Soixante-deuxième session
23 mars - 9 avril 1998
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-deuxième session -
Communication No 676/1996**
Présentée par : Abdool Saleem Yasseen et Noël Thomas
Au nom de : Les auteurs
Etat partie : République du Guyana
Date de la communication : 2 février 1996 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 mars 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 676/1996, présentée au Comité par M. Abdool Saleem Yasseen et M. Noël Thomas en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication, leur conseil et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes :
du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication sont Abdool Saleem Yasseen et Noël Thomas, de nationalité guyanienne, en attente d'exécution à la prison centrale de Georgetown (Guyana). Ils se déclarent victimes de violations par le Guyana des paragraphes 1 et 4 de l'article 6, de l'article 7, des paragraphes 1 et 2 de l'article 10 et des paragraphes 1, 3 a), 3 b), 3 c), 3 d), 3 e) et 3 g) de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par Interights, une organisation ayant son siège à Londres.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Le 30 mars 1987, les auteurs ont été inculpés du meurtre de Kaleem Yasseen, demi-frère d'un des auteurs. Ils ont été reconnus coupables de meurtre par la High Court d'Essequibe et condamnés à mort le 2 juin 1988. Le 25 octobre 1990, la Cour d'appel a ordonné un nouveau procès. Le nouveau procès n'a pas été mené à son terme et un troisième procès s'est ouvert en septembre 1992. Les auteurs ont été cette fois encore reconnus coupables du meurtre et ont été condamnés à mort le 6 décembre 1992. Ils ont de nouveau fait appel de la condamnation et de la sentence et ont été déboutés, en juin 1994. Le 5 juillet 1994, les auteurs ont sollicité la grâce du Président de la République. Le 1er février 1996, l'ordre d'exécution leur a été notifié. Le sursis à exécution a été accordé pendant que la High Court était saisie du recours.
2.2 Le 20 mars 1987, Saleem Yasseen a fait une déclaration orale à la police, au poste de Suddie. Il a affirmé qu'il ne se trouvait pas en ville quand le meurtre avait été commis et qu'il était revenu quand il en avait appris la nouvelle. Le 21 mars 1987, Noël Thomas a fait une déclaration orale à la police, dont on ignore la teneur. Il a été placé dans une cellule de garde à vue et il est resté là sans rien à manger ni à boire et sans pouvoir aller aux toilettes; il n'a pas pu non plus recevoir de visites.
2.3 Le 24 mars, Yasseen a été arrêté. Les deux auteurs de la communication ont alors été conduits devant un magistrat et placés en détention provisoire à la prison centrale, dans les mêmes locaux que les condamnés. Les conditions de détention étaient effroyables. Les auteurs ont été incarcérés dans une cellule d'à peu près 24 mètres sur 10 mètres, avec environ 150 autres détenus. Il y avait une seule ampoule électrique au plafond et une seule latrine fonctionnait. Les détenus n'avaient le droit d'y aller qu'une fois par jour. L'évacuation des eaux usées étant défectueuse, les auteurs devaient se laver dans 15 centimètres d'eau sale. Comme il n'y avait pas de matelas, ils dormaient à même le sol. Aucune possibilité de distraction n'était offerte. Ils n'avaient droit qu'à une seule visite par mois de leurs proches.
2.4 A l'enquête préliminaire, la police a produit une déclaration écrite qui, a-t-elle affirmé, était les aveux de Noël Thomas. Celui-ci a soutenu que les aveux avaient été obtenus illégalement, que les policiers l'avaient brutalisé, qu'ils lui avaient écrasé les organes génitaux avec des pinces. Le policier qui avait recueilli les aveux, le commissaire Marks, n'a pas témoigné à l'audience préliminaire. Le commissaire Barren a sorti un calepin dans lequel il avait, a-t-il dit, consigné les aveux oraux de Yasseen. Ce calepin ainsi que celui du commissaire Marks et la main courante du poste de police de Suddie pour les jours entre le 21 mars et le 26 mars 1987 ont disparu. La main courante du poste de police est rangée dans un cagibi fermé à clef. Les trois documents ont été produits au premier procès mais ont disparu peu de temps après.
2.5 Le 26 juillet 1987, les auteurs ont été conduits au tribunal d'instance de Suddie, par les moyens de transport publics. Pendant au moins huit heures qu'a duré le trajet, ils sont restés menottés et les autres passagers pouvaient évidemment les voir. Ce traitement s'est répété une dizaine de fois pendant toute la durée de l'enquête préliminaire, c'est-à-dire du 27 juillet 1987 au 29 février 1988.
2.6 Le premier procès a eu lieu en mai 1988. Pendant toute sa durée, les auteurs sont demeurés incarcérés au poste de police de Suddie, dans une cellule d'isolement d'environ 2,40 mètres sur 4,20 mètres, sans toilettes ni matelas ni lumière avec un seul orifice d'aération. Quand ils ont été condamnés, ils ont été reconduits à la prison centrale et placés à l'isolement dans le quartier des condamnés à mort, où ils sont restés pendant toute la durée de la procédure d'appel. Leurs cellules faisaient environ 4 mètres carrés et demi et 2,40 mètres de haut, elles étaient dépourvues de lumière et de toilettes et il n'y avait rien pour se laver ni se distraire.
