Comité des droits de l'homme
Soixante-quatrième session
19 octobre - 6 novembre 1998
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-quatrième session -
Communication No 647/1995
Présentée par : Wilfred Pennant (représenté par M. S. Lehrfreund, du cabinet d'avocats Simons Muirhead & Burton, à Londres)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 8 novembre 1994 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 20 octobre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 647/1995, présentée au Comité par M. Wilfred Pennant en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Wilfred Pennant, citoyen jamaïcain condamné à une peine de réclusion à vie qu'il exécute à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque). Il se déclare victime de violations par la Jamaïque de l'article 7, des paragraphes 2, 3 et 4 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 10 et des paragraphes 1 et 3 a) de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par M. Saul Lehrfreund, du cabinet d'avocats londonien Simons Muirhead et Burton.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été reconnu coupable du meurtre, commis le 22 février 1983, d'un policier du nom d'Ernest Stephens. Il a été condamné à mort le 4 octobre 1984 par le tribunal de district de St. Catherine, à Kingston. La cour d'appel de la Jamaïque l'a débouté le 15 mai 1986. Le 15 décembre 1987, sa demande d'autorisation spéciale de former recours auprès de la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée. Le 14 décembre 1989 la condamnation à mort a été commuée en peine de réclusion à vie.
2.2 L'auteur fait le récit suivant. Le 1er mai 1983, il était allé au poste de police de Chapleton pour signaler l'incident. Il avait été transféré au poste de police de Spanish Town, à une date non précisée, et il avait été inculpé de meurtre le 4 mai 1983. Ce n'est qu'en juin 1983, soit environ un mois après l'arrestation, qu'il avait été conduit devant une autorité judiciaire.
2.3 Le dossier de l'accusation reposait sur la déclaration d'un témoin oculaire et sur la déclaration d'un deuxième témoin, décédé avant que le procès ne s'ouvre. Au procès, Vincent Johnson, huissier adjoint, a témoigné que le 23 février 1983, il avait accompagné le policier Stephens et le propriétaire de l'auteur, muni d'une assignation pour non-paiement du loyer. Ils avaient rencontré l'auteur dans la rue et celui-ci avait affirmé qu'il avait payé le loyer à l'avocat du propriétaire. M. Johnson a ajouté que le policier avait demandé à l'auteur de l'accompagner chez l'avocat pour vérifier si le paiement avait bien été effectué et que l'auteur avait refusé. D'après le témoin, Stephens avait saisi l'auteur à la ceinture et celui-ci avait pris un pic à glace et avait frappé le policier, lequel avait tiré six coups de revolver à une distance d'environ 1 mètre mais sans atteindre l'auteur. Celui-ci avait pris la fuite. Tout cela s'était passé dehors, dans la rue.
2.4 L'accusation avait également produit comme preuve une déclaration du propriétaire et témoin du meurtre (qui était décédé avant que le procès ne s'ouvre), dans laquelle il avait confirmé que tout s'était passé dehors, ajoutant toutefois qu'il avait seulement vu le coup porté au policier sans savoir d'où provenait le pic à glace. Il avait également déclaré que la victime n'avait pas saisi l'auteur par la ceinture. De l'avis du conseil, il y a là une contradiction évidente avec le témoignage du principal témoin à charge.
2.5 La défense a fait valoir qu'il y avait eu légitime défense, se fondant sur le récit de l'auteur qui affirmait que tout s'était déroulé chez lui. D'après l'auteur, il écoutait la radio quand Stephens avait pénétré dans sa chambre, revolver au poing; il avait sauté de son lit, avait saisi le policier au col et ils s'étaient battus. Deux coups de feu avaient été tirés. L'auteur avait pris le pic à glace qui se trouvait sur sa table et avait frappé deux fois le policier. Celui-ci s'était enfui et avait tiré plusieurs coups de feu en direction de l'auteur qui s'était lancé à sa poursuite. Le 1er mai, ayant appris que le policier était mort, l'auteur s'était rendu à la police.
