Comité des droits de l'homme
Soixantième session
14 juillet -1 août 1997
ANNEXE
Décision prise par le Comité des droits de l'homme en vertu
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixantième session -
Communication No 654/1995**
Présentée par : Kwame Williams Adu
[représenté par M. Stewart Istvanffy]
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Canada
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 18 juillet 1997,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Kwame Williams Adu, ressortissant
ghanéen, qui, à l'époque où la communication a été présentée, résidait
au Canada où il a demandé le statut de réfugié. L'auteur se déclare victime
de violations par le Canada des articles 2 (par. 1 et 3), 6 (par. 1),
7, 9, 13, 14 (par. 1) et 26 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Il est représenté par un avocat de Montréal, M.
Stewart Istvanffy.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est né le 16 novembre 1968. Il déclare qu'il était l'un
des membres principaux de l'Esaase Youth Association (Association de la
jeunesse d'Esaase), dans la région de l'Ashanti, et membre d'un club de
football bien connu dans la région; il était populaire et avait les qualités
naturelles de dirigeant dans son domaine. Son père est le second de la
hiérarchie dirigeante locale. En mars 1992, des représentants du Gouvernement
militaire ghanéen se sont rendus à Esaase pour chercher des appuis à la
candidature de Jerry Rawlings à la présidence. L'auteur et le Président
de l'Association de la jeunesse ont manifesté leur opposition à la candidature
de M. Rawlings et ont entrepris une campagne porte à porte contre le Gouvernement.
Le soir des faits, l'auteur a été arrêté et il est resté en détention
pendant plus de cinq mois dans des conditions pénibles. Un ancien entraîneur
de l'équipe de football de Kumani, ayant soudoyé les gardiens, a pu faire
sortir l'auteur de la prison en septembre 1992.
2.2 L'auteur est arrivé au Canada le 17 septembre 1992. Il a demandé
le statut de réfugié au motif qu'il avait des raisons bien fondées de
craindre d'être persécuté à cause de ses opinions politiques et de son
appartenance à un groupe social particulier. Sa demande a été examinée
le 10 mai 1993 par deux commissaires de la Section du statut de réfugié
de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à Montréal (Québec).
La Section du statut de réfugié a rejeté la demande de statut de réfugié
politique présentée par l'auteur. L'autorisation de faire appel a été
refusée le 28 juin 1994.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que sa demande de statut de réfugié n'a pas été
entendue équitablement, en violation du paragraphe 1 de l'article 14 du
Pacte. Il déclare que l'un des commissaires présents à l'audition, un
certain M. Sordzi, avait des préjugés à son encontre; il affirme en conséquence
que l'audition n'a pas été menée, comme il se doit, par une instance compétente
indépendante et impartiale. A l'appui de son allégation selon laquelle
M. Sordzi était de parti pris, l'auteur indique qu'il existe un grave
conflit ethnique au Ghana et que le régime militaire est dominé par la
tribu des Ewés, à laquelle appartiennent M. Sordzi et le Président du
Ghana, M. Rawlings, alors que lui-même appartient à un autre groupe ethnique.
Le conseil affirme que, contrairement à l'opinion de la Cour fédérale
du Canada, les appartenances tribales au Ghana sont profondément ancrées
et ne disparaissent pas avec l'éloignement physique. L'auteur déclare
que, pour ces raisons, les réfugiés ghanéens ont peur de témoigner devant
une personne d'origine éwé et se contredisent souvent, ce qui est alors
utilisé pour discréditer la valeur de leur témoignage. M. Sordzi aurait
déclaré que tous les prétendus réfugiés du Ghana étaient des migrants
économiques. A cet égard, le conseil affirme que M. Sordzi est un partisan
du Gouvernement ghanéen et que le fait qu'il siège en tant que juge de
ses compatriotes dans les affaires de demande de statut de réfugié constitue
une violation du droit à un jugement équitable. Il joint le texte de déclarations
faites sous serment par des membres influents de la communauté ghanéenne
à Montréal, prouvant que M. Sordzi est depuis longtemps hostile aux Ghanéens
demandant le statut de réfugié.
3.2 Selon l'auteur, les termes dans lesquels est rédigée la décision
de la Section du statut de réfugié montrent clairement que l'administration
a des préjugés à l'encontre des demandeurs de statut de réfugié originaires
du Ghana. Dans ce contexte, mention est faite d'une position politique
préconçue à l'égard du Ghana qui ne reconnaîtrait pas la situation de
fait dans le pays; le conseil ajoute que le jury s'est donné beaucoup
de mal pour conclure que le cas de son client n'était pas crédible, bien
qu'il semble correspondre à la situation qui existe actuellement au Ghana.