2.7 En mars 1990, les auteurs ont fait appel et la procédure a duré environ trois mois; la décision a été ajournée jusqu'au 25 octobre 1990. Il a été fait droit à l'appel et un nouveau procès a été ordonné, en raison d'irrégularités dans la désignation du jury et parce que le commissaire Marks avait été autorisé à témoigner au procès et lors de l'examen préliminaire des jurés et des témoins alors qu'il ne s'était pas présenté à l'enquête préliminaire (bien qu'il fût disponible). En novembre 1990, Yasseen a été transféré dans une cellule qu'il partageait avec deux autres condamnés. En janvier 1991, un diagnostic de déséquilibre mental ayant été posé, il a été transféré dans une cellule individuelle et il y est resté jusqu'à son transfert à l'infirmerie, en avril 1991. Yasseen n'a jamais vu un médecin, ni le directeur de la prison à qui il avait pourtant demandé à parler.
2.8 En mai-juin 1991 s'est tenu le deuxième procès. Il a été interrompu au bout de deux semaines, pour subornation de jury. Pendant la durée du procès, les auteurs sont restés détenus au poste de police de Suddie, dans les conditions déjà décrites. Après le procès, ils ont été reconduits à la prison centrale. Yasseen a été placé à l'infirmerie jusqu'en septembre 1992 pour une jambe cassée, blessure qu'il s'était faite en prison. A l'infirmerie, il a été placé dans une sorte de dortoir surnommé "le grattoir", avec huit détenus atteints de maladies contagieuses.
2.9 Le troisième procès s'est ouvert en octobre 1992. Le 6 décembre 1992, les auteurs ont été reconnus coupables du meurtre et condamnés à mort. L'avocat de M. Yasseen ne pouvait pas être présent les quatre premiers jours d'audience et a donc demandé un report d'audience qui lui a été refusé, ce qui fait qu'un des auteurs n'a pas véritablement été représenté en justice.
2.10 La pièce maîtresse de l'accusation étaient les "aveux" des auteurs. Un témoin, qui avait été arrêté le 25 mars 1987 et avait fait une déclaration à la police au sujet de l'affaire, avait été cité à comparaître mais ne s'est pas présenté alors qu'il avait comparu au premier procès. La main courante du poste de police et les calepins des policiers, qui avaient été produits au premier procès, ne l'ont pas été au troisième procès. Les auteurs sont convaincus que ces documents auraient montré que M. Yasseen n'était pas en état d'arrestation au moment où la police affirme qu'il a fait ses aveux. Deux fonctionnaires de la prison centrale, ayant reçu une formation médicale, ont témoigné que M. Thomas avait été brutalisé pendant la garde à vue. Après le procès, les auteurs ont appris que le président du jury était l'oncle de l'épouse de la victime. Les auteurs ont été reconduits à la prison centrale et ont été placés dans le quartier des condamnés à mort, dans les conditions déjà décrites. Les béquilles de M. Yasseen lui ont été reprises et, comme il avait la jambe cassée, il ne pouvait plus se déplacer qu'en rampant.
2.11 Le jeudi 1er février 1996 à 15 heures, les auteurs ont été notifiés de l'ordre d'exécution pour le lundi 5 février 1996 à 8 heures. L'usage veut que les exécutions soient notifiées le jeudi pour le mardi suivant. Les familles des condamnés ont été informées du jour de l'exécution par un coup de téléphone anonyme reçu le jeudi 1er février à 22 heures.
2.12 Le samedi 3 février 1996, une demande de sursis à exécution a été examinée et une ordonnance interlocutoire a été demandée pour permettre de tenir l'audience. L'ordonnance a été refusée mais l'autorisation de faire appel de cette décision auprès de la Cour d'appel en formation plénière a été donnée. Un sursis à exécution de sept jours a été accordé. Le 7 février, les auteurs ont été informés que la Cour d'appel avait fixé au 8 février l'audience sur le fond de l'affaire.
2.13 Le conseil indique qu'au Guyana il n'est pas possible de faire appel auprès du conseil privé et que les auteurs ont donc épuisé les recours internes. Il fait valoir que la litispendance créée par la demande d'ordonnance interlocutoire ne signifie pas que les recours internes n'ont pas été épuisés, pour deux raisons. Premièrement, les auteurs estiment fortement improbable que leur requête aboutisse. Deuxièmement, leur situation est particulière car ils vont se prévaloir de toutes les voies de recours légales jusqu'au dernier moment et on ne peut pas leur demander d'attendre qu'il ait été statué sur leur ultime recours pour s'adresser au Comité des droits de l'homme; il faudrait en effet qu'ils attendent jusqu'à une date dangereusement rapprochée de leur exécution avant d'invoquer les droits consacrés dans le Pacte, ou les obliger à ne pas tenter toutes les voies de recours possibles offertes au plan interne.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil affirme que les auteurs n'ont pas eu un procès équitable, en violation de l'article 14 du Pacte. Il indique qu'ils ont été condamnés sur la foi d'éléments très insuffisants et, tout en reconnaissant qu'il n'appartient normalement pas au Comité des droits de l'homme d'apprécier les faits et les preuves, il objecte qu'en l'espèce, les preuves étaient tellement insuffisantes que l'exécution de personnes condamnées sur cette base constituerait un déni de justice manifeste. Le conseil note que les auteurs ont été condamnés sur la foi de ce que la police a appelé leurs aveux, qui, dans le cas de M. Thomas, ont été obtenus par la coercition et, dans le cas de M. Yasseen, étaient une déclaration orale qu'il nie avoir jamais faite. De surcroît, les auteurs affirment qu'ils n'ont pas été jugés par un tribunal impartial parce qu'on a appris par la suite que le président du jury qui siégeait lors du dernier procès était l'oncle de l'épouse de la victime.