2.6 Un policier, appelé à témoigner à charge, a déclaré que la chambre de l'auteur avait été mise à sac et que la serrure avait été forcée.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil fait valoir que l'intervalle d'un mois écoulé entre l'arrestation et la comparution devant une autorité judiciaire et l'intervalle de trois jours écoulé entre l'arrestation et l'inculpation constituent une violation des paragraphes 2, 3 et 4 de l'article 9 ainsi que du paragraphe 3 a) de l'article 14 du Pacte. Il renvoie à ce sujet à la jurisprudence du Comité et à une de ses Observations générales Observation générale 8 concernant l'article 9. Communication No 336/1988 (Andrés Fillastre c. Bolivie), constatations adoptées le 5 novembre 1991. Communication No 253/1987 (Kelly c. Jamaïque), constatations adoptées le 8 avril 1991. Communication No 277/1988 (Terán Jijón c. Equateur), constatations adoptées le 26 mars 1992..
3.2 Le conseil invoque également une violation du paragraphe 1 de l'article 14, parce que la cour d'appel ne s'est pas occupée de rectifier les erreurs commises par le juge du fond qui, dans ses instructions au jury, n'a pas évoqué la question de la provocation. Le fait que le jury n'ait pas été informé que la question de la provocation pouvait se poser a _té à l'accusé un moyen de défense qui aurait pu aboutir à une condamnation pour homicide, infraction moins grave, ce qui représente un déni de justice. À cet égard, le conseil renvoie à la jurisprudence du Comité [Communication No 253/1987 (Kelly c. Jamaïque); le Comité a estimé qu'"il ne lui appartient pas en principe d'examiner les instructions données au jury par le juge du fond, sauf s'il peut être établi qu'elles ont été manifestement arbitraires ou représentent un déni de justice, ou que le juge a manifestement manqué à son devoir d'impartialité".].
3.3 Le conseil affirme en outre que, quand un avocat lui a rendu visite en prison, l'auteur l'a informé qu'il avait été maltraité pendant sa garde à vue au poste de police de St. Catherine. L'auteur dit que quand ils l'ont arrêté, les policiers lui ont fait subir des traitements particulièrement brutaux parce qu'il était soupçonné du meurtre d'un policier. Il a été placé dans une cellule humide où il devait dormir à même le sol. Quelques semaines après son arrivée, certains des policiers ont ordonné à un autre prisonnier de le rouer de coups. Il a été blessé à l'oeil gauche mais n'a pas été soigné, jusqu'à ce qu'il soit traduit devant un tribunal et que le juge ordonne à la police de le conduire à l'h_pital. Dans une lettre à son conseil, l'auteur indique qu'à un moment donné on l'a changé de cellule pour le mettre avec "le fils d'un homme qui s'était interposé pour me défendre et avait été tué. Le fils de cet homme et ses amis m'ont agressé dans la cellule dès que les policiers m'ont mis avec eux". L'auteur a été soigné dans deux h_pitaux publics. M. Edwards, l'avocat qui l'avait représenté lors de l'audience préliminaire, a déclaré se souvenir de l'incident; toutefois, M. Edwards n'a joint aucun document concernant l'audience préliminaire qui se rapporte à l'incident. Le Conseil jamaïcain des droits de l'homme a confirmé lui aussi que l'auteur avait été soigné en juin 1983 à l'h_pital de Spanish Town ainsi qu'à l'h_pital public de Kingston (service d'ophtalmologie). Le 22 février 1994, le conseil de l'auteur a demandé par écrit au greffier adjoint de la Chambre criminelle de la Cour suprême le compte rendu de l'audience préliminaire. Il a été informé le 7 mars 1994 que ce compte rendu était introuvable.
3.4 Le conseil fait valoir que les prescriptions fondamentales de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus n'ont pas été satisfaites pendant la garde à vue au poste de police de St. Catherine et que les traitements auxquels l'auteur a été soumis en détention, ainsi que l'insuffisance des soins médicaux qu'il a reçus, représentent des violations de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
3.5 Le conseil précise que si l'auteur n'a fait aucune démarche au sujet des mauvais traitements qu'il a subis en détention c'est par crainte des représailles, et il souligne l'inefficacité du système interne de recours pour ce genre de plainte. Il indique ainsi que, vu que les recours internes et plus particulièrement la procédure pénitentiaire et la procédure de dép_t des plaintes auprès du médiateur parlementaire, ne sont pas des recours utiles, les conditions établies au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif sont remplies. À cet égard, le conseil renvoie à la jurisprudence du Comité Communication No 458/1991 (A.W. Mukong c. Cameroun), constatations adoptées le 21 juillet 1994..