3.3 Le conseil affirme que les événements et les faits susmentionnés
constituent aussi une violation, par le Canada, du paragraphe 1 de l'article
2 et de l'article 26 du Pacte, car l'auteur a été victime de traitement
discriminatoire en raison de son origine ethnique et de ses opinions politiques.
3.4 L'auteur ajoute qu'au Ghana la peine de mort est souvent imposée
aux personnes déclarées coupables de crime politique et que l'Etat partie,
en le renvoyant au Ghana, le placerait dans une situation très dangereuse
qui pourrait aboutir à une violation de son droit à la vie, contrairement
aux dispositions de l'article 6 du Pacte. Le conseil affirme que l'expulsion
d'une personne dont la demande de statut de réfugié n'aurait pas été entendue
par un tribunal impartial, mais par un tribunal de parti pris, constituerait
un traitement cruel, inhumain et dégradant au sens de l'article 7, ainsi
qu'une violation du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte. En outre, l'expulsion
de l'auteur ne se ferait pas en application d'une décision prise conformément
à la loi, ainsi que l'exige l'article 13 du Pacte, car le commissaire
Sordzi a outrepassé sa compétence en prenant des décisions sur la crédibilité
des demandeurs de statut de réfugié originaires du Ghana.
3.5 Le conseil affirme que la Cour fédérale, en rejetant l'appel de l'auteur,
a mal appliqué la loi canadienne et a ainsi éliminé le seul recours utile
dont l'auteur disposait, en violation du paragraphe 3 de l'article 2 du
Pacte.
3.6 Le conseil ajoute que la législation canadienne prévoit un réexamen
de l'affaire, ainsi qu'un réexamen pour des raisons humanitaires et par
bienveillance, mais affirme que ces recours sont dénués de toute substance
et illusoires. Il affirme en conséquence qu'aux fins du paragraphe 2 de
l'article 5 du Pacte, les recours internes ont été épuisés.
Observations de l'Etat partie
4.1 Dans ses observations en date du 23 juillet 1996, l'Etat partie soutient
que la communication est irrecevable et donne des renseignements concernant
la procédure qu'il applique pour l'octroi du statut de réfugié.
4.2 L'Etat partie rappelle que l'auteur s'est présenté aux autorités
du service de l'immigration de Montréal le 17 septembre 1992 en demandant
le statut de réfugié. Il a déclaré qu'il était arrivé en camion de New
York après avoir quitté le Ghana pour se rendre au Burkina Faso en voiture,
puis à New York en avion avec des escales en Afrique et en Suisse. Le
5 novembre 1992, la demande de l'auteur a été jugée recevable à première
vue en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés, et une
mesure d'expulsion conditionnelle lui a été signifiée avec obligation
de quitter le Canada dans un délai d'un mois si sa demande était rejetée
par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.
4.3 Le 10 mai 1993, deux commissaires de la Section du statut de réfugié
de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ont entendu
l'auteur afin de déterminer si, en vertu de la loi sur l'immigration,
il répondait à la définition du réfugié donnée par la Convention relative
au statut des réfugiés. L'Etat partie explique qu'une demande est jugée
recevable si un des membres du jury estime que le demandeur satisfait
à cette définition. A l'audition, l'auteur était représenté par un conseil
(qui l'avait représenté depuis son entrevue initiale avec les autorités
du service de l'immigration le 13 octobre 1992); il a fait une déclaration
orale sous serment, des témoignages concernant la situation dans son pays
ont été présentés et un certain nombre de pièces justificatives ont été
déposées. L'Etat partie souligne que ni l'auteur ni son conseil n'ont
soulevé d'objection à la constitution du jury.
4.4 Le 15 octobre 1993, le jury a décidé que l'auteur n'était pas un
réfugié au sens de la Convention. Il a estimé que l'auteur n'était pas
crédible en raison des incohérences relevées dans son histoire et de l'invraisemblance
de certains événements décrits par lui. Le jury a noté, en particulier,
qu'à l'époque où l'auteur prétendait avoir été arrêté pour s'être opposé
à la campagne électorale du candidat présidentiel du Parti démocratique
national, M. Rawlings, ce parti n'existait pas encore et que la candidature
de M. Rawlings n'a été annoncée que trois mois après les événements allégués
par l'auteur. L'auteur a ensuite demandé l'autorisation de former un recours
auprès de la Section de première instance de la Cour fédérale /
Dans les affaires d'immigration, pour qu'une autorisation de recours soit
accordée, il faut, selon les critères appliqués par la Cour, que le demandeur
ait des arguments solides à faire valoir à l'appui de sa cause ou qu'il
s'agisse d'une question grave./. L'auteur fondait son recours sur des
erreurs de droit et de fait, faisant notamment valoir qu'il avait de bonnes
raisons de craindre que l'un des membres du jury, M. Sordzi, soit de parti
pris à son égard. Le 28 juin 1994, sa demande a été rejetée sans explication.
