Comité des droits de l'homme
Soixantième session
14 juillet - 1 août 1997
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixantième session -
Communication No 639/1995
Présentée par : Trevor Walker et Lawson Richards (représentés
par Mme Veronica Byrne, du cabinet d'avocats Mishcon de Reya)
Au nom de : Les auteurs
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 24 et 27 février 1995 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 28 juillet 1997,
Ayant achevé l'examen de la communication No 639/1995 présentée
par MM. Trevor Walker et Lawson Richards en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'Etat partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication sont Lawson Richards et Trevor Walker,
de nationalité jamaïcaine, qui, au moment où ils ont soumis la communication,
étaient en attente d'exécution à la prison du district de St. Catherine
à la Jamaïque. Ils se déclarent victimes de violations par la Jamaïque
des articles 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Ils sont représentés par un cabinet d'avocats de
Londres, Mishcon de Reya.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 M. Walker a été arrêté le 23 juin 1980 et M. Richards le 26 juin
1980. Le 17 mai 1982, l'un et l'autre ont été reconnus coupables du meurtre
d'un certain Samuel Anderson et ont été condamnés à mort /
En juin 1995 la peine de mort avait été commuée en réclusion à vie./.
Ils ont déposé une demande d'autorisation de former recours de la condamnation
et de la peine auprès de la Cour d'appel de la Jamaïque le 31 mai 1982.
A l'audience, le défenseur de Lawson Richards a renoncé à développer les
moyens d'appel initiaux, mais a demandé et obtenu l'autorisation de faire
valoir des moyens supplémentaires. Le conseil de Trevor Walker a renoncé
aux moyens d'appel initiaux et a informé le tribunal qu'il n'y avait pas
matière à défense. Le 24 octobre 1984, la Cour d'appel a rejeté les recours
des deux auteurs. La section judiciaire du Conseil privé a examiné et
rejeté la partie du recours des auteurs relative à la déclaration de culpabilité,
mais a décidé de les autoriser à former recours de la condamnation. Le
2 novembre 1993, le Conseil privé a rejeté le recours parce qu'il était
prié de se prononcer sur la question constitutionnelle des retards dans
la procédure en tant que tribunal de première instance et non en tant
que juridiction d'appel.
2.2 Au procès, l'accusation a avancé la thèse suivante. Le 20 juin 1980,
Lawson Richards et Trevor Walker avaient volé et assassiné Samuel Anderson.
La preuve maîtresse produite par l'accusation était la déposition d'un
témoin qui avait assisté à l'agression. Le témoin a déclaré à l'audience
qu'il aidait la victime dans son commerce de viande quand il avait remarqué
les auteurs s'approcher avec un air louche. Il avait vu les deux hommes
braquer une arme à feu sur la victime pour la voler. Il n'avait pas pu
voir lequel des deux avait tiré la balle mortelle parce qu'il essayait
d'échapper à la vue des deux agresseurs. Le témoin a ajouté que, quand
il avait porté secours à la victime, l'un des deux hommes lui avait également
tiré dessus.
2.3 L'unique témoin oculaire a participé à des séances d'identification
organisées le 22 juillet 1980 / Le dossier contient quelques
incohérences quant à la date de la confrontation. Le témoin oculaire a
déclaré au procès que la confrontation avait eu lieu le 2 juillet 1980,
et la déposition du fonctionnaire qui a organisé la confrontation va dans
le même sens (la déposition de ce fonctionnaire a été produite à titre
de preuve en l'absence du déclarant, qui se trouvait en effet à l'étranger
pendant le procès). En revanche, les policiers qui avaient procédé à l'arrestation
ont confirmé que la confrontation avait eu lieu le 22 juillet 1980./.
Il a reconnu M. Walker. M. Richards était parmi les personnes qui défilaient
devant lui mais le témoin ne l'a pas reconnu à ce moment-là. Il l'a reconnu
plus tard, lors du procès.
2.4 L'accusation a également produit des déclarations qui auraient été
faites officiellement à la police par les auteurs et dans lesquelles ils
s'incriminaient l'un l'autre. Lors de l'interrogatoire préliminaire des
témoins et des jurés, les auteurs ont nié avoir fait ces déclarations
spontanément, affirmant que la police les leur avait extorquées par des
violences physiques et des menaces. Les policiers qui avaient pris les
dépositions ont déclaré au procès que celles-ci avaient été spontanées,
niant qu'il ait été fait usage de contrainte, de menaces ou d'incitations.
