Comité des droits de l'homme
Cinquante-huitième session
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- Cinquante-huitième session -
Communication No 671/1995
Présentée par : Jouni E. Länsman et consorts [représentés par
Au nom de : Les auteurs
Etat partie : Finlande
Date de la communication : 28 août 1995 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 octobre 1996,
Ayant achevé l'examen de la communication No 671/1995, présentée
au Comité par M. Jouni E. Länsman et consorts, en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par les auteurs de la communication, leur Conseil
et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication (datée du 28 août 1995) sont Jouni
E. Länsman, Jouni A. Länsman, Eino A. Länsman et Marko Torikka, tous membres
du Comité des éleveurs de Muotkatunturi. Les auteurs affirment être victimes
de la violation par la Finlande de l'article 27 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Les auteurs sont des Samis éleveurs de rennes; ils contestent l'intention
de la Direction centrale des forêts finlandaises d'autoriser l'exploitation
forestière et la construction de routes dans une partie du territoire
du Comité des éleveurs de Muotkatunturi, qui s'étend sur environ 3 000
hectares. Les membres dudit Comité occupent, dans le nord de la Finlande,
un territoire d'une superficie totale de 255 000 hectares, dont un cinquième
se prête au pacage d'hiver. Les 3 000 hectares en cause se trouvent à
l'intérieur des terres utilisées pour le pacage d'hiver.
2.2 Les auteurs font observer que la question de la propriété des terres
traditionnellement utilisées par les Samis n'est toujours pas réglée.
2.3 Les activités de la Direction centrale des forêts ont commencé fin
octobre 1994, mais ont été interrompues le 10 novembre 1994 par une injonction
de la Cour suprême de Finlande (Korkein oikeus). D'après les auteurs,
un représentant de la Direction centrale des forêts a déclaré dernièrement
qu'elles reprendraient avant l'hiver; ils se disent préoccupés par la
reprise des opérations d'exploitation forestière en octobre ou novembre
1995, car l'injonction prise par la Cour suprême a cessé d'avoir effet
le 22 juin 1995.
2.4 La région en litige se trouve à proximité du village d'Angeli, près
de la frontière norvégienne, de l'abattoir du Comité des éleveurs de Muotkatunturi
et de l'emplacement où chaque année les rennes sont rassemblés. Les auteurs
affirment qu'environ 40 % du nombre total de rennes que possède le Comité
paissent sur les terres en litige pendant l'hiver. Ils font observer que
cette région consiste en vieilles forêts inexploitées, c'est-à-dire que
le sol comme les arbres sont couverts de lichen; or le lichen convient
particulièrement bien aux jeunes rennes et peut servir au besoin d'aliment
de substitution aux rennes plus âgés en cas de conditions hivernales difficiles.
Les auteurs ajoutent qu'au printemps, les femelles mettent bas dans cette
région tranquille où rien ne vient les déranger.
2.5 Les auteurs notent que la rentabilité de l'élevage du renne ne cesse
de baisser et que les éleveurs de rennes samis de Finlande ont du mal
à demeurer compétitifs par rapport à leurs homologues suédois, car le
Gouvernement suédois subventionne la production de viande de renne. De
plus, les éleveurs de rennes samis traditionnels du nord de la Finlande
ont aussi du mal à se maintenir au niveau des producteurs de viande de
renne du sud du territoire sami qui parquent leurs troupeaux dans des
enclos et les nourrissent de foin, méthodes très différentes de celles,
naturelles, traditionnellement pratiquées par les Samis.
2.6 Les auteurs font observer que l'exploitation forestière n'est pas
la seule activité aux conséquences néfastes pour l'élevage sami du renne.
Ils reconnaissent que le différend porte sur une zone géographique bien
précise, l'exploitation forestière et la construction de routes dans la
région. Cependant, ils estiment qu'il faudrait prendre en considération,
lorsque l'on se penchera sur les faits de cette nouvelle cause, d'autres
activités qui touchent la totalité des terres traditionnellement utilisées
par les Samis, comme l'exploitation passée de carrières, et l'exploitation
forestière passée ou prévue, ainsi que toute activité minière future (pour
laquelle le Ministère du commerce et de l'industrie a déjà délivré des
autorisations). A ce propos, les auteurs renvoient à la communication
adressée le 28 juillet 1993 par la Direction centrale des forêts au tribunal
de première instance d'Inari (Inarin kihlakakunnanoikeus), par
laquelle la Direction exprimait son intention d'exploiter d'ici l'an 2005
un volume total de 55 000 mètres cubes de bois sur une superficie de 1
100 hectares de forêts situées dans la partie occidentale des terres de
pacage d'hiver du Comité. Ils font observer que l'exploitation forestière
n'a pas épargné d'autres régions des terres de pacage d'hiver, notamment
celle de Paadarskaidi, dans le sud-est.
2.7 Les auteurs rappellent que les Samis du nord de la Finlande se trouvent
dans une situation très difficile et que toute nouvelle mesure qui aurait
des effets néfastes sur l'élevage de rennes dans la région d'Angeli reviendrait
à refuser aux Samis de la région le droit de jouir de leur propre culture.
C'est pourquoi, ils invoquent le paragraphe 9.8 des constatations adoptées
au sujet de la communication No 511/1992, dans lesquelles ils voient un
avertissement adressé à l'Etat partie au sujet des nouvelles mesures qui
porteraient atteinte aux conditions de vie des Samis de la région.
2.8 Pour ce qui est de l'épuisement des voies de recours internes, les
auteurs ont déposé une plainte, en invoquant l'article 27 du Pacte, auprès
du tribunal de première instance d'Inari (Inarin kihlakunnanoikeus).
Ils ont demandé au tribunal d'interdire toute exploitation forestière
ou construction de routes dans une région géographique limitée. Le tribunal
a déclaré l'affaire recevable, mais a débouté les auteurs quant au fond
le 20 août 1993. Selon lui, les activités en litige auraient causé quelques
nuisances pendant un laps de temps limité, et seulement dans une faible
mesure.