Aucun autre recours n'est disponible.
4.5 Le 17 janvier 1994, l'auteur, représenté par un nouveau conseil,
a demandé à la Section du statut de réfugié de réexaminer son cas afin
de prendre en considération de nouveaux éléments de preuve. Le 22 mars
1994, sa demande a été rejetée car la Section n'était pas compétente pour
réexaminer une demande afin de prendre en compte de nouveaux éléments
de preuve, sauf si elle avait violé un principe du droit naturel ou commis
une erreur de fait.
4.6 Selon la procédure d'examen des demandes d'admission dans la catégorie
des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC),
les personnes qui n'ont pas été reconnues comme étant des réfugiés au
sens de la Convention peuvent demander le statut de résident au Canada
si, à leur retour dans leur pays, elles risquent de perdre la vie, d'être
soumises à des sanctions très sévères ou de subir un traitement inhumain.
Le (nouveau) conseil de l'auteur a présenté des arguments, y compris de
nouveaux éléments de preuve. Le 23 janvier 1995, l'auteur a été informé
que le fonctionnaire chargé de l'examen de son cas avait conclu qu'il
n'entrait pas dans la catégorie en question. L'auteur n'a pas formé de
recours contre cette décision.
4.7 Le 12 avril 1995, l'auteur ne s'est pas présenté à une audition destinée
à préparer son départ volontaire du Canada. L'Etat partie affirme ne pas
savoir où il se trouve à présent.
4.8 L'Etat partie soutient que la communication de l'auteur est irrecevable
parce que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes. Tout d'abord,
l'auteur n'a pas demandé que son cas soit réexaminé pour des raisons humanitaires
et de bienveillance au titre de l'article 114 2) de la loi sur l'immigration
/ L'Etat partie explique qu'il s'agit d'un examen facultatif
mené par un agent des services d'immigration pour déterminer si l'admission
d'une personne au Canada doit être facilitée pour des raisons humanitaires
et de bienveillance. Des circonstances très diverses peuvent être prises
en compte, y compris le risque de subir un traitement excessivement dur,
la situation dans le pays considéré et tout fait nouveau./. L'Etat partie
conteste l'argument de l'auteur selon lequel ce recours et le réexamen
postérieur au rejet de la demande de statut de réfugié n'ont aucune utilité
pratique. Il note que le conseil de l'auteur s'est appuyé sur des statistiques
indiquant que le taux de rejet était de 99 %, mais il fait observer que
ce chiffre a trait à la situation qui existait avant l'institution de
la CDNRSRC, lorsqu'il s'agissait d'un simple réexamen de routine sans
que des demandes soient présentées au nom des requérants. L'Etat partie
maintient que le réexamen est efficace dans certains cas.
4.9 L'auteur n'a pas non plus formé de recours devant la Section de première
instance de la Cour fédérale pour obtenir la révision de la décision négative
rendue à l'issue de la procédure d'admission à la CDNRSRC. L'Etat partie
explique que dans le cadre de ce recours, l'auteur aurait pu, en vertu
de la Charte canadienne des droits et libertés, présenter des arguments
analogues à ceux présentés dans sa communication au Comité. Il aurait
pu, sur autorisation, faire appel des décisions de la Section de première
instance auprès de la Cour d'appel fédérale et, de là, auprès de la Cour
suprême.
4.10 Enfin, l'Etat partie explique que l'auteur pouvait contester la
constitutionnalité de toute disposition par la voie d'une action en constatation
ou intenter une action devant la Section de première instance de la Cour
fédérale pour violation des droits que lui garantit la Charte.
4.11 L'Etat partie conclut que l'auteur disposait des recours internes
susmentionnés et qu'il avait le devoir de se prévaloir de ces recours
avant d'adresser une pétition à un organe international. Les doutes que
l'auteur pouvait avoir au sujet de l'efficacité de ces recours ne le dispensaient
pas de les épuiser.
