Comité des droits de l'homme
Soixante-quatrième session
19 octobre - 6 novembre 1998
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-quatrième session -
Communication No 649/1995
Présentée par : Winston Forbes (représenté par M. S. Lehrfreund
du cabinet d'avocats, Simons Muirhead & Burton à Londres)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 8 novembre 1994 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 20 octobre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 649/1995, présentée
au Comité par M. Winston Forbes en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État
partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Winston Forbes, citoyen jamaïcain exécutant
une peine d'emprisonnement à la prison de district de St. Catherine (Jamaïque).
Il se déclare victime de violations, par la Jamaïque, du paragraphe 3 de
l'article 2, de l'article 7, des paragraphes 2, 3 et 4 de l'article 9, du
paragraphe 1 de l'article 10 et du paragraphe 3 b) et d) de l'article 14
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté
par M. Saul Lehrfreund du cabinet d'avocats Simons Muirhead & Burton
à Londres.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été déclaré coupable du meurtre d'un certain Michael Brown
et condamné à mort le 25 janvier 1984 par la Home Circuit Court de Kingston
(Jamaïque). La cour d'appel de la Jamaïque l'a débouté le 20 février 1987.
Le 21 juin 1993, la section judiciaire du Conseil privé a rejeté la demande
d'autorisation spéciale de former recours. La condamnation à mort a été
commuée.
2.2 La thèse de l'accusation était la suivante. Le 6 mai 1982, à 18 heures,
l'auteur s'était rendu au Crystal Theatre, avait eu une discussion polémique
avec Michael Brown à propos de questions politiques puis était parti. Dans
la soirée, à 20 heures, l'auteur était revenu et avait essayé d'entrer sans
payer; il avait eu une altercation avec Michael Brown puis était reparti.
Brown et le directeur du théâtre avaient appelé la police, qui s'était rendue
sur les lieux et était repartie après avoir interrogé les personnes qui
se trouvaient là. Quelques minutes après le départ de la police, l'auteur
était revenu, s'était querellé avec M. Brown et lui avait tiré dessus.
2.3 Au procès, Franklin White a témoigné que le 6 mai 1982, vers 19 heures,
l'auteur était allé au Crystal Theatre et avait voulu entrer sans payer.
Michael Brown l'avait rappelé à l'ordre et l'auteur l'avait alors pris au
collet et l'avait menacé, tenant les propos suivants : "Toi, tu veux
que je te descende", et était parti. Le témoin a ajouté que Michael
Brown et le directeur du théâtre avaient appelé la police. Dès que celle-ci
était repartie, l'auteur était revenu et s'en était pris à Brown, en disant
"tu m'as dénoncé à la police", puis l'avait abattu. La victime
était assise dans le guichet du caissier, à l'entrée du théâtre, à c_té
d'Eustance Stephenson.
2.4 Eustance Stephenson a reconnu l'auteur au procès, déclarant qu'ils
avaient été à l'école ensemble. Il a ajouté qu'au moment du meurtre, à 21
h 35, il se trouvait à c_té de la victime dans le guichet du caissier.
2.5 Un troisième témoin, Alvin Comrie, a également déclaré avoir tout vu
de là où il se trouvait, à l'intérieur du théâtre, juste derrière la porte
d'entrée.
2.6 Leslie Ashman, le policier chargé de l'enquête du poste de police de
Spanish Town, a déclaré avoir reçu un mandat d'arrêt contre l'auteur; le
31 mai 1982, il l'avait arrêté et inculpé du meurtre de Michael Brown. Il
a ajouté que l'auteur prétendait s'appeler Paul Wright et venir de Central
Village; mais Newton Forbes, le père de l'auteur - qui se trouvait au poste
de police - avait confirmé qu'il s'agissait de son fils.
