Présentée par : McCordie Morrison (représenté par le cabinet d'avocats
MacFarlanes, de Londres)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 25 novembre 1994 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 novembre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 663/1995, présentée
au Comité par M. McCordie Morrison en vertu du Protocole facultatif se
rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'État partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est McCordie Morrison, citoyen jamaïcain,
qui se trouvait en attente d'exécution à la prison du district de St.
Catherine (Jamaïque) au moment où il a soumis la communication. L'auteur
se déclare victime d'une violation par la Jamaïque du paragraphe 2 de
l'article 6, de l'article 7, des paragraphes 2 et 3 de l'article 9, des
paragraphes 1 et 2 de l'article 10 et des paragraphes 1, 3 b), 3 c) et
5 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. Il est représenté par le cabinet d'avocats McFarlanes, de
Londres. Le 16 mai 1995, la condamnation à mort prononcée contre l'auteur
a été commuée en peine de réclusion à perpétuité.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté le 29 avril 1984 et inculpé le 7 mai 1984 du
meurtre d'un certain Rudolph Foster commis le 6 mars 1984. Le 6 mars 1985,
l'auteur et un coaccusé du nom de Tony Jones / Tony Jones
a également présenté une communication au Comité des droits de l'homme,
qui a été enregistrée sous le No 585/1994. Le Comité a adopté ses constatations
concernant cette communication le 6 avril 1998, à sa soixante-deuxième
session./ ont été reconnus coupables du meurtre et condamnés à mort par
la Circuit Court de St. Elizabeth, à la Jamaïque. La Cour d'appel
de la Jamaïque a rejeté sa demande de recours le 6 juillet 1987. Sa demande
d'autorisation spéciale de former recours auprès de la section judiciaire
du Conseil privé a été rejetée le 23 juillet 1991. Il affirme que tous
les recours internes disponibles ont ainsi été épuisés. Le 16 mai 1995,
la condamnation à mort a été commuée en peine d'emprisonnement à vie.
2.2 La pièce maîtresse de l'accusation était le témoignage d'un certain
Canute Thompson, qui avait déclaré que tard dans la soirée du 6 mars 1984
il avait vu trois hommes agresser M. Foster. Ce témoin a affirmé avoir
entendu l'un des agresseurs dire à celui-ci "Debout, toi, ou je te
descends", et avoir vu l'un d'eux tirer sur M. Foster qui se précipitait
vers le témoin. De plus, le témoin a déclaré qu'un réverbère éclairait
très bien la rue de sorte qu'il avait pu reconnaître l'auteur à une distance
d'environ 35 mètres. M. Thompson a indiqué qu'il connaissait l'auteur
depuis 16 ou 17 ans, mais que la dernière fois qu'il l'avait vu c'était
un an auparavant. Le seul autre élément de preuve contre l'auteur était
une remarque qu'il avait faite quand on l'avait arrêté : "Et pourquoi
il n'y a que moi que vous arrêtez ?". L'accusation a plaidé l'intention
commune.
2.3 L'accusation a également produit le témoignage d'un médecin légiste
qui avait décrit les blessures constatées sur le corps de la victime et
avait indiqué avoir extrait de la blessure qu'elle portait dans le dos
des débris de plastique et de fibre provenant de la bourre de l'arme.
Un expert en balistique a déclaré que le coup fatal avait été tiré d'une
distance inférieure à 4 yards (environ 3,66 m).