3.6 Le conseil souligne que l'auteur est resté dans le quartier des condamnés à mort pendant près de sept ans. Il fait référence à la décision de la section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Pratt et Morgan Earl Pratt et Ivan Morgan c. Attorney-General of Jamaica; recours auprès du Conseil privé No 10 de 1993, décision rendue le 2 novembre 1993., dans laquelle le Conseil privé a statué notamment qu'il devrait être possible pour l'État partie d'achever l'intégralité de la procédure des recours internes en à peu près deux ans. Le conseil fait valoir que la durée prolongée de la détention dans le quartier des condamnés à mort représente une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10.
3.7 L'auteur invoque également une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 parce qu'en janvier 1987 il a été informé de son exécution prochaine et a été alors placé dans la dernière cellule des condamnés, où il est resté pendant deux semaines; puis il a été reconduit dans le quartier des condamnés à mort où il a passé deux autres années, jusqu'à la commutation de sa peine.
3.8 Enfin, il est fait référence aux conclusions d'une délégation d'Amnesty International, qui s'est rendue dans la prison du district de St. Catherine en novembre 1993. La délégation a constaté notamment que la prison hébergeait plus de deux fois le nombre de détenus pour lequel elle avait été construire, au XIXe siècle, et que les installations et services assurés par l'État étaient très insuffisants; pas de matelas ni de lit ou autre couchage, pas de meuble dans les cellules, aucune installation sanitaire dans les cellules; plomberie cassée, locaux jonchés de monceaux de détritus et pas de tout-à-l'égout (simples caniveaux); aucun éclairage électrique dans les cellules, aérées seulement par de petits orifices de ventilation par lesquels pénètre la lumière du jour; quasiment aucune possibilité de travailler pour les détenus et aucun médecin attaché à la prison, de sorte que les malades sont généralement soignés par les gardiens, qui n'ont pas la formation voulue. D'après le conseil, dans le cas précis de l'auteur, les conséquences de ces conditions générales de détention sont que l'auteur est resté en permanence confiné dans sa cellule, sauf quand il sortait pour vider sa tinette, en moyenne 15 minutes et deux fois par jour. Sa cellule était infestée de fourmis et d'autres insectes et il n'avait qu'une éponge pour la nettoyer. L'auteur s'était plaint également de la mauvaise qualité de la nourriture et des conditions sanitaires. Les conditions dans lesquelles l'auteur est détenu dans la prison de St. Catherine sont considérées comme représentant un traitement cruel, inhumain et dégradant au sens de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
3.9 Le conseil fait valoir que, dans la pratique, l'auteur ne peut pas former un recours constitutionnel parce qu'il est indigent et que l'État jamaïcain ne prévoit pas d'aide judiciaire pour le dép_t des requêtes constitutionnelles. Il fait référence à la jurisprudence du Comité Communication No 230/1987 (Raphael Henry c. Jamaïque), constatations adoptées le 1er novembre 1991. Communication No 445/1991 (Lynden Champagnie, Delroy Palmer et Oswald Chisholm c. Jamaïque), constatations adoptées le 18 juillet 1994.. Il affirme donc que tous les recours internes ont été épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication, et commentaires du conseil
4.1 Dans une réponse en date du 3 novembre 1995, l'État partie renonce à s'occuper de la question de la recevabilité de la communication et traite directement des plaintes de l'auteur sur le fond. En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, l'État partie se réfère à deux incidents. En mai 1983, l'auteur aurait été passé à tabac et aurait eu des blessures à l'oeil gauche, pour lesquelles il n'aurait pas été soigné jusqu'à ce que le juge devant lequel il comparaissait ait donné l'ordre de le faire soigner. L'État partie objecte qu'aucune preuve écrite ne vient étayer l'allégation de l'auteur, étant donné que la lettre émanant de son conseil est assez vague. Il a demandé une copie de la lettre adressée par le conseil de Londres à M. Noel Edwards à la Jamaïque, afin de vérifier exactement ce que M. Edwards confirmait. L'État partie s'est engagé à répondre à cette allégation ultérieurement quand il aurait mené une enquête. À la date du 6 juillet 1998, aucun autre renseignement n'a été reçu de l'État partie.
