Comité des droits de l'homme
Soixante-quatrième session
19 octobre - 6 novembre 1998
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-quatrième session -
Communication No 653/1995*
Présentée par : Colin Johnson (représenté par Saul Lehrfreund, du
cabinet d'avocats Simons Muirhead & Burton, dont le siège est à Londres)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 13 septembre 1994 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 20 octobre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 653/1995, présentée
au Comité par M. Colin Johnson en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État
partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Colin Johnson, citoyen jamaïcain, actuellement
incarcéré au pénitencier général de Kingston (Jamaïque). Il affirme être
victime de violations par la Jamaïque des articles 7, 10 et 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté
par M. Saul Lehrfreund, du cabinet d'avocats londonien Simons Muirhead &
Burton.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 5 avril 1984, l'auteur a été arrêté et inculpé du meurtre, commis
le 23 mars 1984, d'un certain Winston Davidson. Le procès s'est ouvert à
la Home Circuit Court le 23 septembre 1985. Le 26 septembre 1985,
l'auteur a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort. Le 20 mai
1987, la cour d'appel de la Jamaïque a rejeté sa demande d'autorisation
de faire recours. Une demande d'autorisation de faire recours auprès du
Conseil privé a été déposée auprès de la cour d'appel le 1er juillet 1987,
mais l'examen de la question a été reporté sine die. Le conseil a
reformulé le point de droit que la cour d'appel avait rejeté et a de nouveau
soumis l'affaire le 4 novembre 1987. Toutefois, la question est restée en
suspens sine die devant la cour d'appel.
2.2 Le 26 juillet 1988, le Comité a déclaré irrecevable une communication
soumise précédemment par l'auteur, au motif du non-épuisement des recours
internes, car il ressortait des renseignements portés à sa connaissance
que l'auteur n'avait pas demandé d'autorisation spéciale de former recours
auprès de la section judiciaire du Conseil privé / Communication
No 252/1987, déclarée irrecevable le 26 juillet 1988 à la trente-troisième
session du Comité./. Le Comité avait alors prévu la possibilité de revenir
sur la question de la recevabilité, conformément au paragraphe 2 de l'article
92 de son règlement intérieur. Le 26 juillet 1993, la demande d'autorisation
spéciale de former recours devant la section judiciaire du Conseil privé
a été rejetée. L'auteur affirme que tous les recours internes disponibles
ont donc été épuisés.
2.3 Le 18 décembre 1992, l'infraction commise par l'auteur a été requalifiée
de meurtre n'emportant pas la peine capitale, en application de la loi de
1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes.
La durée de la peine à purger avant de pouvoir bénéficier de la libération
conditionnelle est de vingt ans.
2.4 L'auteur fait valoir que s'il n'a pas déposé de requête constitutionnelle
c'est parce qu'aucune aide judiciaire n'est prévue à cette fin à la Jamaïque.
À ce sujet, il renvoie à la jurisprudence du Comité et affirme que sa requête
devrait donc être déclarée recevable en vertu du Protocole facultatif.
2.5 L'accusation s'est fondée sur la déposition d'un témoin oculaire, Kenneth
Morrison, cousin de la victime. Ce dernier a déclaré qu'il était à son étal
de poisson le matin du 23 mars 1984 quand son cousin, Winston Davidson,
est passé et a échangé quelques mots avec lui. À ce moment-là, son cousin
n'était pas blessé. Winston Davidson a poursuivi son chemin et a disparu
du champ de vision du témoin. À peu près cinq minutes plus tard, Kenneth
Morrison a entendu trois ou quatre coups de feu dans la direction dans laquelle
son cousin était parti. Trois à cinq minutes plus tard, il a vu la victime
revenir en courant, poursuivie par l'auteur, son frère et sa soeur, qui
étaient à environ trois mètres de Winston Davidson. Colin Johnson braquait
un revolver en direction de Winston Davidson. Celui-ci n'avait rien dans
les mains; il était blessé et du sang coulait de sa bouche et de son ventre.
En voyant le témoin, Colin Johnson s'est arrêté et le témoin a pu le voir
pendant un moment à une distance d'environ 15 à 20 m, avant de disparaître
en compagnie de son frère et de sa soeur. Winston Davidson a continué de
courir; ensuite, on l'a fait monter dans une voiture et on l'a conduit à
l'h_pital. À ce moment-là, il était encore en vie. Un médecin a témoigné
que quand il a été examiné à l'h_pital, plus tard le 23 mars 1984, Winston
Davidson était mort.
