Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 novembre 1999,
Ayant achevé l'examen de la communication No 666/1995 présentée par M. Frédéric Foin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Frédéric Foin, citoyen français, né en septembre 1966 et résidant actuellement à Valence (France). Il affirme être victime de violations, par la France, des articles 18, 19 et 26, lus conjointement avec l'article 8, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'auteur est représenté par Me François Roux, du cabinet Roux, LangnCheymol, Canizares, de Montpellier.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur, bénéficiaire du statut d'objecteur de conscience au service militaire, a été affecté à un service civil dans le parc naturel national de la Camargue, en décembre 1988. Le 23 décembre 1989, après avoir effectué exactement un an de service civil, il a quitté son lieu d'affectation. Il a invoqué le caractère, selon lui, discriminatoire du paragraphe 6 de l'article 116 du Code du service national, qui imposait aux objecteurs de conscience une durée de service national de deux ans, tandis que le service militaire n'excédait pas un an.
2.2 M. Foin a en conséquence été poursuivi devant le tribunal correctionnel de Marseille pour désertion en temps de paix, en application des articles 398 et 399 du Code de justice militaire. Condamné par défaut le 12 octobre 1990, il a fait opposition et le tribunal, siégeant à nouveau le 20 mars 1992, l'a condamné à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis et a ordonné le retrait de son statut d'objecteur de conscience (art. 116, par. 4, du Code du service national). Le tribunal a rejeté les arguments invoqués par l'auteur qui s'est fondé en particulier sur le paragraphe 3 b) de l'article 4 et les articles 9, 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.
2.3 Il a été fait appel de la décision du tribunal tant par le Procureur de la République que par l'auteur. Par arrêt en date du 18 décembre 1992, la cour d'appel d'AixnennProvence a annulé le jugement du 20 mars 1992, considéré comme insuffisamment motivé. Mais, statuant sur le fond, la cour d'appel a déclaré M. Foin coupable du délit de désertion en temps de paix et l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis.
2.4 Le 14 décembre 1994, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi déposé par l'auteur. La Cour a estimé que les dispositions pertinentes de la Convention européenne des droits de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne faisaient pas obstacle à ce que les objecteurs de conscience soient assujettis à un service national d'une durée supérieure à celle du service militaire, dans la mesure où il n'était pas porté atteinte à la jouissance ou à l'exercice de leurs libertés et de leurs droits fondamentaux.
Teneur de la plainte
3.1 Selon l'auteur, le paragraphe 6 de l'article 116 du Code du service national (dans sa rédaction de juillet 1983 qui fixait à 24 mois la durée du service civil) va à l'encontre des articles 18, 19 et 26 lus conjointement avec l'article 8 du Pacte, dans la mesure où il double la durée du service pour les objecteurs de conscience par rapport au service militaire.
3.2 Tout en prenant acte des constatations du Comité concernant la communication No 295/1988 1/1/ Järvinen c. Finlande, Constatations adoptées le 25 juillet 1990, par. 6.4 à 6.6., dans lesquelles celuinci avait estimé, dans une affaire similaire, qu'une durée prolongée du service de substitution par rapport au service militaire n'était ni déraisonnable ni répressive et n'avait constaté aucune violation du Pacte, l'auteur renvoie aux opinions individuelles de trois membres du Comité qui étaient jointes à ces constatations et dans lesquelles ceuxnci concluaient que la législation contestée ne reposait pas sur des critères raisonnables ou objectifs tels qu'une forme de service plus astreignante ni sur la nécessité d'une formation spéciale pour accomplir un service de durée plus longue. L'auteur fait siennes les conclusions contenues dans ces opinions individuelles.
3.3 L'auteur note que selon les paragraphes 2 à 4 de l'article L.116 du Code du service national, chaque demande pour l'obtention du statut d'objecteur de conscience doit être agréée par le Ministre chargé des armées. Un refus peut, en vertu du paragraphe 3 de l'article L.116, faire l'objet d'un recours devant le tribunal administratif. Dans ces conditions, on ne saurait, de l'avis de l'auteur, considérer que la longueur du service civil a été fixée pour des raisons de commodité administrative, dans la mesure où toute personne acceptant d'accomplir un service civil d'une durée double de celle du service militaire devrait être considérée comme sincère dans ses convictions. Il faut plutôt considérer que la durée du service civil comporte des éléments pénalisants qui ne reposent sur aucun critère raisonnable ou objectif.