2.9 Les auteurs ont alors saisi la cour d'appel de Rovaniemi (Rovaniemen
hovioikeus) qui, à l'issue d'une procédure orale, a rendu son jugement
le 16 juin 1994. Elle a estimé que les conséquences néfastes entraînées
par les activités en cause étaient beaucoup plus graves que ne le pensait
le tribunal de première instance. Cependant, deux des trois juges qui
siégeaient dans cette chambre sont parvenus à la conclusion que les conséquences
néfastes pour l'élevage du renne ne représentaient pas un "déni du
droit de jouir de sa culture" au sens de l'article 27 du Pacte. La
cour d'appel a estimé qu'il n'avait pas été démontré "que l'exploitation
forestière pratiquée sur les terres dont il était question dans la requête
ainsi que la construction de routes ... les priveraient du droit de jouir
en communauté avec d'autres membres de leur groupe, de la culture sami,
par la pratique de l'élevage du renne". Le troisième juge était d'une
opinion dissidente, faisant valoir que l'exploitation forestière et la
construction de routes devraient être interdites et qu'il fallait y mettre
un terme. Les auteurs ont demandé l'autorisation de faire appel devant
la Cour suprême (Korkein oikeus), faisant observer qu'ils ne trouvaient
rien à redire à l'établissement des faits par la cour d'appel et demandant
à la Cour suprême de ne revoir que le point de savoir si les conséquences
néfastes des activités en question revenaient à un "déni" des
droits qui leur étaient reconnus à l'article 27 du Pacte. Le 23 septembre
1994, sans prendre de mesures conservatoires, la Cour suprême a donné
aux auteurs l'autorisation de faire appel. Le 10 novembre 1994, elle a
malgré tout ordonné à la Direction centrale des forêts de suspendre les
activités qu'elle avait entreprises à la fin du mois d'octobre 1994. Le
22 juin 1995, la Cour suprême a confirmé sans réserve l'arrêt rendu par
la cour d'appel et retiré son injonction provisoire. Les auteurs soutiennent
qu'aucune autre voie de recours interne ne leur est ouverte.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs font valoir que les faits décrits violent les droits
qui sont les leurs aux termes de l'article 27 et invoquent les constatations
adoptées par le Comité dans les affaires Ivan Kitok c. Suède
(communication No 197/1985), Ominayak c. Canada (communication
No 167/1984) et Ilmari Länsman et consorts c. Finlande (communication
No 511/1992), ainsi que la Convention No 169 de l'OIT concernant les peuples
indigènes et tribaux dans les pays indépendants, l'observation générale
No 23 [50] du Comité concernant l'article 27 et le projet de déclaration
des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
3.2 Enfin, les auteurs qui déclarent que l'exploitation forestière et
la construction de routes pourraient reprendre en octobre ou novembre
1995, c'est-à-dire de façon imminente, demandent l'adoption de mesures
conservatoires conformément à l'article 86 du règlement intérieur, afin
d'éviter un préjudice irréparable.
Observations supplémentaires des parties
4.1 Le 15 novembre 1995, la communication a été transmise à l'Etat partie
conformément à l'article 91 du règlement intérieur du Comité. En application
de l'article 86 du règlement intérieur, l'Etat partie a été prié de s'abstenir
de prendre des mesures susceptibles de causer un préjudice irréparable
à l'environnement qui, selon les auteurs, représente quelque chose de
capital sur le plan de leur culture et de leurs moyens d'existence. L'Etat
partie a été prié, au cas où il contesterait en l'espèce le bien-fondé
de la demande l'invitant à prendre des mesures conservatoires, d'en informer
le Rapporteur spécial du Comité pour les nouvelles communications, en
motivant son point de vue. Le Rapporteur spécial réexaminerait alors s'il
est justifié de maintenir la demande formulée au titre de l'article 86.
4.2 Par une nouvelle communication du 8 décembre 1995, les auteurs notent
que la Division de la Laponie supérieure de la Direction centrale des
forêts a commencé l'exploitation forestière de la région visée dans la
présente communication le 27 novembre 1995. Les activités d'exploitation
doivent se poursuivre jusqu'à la fin du mois de mars 1996 : l'objectif
consiste à abattre environ 13 000 mètres cubes de bois. Du 27 novembre
au 8 décembre 1995, un millier de mètres cubes a été abattu sur une vingtaine
d'hectares. Vu la situation, les auteurs demandent au Comité de réitérer
sa requête au titre de l'article 86 et d'exhorter l'Etat partie à mettre
immédiatement fin à cette activité.
4.3 Par ailleurs, par une communication du 29 novembre 1995 adressée
au Comité, un groupe de forestiers samis de la région d'Inari qui gagnent
leur vie dans la foresterie et l'économie du bois, affirme que telle qu'elle
est pratiquée aujourd'hui, la foresterie ne porte pas atteinte
à l'élevage du renne et que l'une et l'autre activités peuvent être pratiquées
simultanément dans la même région. Cette appréciation a été confirmée
par la Cour suprême de Finlande dans un arrêt rendu le 22 juin 1995. Si
l'on devait interdire les activités forestières menées dans la région
d'Inari, l'égalité de traitement ne serait pas assurée aux deux groupes
de Samis.
4.4 Dans des observations datées du 15 décembre 1995, l'Etat partie soutient
que l'adoption de mesures conservatoires devrait être exceptionnelle et
intervenir uniquement en cas de violations graves des droits de l'homme
si le risque de préjudice irréparable est réel, par exemple lorsque la
vie ou l'intégrité physique de la victime est en jeu. De l'avis de l'Etat
partie, la présente communication ne fait pas apparaître de circonstances
donnant à penser qu'un préjudice irréparable pourrait être causé.
4.5 L'Etat partie note que la zone actuelle d'exploitation s'étend sur
254 hectares seulement sur une superficie totale de 36 000 hectares de
forêt domaniale, mise à la disposition du Comité de Muotkatunturi pour
l'élevage du renne. Cette région englobe notamment le Parc national de
Lemmenjoki qui, naturellement, échappe à toute exploitation forestière.
La zone dans laquelle s'opère cette exploitation consiste en plusieurs
sites de dimensions restreintes traités par "coupe d'ensemencement"
en vue d'une régénération naturelle. Les "zones de forêt vierge"
qui s'étendent entre les sites traités demeurent en l'état.
4.6 L'Etat partie relève que la Direction centrale des forêts a négocié
en temps voulu et avant d'entreprendre des activités d'exploitation forestière
avec l'Association d'élevage du renne de Muotkatunturi à laquelle appartiennent
également les auteurs; cette association ne s'était pas opposée aux plans
et au calendrier d'exploitation. Pour l'Etat partie, la lettre mentionnée
au paragraphe 4.3 illustre la nécessité de coordonner les intérêts divergents
qui se font jour en ce qui concerne le mode de vie de la minorité sami.
L'Etat partie fait enfin observer que plusieurs des auteurs ont pratiqué
l'exploitation forestière dans leurs propres forêts, ce qui prouverait
que l'exploitation forestière "n'aurait pas de conséquences néfastes"
dans la région considérée.
4.7 A la lumière de ces considérations, l'Etat partie estime que la requête
qui lui a été adressée en application de l'article 86 du règlement intérieur
ne se justifie pas en l'espèce et prie le Comité de la retirer. Cela dit,
il s'engage à ne pas élaborer de nouveaux plans d'exploitation forestière
dans la région en question et à diminuer de 25 % le volume actuel d'abattage
en attendant la décision finale du Comité.