Un juge de paix qui avait assisté à la prise des déclarations a également
témoigné que les auteurs les avaient faites spontanément et ne présentaient
pas la moindre marque de coups. Par ailleurs, l'accusation a produit le
rapport du médecin légiste indiquant que la victime était morte de choc
et de l'hémorragie causée par la balle.
2.5 M. Richards a déclaré au procès, sans prêter serment, qu'il se trouvait
dans le quartier au moment de la fusillade et qu'il avait pris la fuite
quand il avait entendu une explosion. Il a ajouté qu'un certain Delroy
Johnson / Dans d'autres parties du dossier, Delroy Johnson
devient Delroy Jackson et Delroy Campbell./ avait été roué de coups par
la police jusqu'à ce qu'il fasse un faux témoignage, accusant M. Richards
du meurtre.
2.6 Depuis le banc des accusés, M. Walker a déclaré, sans prêter serment,
qu'il se trouvait dans le quartier au moment de la fusillade, en compagnie
de quelqu'un, et qu'ils s'étaient enfuis tous le deux en entendant une
explosion.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil fait valoir que l'accusation reposait sur le témoignage
d'un seul témoin oculaire qui affirmait avoir reconnu les auteurs, témoignage
peu fiable et contradictoire. Il ajoute que le témoin a affirmé les avoir
reconnus alors qu'il n'avait pu apercevoir les auteurs qu'un bref instant
et, comme l'éclairage était très faible et que le témoin était terrifié,
sa vision ne pouvait pas être nette. De plus, il n'a pas reconnu M. Richards
lors de la confrontation organisée un mois après le meurtre et lors de
la procédure de renvoi devant la Gun Court, et pourtant il a prétendu
le reconnaître sur le banc des accusés, au procès, soit près de deux ans
plus tard.
3.2 D'après le conseil, le procès s'est déroulé dans des conditions très
contestables à certains égards, en particulier en ce qui concerne les
instructions données au jury par le juge à propos du caractère spontané
des déclarations officielles des auteurs à la police, l'absence d'instructions
correctes au sujet de la force probante de l'identification par un témoin
en général et, dans le cas de M. Richards, le fait d'avoir accepté à titre
de preuve une identification en cours de procès; d'après le conseil, il
s'agit d'irrégularités qui constituent une violation du paragraphe 1 et
du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte. Le fait de ne pas avoir invoqué
ces irrégularités comme moyen de défense devant la Cour d'appel et les
retards dans la procédure de recours représentent deux violations supplémentaires
de l'article 14. Le conseil ajoute que la Cour d'appel s'est fourvoyée
en confirmant le jugement du tribunal de première instance et en refusant
d'autoriser le recours.
3.3 Le conseil fait valoir également que l'imposition de la peine capitale
à l'issue d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte ont été
violées, en l'absence de toute autre possibilité d'appel, constitue une
violation du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte.
3.4 En outre, le conseil fait valoir qu'il s'est écoulé près de deux
ans entre l'arrestation des auteurs et le jugement et près de deux ans
et demi avant que la Cour d'appel ne rende sa décision négative. Il s'est
en outre écoulé environ cinq ans avant que le Conseil jamaïcain des droits
de l'homme soit informé par le greffe de la Cour suprême que le compte
rendu des audiences et l'arrêt écrit de la Cour d'appel étaient disponibles
alors que ces pièces sont indispensables pour former un pourvoi devant
le Conseil privé. D'après le conseil, de tels retards dans une procédure
pénale constituent une violation des paragraphes 3 et 4 de l'article 9
du Pacte.
3.5 Le conseil ajoute que les affres de l'attente endurées depuis mai
1982, date à laquelle les auteurs ont été incarcérés dans le quartier
des condamnés à mort, constituent un traitement ou une peine cruel, inhumain
ou dégradant en violation de l'article 7 du Pacte. La décision du Conseil
privé dans l'affaire Pratt et Morgan est rappelée /
Earl Pratt et Ivan Morgan c. Attorney-General of Jamaica,
recours auprès du Conseil privé No 10 de 1993, décision rendue le 2 novembre
1993./.
3.6 De plus, le conseil fait état des conditions de détention effroyables
des condamnés à mort à la prison de St. Catherine et qui constituent une
violation supplémentaire de l'article 7 du Pacte. Des rapports de l'organisation
Human Rights Watch et d'Amnesty International sont cités.