2.4 Au procès, la défense a contesté la crédibilité du témoignage de
M. Thompson qui, d'après la défense, en voulait au coaccusé de l'auteur,
Tony Jones. La raison de cette hostilité était une controverse sur une
question politique qui avait abouti à une rixe entre Thompson, Jones et
l'auteur. Ce dernier affirme que, à la suite de cette rixe, Thompson les
avait dénoncés, lui et Jones, auprès du contremaître du chantier où ils
travaillaient tous les trois, ensuite de quoi les deux hommes avaient
été congédiés. Le conseil indique en outre que l'auteur a, depuis le banc
des accusés, fait sans prêter serment une déclaration par laquelle il
a nié savoir quoi que ce soit du crime.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur se déclare victime d'une violation des paragraphes 2 et
3 de l'article 9 du Pacte parce que, arrêté le 29 avril 1984, il n'a été
informé qu'il était accusé de meurtre qu'entre le 30 janvier et le 13
février 1985, pendant l'enquête préliminaire. Il affirme que, même si
la police lui a fait les notifications d'usage le 7 mai 1984 comme l'a
déclaré un policier lors du procès, il est malgré tout resté en garde
à vue pendant plus d'une semaine avant d'être informé officiellement de
son droit de garder le silence. Le conseil ajoute que l'auteur a passé
plus de dix mois en garde à vue avant d'être jugé.
3.2 Étant donné que l'auteur est sans ressources, le juge du fond lui
a commis un avocat au titre de l'aide judiciaire. D'après l'auteur, celui-ci
l'a mal représenté en justice. L'auteur indique ainsi qu'avant l'ouverture
du procès, il n'a parlé que brièvement - pendant une dizaine de minutes
- avec son avocat, environ sept semaines après l'arrestation; l'avocat
n'a recueilli aucune déclaration écrite de l'auteur. On ne sait pas très
bien s'il l'a rencontré d'autres fois, mais l'auteur affirme qu'il n'a
pas eu assez de temps pour examiner le dossier avec l'avocat. Le conseil
note que l'avocat commis d'office n'était pas présent à l'audience préliminaire
et que c'est l'avocat du coaccusé de l'auteur qui l'a représenté. D'après
le conseil, l'auteur n'a pas eu assez de temps pour préparer sa défense
et pour communiquer avec l'avocat de son choix, en violation du paragraphe
3 b) de l'article 14 du Pacte.
3.3 L'auteur affirme en outre qu'il y a eu violation des paragraphes
1 et 2 de l'article 10 du Pacte parce que après son arrestation il est
resté trois semaines sans pouvoir parler à aucun membre de sa famille
et qu'il a été passé à tabac par les policiers pendant la garde à vue.
En outre, pendant sa détention en garde à vue entre le 29 avril 1984 et
la date du procès, l'auteur n'aurait pas été séparé des condamnés et n'aurait
pas été soumis à un traitement distinct, comme il l'aurait fallu étant
donné qu'il n'était pas lui-même un condamné.
3.4 Le conseil fait valoir que l'auteur a été victime d'une violation
du paragraphe 1 de l'article 14, le juge du fond ayant manqué à son obligation
d'impartialité à cause de la façon dont il a traité la question de la
rancune que le principal témoin à charge pouvait nourrir à l'égard de
l'auteur. Le conseil affirme que le juge n'a pas donné des instructions
correctes au jury car il lui a dit que lors du contre-interrogatoire il
n'avait pas été suggéré à M. Thompson qu'il en voulait à l'auteur. En
outre, le juge n'aurait pas prévenu le jury qu'il était dangereux de condamner
quelqu'un en se fondant seulement sur son identification par un témoin,
compte tenu en particulier des mauvaises conditions dans lesquelles l'agresseur
a été observé et en l'absence de confirmation ou d'autres éléments concordants.
Le conseil souligne que le témoin dit avoir reconnu l'auteur alors qu'il
faisait nuit et que l'éclairage n'était pas suffisant, qu'il ne pouvait
donc que très mal discerner l'agresseur et que l'auteur n'a pas été soumis
à une séance d'identification.
3.5 Le conseil ajoute que le juge du fond aurait dû récuser le jury qui
avait été formé parce que, pendant le procès, l'un des jurés avait été
vu en train de parler à un membre de la famille du défunt. Il ajoute que
le juge du fond a interrogé ce juré devant tous les autres membres du
jury; le juré a nié avoir eu cette conversation.
3.6 L'auteur a été condamné le 6 mars 1985; son pourvoi en appel a été
examiné et rejeté le 6 juillet 1987. D'après le conseil, l'intervalle
de 28 mois entre le procès et l'audience en appel et le fait qu'il a fallu
près de deux ans et demi pour obtenir les comptes rendus d'audience représentent
une violation des paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14 du Pacte. Il ajoute
que le représentant de l'auteur n'a fait valoir en appel aucun argument
au nom de son client.