4.8 L'Etat partie reconnaît que la communication est recevable et s'engage
à formuler ses observations quant au fond dans les meilleurs délais.
Décision du Comité concernant la recevabilité
5.1 A sa cinquante-sixième session, le Comité a examiné la question de
la recevabilité de la communication. Il a noté que l'Etat partie estimait
que la requête qu'il lui avait adressée concernant l'adoption de mesures
provisoires devait être retirée et que la communication satisfaisait à
tous les critères de recevabilité. Après s'être assuré que la communication
répondait bien aux critères stipulés aux articles 2 et 3 ainsi qu'aux
alinéas a) et b) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif,
il a décidé que la plainte des auteurs au titre de l'article 27 devait
être examinée quant au fond.
5.2 En conséquence, le 14 mars 1996, le Comité a déclaré que la communication
était recevable et a retiré sa demande d'adoption de mesures provisoires.
Observations de l'Etat partie quant au fond et commentaires du
conseil
6.1 Dans les explications qu'il a soumises en vertu du paragraphe 2 de
l'article 4 du Protocole facultatif, l'Etat partie complète et corrige
les faits présentés par les auteurs. Il rappelle qu'une portion de la
zone de pacage du Comité des éleveurs de Muotkatunturi fait partie du
Parc naturel de Lemmenkoji, une zone de forêts, où les pins prédominent,
qui se prête au pacage des rennes pendant l'hiver. A propos des consultations
qui se sont déroulées entre le Service national de la foresterie et des
parcs (ci-après dénommé le SNFP, l'ancienne Direction centrale des forêts)
et les éleveurs samis de la région, l'Etat partie note que les représentants
du SNFP ont pris contact avec le président de l'association des propriétaires
de troupeaux de rennes, J.S., qui, à son tour, a invité les représentants
du SNFP à une réunion extraordinaire du Comité des éleveurs de Muotkatunturi,
le 16 juillet 1993. Lors de cette réunion, la discussion a porté sur les
activités d'exploitation forestière prévues et des changements ont été
adoptés, à savoir le retour à l'utilisation des routes d'hiver et l'exclusion
de la partie septentrionale de la zone d'exploitation. On constate, d'après
les notes d'audience du tribunal d'instance d'Inari (28 juillet 1993),
que deux opinions ont été présentées lors de cette réunion, l'une en faveur
des auteurs et l'autre contre eux. Le Comité des éleveurs de Muotkatunturi
n'a pas fait de déclarations dirigées contre le SNFP.
6.2 L'Etat partie rappelle que certains Samis sont propriétaires de forêts
et pratiquent l'exploitation forestière et que d'autres sont employés
par le SNFP à des tâches liées à l'exploitation forestière. Il souligne
que la comparaison des superficies à abattre que font les auteurs ne donne
pas une bonne image de la réalité car elle ne tient pas compte des pratiques
d'exploitation. Il vaudrait mieux comparer les plans du SNFP avec les
plans d'exploitation des forêts privées de la région d'Angeli : ainsi,
les plans du SNFP prévoient l'exploitation de 900 ha jusqu'en l'an 2005
tandis que le plan régional des forêts privées de la région d'Angeli prévoit,
entre autres (pour les années 1994 à 2013), une régénération forestière
de 1 150 ha par la méthode d'ensemencement.
6.3 L'Etat partie rappelle que les plaintes des auteurs ont été examinées
dans le détail par les tribunaux nationaux (le Tribunal de première instance
d'Inari, la cour d'appel de Rovaniemi et la Cour suprême). A chaque degré
de juridiction, la justice a été saisie d'une documentation volumineuse,
sur la base de laquelle l'affaire a été examinée, entre autres à la lumière
de l'article 27 du Pacte. Les trois instances ont débouté les auteurs
de leur demande en se référant explicitement à l'article 27. L'Etat partie
ajoute que les autorités nationales n'ont jamais dérogé aux dispositions
de l'article 27 en appliquant la législation nationale et les mesures
en question.
6.4 Compte tenu de ce qui précède, l'Etat partie affirme que les auteurs,
qui ont reconnu devant la Cour suprême que la cour d'appel de Rovaniemi
avait correctement évalué les faits, demandent en fait au Comité d'examiner
et d'apprécier une nouvelle fois les faits à la lumière de l'article 27
du Pacte. Selon l'Etat partie, un juge national est beaucoup mieux placé
qu'un juge international pour examiner l'affaire sous tous ses aspects.
L'Etat partie ajoute que le Pacte a été incorporé dans la législation
finlandaise par une loi du Parlement et que ses dispositions sont directement
applicables devant toutes les autorités finlandaises. En conséquence,
rien ne sert de faire valoir, comme le font les auteurs, que les tribunaux
finlandais n'ont pas interprété les dispositions du Pacte et d'attendre
que le Comité se prononce sur "des cas limites et des faits nouveaux".
De même, l'argument des auteurs selon lequel l'interprétation de l'article
27 du Pacte par la Cour suprême et la cour d'appel est "minimaliste"
ou "passive", est infondé.
6.5 L'Etat partie reconnaît que la communauté sami constitue une communauté
ethnique au sens de l'article 27 du Pacte et que les auteurs, en tant
que membres de cette communauté, ont droit à être protégés en vertu de
ses dispositions. Ayant réexaminé la jurisprudence du Comité à propos
de l'article 27 du Pacte, y compris ses constatations dans les affaires
No 167/1984 (B. Ominayak et les membres de la bande du lac Lubicon
c. Canada), 197/1985 (Kitok c. Suède) et 511/1992
(I. Länsman c. Finlande), il reconnaît que la notion de
"vie culturelle" au sens de cet article englobe l'élevage du
renne en tant que composante essentielle de la culture sami.
6.6 L'Etat partie admet également que la notion de vie culturelle au
sens de l'article 27 comporte une certaine protection des moyens traditionnels
d'existence des minorités nationales dans la mesure où ils jouent un
rôle essentiel dans la culture et sont indispensables à sa survie.
Toutes les mesures ou leurs conséquences qui, d'une certaine manière,
modifient la situation antérieure, ne peuvent être interprétées comme
une entrave interdite au droit des minorités à jouir de leur propre vie
culturelle. Tel a été le raisonnement du Comité parlementaire du droit
constitutionnel qui a déclaré que, selon les obligations contractées par
la Finlande en vertu des conventions internationales auxquelles elle a
adhéré, l'élevage du renne auquel se livre les Samis ne devait pas faire
l'objet de restrictions évitables.
