Communication
no 678/1996
Présentée par: |
M. José Luis Gutiérrez Vivanco (représenté par
l’organisation non gouvernementale APRODEH) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Pérou |
Date de la
communication: |
20 mars 1995 (date de la communication initiale) |
Références: |
Décision du Rapporteur spécial prise
en application de l’article 91, communiquée à l’État partie le
8 mars 1996 (non publiée sous forme de document) |
Date de l’adoption des
constatations: |
26 mars 2002 |
Le
26 mars 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses
constatations concernant la communication no 678/1996 au titre
du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte des
constatations figure en annexe au présent document.
[ANNEXE]
ANNEXE
CONSTATATIONS
DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE
DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF
SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS
CIVILS ET POLITIQUES
Soixante‑quatorzième session
concernant la
Communication no 678/1996**
Présentée par: |
M. José Luis Gutiérrez Vivanco (représenté par l’organisation non gouvernementale APRODEH) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Pérou |
Date de la
communication: |
20 mars 1995 (date de la communication initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 mars 2002,
Ayant achevé l’examen de la
communication no 678/1996 présentée au Comité des droits de l’homme
par M. José Luis Guttiérrez Vivanco conformément au Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et
politiques,
Ayant tenu compte de toutes les
informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la
communication et l’État partie,
Adopte les constatations suivantes:
CONSTATATIONS AU TITRE DU
PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF
1. L’auteur de la communication datée du
20 mars 1995 est M. José Luis Gutiérrez Vivanco, citoyen péruvien qui
a été condamné à 20 ans d’emprisonnement pour terrorisme, puis gracié pour
raisons humanitaires le 25 décembre 1998. Il se dit victime de
violations par le Pérou des articles 7 et 14, paragraphes 1, 2 et 3
b), c), d) et e) du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. Il est représenté par l’organisation non gouvernementale APRODEH.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1 Au moment de son arrestation, l’auteur,
étudiant à la faculté de biologie de l’Université de San Marcos, à Lima, vivait
avec ses parents et ses sept frères et sœurs. Atteint d’une insuffisance
cardiaque chronique, il devait éviter tout exercice physique violent.
2.2 Le 27 août 1992, l’auteur a été arrêté au
domicile de sa fiancée, Luisa Mercedes Machaca Rojas. Il s’y trouvait quand des
policiers sont arrivés avec elle. Ils les ont arrêtés tous les deux et conduits
dans un fourgon aux bureaux de la Direction nationale contre le terrorisme
(Dirección Nacional contra el Terrorismo – DINCOTE). Là, l’auteur a été frappé,
puis ramené dans le fourgon où il a continué d’être maltraité. Par la suite, il
a été reconduit dans les locaux de la DINCOTE. Du fait de ces mauvais
traitements, l’auteur a dû être admis à l’hôpital de la police, puis
transféré immédiatement à l’hôpital public Dos de Mayo en raison de
l’insuffisance cardiaque chronique dont il souffrait. Il a été maintenu en
détention dans cet hôpital pendant les 15 jours d’enquête policière prévus
par le décret‑loi no 25475 du 6 mai 1992[1],
pour les affaires de terrorisme.
2.3 Durant l’enquête policière, l’auteur n’a
pas été représenté par un avocat. Toutefois, comme il était hospitalisé, on ne
lui a demandé de faire aucune déposition. L’auteur a été accusé par la police
d’avoir participé à des attaques subversives contre le magasin de chaussures
Bata et contre un restaurant, sur la base des déclarations des autres inculpés.
2.4 L’affaire a été instruite par le 10e
tribunal pénal de Lima, alors compétent à l’égard des infractions de
terrorisme. Devant le tribunal, l’auteur a déclaré avoir été victime de mauvais
traitements. Durant l’instruction, l’auteur a été représenté par un avocat de
son choix.
2.5 La procédure orale s’est déroulée à huis
clos dans une salle de la prison de haute sécurité
Miguel Castro Castro[2],
à Lima, entre le 7 avril et le 17 juin 1994, en l’absence
de témoins ou d’experts. Le tribunal était composé de magistrats anonymes
qui se tenaient derrière une glace spéciale afin de ne pas être identifiés et
s’exprimaient dans des haut‑parleurs qui déformaient leur voix. En outre,
ces magistrats n’étaient pas forcément spécialisés en droit pénal et pouvaient
être choisis parmi tous les magistrats de la Cour supérieure et du tribunal du
travail. Durant cette phase du procès, l’auteur était assisté par un avocat que
la mère de l’auteur avait engagé le jour même de la première audience parce
qu’il représentait un autre inculpé dans la même affaire. Lors de l’audience,
le Procureur a déclaré que la responsabilité pénale de l’auteur n’était pas
établie mais qu’il était obligé de l’accuser en vertu de la loi[3].
