Présentée par : Mohamed Refaat Abdoh Darwish
Au nom de : Le frère de l'auteur, Salah Abdoh Darwish Mohamed
Etat partie : Autriche
Date de la communication: 31 mars 195
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 28 juillet 1997,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Mohamed Refaat Abdoh Darwish, frère
de Salah Abdoh Darwish Mohamed, citoyen égyptien actuellement emprisonné
en Autriche. L'auteur affirme que son frère n'est pas en mesure d'adresser
lui-même une communication en raison de ses conditions de détention. Son
frère serait victime de violations par l'Autriche de l'article 7 et des
paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 14 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le frère de l'auteur a été arrêté à la fin du mois de janvier 1992
et inculpé du meurtre de sa femme, dont il était divorcé, Elfriede Patschg,
commis le 29 janvier 1992. Au cours de l'enquête, son frère a également
été inculpé d'avoir intentionnellement fait peser de faux soupçons sur l'ancien
mari de la victime, Kurt Maier. Le 12 novembre 1992, le frère de l'auteur
a été reconnu coupable des deux chefs d'inculpation et condamné à la prison
à perpétuité par la cour pénale de Graz. Le 6 mai 1993, la Cour suprême
d'Autriche a rejeté l'appel. Tous les recours internes ont donc été épuisés.
2.2 D'après l'accusation, Elfriede Patschg a succombé, le 29 janvier 1992,
à plusieurs coups portés à la tête, à une tentative de strangulation et
à 21 coups assenés avec un couteau de cuisine.
2.3 Selon l'auteur, l'accusation était principalement fondée sur l'expertise
d'un médecin - le docteur Zigeuner - et sur la déclaration d'un dénommé
Milan Reba ainsi que sur le fait que, le 14 juin 1988, la victime avait
fait de l'accusé son seul héritier. Dans son rapport d'expertise, le docteur
Zigeuner déclarait que l'accusé était motivé par la haine, la rage, la jalousie,
qu'il était sadique, vindicatif et égoïste. Milan Reba a déclaré avoir remarqué
à la tombée de la nuit quelqu'un sur le balcon de l'appartement de la victime
au moment des faits et a reconnu le défendeur à l'audience.
2.4 La défense du frère de l'auteur reposait sur un alibi et le fait que
Milan Reba avait déjà déclaré, lors de précédents interrogatoires, ne pas
avoir reconnu la personne qui se trouvait sur le balcon.
2.5 Le 4 février 1993, l'avocat de l'accusé a avancé des moyens d'appel
qui portaient essentiellement sur la sévérité de la peine et sur l'appréciation
des preuves. Pour ce qui est de l'appréciation des preuves, il a avancé
que le témoignage donné par Milan Reba au tribunal était contradictoire
avec la déposition qu'il avait faite lors de l'enquête. L'avocat a ajouté
qu'il n'y avait aucune trace de sang sur les vêtements du défendeur, que
la victime et le défendeur avaient toujours été en bons termes et que par
conséquent le défendeur n'avait pas de motif. Il a affirmé que le tribunal
n'avait pas respecté la règle "in dubio pro reo" et avait
renversé la charge de la preuve. La Cour suprême a rejeté l'appel le 6 mai
1993.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur fait valoir que son frère est victime d'une violation de l'article
7 du Pacte en raison des conditions dans lesquelles il est détenu. Après
avoir été arrêté, son frère n'a pas été soigné alors qu'il avait la main
cassée : elle est restée déformée. L'auteur ajoute que, une fois que la
Cour a rendu son arrêt, son frère est resté détenu pendant huit jours en
régime cellulaire, sans voir la lumière du jour, et qu'on lui a fait prendre
des médicaments qui ont altéré ses facultés mentales. A cause de ces conditions
de détention, il a tenté de mettre fin à ses jours en se coupant les veines.
3.2 L'auteur affirme en outre que son frère, étant en régime cellulaire,
n'a pas pu déposer son recours dans les délais prescrits.
3.3 En ce qui concerne le paragraphe 3 a) de l'article 14, l'auteur fait
valoir que son frère a été arrêté alors qu'il était hospitalisé pour sa
main cassée, que les motifs de son arrestation ne lui ont pas été indiqués
et qu'il n'a jamais pu informer sa famille ou l'ambassade d'Egypte de son
arrestation. L'auteur ajoute qu'il n'y avait aucune raison d'arrêter son
frère parce qu'il n'y avait aucune preuve contre lui, c'est-à-dire que les
enquêteurs n'avaient pas trouvé de trace de sang sur ses vêtements et que
rien n'indiquait qu'il se trouvait sur les lieux du crime.