6.7 L'Etat partie évoque l'Observation générale du Comité sur l'article
27 / Observation générale 23 [50], adoptée en avril 1994./,
qui reconnaît que la protection des droits énoncés à l'article 27 vise
à assurer "la survie et le développement permanent de l'identité
culturelle, religieuse et sociale des minorités concernées" (par.
9). Il cite en outre l'argument invoqué par le Comité dans ses constatations
sur l'affaire No 511/1992 (I. Länsman et consorts. c. Finlande),
à savoir qu'il est compréhensible que les Etats parties souhaitent encourager
le développement économique ou autoriser des activités économiques et
que des mesures ayant un effet limité sur le mode de vie de personnes
appartenant à une minorité n'équivaudront pas nécessairement à une violation
de l'article 27. L'Etat partie fait observer que l'affaire à l'examen
est à maints égards semblable à l'affaire No 511/1992, en ceci 1) que
c'est de nouveau l'Etat partie qui est responsable des activités contestées,
2) que les mesures contestées n'ont qu'un effet limité, 3) que les activités
économiques et l'élevage du renne ont été pris en compte de manière équilibrée
et 4) que les tribunaux nationaux ont tenu compte des plans d'exploitation
forestière, anciens et futurs, pour se prononcer sur l'affaire.
6.8 En outre, l'Etat partie appelle l'attention sur la solution que la
Cour suprême de Norvège a adoptée dans une affaire comparable dont elle
avait été saisie par des Samis après que la construction d'un barrage
hydroélectrique eut provoqué la submersion d'une petite portion de terrain.
Là aussi, le point déterminant pour la Cour suprême avait été l'étendue
objective de l'atteinte portée aux intérêts des Samis de la région, et
celle-ci avait été jugée trop réduite pour soulever des questions de protection
d'une minorité au regard du droit international. Le raisonnement de la
Cour suprême avait été par la suite approuvé par la Commission européenne
des droits de l'homme. L'Etat partie conclut que, d'après la jurisprudence
du Comité, toutes les mesures imputables à l'Etat ne constituent pas nécessairement
un déni des droits énoncés à l'article 27; ce principe s'applique à l'affaire
à l'examen.
6.9 Toujours à propos de la thèse des auteurs, selon laquelle il n'est
pas possible de concilier différents droits et intérêts et selon laquelle
le droit des Samis à pratiquer l'élevage du renne devrait avoir la priorité
sur l'exercice d'autres droits, tels que le droit d'exploitation forestière,
l'Etat partie affirme qu'il est possible de prendre en compte à la fois
les intérêts de la foresterie et ceux de l'élevage du renne et de les
concilier, comme cela a d'ailleurs été fait, au moment de l'étude des
mesures de gestion forestière. C'est ainsi que procède généralement le
SNFP. Cette possibilité de conciliation, qui existe pour la région à laquelle
les auteurs font référence et dans l'ensemble de la région dans laquelle
l'élevage du renne est pratiqué, est importante car l'élevage du renne
est pratiqué dans toute la région habitée par les Samis. On notera que
le Comité a explicitement approuvé ce type de conciliation dans ses constatations
sur l'affaire No 511/1992 (par. 9.8), en notant que "pour être conformes
à l'article 27, les activités économiques menées ne [devaient] pas empêcher
les auteurs de continuer à élever le renne". L'Etat partie ajoute
que des mesures de gestion forestière peuvent souvent se révéler bénéfiques
pour l'élevage du renne et que de nombreux éleveurs pratiquent simultanément
l'élevage et la foresterie.
6.10 De l'avis de l'Etat partie, les auteurs ne font que saisir le Comité
de la question dont ils ont saisi auparavant les tribunaux nationaux,
c'est-à-dire la question de savoir quel est le "seuil" à partir
duquel les mesures prises dans les régions concernées doivent être considérées
comme équivalant à un "déni", au sens de l'article 27, du droit
des Samis de jouir de leur propre culture. Les tribunaux nationaux ont
estimé que les conséquences négatives que l'exploitation forestière et
la construction de routes avaient sur l'élevage du renne plaçaient ces
activités en dessous du seuil. De l'avis de l'Etat partie, les auteurs
n'ont pas fourni de motifs nouveaux qui permettraient au Comité d'apprécier
la question du "seuil" autrement que ne l'ont fait les tribunaux
nationaux.
6.11 Dans ce contexte, l'Etat partie déclare que s'il était donné de
la notion de "déni" au sens de l'article 27 une interprétation
aussi large que celle que lui donnent les auteurs, les éleveurs samis
seraient en droit de rejeter la moindre activité susceptible de gêner
l'élevage du renne : "Cette sorte de droit de veto sur des activités
légales, raisonnables et de faible ampleur, menées par des propriétaires
fonciers ou d'autres utilisateurs de la terre, serait donné simultanément
aux éleveurs de rennes et influerait notablement sur le système de prise
des décisions". En même temps, la législation régissant l'exploitation
des ressources naturelles ainsi que les plans existants concernant l'utilisation
du sol deviendraient "presque inutiles". Ceci, souligne l'Etat
partie, ne saurait être le but du Pacte et de son article 27. Il convient
en outre de noter que les Samis ayant le droit de pratiquer l'élevage
du renne ailleurs que dans les forêts domaniales, la décision que prendra
le Comité aura de graves répercussions sur la façon dont les terres appartenant
à des particuliers dans les régions d'élevage du renne sont utilisées
et exploitées.
6.12 De l'avis de l'Etat partie, le principe de la "participation
effective des membres des communautés minoritaires à la prise des décisions
les concernant" / Observation générale No 23 [50], par.
7./, sur lequel le Comité insiste et qu'il a réitéré dans ses constatations
dans l'affaire No 511/1992, a été pleinement appliqué dans l'affaire à
l'examen. La région dans laquelle coexistent et peut-être s'opposent des
intérêts liés à l'exploitation forestière et à l'élevage du renne fait
partie du territoire du Comité des éleveurs de Muotkatunturi (l'entité
juridique responsable des questions relatives à l'élevage du renne). L'Etat
partie et le Comité des éleveurs entretiennent des relations de négociation
dans le cadre desquelles les intérêts de la foresterie et ceux de l'élevage
du renne sont pris en compte à part égale. L'Etat partie précise que le
processus de négociations a été une expérience positive et qu'il garantit
aux Samis le droit de pratiquer l'élevage conformément à l'article 27.
Le SNFP est constamment en contact avec le Comité des éleveurs de Muotkatunturi,
dont les auteurs font partie.
