Comité des droits de l'homme
Soixante-cinquième session
22 mars - 9 avril 1999
ANNEXE*
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Soixante-cinquième session -
Communication No 673/1995
Présentée par : Franklyn Gonzales (représenté par Barlow Lyde
& Gilbert, cabinet d'avocats à Londres)
Au nom de : L'auteur
État partie : Trinité-et-Tobago
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 mars 1999,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Franklyn Gonzales, citoyen trinidadien.
Il affirme être victime d'une violation par la Trinité-et-Tobago des articles
7 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par Barlow Lyde & Gilbert, cabinet d'avocats à Londres.
Après avoir été condamné à la peine de mort, l'auteur a bénéficié d'une
commutation de peine.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 17 avril 1989, l'auteur a été reconnu coupable du meurtre (en
mai 1985) d'une certaine Indra Gajadhar et condamné à mort par la cour
d'assises de San Fernando. La cour d'appel de la Trinité-et-Tobago a rejeté
son recours le 30 mars 1994. Le Conseil privé a rejeté sa demande d'autorisation
spéciale de recours le 12 décembre 1994. Il dit avoir ainsi épuisé tous
les recours internes disponibles.
2.2 L'accusation a fondé son réquisitoire sur les dépositions de deux
témoins oculaires. Cecilia de Leon (la belle-soeur de la défunte) et David
Ballack (un ami de la défunte et de Mme de Leon) étaient assis à 30 mètres
environ de l'endroit où le crime a été commis. Ils ont dit qu'ils avaient
vu Mme Gajadhar arriver chez elle et que M. Gonzales, apparu de derrière
sa maison, l'avait attaquée sans qu'il y ait eu au préalable de dispute
ou de provocation. Il ressort de l'expertise médicale que Mme Gajadhar
avait subi plusieurs blessures et qu'elle avait été décapitée.
2.3 Il y a un certain nombre d'incohérences entre la déposition que M.
Ballack a faite lors du procès et sa déposition initiale, dans laquelle
il a dit qu'il avait vu M. Gonzales en train d'arroser ses piments dans
son jardin et qu'il y avait des rames de pois d'Angola entre l'endroit
où il était assis et l'endroit où le crime avait été commis. Lors du procès,
il a dit qu'il ne se souvenait pas avoir dit que l'auteur était en train
d'arroser ses piments dans son jardin, et que les rames de pois étaient
en fait entre la maison de la défunte et celle de l'auteur, de sorte qu'il
n'avait pas été empêché de voir le crime.
2.4 La défense a plaidé la légitime défense et la réaction à des provocations.
L'auteur a affirmé que Mme Gajadhar lançait à sa famille des obscénités
et des insultes raciales, qu'elle avait jeté des pierres contre le mur
de sa maison alors que sa femme et son nouveau-né se trouvaient seuls
et qu'elle avait délibérément coupé son tuyau d'arrosage.
2.5 L'auteur prétend que Mme Gajadhar était rentrée de son travail -
elle faisait la récolte du cacao - en portant un "swipper" (coutelas
de récolteuse), son sac à main et une bouteille d'eau. Dans la déclaration
qu'il a faite, sans avoir prêté serment, au banc des accusés, M. Gonzales
a dit que lorsqu'il était allé lui demander des explications sur les jets
de pierres, Mme Gajadhar l'avait insulté verbalement et menacé avec son
coutelas, lui faisant plusieurs entailles à la main. Il était rentré chez
lui, avait saisi son propre coutelas, était retourné dehors et s'était
battu avec elle. Il reconnaît l'avoir frappée plusieurs fois et qu'elle
en était morte.
2.6 L'auteur s'est livré au policier arrivé sur les lieux du crime le
17 mai 1985. Il a été placé en garde à vue, a fait une déclaration complète
et a été dûment informé de son droit de garder le silence.
2.7 Il y a plusieurs incohérences entre la déposition que l'auteur a
faite sans avoir prêté serment, au banc des accusés, et la déclaration
qu'il a faite à la police. Dans sa déclaration, il n'a pas mentionné l'affrontement
qu'il avait eu avec Mme Gajadhar lorsqu'il avait voulu savoir pourquoi
elle lançait des pierres sur les murs de sa maison; il a dit qu'elle avait
insisté pour savoir ce qu'il était en train de regarder lorsqu'elle était
rentrée chez elle et qu'à ce moment-là il était allé chercher son coutelas
et avait commencé à se battre avec elle. L'auteur n'a pas dit avoir d'abord
été attaqué par Mme Gajadhar. Par contre, il a dit qu'il avait ensuite
mis le feu aux rideaux de la défunte. L'auteur prétend que ces incohérences
proviennent du fait que le brigadier-chef Ramdath n'a pas enregistré tous
les détails de sa déclaration. Aucun juge de paix n'était présent et personne
n'a dit à l'auteur qu'il pouvait demander qu'un conseil soit présent pendant
son interrogatoire.
2.8 Un psychiatre, le docteur Iqbal Ghany, a témoigné à la décharge de
l'accusé en disant que l'auteur avait une personnalité compulsive et qu'il
souffrait d'un syndrome de stress post-traumatique et de dépression réactionnelle.