3.2 Les auteurs invoquent le paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte car, disent-ils, ils ont été jugés avec un retard excessif, puisqu'ils ont été détenus pendant plus de 10 ans depuis le moment de leur inculpation en mars 1987.
3.3 D'après le conseil, le droit d'interroger des témoins et de faire produire des preuves n'a pas été garanti, parce qu'un témoin, Hiram Narine, ne s'est pas présenté malgré de nombreuses convocations et parce que les calepins des policiers et la main courante du poste de police ont disparu alors que ces documents auraient pu mettre les auteurs hors de cause; il y aurait donc violation du paragraphe 3 e) de l'article 14 du Pacte.
3.4 Les auteurs affirment qu'il y a eu violation du paragraphe 3 g) de l'article 14 car ils ont été contraints de se déclarer coupables. Des brutalités physiques ont été exercées pour obtenir les aveux de M. Thomas et la police a affirmé à tort que M. Yasseen avait fait une déclaration orale.
3.5 Le conseil fait valoir que M. Thomas n'a pas été informé sans délai des charges qui pesaient contre lui, en violation du paragraphe 3 a) de l'article 14 du Pacte, étant donné qu'il a été arrêté le 20 mars 1987 et n'a été informé du motif que le 24 mars 1987, soit quatre jours après l'arrestation. En ce qui concerne M. Yasseen, le conseil affirme qu'il a été victime d'une violation des paragraphes 3 b) et 3 d) de l'article 14 du Pacte, car l'avocat qui devait le défendre n'a pas pu assister à l'audience les quatre premiers jours du dernier procès, alors qu'il avait demandé un ajournement d'audience, ce qui fait que cet auteur n'a pas été valablement représenté en justice.
3.6 Les auteurs affirment qu'il y a eu violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10, parce que M. Thomas a été soumis à des brutalités physiques pendant sa garde à vue, ce qui l'a conduit à faire de faux aveux; de plus, les deux inculpés ont fait au moins 11 fois un trajet de huit heures dans les transports en commun pour assister aux audiences, trajets pendant lesquels ils étaient menottés et sous le regard des autres passagers, humiliation inutile. Les conditions de détention étaient très mauvaises, et plusieurs fois ils n'ont pas eu à manger, on leur a refusé des soins médicaux; ils étaient privés d'hygiène élémentaire, de visites et de moyens de distraction. M. Yasseen n'a pas pu voir un médecin alors qu'il avait été déclaré souffrir d'une maladie mentale et a été privé de ses béquilles, ce qui l'a obligé à se déplacer en rampant. De surcroît, les auteurs seraient en proie à une grande détresse psychique, du fait des neuf ans d'incarcération dans ces conditions effroyables, avant le jugement et pendant tous les intervalles entre les différents procès. Cet état de choses a été aggravé par le silence opposé à leur demande de grâce; ils n'ont appris le refus du Président que quand l'ordre d'exécution leur a été notifié. Les familles n'ont pas été officiellement informées de la date de l'exécution, mais ont simplement reçu un coup de téléphone anonyme.
3.7 Le conseil fait valoir que les auteurs ont été victimes d'une violation du paragraphe 2 de l'article 10, parce qu'ils ont été plusieurs fois incarcérés avec les condamnés alors qu'ils n'étaient pas encore jugés, sans qu'aucune circonstance exceptionnelle justifie cette mesure.
3.8 L'absence de réponse officielle à la demande de grâce des auteurs et le fait que les autorités n'aient pas suivi la procédure normale pour la notification de la date de l'exécution (les auteurs ont eu un jour de moins pour faire recours) constituent, de l'avis du conseil, une violation du paragraphe 4 de l'article 6 du Pacte.
Observations de l'Etat partie concernant la recevabilité, commentaires de l'auteur à ce sujet et décision de recevabilité du Comité
4.1 Le 9 février 1996, l'Etat partie a fait valoir que les recours internes ouverts aux auteurs n'avaient pas été épuisés, étant donné que les requêtes qu'ils avaient déposées auprès de la High Court pouvaient être présentées en appel devant la Cour d'appel, juridiction de dernier ressort de l'Etat partie. Par une note du 11 avril 1996, l'Etat partie a demandé un report du délai fixé pour la présentation des observations sur la recevabilité de la communication.
4.2 Le 28 février 1997, le conseil a informé le Comité que le 14 mai 1996 la Cour d'appel du Guyana avait débouté les deux auteurs et avait décidé de renvoyer l'affaire devant le Comité des grâces pour une nouvelle audience. D'après le conseil tous les recours internes disponibles avaient été épuisés maintenant que la Cour d'appel avait rejeté la requête des auteurs.