3.4 À l'appui de ce qu'il affirme, l'auteur rappelle un arrêt de la Cour constitutionnelle italienne en date de juillet 1989, déclarant incompatible avec la Constitution italienne un service civil d'une durée supérieure de huit mois à celle du service militaire. Il rappelle également une décision adoptée en 1967 par le Parlement européen, dans laquelle ce dernier, se fondant sur l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, a déclaré que la durée du service de remplacement ne devrait pas être supérieure à celle du service militaire. En outre, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a déclaré que le service de remplacement ne devait pas revêtir le caractère d'une punition et que sa durée devait rester, par rapport à celle du service militaire, dans des limites raisonnables (recommandation No R(87)8 du 9 avril 1987). Enfin, l'auteur relève que la Commission des droits de l'homme de l'ONU a déclaré, dans une résolution adoptée le 5 mars 1987 2/2/ Document E/CN.4/1987/L.73 du 5 mars 1987., que l'objection de conscience au service militaire constituait un exercice légitime du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion reconnu par le Pacte.
3.5 En tout état de cause, il apparaît, selon l'auteur, qu'imposer un service civil d'une durée double de celle du service militaire constitue une discrimination fondée sur l'opinion, discrimination qui est interdite, et que la possibilité d'un emprisonnement pour refus d'accomplir un service civil d'une durée supérieure à celle du service militaire viole le paragraphe 2 de l'article 18, le paragraphe 1 de l'article 19 et l'article 26 du Pacte.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur concernant la recevabilité de la communication
4.1 L'État partie affirme en premier lieu l'incompatibilité ratione materiae de la communication avec les dispositions du Pacte, au motif que, d'une part, le Comité a reconnu dans sa décision sur la communication No 185/1984 (L.T.K. c. Finlande) 3/3/ L.T.K. c. Finlande, communication déclarée irrecevable le 9 juillet 1985. que "le Pacte ne contient aucune disposition stipulant le droit à l'objection de conscience; ni l'article 18, ni l'article 19 du Pacte, eu égard notamment au paragraphe 3 c) ii) de l'article 8, ne peuvent être interprétés comme impliquant un tel droit" et, d'autre part, qu'en vertu du paragraphe 3 c) ii) de l'article 8 du Pacte, la réglementation interne du service national, et donc du statut d'objecteur de conscience pour les États qui le reconnaissent, ne relève pas du domaine du Pacte et est laissée à la législation interne.
4.2 À titre subsidiaire, l'État partie conteste la qualité de victime de l'auteur. Au regard des articles 18 et 19 du Pacte, l'État partie fait valoir qu'en reconnaissant le statut d'objecteur de conscience et en offrant aux appelés la possibilité de choisir la forme de leur service national, il leur permet de choisir librement le service national adapté à leurs convictions, les mettant ainsi à même d'exercer les droits que leur reconnaissent les articles 18 et 19 du Pacte. À cet égard, l'État partie conclut, en citant la décision sur la communication No 185/1984 susmentionnée, que l'auteur, n'ayant pas été poursuivi et condamné pour ses convictions ou ses opinions en tant que telles mais parce qu'il avait déserté le service auquel il avait été affecté, ne saurait se prétendre victime d'une violation des articles 18 et 19 du Pacte.
4.3 Pour ce qui est de la violation présumée de l'article 26 du Pacte, l'État partie, notant que l'auteur se plaint d'une violation de cet article parce que la durée du service civil de remplacement est le double de celle du service militaire, fait valoir tout d'abord que "le Pacte, tout en interdisant la discrimination et en garantissant à toutes les personnes le droit à une égale protection de la loi, n'interdit pas toutes les différences de traitement", qui doivent "reposer sur des critères raisonnables et objectifs" 4/4/ Voir les constatations du Comité concernant la communication No 196/1985, Gueye c. France. Constatations adoptées le 3 avril 1989.. L'État partie souligne que la situation des appelés effectuant un service civil de remplacement est différente de celle des appelés qui effectuent le service sous la forme militaire, eu égard notamment aux contraintes plus lourdes dans l'armée. L'État partie cite les constatations du Comité concernant la communication No 295/1988 (Järvinen c. Finlande), dans lesquelles le Comité a estimé que la durée de 16 mois du service de substitution imposé aux objecteurs de conscience, comparée à celle de huit mois du service militaire, soit le double, n'était "ni déraisonnable, ni répressive". L'État partie conclut donc que la différence de traitement dont se plaint l'auteur repose sur le principe d'égalité, qui exige un traitement différent de situations différentes.
