Comité des droits de l'homme
Soixante-dix--huitième session
21 octobre - 8 novembre 1996
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Soixante-dix-huitième session -
Communication No 674/1995
Présentée par : Lúdvík Emil Kaaber
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Islande
Date de la communication : 12 octobre 1995 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 5 novembre 1996,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Lúdvík Emil Kaaber, citoyen islandais
résidant à Reykjavik (Islande). L'auteur affirme être victime de violations
par l'Islande des articles 2 et 26 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur travaille, à titre indépendant, comme traducteur et avocat
à Reykjavik.
2.2 En tant que travailleur indépendant, l'auteur est tenu, conformément
aux lois fiscales islandaises, de déclarer comme revenu un montant comparable
à ce qu'il aurait gagné pour un travail analogue en tant qu'employé. Selon
l'article 4 de la loi No 55/1980, tout travailleur indépendant doit verser
"au moins 10 %" de ses revenus estimés à une caisse de retraite.
Ces 10 % étant inclus dans le revenu imposable de l'auteur, l'imp_t est
perçu sur la totalité de ces 10 % que représente sa cotisation.
2.3 En ce qui concerne les salariés, la réglementation sur les cotisations
aux caisses de retraite est fixée par convention collective, tant dans
le secteur public que dans le secteur privé. Conformément à cette réglementation,
4 % du salaire de l'employé sont prélevés et versés à une caisse de retraite.
L'employeur verse en outre directement à la caisse un montant correspondant
à 6 % du salaire de l'employé. Ainsi, des imp_ts sont perçus sur 40 %
du montant versé à la caisse de retraite par un employé, puisque ces 40
% sont inclus dans son revenu imposable, et sur 100 % du montant versé
à la caisse par un travailleur indépendant. Pour l'employeur qui cotise,
ces versements sont déductibles des imp_ts en tant que "dépenses
de fonctionnement".
2.4 Dans sa déclaration d'imp_t de 1992, l'auteur a déduit de son revenu
imposable le montant de sa cotisation à la caisse de retraite. En juillet
1992, il a reçu une lettre de la perception locale (skattstjóri)
l'informant que son revenu imposable avait été augmenté du montant de
sa cotisation à la caisse de retraite. L'auteur a répondu en protestant
contre cette mesure et en demandant des explications détaillées. En octobre
1992, il a reçu une lettre du service des imp_ts lui indiquant que les
cotisations en question n'étaient pas considérées comme constituant des
"dépenses de fonctionnement" au sens de l'article 31 de la loi
relative aux imp_ts sur le revenu. Cet article contient une description
générale et une énumération non exhaustive des frais professionnels déductibles
des imp_ts. Dans ladite lettre, il était fait référence à une décision
du conseil des recettes publiques internes (Ríkisskattanefnd),
par laquelle il avait été refusé à un contribuable l'autorisation de déduire
certaines dépenses de ses imp_ts parce qu'il avait été "constaté
que l'intéressé payait lesdites charges pour son compte personnel exclusivement".
2.5 L'auteur s'est ensuite adressé au Conseil d'Etat des recettes internes
(Yfirskattanefnd) (successeur du Ríkisskattanefnd), le 6
novembre 1992. Après un échange de lettres (dans lesquelles l'auteur a
notamment soulevé des questions concernant la procédure devant le Conseil
ainsi que des doutes quant à l'impartialité de ses membres), le Conseil
a rendu sa décision le 5 novembre 1993. Il a déclaré, entre autres, ceci
: "Il a été constaté que les cotisations versées par l'auteur étaient
destinées uniquement à constituer sa retraite. Ces versements ne peuvent
donc être considérés comme ayant été faits à des fins de création de revenus
dans l'entreprise indépendante de l'intéressé et ne sont donc pas déductibles
en vertu de l'article 31.1 de la loi No 75/1981, relative à l'imp_t sur
le revenu et sur les biens, ...". Après avoir reçu notification de
la décision du Conseil, l'auteur s'est plaint auprès de l'Ombudsman de
certaines questions relatives à la procédure devant le Conseil, qui est
tenu notamment, en vertu de la législation islandaise (loi No 32/1992),
d'indiquer dans le détail les raisons de ses décisions. L'Ombudsman lui
a répondu par écrit le 11 février 1994, en joignant à sa lettre les réponses
que lui avait adressées par écrit le Président du Conseil.
2.6 Le 11 février 1994, l'auteur a adressé une lettre au Procureur de
la République, exprimant les doutes qu'il avait au sujet de la procédure
du Conseil, notamment au sujet de l'impartialité de ses membres. Il a
reçu une réponse deux semaines plus tard lui indiquant qu'aucune mesure
ne pouvait être prise.