4.3 A sa soixantième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Il a regretté le manque de coopération de l'Etat partie et a déclaré qu'il ne pouvait pas accepter l'argument de ce dernier qui avait estimé, dans une note verbale datée du 9 mai 1997, que le Comité examinait la communication avec un retard excessif. Concernant la question de l'épuisement des recours internes, le Comité a considéré que maintenant que la Cour d'appel du Guyana avait débouté les auteurs, le renvoi de l'affaire devant le Comité des grâces n'était pas un recours utile que les auteurs étaient tenus d'épuiser aux fins du Protocole facultatif.
4.4 Le Comité a estimé que les auteurs avaient suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, leurs allégations de violation des articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte, allégations qui devaient être examinées quant au fond. En conséquence, le 11 juillet 1997, le Comité a déclaré la communication recevable.
Observations de l'Etat partie quant au fond et commentaires du conseil
5.1 Par une note verbale en date du 19 août 1997, le Ministre des affaires étrangères de l'Etat partie a fait part de la "déception et ... la contrariété" qu'il éprouvait du fait de la décision de recevabilité, relevant que le Comité n'avait pas tenu compte des observations du Gouvernement en date du 3 octobre 1996. Le Comité s'est renseigné et a appris que la réponse de l'Etat partie portant cette date avait été adressée au Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires de la Commission des droits de l'homme. Le Gouvernement guyanien en a été informé le 27 août 1997. Par une note du 29 août 1997, l'Etat partie a demandé que ses observations en date du 3 octobre 1996 soient versées au dossier et que le Comité examine la recevabilité ou le fond de l'affaire ou les deux à la soixante et unième session, en octobre 1997. Le Comité a été informé de cette demande à sa soixante et unième session et a estimé que le conseil des auteurs devait avoir la possibilité de répondre aux observations de l'Etat partie en date du 3 octobre 1996. Le 11 décembre 1997, l'Etat partie a été avisé que l'examen de l'affaire en vue d'une décision finale avait été reporté à la soixante-deuxième session du Comité.
5.2 Dans ses observations en date du 3 octobre 1996, l'Etat partie donne une relation détaillée des faits de l'affaire, qui diverge à certains égards de la version donnée par les auteurs. Ainsi, Noël Thomas et d'autres ont été arrêtés le 21 mars 1987 et interrogés au sujet du meurtre de Kaleem Yasseen. Thomas a nié toute participation dans le meurtre et a été remis en liberté. Le 23 mars, un certain Hiram Narine a été arrêté et interrogé; il a rapporté des conversations qu'il avait eues avec Thomas et celui-ci a été arrêté de nouveau le même jour. Le 24 mars 1987, Abdool Yasseen a été arrêté et informé qu'il était soupçonné de participation dans le meurtre de son frère. Plus tard dans la journée, Noël Thomas a été confronté avec Hiram Narine et, celui-ci ayant encore confirmé ce qu'il avait dit précédemment à la police, Thomas a été informé de ses droits; il a indiqué qu'il avait été utilisé par Abdool Saleem puis a dit spontanément qu'il allait faire une déclaration écrite. D'après l'Etat partie, Thomas a accepté que le commissaire adjoint Marks prenne note de la déclaration et n'a pas voulu faire venir un avocat ou un proche comme cela lui avait été proposé.
5.3 Peu de temps après que la déposition écrite eut été faite, une copie en avait été montrée à Abdool Yasseen, qui l'avait lue, avait confirmé la version de Thomas et avait dit spontanément qu'il allait faire une déclaration orale. Le 26 mars 1987, les deux accusés ont été interrogés, en présence l'un de l'autre, sur l'endroit où se trouvait l'arme automatique qui avait tué Kaleem Yasseen. Noël Thomas aurait fait des déclarations incriminant fortement Abdool Yasseen, qu'il aurait appelé l'instigateur du crime. Le 30 mars 1987, l'un et l'autre ont été inculpés de meurtre par le tribunal d'instance de Suddie.
5.4 L'Etat partie note qu'après chaque séance d'interrogatoire dans le cadre de l'enquête préliminaire, les auteurs étaient envoyés à la prison de Georgetown car il n'y a pas de prison dans le comté d'Essequibo (où se trouve le tribunal). D'après l'Etat partie, le quartier de la prison de Georgetown réservé aux prévenus n'est pas surpeuplé et est équipé de toilettes et de salles de douche. Il y a "assez de matelas pour dormir - mais il est vrai que les détenus préfèrent parfois dormir par terre que de partager un matelas". Il réfute l'allégation des auteurs qui affirment qu'il y a 15 centimètres d'eau sale dans la prison à cause de la rupture d'une canalisation. Pour se rendre au tribunal de Suddie, il faut prendre un bac, emprunté par tout le monde : avocats, juges et procureurs. Les détenus inculpés de meurtre gardent les menottes pendant les quatre heures de voyage par mesure de sécurité.
5.5 L'enquête préliminaire a été achevée le 29 février 1988; aucun des inculpés n'a appelé de témoin pendant cette enquête. Le procès devant la High Court s'est ouvert en mai 1988 et s'est terminé le 2 juin 1988; les accusés ont été reconnus coupables des chefs d'inculpation retenus contre eux. Au procès, Abdool Yasseen a nié qu'il avait avoué devant le commissaire adjoint Marks et Noël Thomas a affirmé qu'il avait signé la déclaration écrite sous la contrainte. Thomas a ensuite déclaré que les policiers l'avaient roué de coups et qu'ils lui avaient écrasé les organes génitaux avec des pinces. Le juge du fond a fait un examen préliminaire de ces allégations avant de poursuivre le procès et, ayant entendu les témoins des deux parties pour déterminer si la déclaration avait été faite spontanément, il a rejeté les objections de Thomas et a admis sa déclaration à titre de preuve.