6.13 L'Etat partie explique que l'élevage du renne a été en partie transformé
en une activité qui utilise les possibilités offertes par l'exploitation
forestière. Les éleveurs utilisent les routes construites pour l'exploitation
forestière : l'Etat partie rappelle que, dans les forêts privées de la
région du Comité des éleveurs de Muotkatunturi, des éleveurs de rennes
pratiquent l'exploitation forestière. Il note par ailleurs que la façon
dont les Samis exploitent la forêt n'est pas différente de la façon dont
procèdent les propriétaires de forêts privées. Si l'on compare la façon
dont l'exploitation forestière est pratiquée par le SNFP d'une part et
par les propriétaires de forêts privées et les Samis d'autre part, on
constate que le SNFP applique des méthodes plus douces. Par ailleurs,
l'abattage manuel est plus respectueux des intérêts de l'élevage du renne
que l'abattage pratiqué à la machine dans les forêts privées. Le SNFP
a l'intention de pratiquer l'abattage manuel qui est une méthode plus
naturelle que l'abattage mécanique qui a été pratiqué dans des forêts
privées de la région d'Angeli au cours de l'hiver 1993-1994. L'abattage
manuel est en outre plus proche du mode de vie traditionnel et de la culture
des Samis, sur lesquels il a par conséquent un effet moindre.
6.14 L'Etat partie conclut que les préoccupations des auteurs quant à
l'avenir de l'élevage du renne ont été prises en compte de manière appropriée
dans l'affaire à l'examen. Les activités d'abattage et les traces laissées
au sol auront des effets négatifs temporaires et limités sur les pâturages
d'hiver des rennes mais il n'a pas été démontré, de l'avis de l'Etat partie,
qu'elles produiront des dégâts importants et durables qui empêcheraient
les auteurs de poursuivre leurs activités d'élevage à l'échelle actuelle,
dans la région sur laquelle porte la communication. Les auteurs ne sont
donc pas privés de leur droit à jouir de leur propre culture au sens de
l'article 27 du Pacte.
7.1 Dans leurs commentaires, les auteurs notent tout d'abord que les
activités d'abattage dans la région de Pyhäjärvi, une partie de la région
sur laquelle porte leur plainte, ont cessé en mars 1996. Les conséquences
négatives de l'abattage sur l'élevage du renne se feraient sentir essentiellement
à long terme. Cependant, les auteurs et d'autres éleveurs de rennes ont
déjà observé que le renne ne pâturait ni dans les zones d'abattage ni
dans les zones de forêt vierge situées entre les zones d'abattage. Ainsi,
au cours de l'hiver 1996, une partie considérable des terres de pacage
d'hiver du Comité des éleveurs de Muotkatunturi ont été inaccessibles
aux rennes, occasionnant pour les éleveurs de rennes beaucoup de travail
et de dépenses supplémentaires par rapport aux années antérieures.
7.2 D'après les auteurs, certaines des conséquences négatives des activités
d'abattage ne se matérialiseront que dans plusieurs années ou même décennies.
Par exemple, si lors d'un hiver particulièrement rude, une solide couche
de glace empêche les rennes de se nourrir des lichens se trouvant sous
la neige, de nombreux animaux risquent de mourir de faim, car ils manqueront
de leur aliment naturel de substitution, c'est-à-dire les lichens qui
poussent sur les vieux arbres. Si des tempêtes font tomber les arbres
qui restent, des zones étendues risquent de se dénuder complètement, ce
qui réduira de manière permanente la superficie des terres de pacage d'hiver
utilisées par le Comité des éleveurs de Muotkatunturi.
7.3 Le conseil fait observer que l'élevage du renne étant peu rentable,
de nombreux éleveurs ont dû se mettre à la recherche de sources de revenu
supplémentaires. Ce phénomène s'est accéléré du fait que la plupart des
comités d'éleveurs ont été contraints de réduire leurs troupeaux en raison
du manque de terres de pacage et de la médiocrité des pâturages existants
et surutilisés. Dans ce genre de situation, les zones qui se prêtent au
pacage d'hiver sont véritablement une ressource essentielle, qui détermine
l'ampleur de la réduction des troupeaux appartenant à chacun des comités
d'éleveurs. Les auteurs eux-mêmes ont mis sur pied d'autres activités
productrices de recettes, en dehors de l'élevage des rennes, pour survivre.
Ils travaillent comme bouchers pour d'autres comités d'éleveurs, sont
employés par des particuliers propriétaires fonciers ou gèrent de petites
entreprises d'abattage dans leurs propres forêts privées. Tous cependant
préféreraient n'avoir que l'élevage du renne comme activité.
7.4 A propos de l'ampleur des opérations d'abattage déjà menées à bien,
le conseil a transmis quatre photographies, y compris des vues d'avion,
pour une bonne compréhension de la nature et de l'impact de l'abattage
: il reste très peu d'arbres dans des zones allant jusqu'à 20 hectares
et tous les vieux arbres, riches en lichens, ont été coupés.
7.5 Les auteurs rejettent comme étant fallacieuses les observations de
l'Etat partie concernant l'ampleur et la nature de l'exploitation forestière
car les 254 ha que mentionne l'Etat partie ne concernent que les opérations
d'exploitation déjà réalisées, cependant que le SNFP prévoit de poursuivre
ses activités d'exploitation dans la zone indiquée dans la plainte. Si
l'on regarde, par comparaison, ce qui s'est passé dans une zone plus étendue,
à Paadarskaidi, une autre partie de la zone de pacage d'hiver du Comité
des éleveurs de Muotkatunturion, on constate que les opérations d'exploitation
de longue durée et de grande ampleur qui y ont été menées ont eu des conséquences
alarmantes, les rennes ayant tout simplement abandonné cette zone. Les
auteurs contestent aussi les observations faites par l'Etat partie au
sujet des méthodes d'exploitation et font observer que la méthode dite
de coupe d'ensemencement est aussi mauvaise pour les troupeaux de rennes
car les animaux n'utilisent pas ce genre de forêts pour diverses raisons.
En outre, les semenciers risquent d'être emportés par des tempêtes et
la zone risque de perdre progressivement tous ses arbres.
7.6 Le conseil souligne que si deux des auteurs ont cherché de nouvelles
sources de revenu dans la foresterie, cela n'a pas été par choix et cela
ne signifie nullement que les activités forestières vont désormais faire
partie du mode de vie sami. Il critique l'Etat partie qui, dans ses observations,
utilise cet argument contre les auteurs au lieu de le prendre au sérieux
comme indicateur d'une évolution qui met en danger la culture et le mode
de vie sami. Il est tout à fait injustifié et éloigné de la réalité de
dire, comme le fait l'Etat partie, que l'abattage manuel est proche du
mode de vie traditionnel et de la culture des Samis.