2.7 L'auteur prétend que la pratique fiscale qu'il conteste est appliquée
depuis environ 13 ans en Islande et qu'elle fait gagner au fisc islandais
environ 300 millions de couronnes islandaises par an. D'après l'auteur,
le service des imp_ts a accepté la déduction des cotisations versées à
des caisses de retraite dans certains cas, y compris le sien en 1990 et
1991.
2.8 En ce qui concerne la question de l'épuisement des recours internes,
l'auteur indique qu'il pourrait contester la décision du Conseil devant
les tribunaux islandais. A cet égard, toutefois, il évoque une plainte
dont un travailleur indépendant a saisi un tribunal de première instance
en Islande en 1994 au sujet de son droit à déduire de son revenu imposable
60 % de sa cotisation à la caisse de retraite. Le jugement dans cette
affaire devait être rendu en octobre 1995. L'auteur indique qu'à son avis
la décision ne sera pas favorable au plaignant et que, s'il devait lui-même
engager des poursuites en justice, la décision qui serait prise dans son
cas serait sans nul doute la même que celle qui sera prise dans l'affaire
pendante. Il affirme que les recours internes seraient donc, dans son
cas, inutiles.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'en Islande, les travailleurs indépendants et
les salariés sont traités différemment en ce qui concerne les imp_ts perçus
par le Gouvernement islandais, en vertu de la loi fiscale en vigueur,
sur les cotisations versées aux caisses de retraite. Il déclare que cette
différence de traitement constitue une discrimination illégale.
3.2 L'auteur affirme que le Gouvernement islandais viole les lois nationales
ainsi que les principes constitutionnels fondamentaux et les principes
du droit international en autorisant ses services fiscaux à appliquer
la pratique susdite.
Réponse de l'Etat partie et commentaires de l'auteur
4.1 Dans une réponse datée du 21 février 1996, l'Etat partie fait valoir
que la communication est irrecevable au motif que les recours internes
n'ont pas été épuisés. L'Etat partie explique que l'auteur aurait pu faire
appel de la décision du Conseil d'Etat des recettes internes le 5 novembre
1993 devant le tribunal de district puis, le cas échéant, exercer un nouveau
recours devant la Cour suprême.
4.2 L'Etat partie note que, récemment, le tribunal de district de Reykjavik
a prononcé un jugement en une affaire identique à celle de l'auteur. Il
a été fait appel de ce jugement devant la Cour suprême, qui n'a pas encore
rendu sa décision.
5.1 L'auteur saisit l'occasion de la présentation de ses commentaires
sur la réponse de l'Etat partie pour ajouter à la teneur de sa plainte
qu'il a aussi été victime d'une violation du paragraphe 1 de l'article
4 du Pacte du fait que le Conseil d'Etat des recettes internes ne peut
être considéré comme un tribunal indépendant.
5.2 En ce qui concerne la plainte qu'il a déposée en vertu de l'article
26 du Pacte, l'auteur souligne qu'aucune loi islandaise n'interdit aux
travailleurs indépendants de jouir des mêmes déductions fiscales que les
employés. Les autorités fiscales interprètent néanmoins les règles différemment.
5.3 L'auteur admet qu'il aurait pu intenter une action en justice et
demander au tribunal d'infirmer la décision prise par le Conseil d'Etat
des recettes internes en se fondant sur le fait que ce dernier n'avait
pas pleinement motivé sa décision. Il affirme cependant que, s'il avait
eu gain de cause, cela n'aurait eu pour résultat que le renvoi de l'affaire
au Conseil. Or, il n'est guère convaincu que le Conseil engagerait une
procédure légale après un tel renvoi. Au demeurant, affirme l'auteur,
cela aurait rendu la procédure trop longue. L'auteur prétend en outre
qu'il ne peut porter des questions telles qu'un abus par le Conseil de
son autorité publique devant les tribunaux. Il affirme aussi que lui demander
d'attendre l'issue du recours formé par le gouvernement contre la décision
du tribunal de district de Reykjavik dans une affaire analogue à la sienne
ne ferait que réduire la probabilité que des plaintes comme la sienne
puissent être présentées au Comité. L'auteur déclare par ailleurs qu'il
n'est pas convaincu que l'affaire dont est actuellement saisie la Cour
suprême soit absolument identique à la sienne.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 L'Etat partie a affirmé que la communication est irrecevable au motif
du non-épuisement des recours internes. Le Comité note que l'auteur n'a
pas contesté qu'il aurait pu faire appel de la décision du Conseil d'Etat
des recettes internes devant les tribunaux, mais a simplement déclaré
qu'il doutait qu'un tel appel serait suivi d'effet. Le Comité renvoie
à sa jurisprudence, selon laquelle de simples doutes sur l'efficacité
des recours internes ne dispensent pas l'auteur de l'obligation de les
épuiser. La communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe
2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b)
de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et à l'auteur
de la communication.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]