3.7 L'auteur se déclare victime d'une violation de l'article 7 du Pacte
parce qu'il est resté en détention dans le quartier des condamnés à mort
pendant plus de neuf ans et demi. Le conseil fait valoir que la durée
de la détention, dans des conditions épouvantables dans le quartier des
condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine /
Il cite un document de l'Organisation Human Rights Watch (États-Unis)
intitulé "Prison Conditions in Jamaica", mai 1990./, représente
un traitement cruel, inhumain et dégradant au sens de l'article 7. Pour
étayer cet argument, il se réfère à une décision récente de la section
judiciaire du Conseil privé / Décision du Conseil privé dans
l'affaire Pratt et Morgan c. The Attorney General of Jamaica
et al. (1993), recours No 4 de 1993, décision rendue le 2 novembre
1993./, à un jugement de la Cour suprême du Zimbabwe / Arrêt
No S.C.73/93 rendu le 24 juin 1993 dans l'affaire Catholic Commission
for Justice and Peace in Zimbabwe c. The Attorney General for Zimbabwe
and the Sheriff for Zimbabwe and the Director of Prisons (1993)./,
ainsi qu'à une décision de la Cour européenne des droits de l'homme
/ Décision dans l'affaire Soering c. Royaume-Uni (1989)
11 EHRR 439./.
3.8 De plus, l'auteur aurait subi des mauvais traitements en prison.
Ainsi, le 4 mai 1993, des policiers et des gardiens ont fouillé la prison,
ont détruit une grande partie des papiers appartenant aux prisonniers
et en ont physiquement agressé certains. A la suite de ces incidents,
l'auteur et plusieurs autres prisonniers ont entamé une grève de la faim
qui a duré trois jours, jusqu'à ce qu'un représentant du Conseil jamaïcain
des droits de l'homme soit autorisé à leur rendre visite. En 1992, l'auteur
et d'autres prisonniers ont retrouvé un grand nombre de leurs lettres
entassées dans une cellule abandonnée. Il n'a pas été précisé dans quelle
mesure ces allégations concernaient personnellement l'auteur, mais le
conseil indique que l'auteur souffre, depuis qu'il est en prison, d'une
synovite qui provoque le gonflement d'articulations; il en a informé le
médiateur le 10 novembre 1993 mais n'a reçu "aucuns soins".
Le conseil conclut qu'étant donné que les recours internes, et en particulier
la procédure pénitentiaire et la procédure de dép_t de plaintes auprès
des services du médiateur parlementaire, ne sont ni disponibles ni efficaces,
les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole
facultatif sont remplies.
3.9 Le conseil affirme qu'il y a eu violation du paragraphe 2 de l'article
6 parce qu'une sentence de mort a été prononcée sans que les garanties
d'un procès équitable aient été appliquées.
3.10 Enfin, le conseil affirme que, dans la pratique, l'auteur ne peut
exercer le recours constitutionnel parce qu'il est sans ressources et
que l'aide judiciaire n'est pas prévue à la Jamaïque pour se pourvoir
devant la Cour constitutionnelle. Il fait référence aux précédents judiciaires
créés par la section judiciaire du Conseil privé / DPP
c. Nasralla and Riley et al. c. Attorney General of Jamaica./
et à la jurisprudence du Comité / Communication No 230/1987
(Raphael Henry c. Jamaïque), constatations adoptées le 1er
novembre 1991; communication No 445/1991 (Lynden Champagnie, Delroy
Palmer et Oswald Chisholm c. Jamaïque), constatations adoptées
le 18 juillet 1994./. Le conseil affirme que tous les recours disponibles
ont été épuisés.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
4.1 Dans ses observations datées du 15 janvier 1996, l'État partie a
rejeté l'affirmation de l'auteur selon laquelle la longue période passée
dans le quartier des condamnés à mort constituait un traitement cruel
et inhumain.