2.6 Le 17 juin 1994, la chambre spéciale
chargée des affaires de terrorisme de la Cour supérieure de Lima a condamné
l’auteur à une peine privative de liberté de 20 ans, condamnation que la
Cour suprême de justice a confirmée le 28 février 1995. Dans sa
décision, la chambre spéciale de la Cour supérieure de Lima déclarait que la
responsabilité pénale de l’auteur avait été confirmée par l’un des coaccusés,
Lázaro Gago, qui avait affirmé non seulement qu’il connaissait l’auteur et
sa fiancée mais aussi qu’il leur avait prêté sa maison pour y déposer les
marchandises prises lors de l’attaque contre le magasin de chaussures Bata.
Elle précisait en outre que la maladie congénitale de l’auteur ne pouvait
servir de base légale pour le mettre hors de cause compte tenu des accusations
portées contre lui par plusieurs inculpés qui affirmaient qu’il était membre du
«Sentier lumineux».
2.7 Après le jugement, la mère de l’auteur a
été informée qu’elle devait changer d’avocat car la nouvelle législation
disposait que dans les procès pour terrorisme, les avocats de la défense, à
l’exception des avocats commis d’office, ne pouvaient représenter en même temps
plusieurs accusés au niveau national[4].
2.8 En 1996, la mère de l’auteur a introduit en
son nom un recours en révision devant la Cour suprême de justice, où la
procédure était écrite et il n’y avait pas d’audiences en public ou à huis
clos. Le recours a été jugé irrecevable le 21 avril 1999[5].
2.9 Le 25 décembre 1998, en vertu de l’arrêt de
la Cour suprême no 403‑98‑JUS, l’auteur a été
gracié pour raisons humanitaires au motif que, du fait de sa maladie, il était
déjà très atteint dans sa santé et risquait de voir son état s’aggraver
rapidement; sa remise en liberté ne constituerait donc pas une menace pour la
paix sociale et la sécurité collective.
Teneur de la plainte
3.1 L’auteur affirme avoir été l’objet de mauvais
traitements lors de sa détention, ce qui constitue une violation de
l’article 7 du Pacte. Il fait en outre valoir qu’aucune enquête n’a été
menée à ce sujet malgré les déclarations qu’il avait faites lors de
l’instruction.
3.2 L’auteur allègue que les garanties d’une
procédure régulière n’ont pas été respectées, en violation du paragraphe 1
de l’article 14, puisque le procès s’est déroulé à huis clos et devant un
tribunal composé de juges anonymes, que le Procureur était tenu par la loi d’accuser
les prévenus même s’il les considérait innocents et que de faux aveux ont été
retenus comme élément de preuve.
3.3 L’auteur fait état d’une violation du
paragraphe 2 de l’article 14 étant donné que, lors du procès, il a
été seulement tenu compte de sa présence au domicile de sa fiancée et de la
déclaration de l’un des coaccusés mais d’aucun autre élément de preuve comme
les déclarations des témoins lors de l’enquête policière, les fouilles
corporelles et les perquisitions au domicile qui n’ont donné aucun résultat, et
les examens médicaux certifiant qu’il ne pouvait faire 50 mètres en
courant sans mettre sa vie en péril.
3.4 L’auteur soutient que l’examen du recours
en révision a souffert d’un retard injustifié, ce qui constitue une
violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.
3.5 L’auteur affirme qu’il n’a jamais pu
exercer son droit à la défense lors de l’enquête policière étant donné qu’il
n’était pas présent et que la loi ne lui a pas permis d’être défendu par un
avocat de son choix pendant le procès, en violation du
paragraphe 3 b) et d) de l’article 14.
3.6 L’auteur affirme enfin que les personnes
qui l’ont arrêté n’ont jamais été interrogées puisque la loi ne le permet pas
et qu’aucun témoin n’a été appelé à comparaître à l’audience pour contredire
les déclarations des coaccusés, ce qui pourrait soulever des questions au titre
du paragraphe 3 e) de l’article 14.
