University of Minnesota



Nyekuma Kopita Toro Gedumbe c. République démocratique du Congo, Communication No. 641/1995, U.N. Doc. CCPR/C/75/D/641/1995 (2002).



Comité des droits de l'homme

Soixante-quinzième session

8 - 26 juillet 2002


ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4,

de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte

International relatif aux droits civils et politiques

- Soixante-quinzième session -



Communication No. 641/1995

Présentée par:Nyekuma Kopita Toro Gedumbe
Au nom de:Le requérant
État partie:République démocratique du Congo
Décision concernant la recevabilité:1er août 1997

Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 9 juillet 2002,

Ayant achevé l'examen de la communication no 641/1995 présentée par M. Nyekuma Kopita Toro Gedumbe en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,

Adopte les constatations suivantes:


Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5

du Protocole facultatif



1. Le requérant est M. Nyekuma Kopita Toro Gedumbe, citoyen de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre), résidant à Bujumbura (Burundi). Il se déclare victime de la violation par la République démocratique du Congo (ex-Zaïre) des paragraphes 1 et 3 de l'article 2; des articles 7, 14, 17, du paragraphe 1 de l'article 23; des alinéas a et c de l'article 25 et de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n'est pas représenté par un conseil.


Rappel des faits présentés par le requérant

2.1 Le requérant était depuis 1985 Directeur du groupe scolaire consulaire zaïrois de Bujumbura (Burundi). En 1988, il a été révoqué par Mboloko Ikolo, alors Ambassadeur du Zaïre au Burundi. Les motifs de la révocation seraient une plainte adressée par le requérant et par d'autres membres du personnel de l'école (1) à plusieurs hauts dignitaires zaïrois, dont le Président de la République et le Ministre des affaires étrangères, pour dénoncer le détournement par M. Ikolo des traitements du personnel du groupe scolaire consulaire. Dans le cas particulier du requérant, l'ambassadeur se serait emparé de son salaire pour le contraindre à lui céder son épouse.

2.2 En mars 1988, le Zaïre a dépêché à Bujumbura une commission d'enquête qui aurait fait un rapport accablant sur l'ambassadeur et confirmé toutes les accusations portées contre lui. En août 1988, le Ministre zaïrois des affaires étrangères a enjoint M. Ikolo de payer l'intégralité des traitements au requérant, lequel avait été entre-temps muté à l'école consulaire de Kigali (Rwanda) pour en prendre la direction. L'ambassadeur, qui aurait refusé d'obtempérer, aurait été suspendu de ses fonctions et rappelé au Zaïre le 20 juin 1989.

2.3 En septembre 1989, le Ministère de l'enseignement primaire et secondaire a pris un arrêté ordonnant la réintégration du requérant dans ses fonctions à Bujumbura. Le requérant est donc retourné au Burundi pour y prendre ses fonctions. Ultérieurement, M. Ikolo qui, bien que suspendu, était resté à Bujumbura jusqu'au 20 décembre 1989, a informé les autorités zaïroises que le requérant était membre d'un réseau d'opposants politiques au Gouvernement zaïrois. M. Ikolo avait donc prié les autorités burundaises d'expulser le requérant. C'est pourquoi, selon le requérant, M. Ikolo et son successeur à l'ambassade, M. Vizi Topi, ont refusé de le réintégrer dans ses fonctions même après avoir reçu confirmation du Ministre de l'enseignement primaire et secondaire, et se sont également opposés à verser l'arriéré de ses traitements.

2.4 Le requérant s'est adressé au Procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Uvira qui a renvoyé le dossier au Procureur général près la cour d'appel de Bukavu le 25 juillet 1990. Les deux parquets ont constaté que les faits constituaient un abus de pouvoir et ont réprouvé la conduite de l'ancien ambassadeur. Le 14 septembre 1990, l'affaire a été, à nouveau, renvoyée pour avis au parquet de Kinshasa où la plainte a été enregistrée en février 1991. Depuis lors, malgré de nombreux rappels, aucune suite n'a été donnée. Le requérant s'est donc adressé au Ministre de la Justice et au Président de l'Assemblée nationale. Ce dernier a intercédé auprès du Ministre des affaires étrangères et du Ministre de l'éducation nationale qui seraient intervenus en faveur du requérant auprès de M. Vizi Topi, mais en vain.

2.5 Le 7 octobre 1990, le requérant a porté plainte contre M. Ikolo pour adultère, dénonciation calomnieuse et accusation préjudiciable, abus de pouvoir et détournement de fonds privés. Par lettre du 24 octobre 1990, le Président de la cour d'appel de Kinshasa a informé le requérant que M. Ikolo, en tant qu'ambassadeur, bénéficie d'une immunité de fonction et ne peut être traduit en justice que sur plainte du Procureur général. Le requérant a adressé de nombreuses plaintes au Procureur lui demandant d'engager des poursuites contre M. Ikolo, mais à ce jour rien n'a été fait. Selon le requérant, cette inertie tient au fait qu'il faut une autorisation spéciale du Président de la République pour engager des poursuites contre des membres des services de sécurité et que le Procureur ne peut donc pas prendre le risque de poursuivre M. Ikolo, lequel est également un haut cadre du Service national d'intelligence et de la protection. Par conséquent, cette affaire ne peut être tranchée par la voie judiciaire. Le requérant fait valoir que, dans ces conditions, tous les recours internes disponibles et utiles ont été épuisés.


Teneur de la plainte

3.1 Le requérant fait valoir que la privation arbitraire de son emploi, le détournement de son traitement et la déstabilisation de sa famille qui ont résulté de la situation équivalent à une torture et à un traitement cruel et inhumain. Il ajoute que le Gouvernement, représenté par le parquet, lui dénie le droit à un procès équitable et public par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi.