3.4 Pour ce qui est des paragraphes 1 et 2 de l'article 14, l'auteur fait
valoir que son frère n'a pas bénéficié lors de son procès de la présomption
d'innocence mais que c'est à lui qu'a incombé la charge de la preuve. Il
affirme que le tribunal n'a pas pu établir la culpabilité de son frère faute
de preuve. L'auteur ajoute que le tribunal n'a tenu aucun compte du rapport
de police et des témoignages d'amis de son frère qui pouvaient attester
les bonnes relations qu'il entretenait avec la victime et que le procureur
a soustrait des documents prouvant que son frère ignorait l'existence du
dernier testament de la victime en sa faveur.
3.5 Pour ce qui est du paragraphe 3 e) de l'article 14, l'auteur indique
qu'un certain Nabil Tadruss avait témoigné au cours de l'enquête que l'accusé
se trouvait en sa compagnie, chez lui, au moment des faits mais que le procureur
avait soustrait les pièces contenant le témoignage. L'auteur affirme que
son frère n'a pas été autorisé à citer ce témoin à la barre.
3.6 L'auteur invoque en outre une violation du paragraphe 3 f) de l'article
14 parce que l'interprète palestinien près le tribunal n'a pas traduit correctement
les propos de son frère; toutefois, il ne précise pas ce grief et ne donne
pas d'exemple d'erreurs dans la traduction.
3.7 Il est précisé que la même question n'a pas été soumise à une autre
instance internationale d'enquête ou de règlement.
Observations de l'Etat partie et commentaires de l'auteur
4.1 Dans une réponse du 23 mai 1996, l'Etat partie rappelle les faits ayant
entouré l'arrestation et le procès. Il indique que l'ex-femme de M. Darwish
a été assassinée le 29 janvier 1992, à six heures du matin environ, de plusieurs
coups de poing violents portés à la tête, qu'elle a été étranglée et qu'elle
a reçu 21 coups de couteau de cuisine. Son corps a été trouvé le lendemain.
Le 30 janvier 1992, M. Darwish a été placé en garde à vue à 19 heures alors
qu'il se trouvait à l'hôpital de Graz, où il avait été admis le 29 janvier
1992 à 9 h 40, pour des blessures consécutives à un accident de la circulation
dont il aurait été victime, selon ses dires, plus tôt dans la matinée du
même jour. Il a été transféré au centre de détention de la cour pénale régionale
de Graz le 1er février 1992 à 18 h 30.
4.2 Le 12 novembre 1992, la cour pénale régionale de Graz l'a reconnu coupable
d'homicide volontaire sur son ex-femme et de diffamation à l'encontre du
premier mari de cette dernière qu'il a incriminé à tort au cours de l'enquête
préliminaire. La Cour suprême a rejeté son appel le 6 mai 1993.
4.3 L'Etat partie invoque le fait que l'auteur n'a pas démontré qu'il était
habilité à présenter une communication au Comité au nom de son frère. L'Etat
partie déclare que rien n'empêche la victime présumée de présenter elle-même
une communication en vertu du Protocole facultatif. Selon l'Etat partie,
la communication est par conséquent irrecevable.
4.4 L'Etat partie relève en outre que l'auteur a eu un échange de correspondance
avec le secrétaire de la Commission européenne des droits de l'homme. Il
rappelle la réserve qu'il a formulée au titre du paragraphe 2 a) de l'article
5 du Protocole facultatif, à savoir que le Comité n'examinera aucune communication
d'un particulier lorsque la même question a déjà été examinée par la Commission
européenne. Selon l'Etat partie, le Comité est par conséquent dans l'impossibilité
d'examiner la présente communication.
4.5 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle son frère
n'a pas été soigné alors qu'il avait la main cassée, l'Etat partie estime
qu'il s'agit d'un abus du droit de présenter une communication. Il rappelle
que le frère de l'auteur a été soigné à l'hôpital de Graz et qu'il a reçu
des soins chaque fois que c'était nécessaire. Par exemple, il a été conduit
à l'hôpital le 31 janvier 1992, lorsqu'il s'est plaint d'une douleur à la
main pendant son interrogatoire. Il a également fait l'objet de contrôles
médicaux réguliers et un spécialiste de médecine légale qui l'a aussi examiné
a constaté que la fracture ne pouvait pas s'être produite de la manière
indiquée par M. Darwish. En outre, l'Etat partie fait valoir que les recours
internes n'ont pas été épuisés puisque l'intéressé n'a pas utilisé les recours
prévus aux articles 120 à 122 du Code de l'application des peines, qui s'appliquent
aussi aux personnes en détention provisoire.
4.6 L'Etat partie rejette également l'allégation de violation du paragraphe
3 a) de l'article 14 du Pacte, qui constitue à ses yeux un abus du droit
de présenter une communication. Selon l'Etat partie, le procès-verbal du
premier interrogatoire de M. Darwish, qui a eu lieu le 30 janvier 1992 à
22 h 35, montre que ce dernier a été informé des raisons de son arrestation.