Observations de l’État partie
4.1 Dans ses observations du
6 janvier 1998 sur la recevabilité et le fond de la communication,
l’État partie fait valoir que la communication doit être déclarée irrecevable
conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole
facultatif étant donné que les doutes émis par l’auteur au sujet de la validité
des preuves constituent une question qui doit être examinée au niveau national
par un tribunal péruvien.
4.2 L’État partie considère que les faits réels
et les principes juridiques qui conduisent l’auteur à conclure qu’il y a eu
violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ne sont pas
clairement exposés dans la plainte. En outre, l’État partie estime qu’il n’a
pas à démontrer que les garanties procédurales ont été observées dans la
mesure où le respect des garanties minimales résulte du déroulement normal du
procès pénal de l’auteur, conformément aux procédures préétablies. De même, si
la régularité de la procédure avait fait l’objet d’une observation quelconque,
tout recours à ce sujet serait enregistré dans le dossier, ce qui n’est pas le
cas. En conséquence, l’État partie soutient qu’il n’y a pas eu violation des
dispositions des alinéas b, d et e du paragraphe 3 de
l’article 14.
4.3 L’État partie fait valoir que la
présomption d’innocence dont bénéficiait l’auteur a été remise en cause par la
déclaration à la police du coaccusé, Lázaro Gago, qui a reconnu l’auteur
et sa fiancée comme étant les personnes qui avaient gardé les marchandises
prises lors de l’attaque contre le magasin de chaussures Bata. En outre,
Luisa Machaca Rojas, la fiancée de l’auteur, a déclaré à la police
qu’ils appartenaient tous deux au Parti communiste du Pérou – Sentier lumineux
– et a décrit toutes les actions auxquelles ils avaient pris part. Enfin, il a
été tenu compte des déclarations à la police de deux des coaccusés,
Daniel Prada Rojas et Jayne Taype Suárez.
4.4 En ce qui concerne l’alinéa c du
paragraphe 3 de l’article 14, l’État partie affirme que même s’il y a
eu un certain retard dans l’examen du recours en révision, le caractère
«excessif» ou «injustifié» de ce retard aurait dû être déterminé par le
tribunal péruvien compétent pour connaître d’une plainte pour retard supposé
injustifié dans l’examen d’un recours. En d’autres termes, le système
judiciaire péruvien prévoit des recours en cas de retard jugé excessif dans
l’administration de la justice et il incombe à un tribunal péruvien d’examiner
les questions de ce type. Dans le cas présent, les moyens pertinents n’ont pas
été utilisés.
4.5 Dans une note verbale du
21 janvier 1999, l’État partie a fait savoir que l’auteur avait été
gracié le 25 décembre 1998 et immédiatement remis en liberté.
Commentaires de l’auteur
5.1 Dans ses commentaires du
17 octobre 2000, l’auteur répond aux allégations de l’État partie et
précise que lors de l’enquête policière, l’article 6 du décret‑loi no 25659,
interdisant expressément les recours pour violation des garanties, l’habeas corpus et l’amparo, était encore en vigueur, ce qui signifie qu’il ne disposait
d’aucun recours utile pour protéger ses droits à la liberté et à l’intégrité.
5.2 L’auteur soutient que la communication
présentée n’a pas pour objet d’affirmer son innocence. Il y a donc lieu de
rejeter les objections de l’État partie qui fait état de doutes qu’aurait
exprimés l’auteur au sujet de la validité des preuves retenues pour établir sa
responsabilité.
5.3 L’auteur se réfère aux observations de
l’État partie selon lesquelles les éléments déterminants dont il a été tenu
compte pour établir sa responsabilité étaient les déclarations faites à la
police par les inculpés. Selon lui, ces dépositions ont été recueillies lors
d’une phase qui n’offrait pas les garanties d’une procédure régulière,
notamment le droit de connaître les preuves à charge, le droit d’interroger les
témoins à charge ainsi que le droit de produire des preuves à décharge.
5.4 L’auteur rappelle qu’au moment de son
arrestation, l’article 12 du décret‑loi no 25475,
habilitant la police à mettre les détenus au secret sans autorisation
judiciaire, était en vigueur. Dans l’affaire en cause, tous les détenus ont
affirmé avoir été l’objet de mauvais traitements lors de l’enquête policière.