2.7 L'auteur a fait une déclaration sous serment dans laquelle il reconnaissait
s'être trouvé au Crystal Theatre vers 18 heures et avoir parlé de politique
avec Michael Brown, mais niait être revenu et l'avoir abattu. Selon ses
dires, il était allé au magasin de son père vers 20 h 30 et il y était resté
toute la nuit. Étant donné que l'auteur niait avoir commis le meurtre, tout
le procès a tourné autour de la question de l'identification et la défense
s'est axée uniquement sur la crédibilité des témoins et sur la possibilité
qu'ils avaient, compte tenu de l'éclairage du hall du théâtre au moment
des faits, de reconnaître correctement le coupable. L'auteur était représenté
par un avocat commis d'office. Le seul témoin à décharge cité à comparaître
était son père, lequel a déclaré qu'ils étaient restés ensemble de 20 h
30 à environ 23 heures.
Teneur de la plainte
3.1 D'après le conseil, le procès, qui s'est ouvert le 23 janvier 1984,
a duré plus longtemps que le juge du fond et l'avocat lui-même ne le prévoyaient.
Le 24 janvier 1984 au matin, le juge du fond a dû renvoyer plusieurs jurés
qui avaient été convoqués pour un autre procès, prévu le même jour, en leur
disant : "Mesdames et Messieurs les membres du jury, nous pensions
commencer une autre affaire ce matin, mais nous nous sommes trompés...".
De plus, le 24 janvier 1984, juste avant la suspension de l'audience pour
le déjeuner, alors que l'auteur était en train de faire sa première déclaration
au jury, l'avocat principal a expliqué au juge qu'il était obligé d'aller
à un enterrement à 15 heures; après une brève discussion, il a été décidé
que l'avocat principal terminerait l'interrogatoire principal et que ce
serait l'avocat en second qui procéderait au contre-interrogatoire. Or après
la pause du déjeuner, l'avocat en second a continué l'interrogatoire principal
et c'est l'avocat principal qui a procédé au contre-interrogatoire, puisqu'il
avait été excusé par le juge à 14 h 32. Le conseil fait valoir que l'auteur
n'a pas été correctement représenté à un moment très important du procès,
parce que le conseil qui lui avait été commis d'office avait fait passer
un engagement privé avant son devoir professionnel, le premier interrogatoire
à l'intention du jury ayant été inopinément et fâcheusement interrompu;
d'après le conseil, il y a là violation du paragraphe 3 d) de l'article
14 du Pacte.
3.2 Le conseil affirme que si l'auteur avait su que son avocat devait partir
plus t_t, il lui aurait demandé de solliciter l'ajournement de l'audience.
Le conseil évoque la jurisprudence du Comité Communication No
356/1989 (Collins c. Jamaïque), constatations adoptées le
25 mars 1993. et fait valoir que ce qui s'est passé au procès constitue
une irrégularité matérielle qui représente une violation du paragraphe 3
b) de l'article 14 du Pacte.
3.3 Dans une déclaration écrite sous serment, datée du 27 octobre 1994,
l'auteur dit qu'il a passé environ deux semaines en garde à vue avant d'être
inculpé de meurtre et qu'il n'a pas vu d'avocat pendant tout ce temps. Le
14 mai 1982, l'auteur a été conduit dans une cellule du poste de police
d'Ocho Rios. Par la suite, il a été transféré au commissariat de police
d'Admiral Town puis au poste de police de Spanish Town et c'est là qu'il
a été officiellement arrêté et inculpé, le 31 mai 1982. L'auteur affirme
qu'il s'est encore passé deux semaines avant qu'il soit déféré devant un
magistrat. Ces intervalles constitueraient une violation des paragraphes
2, 3 et 4 de l'article 9 du Pacte. À ce sujet, le conseil renvoie à la jurisprudence
du Comité et à l'une de ses Observations générales Observation
générale No 8. Communication No 336/1988 (Andrés Fillastre c. Bolivie),
constatations adoptées le 5 novembre 1991. Communication No 253/1987 (Kelly
c. Jamaïque), constatations adoptées le 8 avril 1991. Communication
No 277/1988 (Terán Jijón c. Équateur), constatations adoptées
le 26 mars 1992..