3.7 Il est indiqué en outre que le 29 mai 1990, M. Walker a été roué
de coups et blessé, ce qui lui avait valu cinq points de suture, et qu'il
avait été soumis à d'autres mauvais traitements par les gardiens du quartier
des condamnés à mort. Le 4 mai 1993, les gardiens lui ont détruit sa radio,
à titre de mesure délibérée d'intimidation et d'humiliation. D'après le
conseil, les passages à tabac et les mauvais traitements infligés aux
auteurs par la police lors des interrogatoires et par les autorités pénitentiaires
quand ils ont été incarcérés après avoir été condamnés représentent une
violation du paragraphe 1 de l'article 10.
Observations de l'Etat partie concernant la recevabilité et le
fond
4.1 Dans une réponse en date du 24 octobre 1995, l'Etat partie ne conteste
pas la recevabilité de la communication et, pour accélérer la procédure
d'examen de la plainte, il présente des observations quant au fond. En
ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 7, l'Etat partie
conteste que douze années passées dans le quartier des condamnés à mort
représentent un traitement cruel et inhumain en soi. Il fait valoir en
outre que la règle des cinq ans établie dans l'affaire Pratt et Morgan
ne s'applique pas directement mais que chaque affaire doit être examinée
séparément sur le fond, conformément aux principes juridiques qui lui
sont applicables. Il informe le Comité que la peine de mort sera commuée.
4.2 En ce qui concerne les paragraphes 3 et 4 de l'article 9 et le paragraphe
3 c) de l'article 14, qui auraient été violés parce qu'il s'est écoulé
près de deux ans entre l'arrestation et le procès et près de deux ans
et demi entre la condamnation et le rejet du recours par la Cour d'appel
ainsi que cinq ans avant que la Cour d'appel n'établisse un jugement écrit,
l'Etat partie conteste que ces durées soient excessives, d'autant plus
que pendant les deux ans écoulés entre l'arrestation et le procès il y
a eu une enquête préliminaire. Il conteste également qu'une durée de deux
ans et demi soit excessive pour trancher un recours. Il reconnaît en revanche
que cinq ans pour établir un jugement écrit serait une durée excessive
si elle était imputable à l'Etat partie mais objecte que les auteurs n'ont
pas fait preuve de diligence pour obtenir les documents et décline donc
toute responsabilité pour ce retard.
4.3 Pour ce qui est des mauvais traitements dont les auteurs auraient
été victimes pendant la détention provisoire et, plus tard, en prison,
l'Etat partie répond qu'il n'a trouvé aucun élément permettant d'affirmer
la réalité des mauvais traitements et nie catégoriquement l'existence
même des incidents mentionnés. En ce qui concerne les mauvais traitements
que M. Walker aurait subis en prison, l'Etat partie objecte qu'ils se
sont produits pendant les mutineries de prisonniers de mai 1990 et s'engage
à ouvrir une enquête. A la date du 30 juin 1997, aucun renseignement n'avait
été reçu à ce sujet.
4.4 A propos de l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article
14, l'Etat partie fait valoir que les instructions données au jury par
le juge en ce qui concerne la valeur probante de l'identification par
témoin et l'interprétation à donner à la théorie de l'intention commune
dans les affaires de meurtre sont des questions qui relèvent de la seule
compétence des juridictions d'appel.
5.1 Le 25 mai 1996, l'avocate qui représente les auteurs a informé le
Comité que la peine capitale avait été commuée, suite à la décision du
Conseil privé dans l'affaire Pratt et Morgan; en conséquence la
première allégation de violation de l'article 7 - délais excessifs dans
l'exécution de la sentence -est retirée, de même que la demande de mesures
provisoires en application de l'article 86 du règlement intérieur. Elle
réaffirme en revanche que la détention prolongée dans le quartier des
condamnés à mort, qui a duré plus de treize ans pour les deux auteurs,
dans des conditions tout à fait analogues à celles dans lesquelles Pratt
et Morgan avaient été incarcérés, représente un traitement cruel et
inhumain en violation de l'article 7.