La validité de leurs déclarations est donc discutable, d’autant plus qu’il n’y
a eu aucune enquête sur ces actes de torture. Par conséquent, l’auteur
affirme que son procès n’a été qu’une simple formalité visant à justifier
les irrégularités commises par la police sans tenir compte des procédures
judiciaires. C’est sur cette base qu’il a été condamné, en violation du
principe d’innocence.
5.5 S’agissant de la possibilité de former un
recours pour retard injustifié dans l’examen du recours en révision, l’auteur
note que l’État partie a fait référence à l’existence d’un «tribunal péruvien
compétent» sans fournir de précision. D’après l’auteur, il incombe
à l’État partie d’indiquer expressément les recours disponibles et de
vérifier leur conformité aux principes de droit internationalement reconnus. En
outre, l’introduction d’un recours pour retard dans l’examen d’un recours en
révision conduirait à une succession infinie de recours.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans
une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à
l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication
est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu
de le faire en vertu de l’alinéa a du paragraphe 2 de
l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà
en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête et de
règlement.
6.3 Pour ce qui est de l’obligation d’épuiser
les recours internes, le Comité note que l’État partie a contesté la
recevabilité de la communication pour non‑épuisement des recours
internes, affirmant qu’il existe des possibilités de recours devant les
tribunaux péruviens compétents. Toutefois, le Comité considère que l’État
partie n’a pas précisé quel type d’action l’auteur pouvait intenter et devant
quel tribunal. En conséquence, le Comité considère qu’en l’espèce il n’a pas
été démontré que les recours internes étaient disponibles.
6.4 En ce qui concerne les allégations
relatives à la violation de l’article 7 du Pacte, le Comité note que
l’État partie n’a pas abordé cette question. Toutefois, l’auteur n’a fourni
aucun détail concernant les mauvais traitements subis après son arrestation et
les examens médicaux effectués par l’hôpital n’ont révélé aucune trace de
mauvais traitements. En conséquence, le Comité considère qu’en l’espèce,
les allégations formulées n’ont pas été suffisamment étayées et que cette
partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du
Protocole facultatif.
6.5 En ce qui concerne les allégations de l’auteur touchant la
violation du principe de la présomption d’innocence posé par le
paragraphe 2 de l’article 14, le Comité estime qu’elles n’ont pas été
suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et les déclare donc
irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.6 S’agissant des allégations de l’auteur selon lesquelles il n’a
pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de l’enquête policière, le
Comité estime que l’auteur n’a pas rapporté aux fins de la recevabilité la
preuve de ce que le défaut pour lui d’être assisté d’un avocat lors de la phase
policière constitue une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14
et déclare irrecevable cette partie de la communication en vertu de
l’article 2 du Protocole facultatif.
6.7 En conséquence, le Comité déclare le reste
de la communication recevable et procède à l’examen quant au fond, à la
lumière des informations portées à son attention par les parties, conformément
aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole
facultatif.
Examen de la question quant au
fond
7.1 L’auteur affirme qu’il y a eu violation du
paragraphe 1 de l’article 14 parce que le procès à l’issue duquel il
a été condamné pour terrorisme n’offrait pas les garanties nécessaires dans la
mesure où il s’est déroulé à huis clos devant un tribunal composé de juges
anonymes, la loi ne lui permettant ni d’appeler comme témoins les membres de la
police qui l’avaient arrêté et interrogé, ni d’interroger d’autres témoins lors
de la procédure orale du procès, et de faux aveux ayant été retenus contre lui
sans qu’il soit tenu compte d’autres éléments de preuve pertinents, en
violation du principe de la présomption d’innocence. Le Comité note que l’État
partie a affirmé que les garanties minimales avaient été respectées lors du
procès puisqu’elles étaient prévues dans les procédures préétablies et que
l’auteur avait été jugé conformément auxdites procédures. Toutefois, le Comité
renvoie à sa jurisprudence dans l’affaire Polay
Campos c. Pérou[6]
concernant les procès devant les «tribunaux sans visage», qui se déroulent dans
des prisons à huis clos et lors desquels les accusés ne peuvent identifier les
juges ni préparer leur défense ou interroger les témoins. Dans un tel système,
l’indépendance et l’impartialité des juges ne sont pas garanties, ce qui
constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
7.2 En ce qui concerne la violation présumée de
l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14, le Comité
considère que l’État partie s’est borné à expliquer que le retard invoqué par
l’auteur aurait dû être signalé aux tribunaux nationaux compétents et qu’il n’a
pas su expliquer pourquoi, en l’espèce, il n’a été donné suite qu’en 1999 au
recours en révision introduit en 1996. Le Comité considère donc qu’il y a eu
violation de l’alinéa c du paragraphe 3 de l’article 14.