4.12 L'Etat partie soutient également que la communication est irrecevable
car elle ne prouve pas qu'il y ait eu violation des droits dont jouit
l'auteur en vertu du Pacte. En ce qui concerne les violations de l'article
6 du Pacte dont l'auteur se prétend victime, l'Etat partie fait valoir
que l'expulsion de l'auteur du Canada ne constitue pas une violation de
son droit à la vie dans la mesure où ses demandes ont été rejetées par
les autorités compétentes après avoir été dûment examinées et avec la
possibilité d'un recours judiciaire. L'Etat partie se réfère, à ce propos,
aux constatations adoptées par le Comité dans l'affaire Ng c. Canada
/ Communication No 469/1991, constatations adoptées le 5 novembre
1993./, dans lesquelles le Comité a estimé que l'extradition du requérant
vers un pays où il risquait la peine de mort ne constituait pas une violation
du paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte, étant donné que la décision de
l'extrader n'avait pas été prise de manière sommaire ou arbitraire. L'Etat
partie ajoute que l'auteur dispose encore de recours internes à épuiser.
4.13 En ce qui concerne les violations des articles 9 et 13 invoquées
par l'auteur, l'Etat partie fait observer que ces articles n'accordent
pas sans restriction le droit d'asile ou le droit de rester sur le territoire
d'un Etat partie. L'auteur a été autorisé à rester au Canada pour que
sa demande de statut de réfugié puisse être examinée, et son expulsion
n'a été ordonnée qu'après que sa demande eut été rejetée à l'issue d'un
examen approfondi et avec la possibilité d'un recours judiciaire. L'Etat
partie renvoie à ce sujet aux constatations du Comité dans l'affaire Maroufidou
c. Suède /Communication No 58/1979, constatations adoptées le 9
avril 1981./.
4.14 En ce qui concerne la violation dont l'auteur se prétend victime
au titre du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, l'Etat partie fait
valoir que la procédure d'octroi du statut de réfugié relève du droit
public et n'entre donc pas dans le champ d'application de la disposition
de l'article 14 du Pacte concernant les "droits et obligations de
caractère civil" ("suit at law"). L'Etat partie
se réfère à cet égard à ses observations concernant la communication No
236/1987 (V.R.M.B. c. Canada) / Déclarée irrecevable
le 18 juillet 1988./.
4.15 En outre, l'Etat partie soutient que, même si l'on considère que
la procédure de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié
constitue une "suit at law", la Commission présente des
garanties d'indépendance / Les membres de cette Commission
sont nommés par le Gouverneur en conseil pour un mandat de sept ans au
maximum et viennent de tous les secteurs de la société canadienne. Ils
ne peuvent être révoqués que pour un nombre limité de motifs, au terme
d'une procédure d'enquête présidée par un juge, un juge assesseur ou un
ancien juge de la Cour fédérale du Canada. La Commission de l'immigration
et du statut de réfugié fonctionne de façon autonome et a son propre budget.
Les décisions de la Section du statut de réfugié peuvent être infirmées
par un tribunal./ suffisantes pour qu'on puisse la considérer comme un
tribunal indépendant au sens du paragraphe 1 de l'article 14. L'Etat partie
fait observer également que le jury composé de deux membres qui a statué
sur la demande de l'auteur était impartial. Il note à cet égard que l'allégation
de parti pris formulée par l'auteur vise uniquement M. Sordzi et non le
membre président qui a rédigé le texte de la décision. Il rappelle, à
cet égard, que l'auteur aurait eu gain de cause même si le membre président
avait été seul à conclure qu'il était un réfugié au sens de la Convention.
L'Etat partie soutient que les allégations de parti pris formulées par
l'auteur ne sont pas fondées, comme le montre le rejet de sa demande de
recours judiciaire par la Section de première instance de la Cour fédérale,
qui n'a apparemment pas estimé que ces allégations se fondaient sur des
arguments valables. L'Etat partie renvoie à cet égard aux décisions raisonnées
de la Cour fédérale concernant la même allégation de parti pris formulée
à l'encontre de M. Sordzi / En particulier, l'Etat partie
cite la décision rendue par la Cour fédérale dans l'affaire Badu
c. Ministère de l'emploi et de l'immigration, en date du 15 février
1995, dans laquelle le juge a déclaré : "C'est une aberration que
de prétendre que M. Sordzi, qui est arrivé au Canada en 1968 et est devenu
citoyen canadien en 1976, ne peut pas, en raison de guerres et de conflits
ancestraux, s'acquitter de façon correcte, objective et conforme à la
procédure judiciaire des devoirs et des responsabilités que le Parlement
lui a imposés". La Cour a conclu que les déclarations faites sous
serment à l'appui de cette allégation étaient extrêmement subjectives
et n'apportaient aucune confirmation objective ni aucun élément de preuve./.