4.2 L'État partie répond aussi à la deuxième allégation de violation des articles 7 et 10, fondée sur le fait que l'auteur a passé quatre ans dans le quartier des condamnés à mort et a été incarcéré dans la dernière cellule réservée aux condamnés à qui l'exécution imminente a été notifiée. L'État partie note : "L'auteur a passé deux semaines dans la dernière cellule des condamnés, deux semaines pendant lesquelles il a terriblement souffert moralement, puis un sursis à exécution a été ordonné". L'État partie nie que de telles circonstances puissent constituer une violation du Pacte. De plus, il fait valoir que dans l'affaire Pratt et Morgan c. Attorney General of Jamaica, le Conseil privé a statué que si le condamné passait plus de cinq ans dans le quartier des condamnés à mort, il y avait des motifs sérieux de considérer qu'il s'agit d'un traitement cruel et inhumain. Une durée de quatre ans, comme dans le cas présent, n'est pas la durée réputée excessive. De plus, la décision prise dans l'affaire Pratt et Morgan ne peut pas être appliquée rétroactivement et ne peut donc pas être invoquée pour des événements survenus en 1987.
4.3 En ce qui concerne la détention dans la dernière cellule avant l'exécution, l'État partie note : "Il est naturel que dans ces conditions l'auteur ait ressenti une certaine angoisse. Toutefois, le placement dans cette cellule avant une exécution légale ne constitue pas pour autant un traitement cruel et inhumain et le fait qu'il y a passé deux semaines pendant que, comme on peut le supposer, tout était fait pour obtenir un sursis à exécution, n'entraîne pas une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10. Une fois que la date d'exécution a été fixée et que la notification a été faite, les autorités de l'administration pénitentiaire sont tenues de procéder aux démarches voulues pour mener à bien l'exécution. Elles doivent le faire aussi humainement que possible, mais la procédure régissant l'exécution des peines n'est pas contraire au Pacte".
4.4 En ce qui concerne le paragraphe 2 de l'article 9, qui aurait été violé parce que l'auteur n'a été inculpé que trois jours après son arrestation, l'État partie note que rien ne montre que l'auteur n'ait pas été informé de l'infraction pour laquelle il était arrêté. Pendant ces trois jours, l'auteur a été transféré du poste de police de Chapelton au poste de police de Spanish Town, puis à la division des enquêtes criminelles de Kingston, où il a été officiellement placé en état d'arrestation. L'État partie note que l'auteur a été placé en état d'arrestation officiellement au poste de police le plus à même d'ouvrir un dossier contre lui. Cela ne veut pas dire qu'avant il était dans l'ignorance des charges générales portées contre lui.
4.5 En ce qui concerne le fait qu'il n'aurait pas été traduit dans le plus court délai devant une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires, en violation des paragraphes 3 et 4 de l'article 9, l'État partie fait valoir que l'auteur a été conduit devant un magistrat environ un mois après son arrestation. Il reconnaît que c'est plus long qu'il n'aurait fallu mais rejette l'idée qu'un tel délai constitue une violation du Pacte.
4.6 Pour ce qui est du paragraphe 1 de l'article 14, qui aurait été violé parce que la cour d'appel n'a pas rectifié les erreurs commises par le juge du fond en ce qui concerne la question de la provocation et parce que les critères retenus par la cour d'appel étaient incorrects ou incomplets, l'État partie note que, selon un principe bien établi, les questions de faits et de preuves, y compris les instructions du juge du fond, doivent être laissées à l'appréciation des juridictions d'appel. Ce n'est que dans des cas exceptionnels, où une injustice a manifestement été commise, que le Comité peut examiner ces questions. En l'espèce, l'État partie objecte que rien dans le dossier n'autorise à faire exception à ce principe étant donné que la cour d'appel a dûment examiné tous les points; il n'y a donc pas eu violation de l'article 14 du Pacte.