4.4 Pour tous ces motifs, l'État partie demande que la communication soit déclarée irrecevable par le Comité.
5.1 Concernant le premier argument de l'État partie quant à la compétence ratione materiae du Comité, l'auteur cite l'Observation générale du Comité sur l'article 18, selon laquelle le droit à l'objection de conscience "peut être déduit de l'article 18, dans la mesure où l'obligation d'employer la force au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la liberté de conscience et le droit de manifester sa religion ou ses convictions. Lorsque ce droit sera reconnu dans la législation ou la pratique, il n'y aura plus de différenciation entre objecteurs de conscience sur la base de la nature de leurs convictions particulières, de même qu'il ne s'exercera pas de discrimination contre les objecteurs de conscience parce qu'ils n'ont pas accompli leur service militaire" 5/5/ Observation générale No 22 (48), adoptée à la quarantenhuitième session du Comité, en juillet 1993.. Selon l'auteur, il ressort de ces remarques que le Comité est compétent pour déterminer s'il y a eu ou non violation du droit à l'objection de conscience découlant de l'article 18 du Pacte.
5.2 S'agissant de la violation présumée de l'article 26, l'auteur fait valoir que le fait d'imposer un service civil d'une durée double de celle du service militaire constitue une différence de traitement qui n'est pas fondée sur des "critères raisonnables et objectifs" et qui constitue donc une discrimination interdite par le Pacte (communication No 196/1985 précitée). À l'appui de cette conclusion, l'auteur argumente que rien ne justifie une durée double du service civil; en effet, et contrairement au cas de M. Järvinen (communication No 295/1988 précitée), la durée plus longue n'est pas justifiée par un allégement des procédures administratives d'obtention du statut d'objecteur de conscience, puisque selon les paragraphes 2 et 4 de l'article L.116 du Code du service national les demandes tendant à obtenir le statut d'objecteur de conscience doivent être agréées par le Ministre chargé des armées. Elle n'est pas plus justifiée par des raisons d'intérêt général. De plus, les objecteurs de conscience ne tirent aucun avantage ou privilège de leur statut, contrairement, par exemple, aux coopérants qui ont la possibilité de travailler à l'étranger dans un domaine professionnel correspondant à leurs qualifications universitaires pendant 16 mois (soit quatre mois de moins que le service civil pour les objecteurs de conscience), et la différence de traitement ne se justifie donc pas par ce motif.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 À sa soixantième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication.
6.2 Le Comité a pris note de l'argumentation de l'État partie concernant l'incompatibilité ratione materiae de la communication avec les dispositions du Pacte. À cet égard, le Comité a considéré que la question soulevée par la communication ne concernait pas une violation du droit à l'objection de conscience en tant que telle. Le Comité a estimé que l'auteur avait suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité, que sa communication pouvait soulever des questions au titre de dispositions du Pacte.
7. En conséquence, le 11 juillet 1997, le Comité a décidé que la communication était recevable.
Observations de l'État partie sur le fond
8.1 Dans une communication datée du 8 juin 1998, l'État partie déclare que la communication doit être rejetée, au motif que l'auteur n'a pas pu démontrer qu'il était une victime et que sa plainte est sans fondement.
8.2 Selon l'État partie, l'article L.116 du Code du service national, dans sa rédaction de juillet 1983, a institué un authentique droit à l'objection de conscience, dans la mesure où la sincérité des objections est réputée démontrée par le simple fait de demander le statut d'objecteur de conscience, à condition que cette demande soit présentée conformément aux dispositions prévues par la loi (c'estnàndire accompagnée d'une déclaration du requérant stipulant qu'il est opposé à l'usage personnel des armes). Lesdites objections ne donnent lieu à aucune vérification. Pour être acceptées, les demandes doivent être présentées avant le 15 du mois qui précède l'incorporation de l'intéressé. La demande ne peut être rejetée que si elle n'est pas motivée ou n'est pas présentée dans les délais fixés. Le requérant peut former un recours devant le tribunal administratif.