En outre, le 31 janvier 1992, il lui a été signifié qu'il pouvait demander
qu'une personne de confiance, un avocat ou le consulat de son pays soient
informés de son arrestation. L'Etat partie fournit une copie du formulaire
signé par le frère de l'auteur, dans lequel celui-ci désigne deux personnes
et un avocat à cet effet, mais ne mentionne pas le consulat d'Egypte.
4.7 L'Etat partie affirme en outre que l'allégation selon laquelle il n'existait
pas de motif suffisant pour placer le frère de l'auteur en garde à vue,
et selon laquelle la présomption d'innocence a été violée, est dénuée de
tout fondement. A ce sujet, l'Etat partie relève que le frère de l'auteur
a été reconnu coupable à l'unanimité par les huit membres du jury.
4.8 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle le témoin qui fournissait
un alibi à l'accusé n'a pas été autorisé à témoigner, l'Etat partie fait
observer que les minutes du procès montrent que ce témoin a été longuement
interrogé, mais qu'il n'a à aucun moment fourni un alibi à l'accusé. L'Etat
partie ajoute qu'au cours de la première confrontation avec ce témoin, le
frère de l'auteur lui a demandé en arabe de lui donner un faux alibi, ce
que le témoin a refusé de faire. L'interprète en a informé le tribunal.
Dans ces conditions, l'Etat partie fait valoir que cette allégation constitue
un abus du droit de présenter une communication.
4.9 L'Etat partie rejette l'allégation de l'auteur selon laquelle l'interprète
n'a pas traduit convenablement. Selon l'Etat partie, la plainte dirigée
contre l'interprète procède du fait que ce dernier a informé le tribunal
de l'incident survenu avec le témoin. L'interprète a alors été remplacé
par un autre, et l'accusé et son avocat n'ont jamais contesté l'interprétation.
5.1 Dans une lettre du 5 juillet 1996, l'auteur déclare qu'il est évident
que l'auriculaire de son frère est déformé et que cela est dû à la négligence
des autorités autrichiennes. Il rappelle aussi qu'on a fait prendre à son
frère des médicaments qui ont altéré sa mémoire et indique que celui-ci
a été détenu plusieurs fois dans une cellule sans lumière et qu'il était
malade.
5.2 L'auteur maintient que la condamnation de son frère ne repose sur aucune
preuve. Il rappelle qu'il n'y avait pas de traces de sang sur les vêtements
de son frère ni d'empreintes digitales sur le couteau. L'auteur affirme
également que le procureur a soustrait les documents contenant la déposition
du témoin de la défense qui avait témoigné que son frère se trouvait avec
lui au moment du meurtre.
5.3 L'auteur affirme que son frère avait droit à ce que ses propos soient
interprétés avec exactitude et que des personnes présentes à l'audience
ont essayé de dire au juge que l'interprète traduisait mal.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 L'Etat partie fait valoir que l'auteur a engagé une correspondance
avec le secrétariat de la Commission européenne des droits de l'homme et
il rappelle la réserve qu'il a formulée au titre du paragraphe 2 a) de l'article
5 du Protocole facultatif. Le Comité a établi, cependant, que la plainte
de l'auteur ne fait pas, ni n'a fait, l'objet d'un examen formel de la part
de la Commission européenne. La communication n'est donc pas irrecevable
de ce chef.
6.3 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle son frère
n'a pas été soigné, le Comité considère que, si tel était le cas, rien n'indique
que l'intéressé se soit plaint aux autorités pénitentiaires ou qu'il ait
invoqué la procédure énoncée aux articles 120 à 122 du Code de l'application
des peines. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable
pour non-épuisement des recours internes, en vertu du paragraphe 2 b) de
l'article 5 du Protocole facultatif.
6.4 L'allégation par l'auteur de violation de l'article 14 du Pacte concerne
en partie l'appréciation des faits et des éléments de preuve par le juge
et le jury. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu'il appartient
généralement aux juridictions d'appel des Etats parties au Pacte, et non
au Comité, d'apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d'espèce,
sauf s'il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire
et a représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance
du Comité ne montrent pas que la conduite du procès ait été entachée de
telles irrégularités. En conséquence, cette partie de la communication,
étant incompatible avec les dispositions du Pacte, est irrecevable conformément
à l'article 3 du Protocole facultatif.
6.5 Le Comité considère que les autres allégations de l'auteur n'ont pas
été suffisamment étayées, aux fins de la recevabilité de la communication,
et que par conséquent elles sont irrecevables au titre de l'article 2 du
Protocole facultatif.
6.6 L'Etat partie a déclaré que l'auteur n'était pas habilité à présenter
la communication au nom de son frère car ce dernier aurait pu saisir lui-même
le Comité. La communication étant irrecevable à d'autres chefs, le Comité
estime qu'il n'a pas à examiner cette assertion de l'Etat partie.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) que la communication est irrecevable;
b) que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et à l'auteur.
________________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati,
M. Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth
Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M.
Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin
Scheinin, M. Danilo Türk et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]