5.1 Par un courrier en date du 12 février 1996, le conseil fournit une copie de la lettre adressée à M. Noel Edwards, le conseil de l'auteur à la Jamaïque, afin que l'État partie connaisse avec précision les éléments que M. Edwards confirmait dans sa lettre au conseil de Londres, concernant les mauvais traitements perpétrés par la police et les soins qui n'auraient pas été dispensés à l'auteur pour sa blessure à l'oeil.
5.2 Le conseil réfute l'argument de l'État partie pour qui la décision prise dans l'affaire Pratt et Morgan n'est pas rétroactive, vu que le Conseil privé a recommandé ce qui suit :
"Au lieu d'attendre que tous les prisonniers qui se trouvent dans
le quartier des condamnés à mort depuis cinq ans au moins engagent une
procédure conformément à l'article 25 de la Constitution, le Gouverneur
général renvoie maintenant toutes ces affaires à la section judiciaire
du Conseil privé qui, conformément à l'orientation donnée dans le présent
avis, recommande de commuer les peines en réclusion à vie; la justice
sera administrée avec diligence sans que la Cour suprême soit envahie
de requêtes en réparation constitutionnelle, en application du paragraphe
1 de l'article 17".
Le conseil fait donc valoir que la décision dans l'affaire Pratt et
Morgan visait à aider les prisonniers qui se trouvent depuis déjà
plus de cinq ans dans le quartier des condamnés à mort et qui ont donc
été soumis à un traitement inhumain et dégradant. Il souligne que l'auteur
a passé en tout sept ans dans le quartier des condamnés à mort avant que
sa peine soit commuée.
5.3 Le conseil réfute l'argument de l'État partie qui considère que passer
deux semaines dans la dernière cellule des condamnés n'est pas contraire
au Pacte; il réaffirme au contraire que l'auteur a vécu dans des affres
entre le moment où il a été avisé de son exécution prochaine et le moment
où le sursis à exécution a été ordonné Il est fait référence
au rapport présenté en 1988 par le Rapporteur spécial de la Commission
des droits de l'homme sur la torture.. Le conseil estime que si l'État
partie est d'avis que les démarches voulues pour mener à bien une exécution
devraient être réalisées aussi humainement que possible, il est obligé
de reconnaître que cela signifie qu'on ne doit rester dans la dernière
cellule avant l'exécution que pendant un temps raisonnable. Le conseil
réaffirme que deux semaines est une durée excessive, qui constitue une
violation des droits garantis dans le Pacte.
5.4 Le conseil note que l'État partie reconnaît que l'auteur n'a été
inculpé que trois jours après son arrestation et réfute l'argument de
l'État partie qui estime que l'auteur ne pouvait pas ne pas être informé
des accusations "générales" portées contre lui; il réaffirme
qu'il y a eu violation du paragraphe 2 de l'article 9 et du paragraphe
3 a) de l'article 14 du Pacte.
5.5 Le conseil note que l'État partie a également reconnu que l'auteur
n'avait été déféré devant un juge qu'environ un mois après son arrestation
et réaffirme qu'il y a là violation des paragraphes 3 et 4 de l'article
9 du Pacte. Il renvoie à la jurisprudence du Comité à ce sujet
Voir communication No 253/1987 (Kelly c. Jamaïque)..
5.6 Le conseil maintient les allégations soumises dans la communication
initiale au sujet de l'iniquité du procès parce que la cour d'appel n'a
pas rectifié les erreurs du juge du fond qui n'avait pas donné les instructions
voulues au jury au sujet de la question de la provocation.
Décision concernant la recevabilité et examen quant au fond
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, décider si la communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément
au paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même
question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement.
6.3 Le Comité note qu'avec le rejet, le 15 décembre 1987, de la demande
d'autorisation spéciale de former recours auprès de la section judiciaire
du Conseil privé, l'auteur a épuisé les recours internes aux fins du Protocole
facultatif.