2.6 Dans sa déposition, Kenneth Morrison a déclaré qu'il connaissait l'accusé
depuis environ sept ans. C'était un ami et il le voyait presque tous les
jours. Kenneth Morrison avait fait une première déclaration à la police
le 5 avril 1984. Il avait dit que, s'il ne s'était pas rendu plus t_t au
poste de police, c'était parce qu'il avait peur de faire une déclaration
tant que le suspect n'avait pas été arrêté.
2.7 Au procès, un policier ayant rang de caporal a déclaré qu'il avait
arrêté Colin Johnson le 5 avril 1984. Il avait informé le suspect qu'il
était recherché par la police dans le cadre de l'enquête sur le meurtre
commis dans un quartier déterminé de Kingston; ce à quoi Colin Johnson avait
répondu : "Monsieur Cassell, le gars m'a tiré dessus en premier, M'sieur."
Cassell a déclaré qu'il avait alors écrit ces mots sur un morceau de papier.
Colin Johnson n'avait pas signé ce papier. Cassell n'a jamais copié ces
mots dans son carnet d'agent de police et n'a jamais pu retrouver le papier.
Lors du contre-interrogatoire, Cassell a reconnu que le quartier en question
était connu pour sa forte criminalité et pour les cas fréquents d'utilisation
d'armes à feu. Le sergent Lloyd Hayley, qui avait participé à l'enquête
et avait placé Colin Johnson en garde à vue, a déclaré qu'il avait organisé
une confrontation entre Colin Johnson et Morrison, le témoin.
2.8 La défense a fondé sa plaidoirie sur l'alibi; l'auteur a fait, depuis
le banc des accusés, une déclaration sans serment dans laquelle il a affirmé
qu'il ne se trouvait pas dans le quartier en question le jour du crime.
Il n'a cité aucun témoin pour confirmer son alibi. Il a nié avoir déclaré
au moment de son arrestation : "Le gars m'a tiré dessus en premier,
M'sieur." Il a affirmé que Kenneth Morrison mentait quand il avait
affirmé l'avoir vu courir derrière la victime. Il a ajouté qu'il avait travaillé
avec Morrison en 1982 sur un chantier de construction. Tous deux avaient
été soupçonnés de vendre des matériaux se trouvant sur le chantier. Morrison
avait été tenu responsable de l'incident et renvoyé. Depuis lors, il en
voulait à l'auteur; c'est pourquoi il a menti devant le tribunal.
2.9 Colin Johnson a cité un témoin à décharge, Wesley Suckoo. Ce dernier
a déclaré qu'il avait conduit Winston Davidson à l'h_pital le 23 mars 1984
et que, pendant le trajet, la victime sur le point de mourir lui avait dit
qui avait tiré sur lui, et que ce n'était pas Colin Johnson.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que le procès a été inéquitable et partial. D'après
lui, le juge n'a pas donné d'instructions correctes au jury, omettant de
le mettre en garde contre les dangers inhérents au fait de se fonder exclusivement
sur le témoignage d'une personne qui affirme avoir reconnu l'accusé. Cette
mise en garde aurait été particulièrement importante en l'espèce parce que
la distance de 15 à 20 m qui séparait le témoin de l'accusé était suffisante
pour qu'il y ait au moins une réelle possibilité d'erreur. Le juge aurait
également négligé de rappeler au jury qu'il était possible qu'un témoin
de bonne foi fasse erreur.
3.2 Il est en outre affirmé que, dans son exposé final, le juge a fait
peser de sérieux doutes sur la crédibilité du témoin à décharge et a émis
une opinion favorable sur la déposition du principal témoin à charge, Kenneth
Morrison. À ce sujet, l'auteur déclare que, pendant le contre-interrogatoire
du conducteur de la voiture dans laquelle Davidson avait été transporté
à l'h_pital, le juge était intervenu 58 fois d'une façon qui, d'après l'auteur,
allait à l'encontre de son devoir d'impartialité. Le conseil affirme que
l'auteur n'a donc pas bénéficié du droit à ce que sa cause soit équitablement,
impartialement et objectivement entendue par le jury.