4.2 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'a
pas été autorisé à parler à sa famille pendant les trois premières semaines
qui ont suivi son arrestation, l'État partie indique qu'il n'existe aucune
preuve à l'appui de cette allégation et dément cette affirmation. Pour
ce qui est de l'allégation de l'auteur affirmant qu'il n'a pas été séparé
des condamnés pendant sa détention provisoire, l'État partie fait valoir
que l'auteur a omis de fournir des informations détaillées à ce sujet,
notamment d'identifier le lieu de détention en cause. Il ajoute que les
condamnés ne sont généralement pas détenus dans des conditions strictement
identiques à celles des personnes qui n'ont pas été condamnées.
4.3 L'État partie a pris note que l'auteur prétend ne pas avoir reçu
de soins médicaux contre la synovite dont il souffre et a promis de mener
une enquête sur cette question et d'informer le Comité de ses résultats.
4.4 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il a été
représenté par le conseil de son coaccusé et non par le sien, l'État partie
n'estime pas que cela constitue une violation du Pacte étant donné que
cette situation n'a pas forcément entraîné un préjudice.
4.5 S'agissant des allégations formulées par l'auteur au titre des paragraphes
3 c) et 5 de l'article 14, l'État partie indique que ce dernier a été
débouté en appel deux ans et quatre mois après sa condamnation et que
la décision écrite de la Cour d'appel a été délivrée 18 mois plus tard,
le 23 mars 1989. L'État partie n'a pas connaissance que les comptes rendus
d'audience aient été délivrés tardivement. Étant donné que la condamnation
et la peine prononcée à l'encontre de l'auteur ont été examinées par la
Cour d'appel, il considère qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe
5 de l'article 14. L'État partie est en outre d'avis que l'intervalle
entre la condamnation et le recours n'a pas été excessif. Il admet en
revanche que la décision écrite a été délivrée dans des délais excessifs,
mais ne considère pas cependant qu'il y a eu en l'espèce violation du
Pacte vu que cela n'a pas porté préjudice à l'auteur.
4.6 En ce qui concerne la plainte de l'auteur ayant trait aux instructions
données au jury par le juge, l'État partie renvoie à la jurisprudence
du Comité selon laquelle il n'appartient pas au Comité d'examiner les
instructions données au jury par le juge, sauf s'il peut être établi qu'elles
ont été manifestement arbitraires et ont représenté un déni de justice.
L'État partie est d'avis qu'aucune des exceptions visées n'existe dans
le cas d'espèce et que le Comité n'est donc pas compétent pour examiner
cette question.
5.1 Dans ses observations sur les commentaires de l'État partie, le conseil
réfute le point de vue de l'État partie selon lequel une procédure judiciaire
prolongée ne constitue pas un traitement cruel et inhumain. Il rappelle
les abus signalés par l'auteur et affirme qu'il faut en tenir compte pour
se prononcer sur la question.
5.2 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'a
pas été autorisé à parler à des membres de sa famille, le conseil indique
que des preuves peuvent être apportées. Il précise que l'auteur a été
détenu au poste de police de Santa Cruz avant d'être condamné. Il fait
valoir que l'État partie ne peut pas se contenter de démentir les allégations
de l'auteur sans avoir procédé à une enquête.
5.3 Le conseil admet que le fait que l'auteur a été représenté à l'audience
préliminaire par l'avocat de son coaccusé ne constitue pas en soi une
violation du Pacte, mais il fait valoir que l'auteur n'a pas été interrogé
de façon approfondie par l'avocat de son coaccusé et qu'il n'a pas eu
assez de temps pour donner à ce dernier les éléments nécessaires. Il ajoute
que pendant la préparation du procès l'auteur avait disposé de son propre
conseil mais qu'il n'avait pas eu la possibilité de l'informer de façon
appropriée.
5.4 Le conseil réaffirme que le délai mis à délivrer la décision écrite
de la Cour d'appel a été excessif, ce qui constitue une violation des
paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14.