6.4 En ce qui concerne les allégations de l'auteur relatives à l'iniquité
du procès parce que le juge n'a pas donné au jury les instructions voulues
et ne lui a pas soumis la question de la possibilité de la provocation,
et parce que la cour d'appel n'a pas rectifié ces erreurs, le Comité réaffirme
que, si l'article 14 garantit le droit à un procès équitable, c'est généralement
aux tribunaux des États parties au Pacte qu'il appartient d'apprécier
les faits et les preuves dans un cas précis. De même, c'est aux juridictions
d'appel des États parties et non au Comité qu'il appartient d'apprécier
les instructions données au jury par le juge ou la conduite du procès,
sauf s'il est manifeste que les instructions ont été arbitraires ou ont
représenté un déni de justice ou que le juge a manifestement manqué à
son obligation d'impartialité. Les allégations de l'auteur et les comptes
rendus d'audience mis à la disposition du Comité ne montrent pas que la
conduite du procès de M. Pennant ait été entachée de telles irrégularités.
En particulier, il n'apparaît pas que les instructions du juge au sujet
de la possibilité de la provocation aient été de nature à violer son obligation
d'impartialité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable
pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte, conformément à l'article
3 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité déclare les autres parties de la communication
recevables et procède, sans plus tarder, à examiner les plaintes quant
au fond, à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées
par toutes les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du
Protocole facultatif.
8.1 Le paragraphe 2 de l'article 9 du Pacte garantit à tout individu
arrêté le droit d'être informé des raisons de l'arrestation et d'être
informé dans le plus court délai de toute accusation portée contre lui.
L'auteur de la communication déclare être allé au poste de police, le
1er mai 1983, de sa propre initiative, et avoir informé la personne responsable
du fait qu'il était impliqué dans le décès de M. Stephens. Il a été arrêté,
transféré dans un autre poste de police et formellement inculpé trois
jours plus tard. Étant donné que, dans ces conditions, il devait être
absolument clair pour l'auteur de la communication que sa détention et
son arrestation ultérieure avaient pour motif le décès de M. Stephens,
le Comité ne peut conclure à une violation du droit de l'auteur à être
informé des raisons de son arrestation. De plus, l'auteur a été formellement
inculpé du meurtre de M. Stephens trois jours après sa première détention,
à la suite de ce qui a dû être une investigation préliminaire. Le droit
qu'a une personne d'être informée dans le plus court délai des chefs d'inculpation
retenus contre elle - à la différence des raisons de son arrestation -
ne peut exister qu'à partir du moment où l'inculpation a été formulée.
En l'espèce, il ne semble pas qu'un délai de trois jours entre le moment
de la détention et l'inculpation formelle de l'auteur de la communication
constitue une violation du droit d'être informé dans le plus court délai
des accusations portées contre lui.
8.2 En ce qui concerne l'allégation de violation des paragraphes 3 et
4 de l'article 9 et du paragraphe 3 a) de l'article 14, le Comité note
qu'il n'est pas contesté que l'auteur n'a été conduit pour la première
fois devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer
des fonctions judiciaires qu'un mois après son arrestation. Il note également
que l'État partie a admis que ce délai était plus long qu'il ne faudrait.
En conséquence, il conclut que l'intervalle écoulé entre l'arrestation
de l'auteur et sa comparution devant un juge était excessif et constitue
une violation du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte et, dans la mesure
où l'auteur a été empêché d'introduire un recours devant un tribunal pour
obtenir qu'il soit statué sur la légalité de sa détention, du paragraphe
4 de l'article 9.
8.3 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur qui se plaint d'avoir
été passé à tabac pendant sa garde à vue et de ne pas avoir reçu de soins
médicaux jusqu'à ce que le magistrat devant lequel il comparaissait donne
à la police l'ordre de le conduire à l'h_pital, l'État partie a objecté
que cette plainte était vague et a demandé que le conseil fournisse une
copie de la lettre adressée au conseil jamaïcain de l'auteur pour demander
confirmation de cet incident. Le Comité note que, bien que la lettre demandée
lui ait été adressée le 15 mars 1996 et qu'il se soit engagé à ouvrir
une enquête quand il saurait avec précision les éléments que le conseil
confirmait, l'État partie n'a fait parvenir aucun renseignement à ce sujet.