5.6 Le 3 juin 1988, les auteurs ont fait appel de la condamnation et de la peine. Le 25 octobre 1990, il a été fait droit à la demande de recours pour les motifs suivants : a) un témoin de la police qui n'avait pas été appelé à déposer pendant l'enquête préliminaire avait été autorisé à témoigner au procès sans que l'accusation ait fourni d'explication pour justifier qu'il n'avait pas été appelé comme témoin à charge au moment de l'enquête préliminaire; b) le juge du fond avait à tort excusé des jurés en invoquant un motif insuffisant : ces jurés craignaient d'être séquestrés pendant la durée du procès. Un nouveau procès a été ordonné. Le deuxième procès s'est ouvert devant un autre juge de la High Court, en juin 1991; il a été interrompu après que le juge eut cherché à établir s'il était vrai qu'un membre du jury avait été vu en compagnie d'un proche d'Abdool Yasseen, en grande conversation avec lui. Le procès a été arrêté au bout de deux semaines.
5.7 Un deuxième nouveau procès devait s'ouvrir en juin 1992 mais a été reporté de trois mois parce que le défenseur d'Abdool Yasseen était absent et indisponible entre juillet et septembre 1992. Le procès a commencé en octobre 1992; le 4 décembre 1992, les accusés ont été de nouveau reconnus coupables des chefs d'accusation retenus contre eux et condamnés à mort. Ils ont fait appel et la cour a examiné le recours entre avril et juin 1994 pour le rejeter. D'après l'Etat partie, "avant ce verdict définitif, il y avait eu deux périodes de congé de Noël et des périodes annuelles de vacances judiciaires de deux mois ou plus". L'Etat partie fait ensuite une relation détaillée du déroulement des procédures de requête constitutionnelle et d'appel engagées au nom des auteurs après que l'ordre d'exécution leur eut été notifié, le 1er février 1996.
5.8 Pour ce qui est des conditions d'incarcération des auteurs, l'Etat partie explique que les prévenus inculpés d'infractions pénales qui sont en attente de jugement sont hébergés dans un dortoir à la prison centrale de Georgetown. Tant qu'ils n'étaient pas condamnés, les auteurs n'ont été détenus à aucun moment dans les mêmes locaux que les condamnés. Le dortoir est suffisamment éclairé et aéré; il est équipé de matelas, de quatre toilettes et de deux salles de douche. En tant que détenus en attente de jugement, les auteurs avaient droit aux visites d'amis et de proches deux fois par semaine. L'Etat partie dit qu'il existe effectivement un quartier de la prison centrale de Georgetown où sont incarcérés les prisonniers atteints de maladies contagieuses. Abdool Yasseen n'a jamais été incarcéré dans ce quartier.
5.9 L'Etat partie souligne que tous les détenus de la prison centrale de Georgetown bénéficient de services médicaux dispensés par un personnel qualifié. Le dossier médical d'Abdool Yasseen montre qu'il a été examiné en tout 21 fois à l'infirmerie. A aucun moment le personnel n'a diagnostiqué une maladie mentale, il n'a jamais eu de jambe cassée et n'a jamais été obligé de se déplacer avec des béquilles. En ce qui concerne M. Thomas, les dossiers montrent qu'en prison il a été soigné pour une infection urinaire, qu'il avait contractée avant son incarcération.
5.10 Les condamnés à mort sont incarcérés dans des cellules individuelles d'environ 2,5 mètres carrés. Les cellules sont éclairées par des rampes lumineuses placées à l'extérieur - la lumière se réfléchissant dans les cellules - car les condamnés à mort sont étroitement surveillés. L'Etat partie ajoute que "chaque cellule est suffisamment aérée". Il n'y a pas de toilettes à l'intérieur des cellules des condamnés à mort mais les prisonniers ont des tinettes qui "sont vidées et nettoyées aussi souvent qu'il est possible". Tous les détenus, y compris les auteurs, ont droit aux activités de loisirs et ont une heure de promenade par jour.
5.11 Les deux auteurs ont été détenus dans le quartier des prévenus de la prison centrale de Georgetown jusqu'en juin 1988. Quand leur recours a été accepté, en 1990, ils sont retournés dans ce même quartier. Une fois condamnés, en décembre 1992, ils ont été placés dans des cellules individuelles pour condamnés à mort.
6.1 Dans ses observations, l'avocate qui représente les auteurs note que l'Etat partie ne nie pas que M. Yasseen n'a pas bénéficié de l'assistance d'un défenseur pendant les quatre premiers jours du deuxième nouveau procès, alors qu'une demande d'ajournement pour obtenir un défenseur avait été déposée. Qu'un report de trois mois à partir du mois de juin ait été accordé ne change rien : il demeure que le procès s'est ouvert en octobre 1992 en l'absence d'un défenseur pour Yasseen. Au début, celui-ci avait engagé B. de Santos, qui avait reçu une provision de 300 000 dollars. Une semaine avant l'ouverture du procès, de Santos a restitué l'intégralité de la somme, disant qu'il ne pouvait pas assurer la défense de Yasseen. Celui-ci s'est alors tourné vers un autre avocat, S. Hardyal, qui a demandé au juge de reporter le procès parce qu'il ne pouvait pas être à l'audience à la date fixée. Le report a été refusé, le procès a commencé et deux témoins à charge ont été interrogés et ont déposé en l'absence de défenseur.