3.4 Dans une lettre adressée à son conseil à Londres, l'auteur dit qu'il
a subi des brutalités pendant sa garde à vue au poste de police de Spanish
Town : "J'ai été sauvagement frappé par deux policiers qui m'ont donné
des coups de matraque sur la tête et n'ont pas arrêté de me donner des coups
de poing partout. J'en ai parlé à ma famille et ils se sont arrangés pour
que le médecin, le docteur Richard, vienne m'examiner au poste de police
de Spanish Town. J'étais couvert de bleus et j'avais des coupures partout,
mais le docteur a affirmé que je n'avais pas de fracture". L'auteur
explique que les brutalités policières n'ont pas été portées à l'attention
de son avocat lors de l'audience préliminaire parce qu'il s'était écoulé
beaucoup de temps depuis les faits.
3.5 Le conseil fait valoir que les prescriptions fondamentales de l'Ensemble
de règles minima pour le traitement des détenus n'ont pas été satisfaites
pendant la garde à vue au poste de police de Spanish Town et que les traitements
que l'auteur a subis pendant sa détention ainsi que l'insuffisance des traitements
médicaux qu'il a reçus représentent des violations de l'article 7 et du
paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. Il précise que l'auteur n'a pas parlé
de cette question à son avocat parce qu'il s'était passé trop de temps et
souligne l'inefficacité du système interne de recours pour ce genre de plaintes.
Le conseil conclut que, étant donné que les recours internes, et plus particulièrement
la procédure pénitentiaire et la procédure de dép_t des plaintes auprès
du médiateur parlementaire, ne sont pas des recours utiles, les conditions
établies au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif sont
remplies. À ce sujet, il renvoie à la jurisprudence du Comité Communication
No 458/1991 (A.W. Mukong c. Cameroun), constatations adoptées
le 21 juillet 1994..
3.6 Le conseil souligne que l'auteur est resté dans le quartier des condamnés
à mort pendant plus de 11 ans. Il fait référence à la décision de la section
judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Pratt et Morgan
Earl Pratt and Ivan Morgan v. Attorney General of Jamaica;
recours auprès du Conseil privé No 10 de 1993, décision rendue le 2 novembre
1993., dans laquelle le Conseil privé a statué notamment qu'il devrait être
possible pour l'État partie d'achever l'intégralité de la procédure des
recours internes en à peu près deux ans. Le conseil fait valoir que la durée
prolongée de la détention dans le quartier des condamnés à mort représente
une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10.
3.7 Enfin, le conseil affirme qu'il y a eu violation de l'article 7 et
du paragraphe 1 de l'article 10 du fait des conditions de détention de l'auteur
tant pendant sa garde à vue qu'après son inculpation. À cet égard, il est
fait référence aux conclusions d'une délégation d'Amnesty International
qui s'est rendue dans la prison du district de St. Catherine en novembre
1993. La délégation a constaté notamment que la prison hébergeait plus de
deux fois le nombre de détenus pour lequel elle avait été construite, au
XIXe siècle, et que les installations et services assurés par l'État étaient
très insuffisants; il n'y avait dans les cellules ni matelas ni autre couchage,
ni mobilier, ni installations sanitaires; la plomberie était cassée, il
y avait des monceaux de détritus partout et des caniveaux pour l'évacuation
des vidanges (absence de tout-à-l'égout); pas d'éclairage électrique dans
les cellules et seulement de petits orifices d'aération par lesquels pénétrait
la lumière du jour; quasiment aucune possibilité de travailler pour les
détenus, et aucun médecin attaché à la prison, de sorte que les cas médicaux
étaient généralement traités par les gardiens, qui n'avaient pas la formation
voulue. D'après le conseil, les conséquences de ces conditions générales
de détention dans le cas précis de l'auteur étaient qu'il restait confiné
dans sa cellule pendant 23 heures et 45 minutes par jour. Il passait le
plus clair de son temps isolé des autres en n'ayant strictement rien à faire.