8.3 Depuis janvier 1992, la durée normale du service militaire en France est de 10 mois, sauf dans certains cas où elle est de 12 mois (service militaire des scientifiques) ou de 16 mois (service civil au titre de l'aide technique). Pour les objecteurs de conscience, la durée du service est de 20 mois. L'État partie dément que cette durée ait un caractère répressif ou discriminatoire. Selon ce dernier, c'est le seul moyen de contrôler le caractère sérieux des objections, dans la mesure où il n'existe plus aucune procédure administrative de vérification. Quand ils ont effectué leur service, les objecteurs de conscience ont les mêmes droits que ceux qui ont terminé le service national civil.
8.4 L'État partie informe le Comité qu'une loi portant réforme du service national a été adoptée le 28 octobre 1997. Selon cette loi tous les jeunes gens des deux sexes, âgés de 16 à 18 ans, sont tenus de participer à une journée de préparation à la défense. Il est prévu un service volontaire facultatif portant sur une période de 12 mois, qui peut être renouvelée jusqu'à atteindre une durée maximale de 60 mois. La nouvelle loi s'applique aux hommes nés après le 31 décembre 1978 et aux femmes nées après le 31 décembre 1982.
8.5 Selon l'État partie, le système régissant l'objection de conscience auquel l'auteur a été soumis était conforme aux dispositions des articles 18, 19 et 26 du Pacte ainsi qu'à l'Observation générale No 22 du Comité. L'État partie déclare que la réglementation applicable aux objecteurs de conscience n'établit aucune différence fondée sur la conviction et que les motivations des requérants ne font pas l'objet d'une vérification, comme c'est le cas dans de nombreux pays voisins. Les objecteurs de conscience ne sont soumis à aucune discrimination, puisque le service qu'ils accomplissent est une forme reconnue du service national se trouvant sur un pied d'égalité avec le service militaire ou d'autres formes de service civil. En 1997, près de 50 % des personnes accomplissant un service civil le faisaient en tant qu'objecteurs de conscience au service militaire.
8.6 L'État partie affirme que l'auteur de la présente communication n'a subi aucune discrimination pour avoir choisi d'effectuer le service national en tant qu'objecteur de conscience. Il note que l'auteur a été condamné pour n'avoir pas rempli ses obligations au titre du service civil qu'il avait librement choisi et que, jamais auparavant, il n'avait contesté la durée de ce service. S'il a été condamné, ce n'est pas pour ses convictions personnelles ni parce qu'il a choisi un service civil de substitution, mais parce qu'il a refusé de respecter les conditions propres à cette forme de service. À ce propos, l'État partie note que l'auteur aurait pu choisir une autre forme de service national non armé, comme l'aide technique. En conséquence, l'État affirme que l'auteur n'a pas établi sa qualité de victime d'une violation qu'aurait commise l'État partie.
8.7 À titre subsidiaire, l'État partie affirme que la plainte de l'auteur est sans fondement. À cet égard, l'État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, toutes les différences de traitement ne constituent pas une discrimination, dès lors qu'elles sont fondées sur des critères raisonnables et objectifs. À cet égard, l'État partie renvoie aux constatations adoptées par le Comité dans l'affaire No 295/1988 (Järvinen c. Finlande), où la durée du service était de 16 mois pour les objecteurs de conscience et de huit mois pour les autres appelés; or, le Comité avait constaté qu'il n'y avait pas eu violation du Pacte dans la mesure où la durée du service garantissait la sincérité des postulants au statut d'objecteur de conscience, puisque leurs objections n'étaient soumises à aucun autre contrôle. L'État partie affirme que le même raisonnement s'applique dans la présente affaire.
8.8 En l'espèce, l'État partie indique aussi que les conditions dans lesquelles s'effectue le service civil de remplacement sont moins contraignantes que celles du service militaire. Les objecteurs de conscience ont la possibilité de choisir entre un large éventail de postes; ils peuvent également proposer euxnmêmes leur employeur et effectuer leur service dans le domaine de compétence professionnelle. Ils sont également mieux rétribués que ceux qui servent dans les forces armées. À cet égard, l'État partie rejette l'affirmation du conseil selon laquelle les personnes qui effectuent leur service au titre de la coopération internationale bénéficient d'un traitement privilégié par rapport aux objecteurs de conscience; il affirme que le service de la coopération internationale s'effectue souvent à l'étranger dans des conditions très difficiles, alors que les objecteurs de conscience accomplissent leur service en France.