7.7 Les auteurs soulignent tout particulièrement l'ampleur des différents
projets d'abattage dans la région. Sur les 255 000 ha qu'occupe au total
le Comité des éleveurs de Muotkatunturi, 36 000 environ sont des forêts
gérées par le SNFP. Les terres qui se prêtent le mieux au pacage d'hiver
sont situées dans ces régions gérées par l'Etat, au coeur des forêts.
Les forêts privées couvrent environ 14 600 ha et appartiennent à 111 propriétaires
distincts. La plupart des forêts privées ne dépassent pas 100 ha et sont
généralement situées le long des routes principales. Elles se prêtent
donc beaucoup moins bien au séjour des rennes que, par exemple, les zones
de pacage d'hiver qui sont désignées par les auteurs comme ayant une importance
stratégique.
7.8 Les auteurs contestent l'affirmation de l'Etat partie faisant état
d'une "participation effective" du Comité des éleveurs de Muotkatunturi
au processus de négociation. Ils disent au contraire qu'il n'y a pas eu
de négociation, ni véritablement de consultation des Samis de la région,
lorsque le Service national des forêts a établi ses plans d'exploitation.
Le Président du Comité des éleveurs de Muotkatunturi a tout au plus été
informé de ces plans. De l'avis des auteurs, les faits tels qu'ils
ont été établis par les tribunaux finlandais ne corroborent pas l'affirmation
de l'Etat partie. Par ailleurs, les Samis sont globalement insatisfaits
de la manière dont le Service national des forêts exerce son pouvoir en
tant que "propriétaire foncier". Le 16 décembre 1995, le Parlement
sami a examiné la question de savoir si et comment les Samis avaient été
consultés par le Service national des forêts à propos des plans d'exploitation
forestière. On peut lire, entre autres, dans la résolution qui a été adoptée
que "le Parlement sami estime que l'actuel système de consultation
entre la Direction nationale des forêts et les responsables de l'élevage
du renne ne fonctionne pas de manière satisfaisante...".
7.9 En ce qui concerne les activités d'exploitation dans la région d'Angeli,
les auteurs font observer que, comme l'Etat partie l'a lui-même reconnu
dans sa réponse, les "négociations" n'ont été entamées qu'après
que les auteurs eurent engagé une action en justice pour empêcher les
opérations d'exploitation prévues. Les Samis de la région ont eu connaissance
des plans d'abattage par hasard et c'est alors que les auteurs ont engagé
une procédure judiciaire. L'Etat partie parle de "négociations"
mais en fait les présidents des comités des éleveurs ont simplement été
invités à participer aux réunions annuelles de la Direction des forêts,
au cours desquelles ils ont été informés de plans d'exploitation à court
terme. Les auteurs soulignent que les Samis n'ont pas été véritablement
consultés. Les auteurs souhaiteraient avoir davantage d'influence dans
la prise des décisions concernant les activités d'exploitation forestière
sur leurs territoires et ils récusent la façon dont l'Etat partie présente
le processus de consultation en cours comme étant une expérience positive
(voir par. 6.12 ci-dessus).
7.10 En ce qui concerne l'argument de l'Etat partie, selon lequel les
auteurs cherchent en fait auprès du Comité une nouvelle appréciation des
faits déjà examinés à fond et dans les moindres détails par les tribunaux
nationaux, les auteurs affirment que la seule chose qu'ils attendent du
Comité, c'est une interprétation de l'article 27. Ils considèrent inopportunes
les observations de l'Etat partie quant au rôle du juge national (voir
par. 6.4 ci-dessus).
7.11 Quant aux observations de l'Etat partie (par. 6.7 ci-dessus), les
auteurs sont en grande partie d'accord avec les points où il est question
de la responsabilité du gouvernement dans le déni des droits des Samis
et de l'appréciation par les tribunaux locaux de toutes les activités
pertinentes ainsi que de leurs effets. Ils ne sont pas du tout d'accord
avec le deuxième point énoncé par l'Etat partie, à savoir que les mesures
décidées et exécutées n'ont qu'un impact limité. Dans la première affaire
Länsman, le Comité a pu limiter son évaluation finale aux activités
qui avaient déjà été exécutées. L'affaire actuelle porte non seulement
sur les activités d'exploitation qui ont déjà été faites mais aussi sur
toutes les activités futures concernant la zone géographique indiquée
dans la plainte. Ainsi les terres de pacage d'hiver dont il est question
dans l'affaire actuelle ont une importance stratégique pour les Samis
de la région : l'abattage des arbres provoque des dégâts durables ou permanents
pour les élevages de rennes, dégâts qui demeurent lorsque l'activité proprement
dite cesse. Ainsi, l'"effet limité" des opérations d'extraction
menées sur le mont Riutusvaara, qui avaient fait l'objet de la première
affaire / Constatations dans l'affaire No 511/1992 (I.
Länsman et consorts c. Finlande), adoptées le 26 octobre 1994./,
ne peut servir de référence pour régler la présente affaire, dans laquelle
les conséquences négatives des activités d'exploitation forestière sont
d'une toute autre ampleur.
7.12 Les auteurs ne sont pas non plus d'accord avec l'affirmation de
l'Etat partie, selon laquelle la nécessité de concilier les intérêts des
éleveurs et les activités économiques a été prise en compte et ils font
observer que les plans d'exploitation ont été établis sans la participation
des auteurs ou des Samis de la région en général.
7.13 Les auteurs contestent la façon dont l'Etat partie évalue les effets
des opérations d'exploitation forestière déjà réalisées sur leur aptitude
à poursuivre leurs activités d'élevage. Ils estiment que ce qui a été
fait et ce qu'il est envisagé de faire dans ce domaine les empêcheront
de continuer à tirer profit de l'élevage du renne. L'estimation optimiste
du gouvernement contraste avec celle de la cour d'appel de Rovaniemi qui
a reconnu que l'exploitation forestière provoquerait des dégâts considérables
et à long terme pour la population locale sami. Cependant, les tribunaux
nationaux n'ont pas interdit les activités d'exploitation prévues, car,
pour eux, une interdiction ne se justifierait, du point de vue de l'application
de l'article 27, que si les activités en cause entraînaient l'obligation
d'abandonner l'élevage du renne et non pas seulement l'impossibilité de
continuer à en tirer profit / Voir note 3, par. 9.8./.
7.14 Outre ce qui précède, les auteurs donnent des informations sur l'évolution
des droits des Samis en Finlande. Evolution positive si l'on considère
les amendements qui ont été apportés à la Constitution et la reconnaissance
officielle du Parlement sami mais négative et incertaine à d'autres égards,
c'est-à-dire pour ce qui concerne le bien-être économique des Samis qui
vivent essentiellement de l'élevage du renne et d'activités connexes.