Une bonne partie du temps, il était plongé dans l'obscurité. L'auteur s'était
plaint également de la mauvaise qualité de la nourriture et des conditions
sanitaires. Les conditions de détention dans la prison du district de St.
Catherine sont considérées comme représentant un traitement cruel, inhumain
et dégradant au sens de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du
Pacte.
3.8 Le conseil fait valoir que, dans la pratique, l'auteur ne peut pas
se prévaloir des recours constitutionnels parce qu'il est indigent et que
l'État jamaïcain ne prévoit pas l'aide judiciaire pour le dép_t des requêtes
constitutionnelles. Il fait référence au précédent créé par la section judiciaire
du Conseil privé Department of public prosecutions v.
Nasralla et Riley et al. v. Attorney General of Jamaica.,
ainsi qu'à la jurisprudence du Comité Communication No 445/1991
(Lynden Champagnie, Delroy Palmer and Oswald Chisholm c. Jamaïque),
constatations adoptées le 18 juillet 1994. et affirme en conséquence que
tous les recours internes ont été épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de
l'article 5 du Protocole facultatif.
3.9 Il est précisé que l'affaire n'a pas été soumise à une autre procédure
internationale d'enquête ou de règlement.
Renseignements et observations communiqués par l'État partie et commentaires
du conseil
4.1 Dans ses observations datées du 19 octobre 1995, l'État partie ne conteste
pas la recevabilité de la communication et, "afin d'accélérer l'examen
de la plainte par le Comité", fait des commentaires quant au fond.
4.2 En ce qui concerne la violation alléguée de l'article 9 au motif que
l'auteur n'aurait été informé des charges retenues contre lui que dix jours
après son arrestation, l'État partie nie qu'il en a été ainsi. Rien ne permet
d'affirmer qu'au moment de son arrestation, l'auteur n'a pas été informé
des raisons générales de son arrestation.
4.3 En ce qui concerne la violation alléguée de l'article 9 au motif que
l'auteur n'a été déféré devant un magistrat que deux semaines après avoir
été placé en garde à vue, l'État partie, tout en concédant qu'un tel intervalle
est trop long, conteste qu'il y ait eu violation de l'article 9. Il déclare
que "le retard a été occasionné en partie par le transfert de l'auteur
du poste de police d'Ocho Rios au poste de police de Spanish Town".
4.4 Quant à l'affirmation de l'auteur selon laquelle il y a eu violation
du paragraphe 3 b) et d) de l'article 14 parce que le dernier jour du procès,
l'avocat principal avait dû s'absenter en raison d'un engagement privé et
avait laissé l'avocat en second procéder à l'interrogatoire du seul témoin
à décharge de l'auteur et faire la déclaration au jury, l'État partie soutient
qu'il n'est pas responsable de la façon dont un avocat assure la défense
d'un accusé. L'État partie affirme que sa responsabilité s'arrête à la désignation
d'un conseil compétent pour représenter l'accusé, et il soutient qu'en l'espèce,
l'avocat en second était un avocat compétent qui avait participé activement
à la préparation de la défense et qui, de l'avis du conseil principal, était
parfaitement en mesure de s'acquitter des tâches qui lui étaient confiées.
4.5 En ce qui concerne les violations alléguées des articles 7 et 10 au
motif que l'auteur aurait été brutalisé par un policier au poste de police
de Spanish Town, l'État partie rejette cette allégation. Il fait valoir
que l'auteur n'a soumis aucun élément de preuve émanant de source indépendante
pour corroborer l'affirmation selon laquelle il aurait été blessé. L'auteur
déclare avoir été examiné par un docteur envoyé par sa famille mais n'a
pas soumis de rapport médical ni aucun autre document attestant les blessures
qu'il aurait reçues. En outre, l'État partie souligne que l'enquête préliminaire
a démarré en août 1982; alors que les sévices se seraient produits après
l'arrestation de l'auteur le 31 mai 1982, celui-ci n'aurait toutefois pas
informé son avocat de ces incidents. L'État partie estime que dans ces conditions,
on ne peut guère accorder de crédit aux allégations de l'auteur.