8.9 L'État partie conclut que la durée de service à laquelle l'auteur de la présente communication a été assujetti n'avait aucun caractère discriminatoire si on la compare à d'autres formes de service civil ou au service militaire. Les différences concernant la durée du service étaient raisonnables et reflétaient des différences objectives entre les formes de service. En outre, l'État partie fait valoir que la durée du service des objecteurs de conscience est plus longue que celle du service militaire dans la plupart des pays européens.
Observations du conseil
9.1 Dans ses observations, le conseil fait remarquer que le point controversé concerne les modalités du service civil des objecteurs de conscience. Il fait observer que la durée deux fois plus longue de ce service ne se justifie par aucune raison d'ordre public et, à cet égard, il renvoie au paragraphe 3 de l'article 18 du Pacte qui dispose que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publics, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui. Il renvoie également à l'Observation générale No 22 du Comité dans laquelle le Comité a déclaré qu'il ne pouvait pas être imposé de restrictions à des fins discriminatoires ou de façon discriminatoire. Il déclare que le fait d'imposer aux objecteurs de conscience un service civil d'une durée double de celle du service militaire constitue une restriction discriminatoire, dans la mesure où la manifestation d'une conviction, telle que le refus de porter les armes ne constitue pas en soi une atteinte à la sécurité, à l'ordre et la santé publics, à la morale ou aux droits et libertés fondamentaux d'autrui, puisque la loi reconnaît expressément le droit à l'objection de conscience.
9.2 Le conseil déclare que, contrairement à ce que l'État partie affirme, les personnes qui demandent à bénéficier du statut d'objecteur de conscience sont soumises à un contrôle administratif et n'ont pas la possibilité de choisir leurs conditions de service. Dans ce contexte, le conseil rappelle que la loi prescrit que la demande de statut doit être déposée avant le 15 du mois précédant l'incorporation et doit être motivée. Le Ministre chargé des armées peut donc rejeter cette demande, de sorte que le droit de bénéficier du statut d'objecteur de conscience n'est pas automatique. Il apparaît donc clairement, selon le conseil, que la motivation de l'objecteur de conscience est soumise à un contrôle.
9.3 Le conseil rejette l'argument de l'État partie selon lequel l'auteur luinmême a choisi en connaissance de cause la forme du service qu'il allait effectuer. Le conseil insiste sur le fait que l'auteur a fait son choix en fonction de ses convictions et non de la durée du service. Il n'avait pas le choix quant aux modalités d'exécution de ce service. Le conseil fait valoir qu'aucune raison d'ordre public ne justifie que la durée du service civil des objecteurs de conscience soit le double de celle du service militaire.
9.4 Le conseil maintient que la durée du service constitue une discrimination fondée sur l'opinion. Se référant aux constatations du Comité concernant la communication No 295/1988 (Järvinen c. Finlande), le conseil affirme que la présente affaire est différente car, dans le cas précédent, la durée supérieure du service se justifiait, de l'avis de la majorité des membres du Comité, par l'absence de procédure administrative d'agrément du statut d'objecteur de conscience.
9.5 En ce qui concerne les autres formes de service civil, notamment le service au titre de la coopération internationale, le conseil rejette l'argument de l'État partie selon lequel celuinci est souvent effectué dans des conditions difficiles et il affirme, au contraire, que les intéressés sont souvent envoyés dans un autre pays d'Europe où ils servent dans des conditions agréables. Par ailleurs, ceux qui effectuent un tel service acquièrent une expérience professionnelle. Selon le conseil, l'objecteur de conscience ne tire aucun avantage de son service. Quant à l'argument de l'État partie selon lequel la durée supérieure du service permet de vérifier si les objections de l'intéressé sont sérieuses, le conseil fait valoir qu'un tel contrôle, dans le cas des objecteurs de conscience, constitue en luinmême une discrimination flagrante, dans la mesure où la sincérité de ceux qui choisissent une autre forme de service civil ne fait l'objet d'aucune procédure de vérification. Pour ce qui est des avantages mentionnés par l'État partie (comme le fait de n'avoir pas à porter l'uniforme ou de n'être pas soumis à la discipline militaire), le conseil note que ceux qui effectuent d'autres formes de service civil jouissent des mêmes avantages, alors que la durée de leur service ne dépasse pas 16 mois. En ce qui concerne l'argument de l'État partie selon lequel les objecteurs de conscience reçoivent une rémunération supérieure à la solde perçue par ceux qui effectuent un service militaire, le conseil relève que les premiers travaillent dans des structures où ils sont considérés comme des salariés et qu'il est donc normal qu'ils reçoivent une certaine rémunération. Il fait observer que cette rémunération est faible par rapport au travail accompli et très inférieure à celle que perçoivent des salariés ordinaires. Selon le conseil, ceux qui effectuent leur service au titre de la coopération sont mieux payés.