Il renvoie également au procès-verbal de l'audition, qui ne révèle aucune
intervention abusive de la part de M. Sordzi, et au texte de la décision
où sont exposées clairement les raisons pour lesquelles l'auteur n'a pas
été jugé crédible. L'Etat partie affirme que le fait que M. Sordzi était
d'origine ghanéenne et appartenait à la tribu des Ewés n'était pas en
soi une raison valable pour le soupçonner d'être de parti pris. Il explique
à cet égard que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié
fait appel à des membres qui ont une connaissance ou une expérience personnelle
des pays d'où viennent les personnes demandant le statut de réfugié ou
qui parlent leur langue. Selon les tribunaux canadiens, c'est là un aspect
souhaitable de la procédure de règlement des demandes de statut de réfugié.
4.16 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle l'expulsion de l'auteur
constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant, en violation de
l'article 7, parce que sa cause n'a pas été entendue par un tribunal impartial,
l'Etat partie renvoie à l'argument exposé ci-dessus et soutient que le
tribunal était impartial et que cette allégation est, par conséquent,
irrecevable.
4.17 Quant à l'allégation selon laquelle l'auteur aurait été privé du
droit à l'égalité devant la loi parce qu'un des membres du jury était
d'origine éwé, l'Etat partie affirme qu'elle n'a aucun fondement factuel
ou juridique et doit donc être déclarée irrecevable.
4.18 L'Etat partie fait observer, enfin, que le Comité des droits de
l'homme n'est pas une "quatrième instance" compétente pour réévaluer
des constatations ou pour examiner l'application de la législation interne,
sauf s'il a la preuve manifeste que la procédure devant les tribunaux
internes était arbitraire ou constituait un déni de justice. En l'absence
d'une telle preuve, l'Etat partie soutient que les plaintes de l'auteur
sont irrecevables.
Délibérations du Comité
5. Le délai pour la présentation des commentaires du conseil sur les
observations de l'Etat partie était fixé au 30 août 1996. Par une lettre
en date du 29 mai 1997, le conseil avait été informé que le Comité se
prononcerait sur la recevabilité de la communication à sa soixantième
session, en avril 1997. Aucun commentaire n'a été reçu.
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 L'Etat partie a soutenu que la communication était irrecevable parce
que les recours internes n'avaient pas été épuisés, alors que le conseil
de l'auteur a argué que l'examen postérieur au rejet de la demande de
statut ainsi que le réexamen pour des raisons humanitaires et de bienveillance
n'ont aucune utilité pratique. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence,
le simple fait de douter de l'efficacité des recours internes ne dispense
pas l'auteur d'une communication de l'obligation de les épuiser. Dans
l'affaire en cause, l'auteur ne s'est pas prévalu du recours judiciaire
dont il disposait contre la décision négative prise après le rejet de
sa demande de statut. Il s'ensuit que, dans la mesure où l'auteur prétend
que son retour au Ghana constituerait une violation du Pacte, la communication
est irrecevable au motif que les recours internes n'ont pas été épuisés.
6.3 En ce qui concerne l'argument selon lequel la cause de l'auteur n'aurait
pas été entendue équitablement, le Comité constate que, une fois que la
Section de première instance de la Cour fédérale a rejeté la demande d'autorisation
de former un recours, qui était fondée, notamment, sur des allégations
de parti pris, aucun autre recours interne n'était disponible. L'auteur
affirme que sa cause n'a pas été entendue équitablement parce qu'un des
deux commissaires qui participaient à l'audition était d'origine ghanéenne
et appartenait à la tribu des Ewés, dont l'attitude hostile à l'égard
des réfugiés ghanéens serait bien connue parmi les membres de la communauté
ghanéenne à Montréal. Toutefois, ce n'est qu'après le rejet de la demande
de statut de réfugié que l'auteur ou son conseil ont soulevé des objections
à la participation dudit commissaire à l'audition alors que les raisons
du parti pris étaient connues de l'auteur et/ou de son conseil au début
de l'audition. Le Comité estime donc que l'auteur n'a pas étayé, aux fins
de la recevabilité de sa demande, que son droit à être entendu équitablement
par un tribunal impartial a été violé. Dans ces conditions, le Comité
n'a pas à décider si la décision concernant la demande de statut de réfugié
présentée par l'auteur porte sur "ses droits et obligations de caractère
civil", au sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu de l'article 2 et du
paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et au conseil
de l'auteur.
____________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachamdra N. Bhagwati,
M. Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth
Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer,
Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin et M.
Danilo Türk.
** Conformément à l'article 85 du règlement intérieur, M. Maxwell Yalden
n'a pas participé à l'adoption de la décision.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Sera
aussi publié ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel du Comité à l'Assemblée générale.]