4.6 Quant à l'affirmation de l'auteur selon laquelle il y a eu violation
des articles 7 et 10 parce qu'il est resté détenu dans le quartier des condamnés
à mort pendant plus de dix ans, l'État partie fait valoir qu'en soi, un
séjour prolongé dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas automatiquement
un traitement cruel et inhumain mais que, dans chaque affaire, les faits
de l'espèce doivent être examinés conformément aux principes juridiques
applicables.
5.1 Dans ses commentaires du 9 janvier 1996 sur les observations de l'État
partie, le conseil accepte que la question de la recevabilité et le fond
de l'affaire soient examinés en même temps. Il réaffirme que son client
est victime d'une violation du paragraphe 2 de l'article 9, parce qu'il
n'a été informé que deux semaines après son arrestation des raisons générales
qui l'avaient motivée. Le Comité dispose des éléments de preuve voulus puisque
l'auteur, dans une déclaration écrite sous serment datée du 27 octobre 1994,
a affirmé : "J'ai passé deux semaines en garde à vue avant d'être inculpé
de meurtre". Le conseil soutient en outre que les réfutations de l'État
partie ne s'appuient sur aucun élément de preuve tangible contredisant la
déclaration sous serment de l'auteur.
5.2 Le conseil réaffirme également que son client est victime d'une violation
des paragraphes 3 et 4 de l'article 9, parce qu'il a passé deux semaines
en garde à vue avant d'être déféré devant un magistrat. Le conseil soutient
que l'expression "dans le plus court délai" doit être interprétée
comme n'autorisant pas un délai de plus de deux ou trois jours avant la
comparution. À ce sujet, il renvoie à la jurisprudence du Comité.
5.3 Quant à la violation présumée du paragraphe 3 b) et d) de l'article
14, le conseil réaffirme qu'il est fondamental qu'un accusé qui encourt
la peine de mort dispose de l'aide judiciaire, et que l'avocat commis d'office
doit représenter correctement son client. Le conseil déclare que, dans une
affaire où l'accusé est passible de la peine capitale, l'État partie n'est
pas tenu seulement d'accorder l'aide judiciaire à celui-ci, il doit aussi
veiller à ce qu'il soit correctement représenté. À ce sujet, le conseil
renvoie à la jurisprudence du Comité.
5.4 Quant à la violation alléguée des articles 7 et 10 au motif que l'auteur
a été brutalisé pendant sa détention provisoire au poste de police de Spanish
Town, le conseil déclare qu'étant donné les conditions qui règnent dans
les prisons et les cellules en Jamaïque, il est extrêmement difficile à
un détenu d'étayer ses affirmations de mauvais traitements en déposant plainte
directement auprès des autorités pénitentiaires, de peur des représailles.
À ce sujet, le conseil renvoie aux rapports du Médiateur et d'Amnesty International.
Il déclare en outre que le Comité dispose d'éléments de preuve confirmant
les brutalités puisque les plaintes formulées dans ce sens figurent dans
la déclaration écrite sous serment faite par l'auteur le 27 octobre 1994,
ainsi que dans les lettres datées des 7 septembre 1993, 27 juillet 1994
et 29 août 1994 qu'il a adressées à son conseil.