5.5 En ce qui concerne son allégation en vertu du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte, le conseil se réfère à la jurisprudence du Comité selon laquelle
la notion de procès équitable implique nécessairement que la justice soit
rendue sans retard excessif / Communication No 203/1986, Muñoz
Hermoza c. Pérou, constatations adoptées le 4 novembre 1988,
par. 11.3./. Le conseil ajoute que les instructions du juge étaient manifestement
arbitraires et ont constitué un déni de justice.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'a
pas été autorisé à voir ses parents pendant les trois premières semaines
qui ont suivi son arrestation, le Comité note que l'auteur n'a pas indiqué
quelles démarches il avait faites pour porter ces questions à l'attention
des autorités jamaïcaines. À cet égard, il n'a pas satisfait aux dispositions
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif et cette partie
de la communication est par conséquent irrecevable.
6.3 S'agissant de l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'a pas
eu assez de temps pour préparer sa défense parce que son avocat ne lui
a rendu visite qu'une fois avant le procès, le Comité note qu'il appartenait
au représentant de l'auteur ou à l'auteur lui-même de demander un report
dès l'ouverture du procès, s'il estimait ne pas avoir eu assez de temps
de préparation. Il ressort des comptes rendus d'audience qu'aucune demande
de report n'a été formulée pendant le procès. Le Comité considère en conséquence
que cette allégation est irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole
facultatif.
6.4 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur concernant la conduite
du procès et les instructions données au jury par le juge, le Comité renvoie
à sa jurisprudence et réaffirme qu'il n'appartient pas généralement au
Comité mais aux juridictions d'appel des États parties au Pacte d'apprécier
les faits et les éléments de preuve dans un cas d'espèce. De même, il
n'appartient pas au Comité d'examiner les instructions données au jury
par le juge du fond, sauf s'il peut être établi qu'elles ont été manifestement
arbitraires et ont représenté un déni de justice. Les éléments portés
à la connaissance du Comité ne montrent pas que les instructions du juge
ou la conduite du procès aient été entachées de telles irrégularités.
En conséquence, cette partie de la communication, étant incompatible avec
les dispositions du Pacte, est irrecevable conformément à l'article 3
du Protocole facultatif.
6.5 Le Comité est d'avis en outre que l'auteur n'a pas étayé, aux fins
de la recevabilité, son allégation selon laquelle il a été privé d'un
jugement équitable parce que le juge n'a pas récusé le jury après que
l'un des jurés eut été vu en train de parler avec un membre de la famille
du défunt. Le Comité note que le juge a en fait examiné cette question
et que les comptes rendus d'audience ne contiennent aucune information
confirmant l'allégation de l'auteur. En conséquence, cette allégation
est irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.6 En ce qui concerne la plainte formulée par l'auteur au titre de l'article
7 du Pacte, en raison de sa détention prolongée dans le quartier des condamnés
à mort, le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle la détention
pendant un certain temps dans le quartier des condamnés à mort ne constitue
pas une violation de l'article 7, en l'absence d'autres circonstances
impérieuses. L'auteur n'ayant pas invoqué de circonstances impérieuses
sauf la durée de son incarcération dans le quartier des condamnés à mort,
la plainte est donc irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.7 En ce qui concerne l'allégation dans laquelle l'auteur prétend avoir
trouvé des lettres de prisonniers dans une cellule abandonnée, le Comité
note que l'intéressé n'a pas affirmé expressément avoir trouvé des lettres
ou des documents qu'il avait lui-même écrits ou qui lui étaient adressés.
Cette partie de la communication est donc irrecevable au titre de l'article
2 du Protocole facultatif, parce que l'auteur n'a pas porté plainte à
ce sujet.
7. Le Comité considère que les griefs restants de l'auteur sont recevables.
Il note que tant l'État partie que l'auteur ont fait des observations
sur le bien-fondé des allégations. Le Comité passe donc sans plus attendre
à l'examen au fond des allégations qu'il a jugées recevables.
8.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises
par les parties, comme il y est tenu par le paragraphe 1 de l'article
5 du Protocole facultatif.