8. Le Comité des droits de l’homme, agissant
en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des
paragraphes 1 et 3 de l’article 14 du Pacte.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de
l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’allouer à M. José
Luis Gutiérrez Vivanco une réparation effective, y compris une
indemnisation. Il doit également veiller à ce que des violations analogues
ne se reproduisent pas dans l’avenir.
10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole
facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour
déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à
l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se
trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus
dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une
violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un
délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner
effet à ses constatations. Il est également demandé à l’État partie de publier
les constatations du Comité.
[Adopté en espagnol (version
originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en
chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée
générale.]
Opinion individuelle de M. Ivan Shearer, membre du Comité
Je me suis joint aux constatations du Comité concernant la communication en cause. J’estime cependant nécessaire de préciser que le Comité n’a pas condamné la pratique des «tribunaux sans visage» en soi et en toutes circonstances. La pratique consistant à dissimuler à l’aide d’un masque ou par d’autres moyens l’identité des juges examinant des affaires spéciales, suivie dans certains pays en raison de graves menaces existant contre leur sécurité du fait d’activités terroristes ou d’autres formes de crime organisé peut être nécessaire pour assurer la protection des juges et l’administration de la justice. Quand des États parties au Pacte sont confrontés à une telle situation exceptionnelle, ils doivent prendre les mesures prévues à l’article 4 du Pacte pour déroger à leurs obligations au titre du Pacte, en particulier celles découlant de l’article 14, mais seulement dans la stricte mesure où la situation l’exige. Leurs déclarations de dérogation doivent être adressées au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies conformément à l’article susmentionné. Lorsqu’ils font toute déclaration qu’ils jugent nécessaire les États parties doivent tenir compte de la recommandation générale n° 29 (États d’urgence) adoptée par le Comité le 24 juillet 2001. Dans l’affaire en cause, l’État partie n’a pas communiqué d’observations concernant les affirmations de l’auteur, invoquant l’existence d’une situation d’urgence. L’État partie n’a pas fait non plus de déclarations de dérogation en vertu de l’article 4 du Pacte. En conséquence, il n’y avait pas lieu de se prononcer sur ces aspects de l’affaire en cause.
(Signé) Ivan Shearer
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]
-----
* Constatations rendues publiques sur décision du Comité des droits de l’homme.
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.
Le texte d’une opinion individuelle signé d’un membre du Comité, M. Ivan Shearer, est joint au présent document.
[1] En vertu de l’article 12 du décret‑loi no 25475 du 6 mai 1992, relatif au crime de terrorisme, la Police nationale du Pérou est chargée d’enquêter sur les actes de terrorisme, par l’intermédiaire de la Direction nationale contre le terrorisme (DINCOTE). Celle-ci est habilitée à déterminer si les preuves qu’elle a elle-même réunies sont suffisantes pour prononcer l’inculpation. Ainsi, conformément audit article, la police peut placer des suspects en détention pendant 15 jours et est simplement tenue d’avertir le juge et le ministère public dans les 24 heures suivant l’arrestation. L’article 2 d) dispose que, durant cette période, la police peut décréter la mise au secret des détenus.
[2] En vertu de l’article 16 du décret susmentionné, le procès se tient dans les établissements pénitentiaires concernés afin que les magistrats, membres du ministère public et auxiliaires de justice ne puissent être identifiés, visuellement ou auditivement par les prévenus et les avocats de la défense.
[3] Selon l’article 13 d) du décret, les procureurs sont tenus de formuler des accusations, et ne peuvent donc pas se prononcer sur l’innocence des inculpés même s’il n’existe aucun élément de preuve contre eux.
[4] Art. 18 du décret-loi.
[5] Il convient de signaler que, lorsque l’auteur a présenté sa communication au Comité des droits de l’homme, aucune décision n’avait encore été prise concernant le recours en révision.
[6] Communication no 577/1994, constatations du 6 novembre 1997.