5.2 D'après le conseil, la décision du Gouverneur général de commuer
la peine capitale en réclusion à vie soulève des questions au titre des
articles 9 et 14 du Pacte. Elle objecte que la procédure en vertu de laquelle
les auteurs sont maintenus en détention n'est pas claire ni équitable
et elle avance les arguments ci-après :
- "Ils ne sont pas emprisonnés conformément à la procédure prévue
par la loi, comme l'exige le paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte puisque
aucun tribunal n'a pris la décision de les priver de liberté (le verdict
de la cour était la peine capitale). Par conséquent ils se trouvent en
détention en application d'une procédure administrative inconnue, imprécise
et secrète.
- Ils n'ont pas le droit d'engager une procédure pour contester leur
détention - le fait même d'être incarcéré ni, ce qui est plus important,
la durée de l'incarcération - comme il est prescrit au paragraphe 4 de
l'article 9.
- Il n'existe aucune procédure permettant de faire examiner leur condamnation
(en particulier sa durée) comme il est prescrit au paragraphe 5 de l'article
14.
- Il se peut très bien que les nombreuses années passées par les auteurs
dans le quartier des condamnés à mort n'aient pas été prises en considération
pour déterminer la durée de leur réclusion. Si tel est le cas, on se trouverait
en présence d'un cas d'imposition de deux peines pour les mêmes faits.
- Si un 'tarif' (soit la période de réclusion que l'Etat partie estime
qu'ils doivent avoir exécutée pour pouvoir prétendre à une libération
conditionnelle) a été fixé, les auteurs ne savent pas quelle en est la
durée, ne possèdent aucun renseignement sur les éléments qui ont servi
de base à sa fixation, n'ont pas pu faire de représentations à son sujet
ni contester de décision le concernant."
5.3 L'Etat partie n'a pas répondu à ces arguments, mais le Comité a connaissance
de la législation de la Jamaïque applicable dans ces deux affaires.
5.4 En ce qui concerne les mauvais traitements subis par M. Richards,
l'avocate relève que l'Etat partie n'a même pas abordé la question. En
ce qui concerne M. Walker, elle note que l'Etat partie s'est engagé à
enquêter mais fait remarquer que les faits remontent à plus de 6 ans et
que le représentant de M. Walker avait écrit au médiateur parlementaire
en 1992 pour dénoncer les mêmes traitements et que l'Etat partie n'avait
toujours pas ouvert d'enquête en octobre 1995, quand la présente communication
lui a été transmise.
5.5 En ce qui concerne les retards dans la procédure judiciaire, y compris
le retard mis à fournir un jugement écrit et une copie des comptes rendus
d'audience, le conseil réaffirme qu'ils sont exclusivement imputables
à l'Etat partie et note que le Conseil jamaïcain des droits de l'homme
a écrit huit fois au greffe de la Cour d'appel entre le 23 juin
1986 et le 17 mars 1989 (23 juin 1986, 10 juin et 8 décembre 1987, 23
mars, 14 avril, 14 et 16 novembre 1988 et 17 mars 1989). Elle souligne
que les auteurs ont fait preuve de diligence pour obtenir ces documents
mais en vain.
Examen de la communication quant à la recevabilité et quant au
fond
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité constate qu'avec le rejet par la section judiciaire du
Conseil privé de la demande d'autorisation spéciale de former recours,
le 2 novembre 1993, les auteurs ont épuisé les recours internes disponibles.
Il note à ce sujet que l'Etat partie n'a soulevé aucune objection quant
à la recevabilité de la plainte et a présenté des observations sur le
fond, ce qui lui permet d'examiner la communication quant à la recevabilité
et quant au fond en même temps, conformément au paragraphe 1 de l'article
94 du règlement intérieur. Conformément au paragraphe 2 de l'article 94
du règlement intérieur, le Comité ne se prononce pas sur le fond de la
communication sans avoir examiné l'applicabilité de chacun des motifs
de recevabilité visés dans le Protocole facultatif.
6.3 En ce qui concerne les irrégularités dont aurait été entachée la
procédure judiciaire, en particulier les instructions incorrectes données
au jury par le juge au sujet de la valeur probante de l'identification
par témoin, de l'interprétation de la théorie de l'intention commune dans
les affaires de condamnation à mort, le Comité rappelle que d'une façon
générale il appartient aux juridictions d'appel des Etats parties au Pacte
d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d'espèce;
de même, il appartient aux juridictions d'appel et non au Comité d'examiner
les instructions données au jury par le juge du fond, sauf s'il peut être
établi qu'elles ont été manifestement arbitraires et ont représenté un
déni de justice ou que le juge a manifestement manqué à son obligation
d'impartialité. Les allégations des auteurs ne montrent pas que les instructions
du juge aient été entachées de telles irrégularités. En conséquence, cette
partie de la communication est irrecevable pour incompatibilité avec les
dispositions du Pacte, conformément à l'article 3 du Protocole facultatif.