En conséquence, le Comité estime que le crédit voulu doit être accordé
à la plainte de l'auteur dans la mesure où elle a été étayée et conclut
donc que le traitement infligé par la police à l'auteur pendant sa garde
à vue est contraire à l'article 7 et au paragraphe 1 de l'article 10 du
Pacte.
8.4 Pour ce qui est des conditions de détention à la prison de district
de St. Catherine, le Comité note que l'auteur a formulé des allégations
précises au sujet des conditions déplorables. L'auteur affirme être resté
en permanence confiné dans sa cellule sauf quand il sortait pour vider
sa tinette en moyenne 15 minutes deux fois par jour. Il déclare que sa
cellule était infestée de fourmis et d'autres insectes et qu'il ne disposait
que d'une éponge pour la nettoyer. Il s'est également plaint du caractère
épouvantable de la nourriture et des conditions sanitaires. L'État partie
n'a pas réfuté ces allégations précises. En conséquence, le Comité estime
que l'enfermement de l'auteur dans de telles conditions constitue une
violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
8.5 Au sujet de l'affirmation de l'auteur selon laquelle sa détention
prolongée dans le quartier des condamnés à mort constitue une violation
de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, le Comité
réaffirme sa jurisprudence selon laquelle une détention prolongée dans
le quartier des condamnés à mort ne constitue pas en soi un traitement
cruel, inhumain ou dégradant contraire aux dispositions de l'article 7
du Pacte Voir les constatations du Comité concernant la communication
No 588/1994 (Errol Johnson c. Jamaïque), adoptées le 22
mars 1996. s'il n'existe pas d'autres circonstances impérieuses.
8.6 En ce qui concerne l'allégation du conseil selon laquelle l'auteur
a été placé en cellule d'exécution imminente pendant deux semaines après
qu'on lui a donné lecture d'une notification d'exécution, le Comité note
que l'État partie affirme qu'il était naturel que dans ces conditions
l'auteur ait ressenti "une certaine angoisse", et que le temps
passé dans ladite cellule se justifiait par le fait que, "comme on
peut le supposer", on s'efforçait d'obtenir un sursis à exécution.
Le Comité considère qu'en l'absence d'explications détaillées de la part
de l'État partie quant aux raisons du maintien de l'auteur de la communication
pendant deux semaines en cellule d'exécution imminente, cette mesure ne
peut être jugée compatible avec les dispositions du Pacte relatives au
droit d'être traité avec humanité. En conséquence, le Comité conclut qu'il
y a eu violation de l'article 7 du Pacte.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître des violations de l'article 7, des paragraphes
3 et 4 de l'article 9 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
10. En application du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État
partie est tenu de fournir à M. Pennant un recours utile, comportant une
indemnisation pour les mauvais traitements subis ainsi qu'une prochaine
libération, étant donné en particulier que l'auteur de la communication
pouvait déjà prétendre à être libéré sous condition en décembre 1996.
11. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu la compétence
du Comité pour ce qui est de déterminer s'il y a eu ou non violation du
Pacte. L'affaire considérée ici a été soumise avant que la dénonciation
du Protocole facultatif faite par la Jamaïque ne prenne effet, le 23 janvier
1998; conformément au paragraphe 2 de l'article 12 du Protocole facultatif,
elle demeure donc sujette à l'application des dispositions du Protocole.
En vertu de l'article 2 du Pacte, l'État partie s'est engagé à garantir
à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa
juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours
utile et exécutoire lorsque l'existence d'une violation a été établie.
Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
L'État partie est aussi invité à publier les constatations du Comité.
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* Participants: Mr. Prafullachandra N. Bhagwati, Mr. Thomas Buergenthal,
Lord Colville, Mr. Omar El Shafei, Ms. Elizabeth Evatt, Mr. Eckart Klein,
Mr. David Kretzmer, Mr. Rajsoomer Lallah, Ms. Cecilia Medina Quiroga,
Mr. Martin Scheinin, Mr. Roman Wieruszewski, Mr. Maxwell Yalden, and Mr.
Abdallah Zakhia.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]