Il a ajouté que l'auteur avait été blessé à la tête lors d'un accident
de voiture en 1979 et que cela, lié à un état dépressif réactionnel, pouvait
l'amener à perdre rapidement la maîtrise de lui-même.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil affirme que l'auteur est victime d'une violation du paragraphe
1 de l'article 14 du Pacte parce que la cour d'appel n'a pas rectifié
les mauvaises instructions données par le juge du fond au jury sur plusieurs
points :
a) Le juge du fond a indiqué au jury qu'en examinant le point de savoir
si c'était à cause de provocations que l'auteur avait perdu la maîtrise
de lui-même, il devrait se demander si ces dernières avaient été suffisantes
pour inciter un homme raisonnable à agir de la sorte et qu'il devrait
tenir compte de tout ce qui avait été dit ou fait. Toutefois, le juge
a omis d'indiquer aux jurés que l'"homme raisonnable" auquel
ils devraient comparer la conduite de l'auteur devrait être un individu
souffrant des mêmes troubles de la personnalité et possédant les mêmes
caractéristiques raciales que l'auteur.
b) Le juge du fond a fait une erreur en admettant comme élément de preuve
la partie de la déclaration de l'auteur, dans laquelle celui-ci a dit
qu'il était retourné dans la maison de la défunte et avait mis le feu
aux rideaux. Le conseil déclare que l'effet préjudiciable de cet acte
l'a emporté sur sa valeur de preuve.
c) Le juge du fond a eu tort de dire au jury, en commentant la suggestion
du conseil selon laquelle le brigadier-chef Ramdath aurait omis une partie
de sa déclaration officielle à la police, que l'auteur avait choisi de
faire une déclaration sans prêter serment, au banc des accusés, plut_t
que de faire une déclaration sous serment et d'être soumis à un contre-interrogatoire.
Le juge du fond a mentionné les sanctions auxquelles s'exposait le brigadier-chef
Ramdath si les allégations de l'auteur étaient vraies. Ceci aurait incité
le jury à croire le brigadier-chef Ramdath plut_t que l'auteur.
3.2 Le conseil fait observer que l'auteur a été détenu dans le quartier
des condamnés à mort depuis sa condamnation, il y a plus de six ans. Il
est fait référence à la décision de la section judiciaire du Conseil privé
dans l'affaire Pratt et Morgan / Earl Pratt et Ivan
Morgan c. Attorney-General of Jamaica; Conseil privé, appel
No 10 de 1993, décision rendue le 2 novembre 1993./. De l'avis du conseil,
le séjour prolongé de l'auteur dans le quartier des condamnés à mort constitue
une violation de l'article 7 du Pacte et son exécution après une période
aussi longue constituerait une violation de l'article 7.
Délibérations du Comité
4.1 La communication a été transmise le 12 janvier 1996 à l'État partie
qui a été invité à présenter au Comité, le 12 mars 1996 au plus tard,
tout élément intéressant la recevabilité de ladite communication. Le 4
octobre 1996, l'État partie a informé le Comité que la peine de mort prononcée
contre l'auteur avait été commuée en peine de 75 ans d'emprisonnement
avec travaux forcés. Aucune observation concernant la recevabilité de
la communication n'a été reçue en dépit d'un rappel adressé à l'État partie
le 20 novembre 1997.
4.2 Le Comité rappelle qu'il est implicite dans le Protocole facultatif
que les États parties doivent communiquer au Comité toutes les informations
dont ils disposent et il regrette le manque de coopération de la part
de l'État partie.
5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2 En ce qui concerne l'argument de l'auteur selon lequel les instructions
données par le juge aux jurés ont été défectueuses, le Comité renvoie
à sa jurisprudence et réaffirme qu'il n'appartient pas généralement au
Comité mais aux juridictions d'appel des États parties d'examiner les
instructions données au jury par le juge du fond, sauf s'il peut être
établi qu'elles ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un
déni de justice. Les éléments qui ont été portés à la connaissance du
Comité et les allégations de l'auteur ne montrent pas que les instructions
du juge du fond ou la conduite du procès ont été entachées de telles irrégularités.
En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable étant
donné que l'auteur n'a pas fait valoir une violation au sens de l'article
2 du Protocole facultatif.
5.3 S'agissant du grief de l'auteur selon lequel la période de sept ans
qu'il a passée dans le quartier des condamnés à mort constituait une violation
de l'article 7 du Pacte, le Comité renvoie à sa jurisprudence / Voir communication
No 558/1994 (Erroll Johnson c. Jamaïque), constatations
adoptées le 22 mars 1996./ selon laquelle la détention dans de telles
conditions pendant un certain temps ne constitue pas en soi une violation
du Pacte en l'absence d'autres circonstances impérieuses. Dans le cas
d'espèce, l'auteur n'a pas invoqué pour étayer sa plainte d'autres motifs
que la durée de la période passée dans le quartier des condamnés à mort.
Cette partie de la communication est donc irrecevable au titre de l'article
2 du Protocole facultatif.
6. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.
_______________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Thomas Buergenthal,
Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer,
M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin
Sheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Abdallah
Zakhia./