6.2 Le conseil souligne, en se référant à la jurisprudence du Comité 1/Voir constatations relatives à la communication No 223/1987 (Frank Robinson c. Jamaïque), adoptées le 30 mars 1989, par. 10.3./, que le fait d'avoir ouvert le procès en l'absence de défenseur a porté atteinte aux droits garantis aux paragraphes 3 b) et 3 d) de l'article 14 du Pacte. Elle note que le fait d'avoir interrogé deux témoins à charge en l'absence d'un avocat a irrémédiablement entravé sa défense, puisqu'il a été impossible pour l'avocat de soumettre la thèse de l'accusation à une contestation contradictoire complète. Elle souligne qu'il ne peut être question de faire valoir que le défenseur était absent à des audiences relativement peu importantes, par exemple les jours où l'accusation finissait son argumentation et où des questions de procédure étaient débattues. Au contraire, il s'agissait des quatre premiers jours du procès, c'est-à-dire des jours où l'accusation a fait son réquisitoire contre les auteurs.
6.3 En ce qui concerne le droit de faire interroger des témoins à charge et d'obtenir la comparution de témoins à décharge garanti au paragraphe 3 e) de l'article 14, qui aurait été violé dans le cas des deux auteurs parce qu'un témoin à décharge potentiel, Hiram Narine, ne s'était pas présenté alors qu'il avait été cité et parce que des documents et des registres de police importants avaient disparu et n'avaient pas été produits à l'audience alors que la défense les avait demandés, le conseil rappelle que l'Etat partie est resté silencieux sur ce point.
6.4 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle les auteurs auraient été contraints d'avouer le meurtre de Kaleem Yasseen, le conseil note que l'Etat partie reconnaît lui-même que l'accusation reposait presque entièrement sur les deux "aveux", sans rendre compte de façon crédible des circonstances dans lesquelles ils avaient été recueillis. Le conseil réfute la version de l'Etat partie qui affirme que Noël Thomas avait fait des aveux spontanés, que le commissaire adjoint Marks avait pris en note, et que M. Yasseen aurait lui aussi fait spontanément une confession orale, qualifiant cette version de sujette à caution : l'accusation maintient que les accusés ont spontanément décidé de se passer des services d'un représentant et de faire des aveux complets, mais M. Yasseen et M. Thomas de leur côté ont toujours soutenu qu'ils n'avaient pas avoué spontanément. Le conseil note que les minutes du procès abondent en éléments de preuve convaincants, notamment la déclaration du médecin qui a examiné Noël Thomas et qui décrit les lésions provoquées par les traitements infligés pour le contraindre à avouer. Dans ces conditions, le conseil fait valoir que les deux confessions douteuses ne peuvent pas motiver la reconnaissance de culpabilité des auteurs et leur condamnation à mort.
6.5 Le conseil rappelle que l'Etat partie ne conteste pas l'allégation au titre du paragraphe 1 de l'article 14, qui aurait été violé parce que le président du jury désigné pour le deuxième nouveau procès était parent de l'épouse de la victime, se contentant d'indiquer que la question n'a pas été soulevée lors des procédures judiciaires internes.
6.6 Le conseil fait valoir que l'accumulation de retards dans les procédures judiciaires entre 1988 et 1994 constitue une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte. La seule explication apportée par l'Etat partie est que le déroulement du deuxième nouveau procès et de la procédure d'appel a été interrompu par deux congés de Noël et par les vacances judiciaires annuelles de deux mois ou plus. Le conseil qualifie cette explication de tout à fait insuffisante eu égard à l'angoisse dans laquelle les auteurs ont dû vivre en attendant qu'il soit statué sur leur cas.
6.7 Le conseil réaffirme les griefs concernant les conditions déplorables de détention avant et après le jugement, et joint deux déclarations sous serment signées en novembre 1997 par le père d'Abdool Yasseen et par un homme d'affaires de Georgetown, ami d'Abdool Yasseen 2/ Les originaux des déclarations sous serment ont été versés au dossier./. Les deux déclarations sous serment attestent les très mauvaises conditions dans lesquelles les auteurs ont été incarcérés, qui se caractérisent par un surpeuplement flagrant, une literie et des installations sanitaires insuffisantes, le manque d'éclairage, des locaux très exigus, des vêtements et une nourriture insuffisants, le manque d'exercice et des possibilités de prendre l'air insuffisantes. Le conseil note en outre que l'Etat partie ne conteste pas les allégations précises relatives au traitement des auteurs en détention, en particulier :
Réexamen de la décision de recevabilité et examen quant au fond
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Il a noté que, en date du 29 août 1997, l'Etat partie avait demandé le réexamen de la recevabilité de la communication compte tenu de ses observations en date du 3 octobre 1996, qui n'ont été portées à l'attention du Comité qu'après qu'il eut déclaré la communication recevable.
