme les responsables des mauvais traitements étaient des témoins à charge. À aucun moment lors du contre-interrogatoire de ces témoins, le conseil de l'auteur n'a soulevé la question des passages à tabac. L'auteur n'en a pas fait état non plus quand il a fait sa déclaration sans prêter serment lors du procès. Dans ces conditions, le Comité estime non étayée l'allégation selon laquelle l'auteur a été roué de coups par les policiers lors de son arrestation.
21.2 L'auteur a affirmé n'avoir été informé des charges pesant sur lui que trois ou quatre semaines après son arrestation. Le Comité note que l'État partie a répondu qu'il n'y avait aucun élément qui puisse étayer cette affirmation. Le Comité estime que cette réfutation générale, de la part de l'État partie, n'est pas suffisante pour infirmer l'allégation de l'auteur. Faute pour l'État partie d'avoir indiqué avec précision la date à laquelle l'auteur a été inculpé, le Comité considère que l'allégation est fondée. Il estime que le délai de trois ou quatre semaines qu'on a laissé s'écouler avant d'inculper l'auteur constitue une violation des paragraphes 2 et 3 de l'article 9 du Pacte.
21.3 Le Comité note que l'auteur a été arrêté le 30 décembre 1988 et que son procès s'est ouvert le 23 juillet 1990, soit un an et demi plus tard. Le Comité estime préoccupant un délai aussi long avant la comparution d'un inculpé, mais il est d'avis que ce délai ne constitue pas une violation du paragraphe 3 de l'article 9 puisque l'auteur était en détention sur inculpation de meurtre, et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte puisque l'enquête préliminaire a eu lieu durant cette période.
Allégations relatives à l'inculpation pour le meurtre de Joseph Hunter
22.1 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle des policiers ont menacé de le tuer s'il n'avouait pas le meurtre de Joseph Hunter, le Comité note que les policiers désignés nommément par l'auteur comme les responsables des menaces étaient des témoins à charge. À aucun moment lors du contre-interrogatoire de ces témoins le conseil de l'auteur n'a soulevé la question des menaces qu'ils avaient proférées contre lui. L'auteur n'en a pas fait état non plus au procès. Dans ces conditions, le Comité estime non étayée l'allégation selon laquelle l'auteur a été menacé par des policiers.
22.2 Le Comité note que l'État partie n'a pas contesté l'allégation de l'auteur selon laquelle celui-ci n'a été officiellement inculpé du meurtre de Joseph Hunter que lorsqu'il a comparu devant la Gun Court. Le Comité regrette que l'État partie n'ait pas indiqué la date précise de l'audience de la Gun Court. Dans ces conditions, il considère que l'État partie n'a pas donné des renseignements suffisants visant à prouver que l'auteur, dans l'affaire du meurtre de Joseph Hunter, a été inculpé et traduit devant un juge ou une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires dans le plus court délai. Les faits dont le Comité est saisi font donc apparaître une violation des paragraphes 2 et 3 de l'article 9 du Pacte.
22.3 Au moment où l'auteur a été informé des charges qui pesaient sur lui concernant le meurtre de Joseph Hunter, il était en détention dans le cadre du meurtre d'Angella Baugh-Dujon. Il a été ensuite reconnu coupable de ce dernier meurtre avant l'ouverture de son procès pour le meurtre de Joseph Hunter. L'auteur étant légalement détenu dans l'affaire Baugh-Dujon, il ne pouvait être libéré dans l'affaire Hunter. Il n'y a donc pas eu violation de l'article 9. Toutefois, le procès dans l'affaire Hunter n'a débuté que deux ans et demi après que l'auteur ait été inculpé du meurtre de Joseph Hunter. En l'absence d'explications de la part de l'État partie justifiant ce délai, le Comité conclut que ce laps de temps écoulé a constitué une violation du droit de l'auteur, en vertu du paragraphe 3 c) de l'article 14, d'être jugé sans retard excessif.