Considérations relatives à la recevabilité et examen quant au fond
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, décider si la communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité relève que la section judiciaire du Conseil privé ayant rejeté
le 21 juin 1993 la demande d'autorisation spéciale de former recours présentée
par l'auteur, celui-ci a épuisé les recours internes aux fins du Protocole
facultatif. Le Comité note que l'État partie n'a pas contesté la recevabilité
de la plainte et a fait des observations sur le fond de façon à en accélérer
l'examen. En conséquence, le Comité déclare que la communication est recevable
et procède sans plus tarder à l'examen de la plainte quant au fond, en tenant
compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties,
conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.1 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle il est
victime d'une violation du paragraphe 3 b) et d) de l'article 14, parce
que l'avocat principal avait dû quitter l'audience le dernier jour du procès
en raison d'un engagement privé, et avait donc laissé à l'avocat en second
le soin de terminer l'interrogatoire de l'auteur, de procéder à l'interrogatoire
principal de l'unique témoin à décharge et de faire les déclarations finales,
le Comité rappelle sa jurisprudence dans des affaires antérieures, où il
a conclu que l'État partie ne pouvait être tenu pour responsable des anomalies
qui auraient été relevées dans la défense de l'accusé ou des erreurs qui
auraient été commises par le défenseur, à moins qu'il n'ait été évident
pour le tribunal que la conduite de l'avocat était contraire aux intérêts
de la justice. En l'espèce, rien dans le dossier ne vient étayer l'affirmation
selon laquelle l'avocat en second n'aurait pas été compétent pour représenter
correctement son client. Il est clair que, de l'avis de l'avocat principal
comme de l'avis du juge du fond, la défense de l'accusé a été jusqu'au bout
entre de bonnes mains. Il ressort du dossier que l'avocat en second était
un avocat compétent et qu'il avait travaillé en étroite liaison avec l'avocat
principal pour la préparation de la défense. Les minutes du procès indiquent
que c'était lui qui avait procédé au contre-interrogatoire de plusieurs
des témoins à charge, au début de la procédure. Dans ces conditions, le
Comité conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 du Pacte.
7.2 Le paragraphe 2 de l'article 9 du Pacte garantit à tout individu arrêté
le droit d'être informé des raisons de son arrestation et d'être notifié
dans le plus court délai de toute accusation portée contre lui. En vertu
du paragraphe 3 du même article, tout individu arrêté ou détenu du chef
d'une infraction pénale doit être traduit dans le plus court délai devant
une autorité judiciaire compétente. L'auteur affirme qu'il n'a été informé
des raisons de son arrestation que deux semaines après avoir été placé en
garde à vue et qu'il lui a fallu attendre encore deux autres semaines avant
d'être déféré devant un magistrat. Il déclare avoir été placé en garde à
vue au poste de police d'Ocho Rios en mai 1982, puis avoir été transféré
vers le poste de police d'Admiral Town à Kingston, avant d'être emmené le
31 mai 1982 au poste de police de Spanish Town, où il a été officiellement
inculpé de meurtre. L'auteur affirme avoir été détenu pendant au moins deux
semaines avant qu'on lui notifie officiellement son inculpation. L'État
partie rejette l'affirmation selon laquelle, pendant cette période, l'auteur
n'aurait pas été au fait des raisons générales de son arrestation. Toutefois,
l'État partie ne nie pas qu'à partir du moment où l'auteur a été placé en
garde à vue, il s'est écoulé au moins deux semaines avant qu'il ne soit
traduit devant un magistrat. D'après l'État partie, ce retard était imputable
en partie au transfert de l'auteur du poste de police d'Ocho Rios à celui
de Spanish Town. Dans ces conditions, et nonobstant les arguments avancés
par l'État partie, le Comité considère que le maintien en détention de l'auteur
pendant deux semaines avant de le traduire devant une autorité judiciaire
compétente constitue une violation du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte.