Délibérations du Comité
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations mises à sa disposition par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
10.2 Le Comité a noté l'argument de l'État partie selon lequel l'auteur n'a été victime d'aucune violation car il n'a pas été condamné pour ses convictions personnelles mais pour avoir déserté le service qu'il avait librement choisi. Le Comité relève toutefois que l'auteur, au cours des procédures devant les tribunaux, a invoqué le droit à l'égalité de traitement entre les objecteurs de conscience et les appelés du service militaire pour justifier sa désertion, ce que les décisions des tribunaux mentionnent. Il note aussi l'argument de l'auteur selon lequel celuinci n'avait, en tant qu'objecteur de conscience au service militaire, aucune liberté de choix quant au service qu'il devait accomplir. Le Comité considère donc que l'auteur remplit les conditions nécessaires pour être considéré comme étant victime d'une violation aux fins du Protocole facultatif.
10.3 La question sur laquelle le Comité doit se prononcer est celle de savoir si les conditions spécifiques dans lesquelles l'auteur devait effectuer un service de remplacement constituaient ou non une violation du Pacte. Le Comité note, qu'en vertu de l'article 8 du Pacte, les États parties sont libres d'exiger d'un individu l'accomplissement d'un service de caractère militaire et, en cas d'objection de conscience, d'un service national de remplacement, à condition que ce service ne soit pas discriminatoire. Pour l'auteur, le fait que la législation française exige un service national de remplacement de 24 mois au lieu des 12 mois requis pour le service militaire, constitue une pratique discriminatoire et une violation du principe de l'égalité devant la loi et de l'égale protection de la loi qui est énoncé à l'article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa position selon laquelle l'article 26 n'interdit pas toutes les différences de traitement. Cela dit, comme il a eu l'occasion de l'affirmer à maintes reprises, toute différenciation doit être fondée sur des critères raisonnables et objectifs. En l'espèce, le Comité reconnaît que la loi et la pratique peuvent instituer des différences entre le service militaire et le service national de remplacement et que de telles différences, peuvent dans un cas particulier, justifier un service plus long à condition que la différenciation soit fondée sur des critères raisonnables et objectifs tels que la nature du service dont il est question ou la nécessité de subir un entraînement spécial pour pouvoir accomplir ce service. Toutefois, en l'espèce, les motifs invoqués par l'État partie ne sont pas fondés sur de tels critères ou mentionnent lesdits critères dans des termes généraux qui ne s'appliquent pas spécifiquement au cas de l'auteur, reposant plutôt sur l'argument selon lequel le doublement de la durée du service était le seul moyen de s'assurer de la sincérité des convictions de l'intéressé. Le Comité est d'avis qu'un tel argument ne remplit pas la condition selon laquelle la différence de traitement doit être fondée sur des critères raisonnables et objectifs. Dans ces circonstances, le Comité estime qu'il y a eu violation de l'article 26 dès lors que l'auteur a été victime d'une discrimination du fait de son objection de conscience.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il a été saisi révèlent une violation de l'article (des articles 18 et) 26 du Pacte.
12. Le Comité des droits de l'homme note avec satisfaction que l'État partie a modifié sa législation de telle sorte que des violations similaires ne se reproduiront plus. Dans les circonstances de la présente affaire, le Comité considère que la constatation de l'existence d'une violation constitue pour l'auteur une réparation suffisante.
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* Participants: Mr. Abdelfattah Amor, Mr. Nisuke Ando, Mr. Prafullachandra N. Bhagwati, Lord Colville, Ms. Elizabeth Evatt, Mr. Louis Henkin, Mr. Eckart Klein, Mr. David Kretzmer, Mr. Rajsoomer Lallah, Ms. Cecilia Medina Quiroga, Mr. Fausto Pocar, Mr. Martin Scheinin, Mr. Hipólito Solari Yrigoyen, Mr. Roman Wieruszewski et Mr. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]