6.4 En ce qui concerne la détention prolongée dans le quartier des condamnés
à mort qui représenterait une violation de l'article 7 du Pacte, le Comité
réaffirme, conformément à sa jurisprudence, qu'une détention prolongée
dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas en soi un traitement
cruel, inhumain ou dégradant en violation de l'article 7 du Pacte
/Voir les constatations concernant la communication No 588/1994
(Errol Johnson c. Jamaïque), adoptées le 22 mars 1996./,
en l'absence d'autres circonstances impérieuses. Etant donné que les auteurs
n'ont pas montré l'existence d'autres circonstances impérieuses, cette
partie de la communication est irrecevable au titre de l'article 2 du
Protocole facultatif.
6.5 En ce qui concerne les arguments avancés au paragraphe 5.2, le Comité
relève que la déclaration de culpabilité prononcée le 17 mai 1982 a été
suivie d'une condamnation à mort, mais que cette peine a été commuée par
le Gouverneur général qui a suivi la décision rendue par le Conseil privé
dans l'affaire Pratt et Morgan. Bien que la commutation de peine
ait été prononcée en juin 1995, elle a été mise en oeuvre dans l'exercice
du droit de grâce et non en application des dispositions détaillées de
la loi portant modification de la loi sur les atteintes à la vie et à
l'intégrité de la personne de 1992 relatives à la reclassification des
condamnations pour meurtre, et qui définissent pour les cas qualifiés
de meurtre non puni de la peine de mort la méthode de fixation d'un tarif.
6.6 Le conseil dénonce une violation des articles 9 et 14 du Pacte, car
d'après elle la peine capitale a été commuée en peine de réclusion à vie
en application d'une "procédure administrative inconnue, imprécise
et secrète". Les documents portés à la connaissance du Comité montrent
que la condamnation à mort a été commuée en peine de réclusion à vie par
le Gouverneur général qui a suivi en cela le motif essentiel de la décision
rendue par le Conseil privé le 2 novembre 1993 dans l'affaire Pratt
et Morgan. Le Comité estime que cette allégation constitue un abus
du droit de présenter des communications conformément à l'article 3 du
Protocole facultatif.
6.7 En ce qui concerne les mauvais traitements qui auraient été infligés
aux auteurs pour les contraindre à avouer, le Comité note que la question
a fait l'objet d'un "procès dans le procès", au cours duquel
il a été délibéré pour déterminer si les déclarations des auteurs pouvaient
être acceptées comme preuve. A ce sujet, le Comité réaffirme, conformément
à sa jurisprudence, qu'il appartient généralement aux juridictions nationales
d'apprécier les faits et les preuves dans une affaire particulière; il
note que les tribunaux jamaïcains ont examiné les allégations des auteurs
et ont conclu que les déclarations n'avaient pas été faites sous la contrainte.
En l'absence d'éléments clairs tendant à montrer un préjugé de la part
du juge ou une erreur dans son comportement, le Comité ne peut entreprendre
d'apprécier les faits et les preuves qui ont conduit le juge à prendre
la décision qu'il a prise. En conséquence, cette partie de la communication
est irrecevable pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte, conformément
à l'article 3 du Protocole facultatif.
6.8 Le Comité constate que les auteurs, depuis qu'ils ont été condamnés
à la réclusion à vie n'ont pas soulevé la question de la période concernant
le tarif ni avancé de motifs à l'appui. S'ils ont des raisons de penser
que l'Etat partie n'a pas, en temps voulu, établi un système de réexamen
de leur droit à libération conditionnelle, ni appliqué le système ou les
critères prévus pour le règlement de ces questions, il leur faut d'abord
s'adresser aux tribunaux nationaux, ce qu'ils n'ont pas fait.
7. Dans les circonstances de l'affaire, le Comité décide que les autres
allégations des auteurs sont recevables et entreprend l'examen de ces
allégations sur le fond, à la lumière de toutes les informations qui ont
été portées à sa connaissance par les parties, comme le paragraphe 1 de
l'article 5 du Protocole facultatif lui en fait obligation.