7.2 Le Comité fait remarquer à ce sujet que dans sa réponse d'octobre 1996 l'Etat partie traite du fond des plaintes des auteurs et ne conteste pas la recevabilité de la communication en invoquant l'un quelconque des motifs énoncés dans le Protocole facultatif, à l'exception de l'allégation des auteurs concernant le lien de parenté entre le président du jury désigné pour le dernier procès (1992) et la femme de la victime. L'Etat partie objecte que ce grief n'a pas été soulevé pendant la procédure judiciaire. Le Comité constate qu'à cet égard en effet les recours internes n'ont pas été épuisés et par conséquent la décision de recevabilité du 11 juillet 1997 est rapportée en ce qui concerne cette allégation. En ce qui concerne les autres allégations des auteurs, le Comité ne voit aucun motif pour revenir sur sa décision de recevabilité.
7.3 En ce qui concerne le fond de la plainte des auteurs, il faut examiner trois groupes distincts :
7.4 En ce qui concerne le premier groupe de questions, le Comité note que les auteurs et en particulier M. Thomas affirment qu'ils ont été victimes de mauvais traitements pendant leur détention avant jugement, qu'ils ont été incarcérés dans de mauvaises conditions dans les mêmes locaux que les condamnés et qu'ils ont subi des humiliations inutiles en étant transférés menottes aux poignets par les moyens de transport publics jusqu'au lieu des audiences, devant tous les passagers. L'Etat partie a fourni une relation détaillée de la situation qui diffère à certains égards de la version donnée par les auteurs et a fourni quelques explications sur la façon dont ils ont été traités. L'Etat partie a reconnu toutefois que les détenus sont souvent obligés de partager un matelas. Le Comité considère que cela constitue une violation des dispositions du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
7.5 M. Thomas se plaint d'avoir été soumis à des mauvais traitements pour l'obliger à avouer le meurtre de Kaleem Yasseen, en violation du paragraphe 3 g) de l'article 14. Le Comité note que cette allégation a fait l'objet d'un examen préliminaire pendant le premier procès (1988) et que le juge a estimé qu'elle n'était pas fondée. Rien dans les documents portés à la connaissance du Comité n'indique si les questions en rapport avec les mauvais traitements allégués ou avec l'aveu ont ou non été soulevées au dernier procès (1992) ou en appel (1994). En conséquence, le Comité conclut qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 3 g) de l'article 14 du Pacte.
7.6 Les auteurs affirment que leur longue détention dans des conditions dégradantes violait les articles 7 et 10, paragraphe 1. Ils font valoir, allégation à l'appui de laquelle ils ont envoyé des déclarations sous serment, que les conditions dans lesquelles ils sont incarcérés dans le quartier des condamnés à mort sont inhumaines et particulièrement insalubres. L'Etat partie réfute ces allégations mais reconnaît que les cellules des auteurs sont éclairées par des rampes lumineuses installées à l'extérieur ce qui donne à penser qu'elles ne reçoivent aucune lumière du jour. Le Comité estime que le fait que les auteurs ne voient jamais la lumière du jour, sauf une heure par jour pendant la promenade, constitue une violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte parce que les auteurs ne sont pas traités dans le respect de la dignité inhérente à l'être humain.
7.7 Le Comité a noté que le conseil avait dénoncé le fait que M. Thomas n'ait pas été promptement informé des charges retenues contre lui, en violation du paragraphe 3 a) de l'article 14 du Pacte. Ce grief n'est pas étayé par la relation de l'Etat partie et le conseil ne l'a pas repris dans ses commentaires concernant les observations de l'Etat partie en date du 3 octobre 1996. En conséquence, le Comité ne constate pas de violation du paragraphe 3 a) de l'article 14.
7.8 En ce qui concerne M. Yasseen, le conseil invoque une violation des paragraphes 3 b) et 3 d) de l'article 14 parce que l'auteur n'avait pas bénéficié de l'assistance d'un défenseur les quatre premiers jours du dernier procès (1992). L'Etat partie a simplement signalé qu'un report d'audience avait été accordé entre juillet et septembre 1992, à la demande de l'ancien défenseur de l'auteur, mais ne réfute pas l'allégation par d'autres arguments. Le Comité rappelle qu'il est évident que l'assistance d'un défenseur doit être assurée dans les procès où l'accusé risque la peine capitale 3/ Voir constatations concernant la communication No 223/1987 (Frank Robinson c. Jamaïque), adoptées le 30 mars 1989, par. 10.3./. Il en est ainsi même si la défection du défenseur engagé à titre privé est dans une certaine mesure attribuable à l'auteur et même si, pour obtenir la présence d'un défenseur, il faut reporter l'audience. Les efforts que le juge du fond peut déployer pour aider l'accusé à assurer sa défense en l'absence d'un avocat ne dispensent pas de cette condition. Le Comité considère que l'absence d'un avocat pour M. Yasseen pendant les quatre premier jours du procès constitue une violation des paragraphes 3 b) et 3 d) de l'article 14.
7.9 Le conseil fait valoir que les preuves retenues contre les auteurs étaient si insuffisantes que leur condamnation à mort est un déni de justice. Il fait en particulier valoir que l'auteur a été victime d'une violation du paragraphe 3 e) de l'article 14 parce qu'au dernier procès (1992), un témoin ne s'est pas présenté et certains calepins et registres de la police étaient manquants. En ce qui concerne le témoin, le Comité note qu'il ressort des informations dont il est saisi que l'intéressé a déposé comme témoin à charge lors du premier procès (1988). Ces informations n'indiquent pas comment l'absence de ce témoin lors du dernier procès (1992) aurait pu porter préjudice aux auteurs. Dans ces conditions, le Comité estime que le conseil n'a pas établi que les auteurs avaient été privés de leur droit découlant du paragraphe 3 e) de l'article 14 du fait que le témoin n'avait pas comparu lors du dernier procès (1992).