3.2 Le requérant indique en outre que sa famille a été déstabilisée par la conduite immorale de l'ambassadeur qui aurait eu des relations adultères avec son épouse, en violation de l'article 17 du Pacte. Il ajoute que, en raison des difficultés qu'il traverse depuis sa révocation, sa famille ne bénéficie pas de la protection à laquelle le paragraphe 1 de l'article 23 du Pacte lui donne droit.

3.3 Le requérant fait valoir que, parce qu'il est directeur d'une école publique empêché d'exercer ses fonctions, les droits qui lui sont reconnus aux alinéas a et c de l'article 25 ont été violés. Il affirme, par ailleurs, être victime d'une violation de l'article 26 du Pacte dans la mesure où il a été suspendu de la fonction publique sans que des sanctions disciplinaires lui aient été infligées, par conséquent en violation de la loi. À cet égard, il affirme que le fait que le Gouvernement n'ait pas obligé l'ambassadeur à l'autoriser à reprendre ses fonctions, même après une réintégration officielle dans son poste, constitue une violation des paragraphes 1 et 3 de l'article 2 du Pacte.

3.4 Le requérant précise que l'affaire n'a pas été soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.


Délibérations du Comité sur la recevabilité

4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2 À sa soixantième session en juillet-août 1997, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication.

4.3 Le Comité a estimé que la plainte du requérant selon laquelle les faits tels qu'il les a décrits constituent une violation des articles 7, 17 et 23 ainsi que de l'alinéa a de l'article 25 du Pacte n'a pas été étayée aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication a donc été déclarée irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.

4.4 Le Comité a également considéré que, en l'absence de toute information soumise par l'État partie, la plainte du requérant selon laquelle il s'est vu refuser l'accès à la fonction publique et l'égalité devant la loi et les tribunaux parce que l'État partie n'a pas fait appliquer ses décisions de remboursement au requérant de l'arriéré de ses traitements et de réintégration dans son poste et puisqu'il est empêché de saisir les tribunaux de sa plainte, peut soulever des questions au regard du paragraphe 1 de l'article 14, de l'alinéa c de l'article 25 et de l'article 26 du Pacte, qui méritent d'être examinées quant au fond. Le 1er août 1997, le Comité a donc déclaré recevable cette partie de la communication.


Examen quant au fond

5.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. Il constate que, s'il a reçu suffisamment d'informations de la part du requérant, l'État partie, en dépit de rappels qui lui ont été adressés, ne lui a fourni aucune réponse tant sur la recevabilité que sur le fond de la communication. Le Comité rappelle qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif un État partie est tenu de coopérer en lui soumettant par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu'il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. Comme l'État partie ne s'est pas montré coopératif en la matière, force est de donner tout leur poids aux allégations du requérant dans la mesure où elles ont été étayées.

5.2 Eu égard au grief de violation de l'alinéa c de l'article 25 du Pacte, le Comité note que le requérant a formulé des allégations précises relatives, d'une part, à sa révocation en dehors de toute procédure légale et en particulier en violation du statut zaïrois régissant les agents de l'État, et d'autre part à sa non-réintégration dans ses fonctions contrairement aux décisions du Ministère de l'enseignement primaire et secondaire. À cet égard, le Comité relève également que le non-paiement des arriérés de traitements du requérant, malgré les instructions du Ministre des affaires étrangères, est la conséquence directe de l'absence de mise en application des décisions des autorités ci-dessus mentionnées. En l'absence de réponse de la part de l'État partie, le Comité estime que les faits, dans le cas d'espèce, montrent que les décisions des autorités en faveur du requérant n'ont pas été suivies d'effet et ne peuvent être considérées comme un remède satisfaisant au regard des articles 2 et 25 c) combinés du Pacte.

5.3 Dans la mesure où le Comité a constaté que le requérant ne disposait pas d'un recours utile pour faire valoir ses droits devant un tribunal (art. 2 et 25 c) combinés du Pacte), la question relative à la conformité d'un tel tribunal au regard de l'article 14 du Pacte n'a pas lieu de se poser. Quant à l'article 26 du Pacte, le Comité a répondu à l'argumentation du requérant en retenant une violation de l'article 25 c).

6.1 Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par la République démocratique du Congo des articles 2 et 25 c) combinés du Pacte.

6.2 En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, le Comité considère que le requérant a droit à un recours utile qui doit prendre la forme: a) d'une réintégration effective dans la fonction publique, à son poste avec toutes les conséquences que cela implique, ou le cas échéant à un poste similaire Communication no 630/1995 Abdoulaye Mazou c. Cameroun.; et b) d'une indemnisation calculée sur la base d'une somme équivalant au paiement des arriérés de traitements et de la rémunération qu'il aurait perçue depuis la période où il n'a pas été réintégré dans ses fonctions considérée à partir de septembre 1989 Communications nos 422/1990, 423/1990 et 424/1990, Adimayo M. Aduayom, Sofianou T. Diasso et Yawo S. Dobou c. Togo..

6.3 Le Comité rappelle qu'en adhérant au Protocole facultatif, la République démocratique du Congo a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 de celui-ci, elle s'est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Aussi le Comité souhaite-t-il recevoir de l'État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu'il aura prises pour leur donner suite. L'État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

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[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]


* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente communication: M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.



Notes

1. Cette plainte portait également la signature d'Odia Amisi, lequel avait soumis une communication (no 497/1992 - Odia Amisi c. Zaïre), déclarée irrecevable le 27 juillet 1994.



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