22.4 Au sujet de l'allégation de l'auteur selon laquelle ce dernier a demandé à ne pas être représenté par le même avocat au début du deuxième procès dans l'affaire du meurtre de Joseph Hunter, le Comité note qu'en l'absence de trace écrite de cette protestation, les faits dont il est saisi ne révèlent pas de violation de l'article 14 du Pacte.
Conditions de détention
23.1 Le Comité note que l'auteur n'a pas donné de plus amples renseignements quant à l'allégation avancée dans sa communication initiale, selon laquelle les conditions de détention ont aggravé son asthme. Le Comité ne conclut donc à aucune violation à ce sujet.
23.2 Dans des lettres plus récentes, l'auteur s'est plaint de ce que sa vue baissait et qu'il n'était pas correctement soigné. Le Comité estime toutefois qu'il n'a pas montré en quoi les difficultés rencontrées pour se faire soigner correctement représentent une violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
23.3 L'auteur a également évoqué deux incidents précis, survenus l'un le 5 mars et l'autre le 12 août 1997, au cours desquels, déclare-t-il, les gardiens l'ont soumis à des mauvais traitements et, dans un cas, ont détruit toutes ses affaires. L'État partie n'a pas répondu à ces allégations, alors qu'il en avait la possibilité. Dans ces conditions, le Comité conclut que l'auteur a été l'objet d'un traitement incompatible avec l'article 7 et le paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
Conclusion
24. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations de l'article 7, des paragraphes 2 et 3 de l'article 9, de l'article 10 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
25. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu de fournir à Everton Morrison un recours utile, y compris une indemnisation et une commutation. L'État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se produisent pas à l'avenir.
26. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu violation du Pacte. L'affaire considérée ici a été soumise à l'examen du Comité avant que la dénonciation du Protocole facultatif par la Jamaïque ne prenne effet, le 23 janvier 1998; conformément au paragraphe 2 de l'article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent de lui être applicables. Aux termes de l'article 2 du Pacte, l'État partie s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsque l'existence d'une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
______________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication: M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M. Th. Buergenthal, Mme C. Chanet, Lord Colville, M. Omran El Shafei, Mme Élizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Julio Prado Vallejo, M. Martin Scheinin, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.
** Le texte des opinions individuelles de M. N. Ando, de M. P.N. Bhagwati, de M. Th. Buergenthal, de Mme C. Medina Quiroga et de M. M. Yalden est joint au présent document.
Opinion individuelle de Mme Cecilia Medina Quiroga (dissidente)
1. Je regrette de ne pas m'associer à la décision de la majorité telle qu'elle est énoncée aux paragraphes 21.3 et 22.3 des présentes constatations.
2. Au paragraphe 21.3, le Comité estime que le délai d'un an et demi intervenu avant la comparution de l'accusé pour le meurtre d'Angella Baugh-Dujon est préoccupant, mais ne constitue pas une violation du paragraphe 3 de l'article 9. À mon avis, si un délai est préoccupant, le Comité ne peut pas conclure qu'il n'y a pas eu violation à moins que l'État ait donné des explications sur les raisons d'un tel délai. Telle était la position du Comité lorsqu'il a décidé de la recevabilité de la communication puisqu'il a déclaré que la question du délai devait être examinée quant au fond et a invité l'État partie "à fournir des informations plus précises sur les enquêtes menées pendant la période comprise entre l'arrestation et l'enquête préliminaire et à lui faire savoir les dates exactes des audiences préliminaires" (par. 11.6). L'État a répondu à cette invitation en réitérant les explications données au stade de la recevabilité, à savoir que "puisqu'une audience préliminaire [avait] eu lieu pendant cette période, la procédure pénale était bien engagée" (par. 6.3 et 15.3). À mon avis, compte tenu de cette réponse, il n'y a pas d'autre possibilité que de constater que l'État a violé le paragraphe 3 de l'article 9 en ne traduisant pas l'auteur en justice pour le meurtre d'Angella Baugh-Dujon sans retard excessif.