8.2 L'auteur a prétendu qu'il n'avait pas été informé des raisons de
son arrestation et que les faits qui lui étaient reprochés ne lui avaient
été signifiés qu'au moment de sa première comparution devant le juge,
lors de l'audience préliminaire. Il ressort des comptes rendus d'audience
que la police a affirmé qu'il avait été informé de son droit de garder
le silence le 7 mai 1984, neuf jour après avoir été placé en détention.
L'État partie n'a pas examiné l'allégation de l'auteur. Il est en outre
indiscuté que ce dernier n'a été présenté à un juge ou à un officier judiciaire
qu'après le 7 mai 1984. Le Comité considère qu'un délai de neuf jours
avant d'informer une personne qui a été arrêtée des faits qui lui sont
reprochés constitue une violation du paragraphe 2 de l'article 9. Il considère
en outre que le délai intervenu entre l'arrestation de l'auteur et le
moment où il a été traduit devant un juge constitue une violation du paragraphe
3 de l'article 9.
8.3 S'agissant des allégations de l'auteur selon lesquelles il a été
battu par la police et n'a pas été séparé des condamnés pendant sa détention
provisoire entre le 29 avril 1984 et l'ouverture du procès, le Comité
note que l'État partie n'a pas démenti l'allégation mais qu'il a indiqué
que l'auteur avait l'obligation de fournir des informations précises,
notamment sur le lieu de détention. Quoique ces renseignements aient été
fournis dans la lettre du conseil du 21 février 1996, qui a été communiquée
à l'État partie le 19 mars 1996, aucune observation complémentaire n'a
été reçue de l'État partie. En conséquence, il convient de donner crédit
à l'allégation de l'auteur. Le Comité estime que les passages à tabac
constituent une violation des droits de l'auteur au titre de l'article
7 et que le fait qu'il n'a pas été séparé des condamnés représente une
violation du paragraphe 2 a) de l'article 10.
8.4 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'a
pas eu suffisamment de temps pour informer l'avocat de son coaccusé lors
de l'audience préliminaire, le Comité note que la défense n'est pas présentée
lors de l'audience préliminaire. En conséquence, le Comité estime que
les faits dont il est saisi à cet égard ne constituent pas une violation
du paragraphe 3, alinéas b) et d), de l'article 14.
8.5 Le Comité note que le recours de l'auteur a été examiné le 6 juillet
1987, deux ans et quatre mois après sa condamnation; il note également
que, selon l'État partie, le texte écrit de la décision a été délivré
le 23 mars 1989 et que l'auteur n'en a reçu copie que le 11 juillet 1990,
près de trois ans après l'examen du recours. Le Comité renvoie à sa jurisprudence
/ Voir, entre autres, les constatations du Comité concernant
les communications Nos 230/1987 (Raphael Henry c. Jamaïque)
et 283/1988 (Aston Little c. Jamaïque), adoptées à la quarante-troisième
session du Comité./ et réaffirme que, conformément au paragraphe 5 de
l'article 14, un condamné doit pouvoir disposer dans un délai raisonnable
des décisions écrites, dûment motivées, de toutes les instances d'appel
afin de jouir effectivement du droit de faire examiner par une juridiction
supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément
à la loi et sans retard excessif. Le Comité est d'avis que les délais
imposés pour examiner le recours et délivrer la décision écrite de la
cour d'appel et pour en délivrer copie à l'auteur constituent une violation
des paragraphes 3 c) et 5 de l'article 14.