Les auteurs font par ailleurs référence à une affaire qui est actuellement
pendante devant la Cour administrative suprême de Finlande et qui porte
sur des revendications minières émanant d'entreprises finlandaises et
étrangères sur des terres samis. La principale base juridique sur laquelle
se sont fondés les Samis pour faire appel au niveau administratif dans
cette affaire a été l'article 27 du Pacte; par une décision du 15 mai
1996, la Cour administrative suprême a annulé 104 demandes qui avaient
été auparavant approuvées par le Ministère du commerce et de l'industrie
et a renvoyé les entreprises devant le Ministère pour que leurs demandes
soient réexaminées. La décision sur le fond de l'affaire n'a pas encore
été rendue.
7.15 Les auteurs concluent que, d'une manière générale, l'exploitation
forestière à laquelle les autorités forestières de l'Etat partie ont déjà
procédé dans la zone indiquée dans la communication a eu "des conséquences
négatives immédiates pour les auteurs ainsi que pour l'ensemble des éleveurs
samis dans la région d'Angeli et pour le Comité des éleveurs de Muotkatunturi".
Toute exploitation future, programmée ou envisagée par l'Etat partie,
aura des conséquences néfastes considérables, durables, et même permanentes.
Pour les auteurs, cette conclusion est étayée par de nombreux documents
et a été confirmée par les jugements rendus dans cette affaire par la
cour d'appel de Rovaniemi et par la Cour suprême.
8.1 Dans des observations supplémentaires datées du 27 juin 1996, l'Etat
partie rejette les explications, à son avis infondées, des auteurs concernant
les conséquences économiques négatives pour l'élevage de l'exploitation
forestière dans certaines parties de la zone d'abattage. Il fait observer
à propos des pertes éventuelles de jeunes rennes après le rude hiver de
1996 que ces pertes sont dues à l'arrivée exceptionnellement tardive du
printemps et à la persistance d'une couche épaisse de neige sur le sol
pendant une période de temps anormalement longue. La situation a été la
même dans l'ensemble de la zone d'élevage de rennes et comme on s'attend
à des pertes dans toute cette zone, on a augmenté en conséquence les quantités
d'aliments complémentaires fournis aux rennes. L'Etat partie fait observer
que ce ne sont pas les mesures liées à l'exploitation forestière mais
l'ampleur de l'élevage de rennes qui a rendu nécessaire une réduction
des troupeaux; le surpâturage constant des zones de pacage est un fait
bien connu. Enfin, l'Etat partie considère "qu'il va de soi"
que la coupe d'ensemencement sélective est une méthode d'abattage plus
douce que la coupe à blanc.
8.2 En ce qui concerne les activités forestières menées par les auteurs
eux-mêmes, l'Etat partie note que les propriétaires privés sont seuls
responsables de l'exploitation de leurs propres forêts. On aurait du mal
à comprendre que des propriétaires de rennes pratiquent l'exploitation
forestière si celle-ci avait pour l'élevage du renne et pour la culture
sami des conséquences aussi néfastes que les auteurs le prétendent.
8.3 L'Etat partie réaffirme, encore une fois, que le processus de consultation
dans le cadre duquel les associations d'élevage du renne ou les éleveurs
de rennes participent aux décisions les concernant est bien réel. La question
même de la "participation effective" a été débattue lors d'une
réunion entre le SNFP, l'Association des comités d'éleveurs et différents
comités d'éleveurs, le 19 février 1996, à Ivalo. Lors de cette réunion,
le système de négociation décrit par l'Etat partie dans les observations
qu'il a présentées au titre de l'article 4 2) du Protocole facultatif
a été jugé utile. L'Etat partie soutient également que contrairement à
ce qu'affirment les auteurs, le Comité des éleveurs de Muotkatunturi n'a
pas réagi de manière négative aux plans d'exploitation initialement
soumis par le SNFP. L'Etat partie regrette que les auteurs ne se réfèrent
généralement qu'à certaines parties seulement de ses observations
et commentaires, déformant ainsi le sens des remarques du Gouvernement
finlandais.
8.4 Quant aux effets des activités forestières sur la pratique de l'élevage
du renne par les auteurs, l'Etat partie rappelle de nouveau l'argumentation
de la cour d'appel de Rovaniemi, qui a conclu qu'il n'avait pas "été
prouvé que les activités forestières menées sur les terres visées dans
la requête et la construction de routes pour toutes autres raisons mentionnées
par [les auteurs] empêcheraient ces derniers de jouir, en commun avec
les autres membres de leur groupe, de la culture sami par la pratique
de l'élevage du renne". Pour l'Etat partie, cette conclusion est
tout à fait compatible non seulement avec les dispositions de l'article
27 du Pacte mais aussi avec les paragraphes 9.6 et 9.8 des constatations
du Comité dans la première affaire Länsman : en conséquence, ces
mesures n'occasionnent pas de dégâts importants et durables qui empêcheraient
les auteurs de poursuivre leurs activités d'élevage du renne, même temporairement.
9.1 Dans de nouveaux commentaires en date du 1er juillet 1996, les auteurs
s'élèvent contre certaines des observations de l'Etat partie mentionnées
au paragraphe 8.1 ci-dessus. Ils contestent en particulier l'affirmation
du gouvernement selon laquelle la coupe d'ensemencement sélective serait
une méthode d'abattage plus douce que la coupe à blanc et font valoir
que compte tenu des conditions climatiques extrêmes de la région en question,
la "coupe sélective" qui ne laisse pas plus de 8 à 10 arbres
par hectare, a les mêmes conséquences que la coupe à blanc. En outre,
l'effet négatif est le même sur l'élevage du renne en raison de l'impact
croissant des tempêtes qui risquent de faire tomber les arbres qui restent.
9.2 Les auteurs font valoir que la seule conclusion à tirer de l'argument
avancé par le gouvernement, selon lequel les effets de la coupe sélective
sont moindres que ceux de la coupe à blanc, devrait être qu'avant d'entreprendre
de nouvelles activités d'exploitation forestière dans la zone en question,
il faudrait attendre que des études objectives et scientifiques aient
démontré que la forêt de la région déjà exploitée - la région de Pyhäjärvi
- a été régénérée. Ils notent en outre que le gouvernement fait manifestement
erreur lorsqu'il dit que "l'abattage ne concerne pas la zone de pacage
d'hiver de Pyhäjärvi" étant donné que la région déjà exploitée est
désignée sous le nom de "Pyhäjärvi" par le SNFP lui-même et
est située dans la zone de pacage d'hiver du Comité des éleveurs de Muotkatunturi.
9.3 En ce qui concerne la question de la "participation effective",
les auteurs soutiennent que des réunions telles que la réunion du 19 février
1996 mentionnée par l'Etat partie (voir par. 8.3 ci-dessus) ne
constituent pas un moyen approprié de participation effective.