3.3 Il est également affirmé que le juge n'a pas laissé à l'auteur la moindre
chance d'acquittement en indiquant au jury qu'il serait abusif de conclure,
au vu des éléments de preuve, que c'était quelqu'un d'autre qui avait tiré
sur Davidson.
3.4 Enfin, le juge aurait délibérément fait en sorte que le jury n'examine
pas la question de la légitime défense, bien qu'elle ait été évoquée lors
de l'exposé des faits par l'accusation. Le conseil fait observer que le
juge du fond est tenu d'expliquer au jury tous les moyens possibles de défense,
même s'ils n'ont pas été développés par la défense elle-même. Il est affirmé
en conséquence que, pour les raisons exposées plus haut, l'auteur est victime
d'une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
3.5 L'auteur ajoute que le 20 novembre 1986, dans le quartier des condamnés
à mort de la prison du district de St. Catherine, il a été roué de coups
par cinq gardiens. Il aurait eu la main cassée. Il a été hospitalisé environ
trois semaines plus tard. Les soins médicaux lui avaient jusqu'alors été
refusés. Après avoir reçu de Colin Johnson une lettre datée du 3 décembre
1986, son avocat jamaïcain a téléphoné au directeur de la prison du district
de St. Catherine pour lui faire part des informations reçues de M. Johnson
et pour lui demander qu'une enquête approfondie soit ouverte. L'avocat jamaïcain
n'a jamais reçu de réponse, malgré la promesse qui lui en avait été faite.
L'auteur s'est également adressé au directeur de la prison lui-même, au
médiateur du Parlement jamaïcain et au Conseil jamaïcain des droits de l'homme.
Le médiateur a répondu qu'il avait reçu une lettre datée du 4 décembre 1989
du Département de l'administration pénitentiaire confirmant que trois condamnés
à mort, au nombre desquels se trouvait l'auteur, avaient participé à une
mutinerie le 20 novembre 1986. Les autorités avaient dû recourir à la force
pour faire cesser l'agitation. Les détenus avaient été soignés par le médecin
de la prison pour les blessures décrites dans leur dossier médical. Toutefois,
le dossier de Colin Johnson ne portait aucune mention indiquant qu'il avait
reçu des soins le jour en question. Il est affirmé que la lettre montre
que l'auteur a été victime de mauvais traitements le 20 novembre 1986 et
que, de surcroît, il n'a reçu aucuns soins ce jour-là.
3.6 L'auteur affirme en outre que trois détenus du quartier des condamnés
à mort sont décédés des suites des blessures reçues lors de troubles survenus
le 28 mai 1990. En août 1991, pendant l'enquête sur ces incidents, plusieurs
autres détenus ont signalé qu'ils avaient été blessés par les gardiens au
cours des opérations de rétablissement de l'ordre. À ce sujet, la mère de
l'auteur, Mme Hazel Bowers, a affirmé dans une déclaration écrite sous serment
faite le 8 juin 1990 que son fils "avait l'air terrorisé", qu'il
lui avait dit que les gardiens avaient menacé de tuer autant de détenus
que possible car ils ne comptaient pas sur le Gouvernement pour qu'il exécute
les condamnés. Les gardiens avaient frappé les détenus "avec des barres
de fer, des gros bâtons, des matraques et tous les objets qui leur tombaient
sous la main". Mme Bowers a déclaré que, depuis les violences, les
condamnés à mort "vivaient dans la hantise d'être tués par les gardiens"
et que son fils avait demandé au Conseil jamaïcain des droits de l'homme
d'intercéder en faveur des prisonniers. Il est affirmé que les souffrances
endurées par Johnson, qui a été contraint de vivre dans un climat de violence
sous l'emprise d'un sentiment de vulnérabilité ou d'une peur constants,
constituent un traitement inhumain en violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte.
3.7 Quand, en décembre 1992, le meurtre dont il avait été reconnu coupable
a été requalifié de meurtre n'entraînant pas la peine capitale, l'auteur
se trouvait dans le quartier des condamnés à mort depuis plus de sept ans.