8.6 S'agissant de l'allégation de l'auteur selon laquelle il n'a pas
été représenté utilement en appel, le Comité note que le représentant
en justice de l'auteur devant la juridiction d'appel a concédé que l'appel
était sans fondement. Le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir qu'en
vertu du paragraphe 3 d) de l'article 14 la Cour devrait veiller à ce
que la conduite de la défense par l'avocat ne soit pas incompatible avec
l'intérêt de la justice. S'il n'appartient pas au Comité de contester
le jugement professionnel de l'avocat, il n'en considère pas moins qu'en
particulier dans une affaire où l'accusé a été condamné à mort, lorsque
le conseil concède que l'appel est sans fondement, la Cour devrait s'assurer
que l'intéressé a consulté l'accusé et l'a dûment informé. Dans le cas
contraire, la Cour doit veiller à ce que l'accusé soit informé et ait
la possibilité d'engager un autre conseil. Le Comité est d'avis qu'en
l'espèce l'auteur aurait dû être informé que l'avocat commis d'office
ne ferait valoir aucun moyen de défense à l'appui de son appel, ce qui
lui aurait donné la possibilité d'examiner les options dont il pouvait
disposer / Voir, entre autres, les constatations du Comité
concernant les communications Nos 461/1991 (Morrison and Graham
c. Jamaïque), adoptées le 25 mars 1996, par. 10.5, et 537/1993
(Kelly c. Jamaïque), adoptées le 17 juillet 1996, par. 9.5./.
Le Comité considère donc qu'il y a eu violation du paragraphe 3 d) de
l'article 14.
8.7 Le Comité considère que le fait de prononcer une condamnation à mort
à l'issue d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont
pas été respectées constitue une violation de l'article 6 du Pacte si
aucun autre recours contre ladite condamnation n'est possible. Dans le
cas de M. Morrison, la condamnation à mort définitive a été prononcée
sans que les garanties d'un procès équitable visées à l'article 14 du
Pacte aient été appliquées. Il faut donc en conclure que le droit protégé
par le paragraphe 2 de l'article 6 a aussi été violé.
8.8 L'auteur a affirmé que l'article 10 du Pacte a été violé car il n'a
pas reçu de soins médicaux contre la synovite dont il souffrait. L'État
partie a promis de mener une enquête sur cette allégation. Le Comité rappelle
qu'un État partie a l'obligation de mener des enquêtes sérieuses lorsqu'il
fait l'objet d'allégations dénonçant des violations du Pacte, formulées
dans le cadre de la procédure prévue dans le Protocole facultatif
/ Voir, entre autres, les constatations du Comité concernant la
communication No 161/1983 (Herrera Rubio c. Colombie), adoptées
le 2 novembre 1987./. En conséquence, les conclusions des enquêtes menées
doivent être communiquées au Comité de façon détaillée et sans délai excessif.
Le Comité est d'avis que, en dépit de la promesse qu'il a faite le 19
janvier 1996 d'enquêter sur l'allégation de privation de soins médicaux,
l'État partie ne lui a communiqué aucun renseignement complémentaire.
En conséquence, il convient de donner du crédit à l'allégation de l'auteur
affirmant qu'il a été privé de soins médicaux et le Comité considère que
la privation de soins médicaux en cause constitue une violation de l'article
10 du Pacte.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître des violations de l'article 7, des paragraphes
2 et 3 de l'article 9, des paragraphes 1 et 2 a) de l'article 10, et des
paragraphes 3 c), 3 d) et 5 de l'article 14 du Pacte.
10. Aux termes du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
a l'obligation de garantir à M. McCordie Morrison un recours utile entraînant
sa remise en liberté et une indemnisation. Il est tenu de veiller à ce
que des violations analogues ne se produisent pas à l'avenir.
11. En devenant partie au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu
au Comité compétence pour déterminer s'il y a eu ou non violation du Pacte.
La communication considérée a été soumise pour examen avant que la dénonciation
du Protocole facultatif par la Jamaïque ne prenne effet le 23 janvier
1998; celui-ci, selon le paragraphe 2 de l'article 12 dudit Protocole,
continue de lui être applicable. Aux termes de l'article 2 du Pacte, l'État
partie s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son
territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte
et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été
établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de
90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet
à ses constatations. L'État partie est invité à publier lesdites constatations.
____________
* Participants: Mr. Nisuke Ando, Mr. Prafullachandra N. Bhagwati, Mr.
Th. Buergenthal, Lord Colville, Mr. Omran El Shafei, Ms. Elizabeth Evatt,
Mr. Eckart Klein, Mr. David Kretzmer, Ms. Cecilia Medina Quiroga, Mr.
Fausto Pocar, Mr. Martin Scheinin, Mr. Roman Wieruszewski and Mr. Maxwell
Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]