7.10 En ce qui concerne les registres et calepins manquants, le Comité note que, d'après les auteurs, ces documents ont pu contenir des éléments de nature à les disculper. L'Etat partie n'a pas répondu à cette allégation. En l'absence de toute explication de l'Etat partie, le Comité considère qu'il doit accorder tout le poids voulu aux allégations des auteurs, et que le fait de ne pas produire lors du dernier procès (1992) des documents de police qui avaient été produits lors du premier procès (1988) et qui pouvaient contenir des preuves en faveur des auteurs constitue une violation des paragraphes 3 b) et 3 e) de l'article 14, puisque cela a pu empêcher les auteurs de préparer leur défense.
7.11 Le conseil invoque enfin une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14 en raison des retards accumulés entre l'arrestation des auteurs en 1987, leur condamnation en décembre 1992 après deux nouveaux procès et le rejet de leur recours à l'été de 1994. Le Comité note que la longueur de ces procédures n'est pas entièrement attribuable à l'Etat partie étant donné que les auteurs ont demandé eux-mêmes des reports d'audience. Le Comité considère néanmoins que le laps de deux ans qui s'est écoulé entre la décision de la Cour d'appel d'ordonner un nouveau procès et l'issue de ce nouveau procès constitue une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14.
7.12 Le Comité estime que prononcer la peine de mort à l'issue d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue, si aucun recours ultérieur n'est possible, une violation de l'article 6 du Pacte. En l'espèce, les auteurs ont été condamnés après un procès au cours duquel leur droit à la défense n'a pas été garanti. Cela signifie que dans leur cas la condamnation à mort définitive a été prononcée sans que les conditions d'un procès équitable énoncées à l'article 14 du Pacte aient été observées. Il faut donc en conclure que le droit protégé par l'article 6 a aussi été violé.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l'Etat partie du paragraphe 1 de l'article 10 et des paragraphes 3 b), 3 c) et 3 e) de l'article 14 du Pacte à l'égard des deux auteurs, et une violation des paragraphes 3 b) et 3 d) de l'article 14 à l'égard de M. Abdool Yasseen.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, MM. Abdool S. Yasseen et Noël Thomas ont droit à un recours utile. [Le Comité estime que dans les circonstances ce recours doit prendre la forme d'une libération.]
10. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'Etat partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
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* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen de la présente communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M. Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, M. Omran El Shafei, Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia./
** Le texte d'une opinion individuelle d'un membre du Comité, M. Nisuke Ando, est joint au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
Je ne suis pas opposé à la constatation de violation de l'article 14 du Pacte. Mais je ne puis être d'accord avec la conclusion du Comité selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article 10 pour les raisons suivantes :
En ce qui concerne les questions soulevées au titre du paragraphe 1 de l'article 10 (ainsi que de l'article 7 selon les auteurs), les auteurs ont initialement formulé les allégations qui figurent au paragraphe 3.6 du texte des constatations, mais l'Etat partie les a réfutées en détail dans ses observations datées du 3 octobre 1996, comme indiqué aux paragraphes 5.4 et 5.8 à 5.11. Les auteurs ont alors contesté ces observations en citant à l'appui de leurs affirmations deux déclarations sous serment décrivant les conditions de détention, ainsi qu'il ressort du paragraphe 6.7. A mon avis, les informations figurant dans ces deux déclarations sous serment ont un caractère général et, malgré les efforts déployés par les auteurs pour le prouver, on peut se demander en fait si chacun d'eux en particulier a été soumis à ces conditions générales et dans quelle mesure il l'a été. Le seul point sur lequel le Comité a pu se fonder pour conclure à une violation du paragraphe 1 de l'article 10 est que "les auteurs ne voyaient jamais la lumière du jour, sauf une heure par jour pendant la promenade", ce que l'on peut déduire du fait que l'Etat partie reconnaît que "les cellules des auteurs sont éclairées par des rampes lumineuses installées à l'extérieur ce qui donne à penser qu'elles ne reçoivent aucune lumière du jour" (voir par. 7.6. Non souligné dans l'original).
Je conçois que les auteurs aient invoqué à l'appui de leur allégation de violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (voir par. 6.7). A mon avis, ces règles peuvent certes représenter des normes "souhaitables" concernant le traitement des détenus et, de ce fait, le Comité peut très bien demander à un Etat partie au Pacte de faire de son mieux pour se conformer à ces règles, lorsqu'il examine un rapport de cet Etat partie. Mais, je ne pense pas que ces règles constituent des normes obligatoires du droit international que le Comité doive appliquer lorsqu'il détermine le bien-fondé des allégations formulées par l'auteur d'une communication. En outre, compte tenu des conditions de détention existant dans les zones urbaines dans un grand nombre des Etats parties au Pacte, je ne puis souscrire à la constatation de violation du paragraphe 1 de l'article 10 dans le cas de la présente communication.