3. Au paragraphe 22.3, le Comité conclut qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 3 de l'article 9 eu égard au délai excessif qui serait intervenu avant la comparution de l'auteur pour le meurtre de Joseph Hunter car "[l]'auteur étant légalement détenu dans l'affaire Baugh-Dujon, il ne pouvait être libéré dans l'affaire Hunter". Je ne peux pas me rallier à cette conclusion. Tout d'abord, je considère que chacune des mesures de détention doit être conforme aux dispositions du paragraphe 3 de l'article 9 et être examinée à la lumière de ce paragraphe. En l'espèce, le Comité aurait dû examiner la question de savoir si l'État aurait pu soit libérer l'auteur, soit le faire comparaître plus tôt, puisque telle est l'alternative prévue au paragraphe 3 de l'article 9, au lieu d'estimer que, puisque l'auteur était déjà légalement détenu, il était inutile de s'interroger sur une éventuelle violation du paragraphe 3 de l'article 9. Deuxièmement, même si le Comité a estimé que l'examen de la situation de l'auteur quant à sa détention pour le meurtre de Joseph Hunter était un exercice de pure forme, j'estime qu'il était du devoir du Comité de procéder à un tel examen, ne serait-ce que pour adresser le message voulu à tous les États parties au Pacte concernant le caractère indépendant de chaque mesure de détention aux fins du paragraphe 3 de l'article 9. En outre, l'examen de la question du délai intervenu jusqu'à la comparution de l'auteur devant le tribunal pour le meurtre de Joseph Hunter m'amène à conclure qu'à cet égard il y a eu aussi violation du paragraphe 3 de l'article 9, du fait qu'aucun argument raisonnable n'a été avancé pour justifier la longueur de la période pendant laquelle l'auteur a été maintenu en détention sans jugement. Je ne m'oppose pas à la conclusion du Comité formulée dans ce même paragraphe selon laquelle il y a eu également violation du paragraphe 3 c) de l'article 14.
Nous avons examiné l'opinion de la majorité des membres du Comité des droits de l'homme dans l'affaire Everton Morrison c. Jamaïque. Nous nous associons à l'opinion exprimée par la majorité, à l'exception de ce qui concerne la violation du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
La majorité des membres ont estimé qu'un retard excessif était intervenu entre la comparution de l'auteur devant le tribunal et sa mise en accusation et que ce retard constituait une violation du droit de l'auteur au titre du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte. Au moment où l'auteur a été accusé du meurtre de Joseph Hunter, il était détenu dans le cadre de l'affaire du meurtre d'Angella Baugh-Dujon. L'auteur étant légalement détenu dans l'affaire concernant le meurtre d'Angella Baugh-Dujon, il ne pouvait pas prétendre à être libéré dans l'affaire Hunter et, en conséquence, il n'y a pas eu violation du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte. L'auteur a été ensuite jugé et reconnu coupable du meurtre d'Angella Baugh-Dujon le 25 juillet 1990 et, en conséquence, a été maintenu en détention. Il est vrai qu'un délai de deux ans et demi s'est écoulé entre la date à laquelle l'auteur a été accusé du meurtre de Joseph Hunter, le 17 janvier 1989, et la date à laquelle il a été traduit en justice et reconnu coupable du meurtre de Joseph Hunter, le 24 juillet 1991. Il y a lieu de rappeler néanmoins qu'au cours de cette période, l'auteur a été jugé et reconnu coupable, le 25 juillet 1990, du meurtre d'Angella Baugh-Dujon et qu'en conséquence un délai réel de douze mois seulement s'est écoulé avant que l'auteur ne comparaisse et ne soit condamné, le 24 juillet 1991, pour le meurtre de Joseph Hunter. Le délai intervenu jusqu'à la comparution de l'auteur pour le meurtre de Joseph Hunter ne peut en conséquence pas être considéré comme excessif et il n'y a par conséquent pas eu violation du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.