Le conseil fait valoir que le seul fait que l'auteur ne soit plus exécuté
n'efface pas les affres dans lesquelles il a vécu pendant sept ans dans
la perspective d'être pendu. Il affirme que la détention dans le quartier
des condamnés à mort peut constituer un traitement inhumain et dégradant
lié à ce que l'on appelle le "syndrome de l'antichambre de la mort",
qui est reconnu dans la jurisprudence de différents tribunaux /
Le conseil se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l'homme (décision du 7 juillet 1989 dans l'affaire Soering, série
A, vol. 161), de la Cour suprême de l'Inde (Rajendra Prasad c. État
Uttar Pradesh, 1979 3 SCR 329), de la Cour suprême du Zimbabwe (Catholic
Commissioners for Peace and Justice du Zimbabwe c. Procureur général, 14
HRLJ (1993), p. 231), et de la section judiciaire du Conseil privé (Pratt
& Morgan c. Procureur général de la Jamaïque (1993) 4 All ER 769)./.
3.8 Il est affirmé que dans le quartier des condamnés à mort M. Johnson
occupait une cellule d'environ 2 m x 3 m, faiblement éclairée et qu'il devait
passer de longues heures dans une obscurité quasi totale. Il n'avait qu'une
dalle en ciment pour dormir et il n'y avait pas de sanitaires. D'après le
conseil, ces éléments constituent à eux seuls une violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
3.9 Se référant à un rapport d'Amnesty International datant de décembre
1993 relatif à une demande d'enquête sur des décès de prisonniers et des
mauvais traitements infligés à des détenus dans la prison du district de
St. Catherine, l'auteur affirme qu'apparemment aucune suite n'a été donnée
aux graves plaintes déposées par les détenus, que le bureau du médiateur
n'a aucun pouvoir coercitif et que ses recommandations ne sont pas contraignantes.
Le conseil conclut que, s'agissant des allégations au titre des articles
7 et 10 du Pacte, Colin Johnson a, compte tenu de l'inefficacité des procédures
de plainte interne, satisfaisait aux exigences du paragraphe 2 b) de l'article
5 du Protocole facultatif.
Renseignements et observations communiqués par l'État partie et commentaires
de l'auteur
4.1 Dans sa réponse en date du 3 mai 1996, l'État partie signale, au sujet
de l'allégation de détention prolongée dans le quartier des condamnés à
mort, qu'eu égard à la jurisprudence du Comité (décision dans l'affaire
Pratt et Morgan c. Jamaïque) il n'accepte pas l'idée qu'une
détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort représente en
soi un traitement cruel et inhumain. Chaque affaire doit être examinée en
fonction de ses propres circonstances. En conséquence, il nie toute violation
du Pacte. En ce qui concerne les allégations de mauvais traitements infligés
par les gardiens à l'auteur en 1987 et son affirmation selon laquelle il
n'aurait pas bénéficié de soins médicaux après avoir été battu, l'État partie
s'est engagé à ouvrir une enquête. Or, à la date du 6 juillet 1998, le Comité
n'avait reçu aucun renseignement à ce sujet.
4.2 Pour ce qui est des allégations selon lesquelles l'auteur n'a pas bénéficié
d'un procès équitable puisque, en violation du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte, le juge a donné des instructions incorrectes au jury sur la
question de l'identification et n'a pas appelé son attention sur la possibilité
qu'il y ait eu légitime défense, l'État partie se réfère à la propre jurisprudence
du Comité concernant l'évaluation des faits et des éléments de preuve.
5. Dans ses commentaires datés du 20 juin 1996, le conseil de l'auteur
fait observer que l'État partie n'a pas répondu à toutes les allégations
et qu'il a promis d'ouvrir une enquête. Il relève notamment qu'il n'a pas
réfuté les allégations concernant les mauvais traitements qu'aurait subis
l'auteur dans le quartier des condamnés à mort de la prison du district
de St. Catherine, en particulier l'incident du 20 novembre 1986 durant lequel
il a été victime d'une fracture à la main. Le conseil évoque également un
incident survenu le 28 mai 1990 pendant lequel l'auteur a vu les gardiens
battre à mort trois détenus, ce qui l'a fait vivre depuis dans la hantise
d'être tué à son tour.
Considérations relatives à la recevabilité et examen quant au fond
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était
pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
6.3 Le Comité note que la section judiciaire du conseil privé ayant rejeté
le 26 juillet 1993 la demande d'autorisation spéciale de former recours
présentée par l'auteur, celui-ci a épuisé les recours internes aux fins
du Protocole facultatif. Dans les circonstances de la cause, le Comité ne
voit aucun obstacle à ce qu'il considère la communication recevable et estime
qu'il y a lieu de procéder à l'examen de l'affaire quant au fond. Il note
dans ce contexte que l'État partie n'a pas contesté la recevabilité de la
communication et a fait des observations sur le fond.