8.1 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte du fait des mauvais traitements subis dans le quartier des
condamnés à mort, le Comité note que l'Etat partie a reconnu que les blessures
que M. Walker se plaint d'avoir reçues quand il a été roué de coups en
mai 1990 et qui lui ont valu cinq points de suture se sont produites pendant
les mutineries de mai 1990 et qu'il s'est engagé à ouvrir une enquête
et à informer le Comité des résultats. Le Comité note en outre que 20
mois après la transmission de la communication à l'Etat partie et plus
de 7 ans après les faits aucun renseignement n'a été apporté pour expliquer
les incidents. Dans ces conditions et en l'absence d'information de la
part de l'Etat partie, le Comité estime que les traitements infligés aux
auteurs dans le quartier des condamnés à mort constituent une violation
du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
8.2 Les auteurs ont fait valoir qu'un délai de près de deux ans entre
l'arrestation et le procès et qu'un autre délai de 30 mois entre le procès
et le recours étaient indûment longs et constituaient une violation du
paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
Le paragraphe 3 de l'article 9 stipule que toute personne arrêtée devra
être jugée dans un délai raisonnable ou libérée. Le Comité constate que
dans les arguments avancés par l'Etat partie, n'est pas abordée la question
de savoir pourquoi les auteurs, faute d'être libérés sous caution, n'ont
pas été jugés pendant près de deux ans. Le Comité est d'avis que, dans
le contexte du paragraphe 3 de l'article 9 et en l'absence de toute explication
satisfaisante de la part de l'Etat partie concernant ce retard, un délai
de près de deux ans au cours duquel les auteurs étaient en détention était
excessif et constituait de ce fait une violation de cette disposition.
En ce qui concerne le retard dans l'examen du recours présenté par les
auteurs et compte tenu de ce qu'il s'agit d'une affaire où les accusés
encourent la peine de mort, le Comité constate qu'un délai de 30 mois
entre la fin du procès et le rejet du recours des auteurs est incompatible
avec les dispositions du Pacte, en l'absence de toute explication de l'Etat
partie justifiant ce retard; il ne suffit pas d'affirmer simplement que
ce retard n'était pas excessif. Aussi le Comité conclut-il à une violation
du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du
Pacte.
8.3 Les auteurs se déclarent victimes d'une violation des paragraphes
3 c) et 5 de l'article 14 du Pacte en raison de la période de près de
cinq ans qui s'est écoulée avant que le greffe de la Cour suprême n'informe
le Conseil jamaïcain des droits de l'homme de l'existence des comptes
rendus d'audience et du jugement écrit de la Cour d'appel. L'Etat partie
a reconnu que, si un tel retard lui avait été entièrement imputable, il
y aurait violation du Pacte mais a objecté qu'en l'espèce les auteurs
n'avaient pas fait preuve de diligence pour obtenir les pièces requises.
L'avocate des auteurs a répondu toutefois que le Conseil jamaïcain des
droits de l'homme avait demandé les documents à huit reprises entre le
23 juin 1986 et le 17 mars 1989. Le Comité estime que dans ces circonstances
les auteurs ont fait preuve d'une diligence suffisante pour obtenir les
documents et que le retard ne peut être attribué qu'à l'Etat partie. En
conséquence le Comité conclut à une violation des paragraphes 3 c) et
5 de l'article 14 du Pacte.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article
10 en ce qui concerne M. Walker et du paragraphe 3 c) de l'article 14
du Pacte, en ce qui concerne les deux auteurs.
10. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'Etat partie
est tenu d'assurer à MM. Walker et Richards un recours utile, qui suppose
une réparation pour les mauvais traitements subis et pour le retard mis
à émettre un jugement écrit et à fournir les comptes rendus des audiences.
L'Etat partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne
se reproduisent pas à l'avenir.
11. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie
a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait
eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte,
il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le
Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
________________
* Les membres du Comité sont le nom suit ont participé à l'examen de
la présente communication : MM. Nisuke Ando, Prafullachandra N. Bhagwati
et Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mmes Elizabeth
Evatt et Pilar Caitan de Pombo, MM. Eckart Klein et David Kretzmer, Mme
Cecilia Medina Quiroga, MM. Fausto Pocar, Julio Prado Vallejo, Martin
Scheinin, Danilo Türk et Maxwell Yalden. /
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]