7.3 Quant à l'affirmation de l'auteur selon laquelle il est victime d'une
violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 parce qu'il
aurait été sauvagement frappé par deux policiers pendant sa garde à vue
au poste de police de Spanish Town, le Comité relève que l'auteur n'a pas
fourni de document médical à l'appui de ses dires et que, d'autre part,
il n'avait pas porté ses griefs à l'attention de ses anciens avocats et
des tribunaux. L'auteur a expliqué que cette omission était due en partie
au laps de temps qui s'était écoulé entre le moment où les faits étaient
survenus et celui où on lui avait assigné un avocat, et en partie à la peur
des représailles. Le Comité relève toutefois que dans sa déclaration du
8 septembre 1994, l'auteur affirme que les brutalités se seraient produites
en juillet 1982 et que, dans sa lettre datée du 7 septembre 1993, il dit
s'être entretenu plusieurs fois avec son conseil, M. Robert Pickersgill,
avant que l'audience préliminaire ne débute en août 1982. Il semble donc
qu'il ne se soit pas écoulé tellement de temps entre le moment où les brutalités
se seraient produites et celui où l'auteur avait pu entrer en contact avec
son avocat. Le Comité relève également que peu de temps après les brutalités
dont il aurait fait l'objet, l'auteur a été transféré du poste de police
de Spanish Town au pénitencier général, ce qui devrait avoir considérablement
amoindri les risques de représailles. Dans ces conditions, compte tenu des
informations dont il dispose, le Comité conclut que l'auteur n'a pas étayé
ses dires et que, par conséquent, l'allégation de violation des articles
7 et 10 au motif de brutalités n'est pas fondée. Par voie de conséquence,
le Comité conclut également que l'allégation de violation des articles 7
et 10 au motif de l'absence de soins médicaux appropriés pendant la détention
de l'auteur au poste de police de Spanish Town est dénuée de fondement.
7.4 Le Comité doit déterminer si le fait que l'auteur est resté plus de
11 ans dans le quartier des condamnés à mort représente une violation de
l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. Le conseil a fait
valoir qu'il y avait violation de ces articles du fait de la durée passée
par l'auteur dans le quartier des condamnés à mort. Le Comité estime, conformément
à sa jurisprudence constante, que la détention dans le quartier des condamnés
à mort pendant une durée précise ne représente pas une violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 en l'absence d'autres circonstances
impérieuses. À ce sujet, le Comité renvoie à ses constatations sur la communication
No 588/1994 Communication No 588/1994 (Errol Johnson
c. Jamaïque), constatations adoptées le 22 mars 1996, par. 8.2 à
8.5., dans lesquelles il a expliqué et clarifié sa jurisprudence sur ce
point. De l'avis du Comité, ni l'auteur ni son conseil n'ont démontré qu'il
existait d'autres circonstances impérieuses, en dehors de la durée de l'enfermement
dans le quartier des condamnés à mort. S'il est incontestable que le maintien
de l'auteur dans le quartier des condamnés à mort pendant plus de 11 ans
est profondément préoccupant, le Comité estime qu'il ne constitue pas en
soi une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10.
7.5 L'auteur a allégué des violations de l'article 7 et du paragraphe 1
de l'article 10 au motif des conditions de sa garde à vue au pénitencier
général et de sa détention à la prison du district de St. Catherine. Au
sujet de cette dernière, le Comité relève que dans sa communication initiale,
l'auteur a formulé des plaintes précises concernant les conditions déplorables
dans lesquelles elle s'est déroulée. Il a affirmé que, tout au long de sa
détention, il est resté confiné dans sa cellule pendant 23 heures et 45
minutes par jour, sans avoir rien à faire et en étant plongé dans l'obscurité.
L'État partie n'ayant pas réfuté ces griefs précis, le Comité estime que
les allégations sont fondées. Il considère que maintenir un prisonnier dans
de telles conditions de détention constitue une violation du paragraphe
1 de l'article 10.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître des violations du paragraphe 3 de l'article 9 et du
paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est
tenu de fournir à M. Forbes un recours utile, sous la forme d'une indemnisation.
L'État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues
ne se reproduisent pas à l'avenir.
10. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le Comité
avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte.
L'affaire considérée ici a été soumise avant que la dénonciation du Protocole
facultatif par la Jamaïque ne prenne effet, le 23 janvier 1998; en vertu
du paragraphe 2 de l'article 12 du Protocole facultatif, les dispositions
de celui-ci continuent de lui être applicables. Conformément à l'article
2 du Pacte, l'État partie s'est engagé à garantir à tous les individus se
trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus
dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation
a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai
de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet
à ses constatations. Il l'invite en outre à publier ses constatations.
______________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Prafullachandra N. Bhagwati, M. Th. Buergenthal,
Lord Coldville, M. Omran El Shafei, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan
de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia
Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden
et M. Abdallah Zakhia.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du
Comité à l'Assemblée générale.]