6.4 Pour ce qui est des allégations de l'auteur au sujet des irrégularités
dont aurait été entaché le procès et des instructions incorrectes qui auraient
été données par le juge au jury sur la question de l'identification, le
Comité réaffirme que l'article 14 garantit certes le droit à un procès équitable
mais il ne lui appartient pas pour autant d'examiner les instructions particulières
données par le juge au jury lors du procès, à moins qu'il ne puisse être
établi que ces instructions étaient manifestement arbitraires ou représentaient
un déni de justice ou que le juge a manifestement manqué à son devoir d'impartialité.
Les pièces dont le Comité est saisi ne révèlent pas que les instructions
du juge aient été entachées de telles irrégularités. En conséquence, conformément
à l'article 3 du Protocole facultatif, cette partie de la communication
est irrecevable car incompatible avec les dispositions du Pacte.
7. Le Comité déclare les autres parties de la communication recevables
et procède sans plus tarder à leur examen quant au fond à la lumière de
toutes les informations soumises par les parties, en application du paragraphe
1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
8.1 Le Comité doit déterminer si la durée de la détention de l'auteur,
qui aurait passé plus de sept ans dans des conditions qualifiées de déplorables
dans le quartier des condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine,
constitue une violation de l'article 7 du Pacte. Il réaffirme sa jurisprudence
selon laquelle la détention dans le quartier des condamnés à mort pendant
une période déterminée ne constitue pas, en l'absence d'autres circonstances
impérieuses, une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte. L'auteur a fait état de deux incidents survenus le 20 novembre
1986 et le 28 mai 1990, au cours desquels il a été battu par des gardiens
et s'est plaint de ne pas avoir été soigné à la suite des mauvais traitements
qu'il a subis et d'avoir reçu des menaces de mort, faits qu'il a dénoncés
en détail dans des plaintes adressées à son conseil à la Jamaïque, au directeur
de la prison, au médiateur parlementaire et au Conseil jamaïcain des droits
de l'homme. L'État partie avait promis, il y a presque deux ans, d'enquêter
sur ces allégations, mais n'a toujours pas fait parvenir ses conclusions
au Comité. Dans ces circonstances et en l'absence de toute information émanant
de l'État partie, le Comité considère qu'il y a eu violation de l'article
7 du Pacte.
8.2 L'auteur formule aussi des allégations précises au sujet de ses conditions
de détention qu'il qualifie de déplorables. Il affirme être détenu dans
une cellule mal éclairée de 2 m x 3 m, qu'il dort sur une dalle de béton
et qu'il n'y a pas de sanitaires. Le Comité considère que le traitement
décrit par l'auteur constitue une violation de l'obligation faite à l'État
partie, en vertu du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, de traiter les
prisonniers avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la
personne humaine.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il
est saisi font apparaître des violations de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte.
10. En vertu de l'alinéa a) du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'État
partie est tenu d'assurer à l'auteur un recours utile, sous la forme d'une
indemnisation. Le Comité exhorte l'État partie à prendre les mesures requises
en vue d'ouvrir une enquête officielle sur les brutalités infligées à l'auteur
par les gardiens afin que les responsables soient identifiés et punis et
à veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
11. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le Comité
avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte.
La présente affaire a été soumise pour examen avant que la dénonciation
du Protocole facultatif par la Jamaïque ne prenne effet le 23 janvier 1998;
en vertu du paragraphe 2 de l'article 12 dudit Protocole facultatif, les
dispositions de celui-ci continuent de lui être applicables. Conformément
à l'article 2 du Pacte, l'État partie s'est engagé à garantir à tous les
individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les
droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire
lorsque l'existence d'une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir
de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les
mesures qui auront été prises pour donner effet à ses constatations. L'État
partie est également invité à publier les constatations du Comité.
______________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Prafullachandra N. Bhagwati, M. Thomas
Buergenthal, Lord Colville, M. Omar El Shafei, Mme Elizabeth Evatt, Mme
Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Julio Prado Vallejo, M. Martin Scheinin,
M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.
[Adopté en anglais (version originale) et traduit en espagnol et en français.
À paraître aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du
Comité à l'Assemblée générale.]