Le Parlement sami l'a de nouveau confirmé le 14 juin 1996 lorsqu'il a
redit que le SNFP ne coopèrait pas de manière satisfaisante avec les comités
d'éleveurs. Les auteurs nient avoir déformé de quelque façon que ce soit
le sens des observations antérieures de l'Etat partie, des conclusions
de la cour d'appel de Rovaniemi ou des constatations du Comité dans la
première affaire Länsman.
Examen quant au fond
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations fournies par les parties,
conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif. La
question sur laquelle il doit se prononcer est de savoir si les activités
d'exploitation forestière dans une zone couvrant approximativement 3 000
ha du territoire du Comité des éleveurs de Muotkatunturi (dont les auteurs
font partie) - celles qui ont déjà été menées et celles qui sont prévues
- violent les droits que l'article 27 du Pacte confère aux auteurs.
10.2 Il n'est pas contesté que les auteurs appartiennent à une minorité
au sens de l'article 27 et, à ce titre, ont le droit de jouir de leur
propre culture. En outre, il n'est pas contesté que l'élevage du renne
constitue un élément essentiel de leur culture; le fait que certains des
auteurs se livrent à d'autres activités économiques pour avoir un revenu
supplémentaire ne change rien à cette conclusion. Le Comité rappelle que
des activités économiques peuvent relever de l'article 27 si elles constituent
un élément essentiel de la culture d'une communauté ethnique /
Voir les constatations relatives à l'affaire No 197/1985 (Kitok
c. Suède), adoptées le 27 juillet 1988, par. 9.2, ainsi que les
constatations relatives à l'affaire No 511/1992 (I. Länsman et consorts
c. Finlande), adoptées le 26 octobre 1994, par. 9.1./.
10.3 L'article 27 dispose qu'un membre d'une minorité ne peut être privé
du droit de jouir de sa propre culture. Les mesures dont l'effet équivaut
à un déni de ce droit sont incompatibles avec les obligations contractées
au titre de l'article 27. Cependant, ainsi que le Comité l'a noté dans
ses constatations dans l'affaire No 511/1992, des mesures ayant un certain
effet limité sur le mode de vie et les moyens d'existence de personnes
appartenant à une minorité n'équivaudront pas nécessairement à un déni
des droits énoncés à l'article 27.
10.4 La question essentielle qui se pose dans l'affaire à l'examen est
de savoir si les activités d'exploitation qui ont déjà été menées dans
la zone indiquée dans la communication, de même que celles qui ont été
approuvées pour l'avenir et qui dureront un certain nombre d'années, sont
d'une ampleur telle qu'elles privent les auteurs du droit de jouir de
leur culture dans cette région. Le Comité rappelle les termes du paragraphe
7 de son Observation générale sur l'article 27, selon lequel les minorités
ou groupes autochtones ont droit à la protection de leurs activités traditionnelles
telles que la chasse, la pêche ou l'élevage du renne, et que des mesures
doivent être prises "garantissant la participation effective des
membres des communautés minoritaires à la prise des décisions les concernant".
10.5 Après avoir attentivement examiné les documents dont il a été saisi
par les parties et notant que celles-ci ne sont pas du même avis quant
aux effets à long terme des activités d'exploitation déjà menées ou prévues,
le Comité n'est pas en mesure de conclure que ces activités constituent
un déni du droit des auteurs à jouir de leur propre culture. Le fait que
le Comité des éleveurs de Muotkatunturi, dont les auteurs font partie,
a été consulté au moment où les plans d'abattage ont été établis
est incontesté; lors de la consultation, le Comité des éleveurs de Muokkatunturi
ne s'est d'ailleurs pas opposé aux projets d'exploitation forestière.
Le fait que le processus de consultation ait été jugé insatisfaisant pour
les auteurs et qu'il aurait pu donner lieu à des échanges plus approfondis
ne change pas l'appréciation du Comité. Il apparaît que les autorités
de l'Etat partie ont effectivement tenu compte à la fois des intérêts
des auteurs et des intérêts économiques généraux de la région sur laquelle
porte la plainte lorsqu'ils ont décidé des mesures les meilleures à prendre
en matière de gestion forestière, concernant notamment les méthodes d'abattage,
le choix des zones à exploiter et la construction de routes d'accès. Les
tribunaux nationaux ont spécifiquement examiné la question de savoir si
les activités prévues constituaient un déni des droits énoncés à l'article
27. Sur la base des éléments dont il dispose, le Comité n'est pas en mesure
de conclure que les effets des projets d'exploitation forestière seraient
tels qu'ils puissent constituer un déni des droits des auteurs au titre
de l'article 27 ni que la décision de la cour d'appel, confirmée par la
Cour suprême, revenait à interpréter à tort l'article 27 du Pacte.
10.6 En ce qui concerne les travaux d'exploitation forestière futurs,
le Comité fait observer que d'après les informations dont il dispose,
les autorités forestières de l'Etat partie ont approuvé des opérations
d'abattage dont l'ampleur, si elle entraîne un travail et des dépenses
supplémentaires pour les auteurs et d'autres éleveurs de rennes, ne menace
pas la survie de l'élevage du renne. Si l'élevage du renne est une activité
peu rentable, ce n'est pas, d'après les informations disponibles, parce
que l'Etat partie encourage d'autres activités économiques dans la région
concernée, mais en raison de facteurs économiques autres.
10.7 Le Comité estime que dans le cas où des plans d'abattage de plus
grande ampleur devaient être approuvés pour les années à venir dans la
région concernée, ou s'il pouvait être démontré que les effets des plans
d'abattage déjà prévus étaient plus graves que ce que l'on peut prévoir
aujourd'hui, il y aurait peut-être lieu de poser la question de savoir
s'il y aurait violation du droit des auteurs de jouir de leur propre culture
au sens de l'article 27. A la lumière de communications antérieures, le
Comité sait que d'autres exploitations de grande envergure ayant des effets
sur le milieu naturel, sont prévues ou ont déjà commencé dans la zone
habitée par les Samis (par exemple, l'exploitation de carrières). Si,
dans la présente communication, le Comité a conclu que les faits ne faisaient
pas apparaître de violation des droits des auteurs, il estime en revanche
important de faire observer que l'Etat partie doit être conscient, lorsqu'il
prend des mesures susceptibles de toucher aux droits consacrés à l'article
27 que, bien que certaines activités puissent ne pas constituer en soi
une violation de cet article, prises ensemble, ces activités peuvent porter
atteinte aux droits des Samis de jouir de sa propre culture.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques estime que les faits dont il est
saisi ne font apparaître aucune violation de l'article 27 du Pacte.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]