Comité des droits de l'homme
Soixante-sixième session
12 - 30 juillet 1999
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-sixième session -
Communication No 680/1996
Présentée par : Lancy Gallimore (représenté par M. Anthony Poulton
du cabinet d'avocats McFarlanes de Londres)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 29 avril 1995
Le Comité des droits de l'homme, institué conformément à l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 juillet 1999,
Ayant achevé l'examen de la communication No 680/1996 présentée
au Comité au nom de M. Lancy Gallimore en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et son conseil, et par
l'État partie,
Adopte les constatations ci-après :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Lancy Gallimore, citoyen jamaïcain
emprisonné au pénitencier général de Kingston. Il affirme être victime de
violations par la Jamaïque de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article
10 et des paragraphes 1, 3 b) et 5 de l'article 14 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par M. Anthony
Poulton du cabinet d'avocats londonien McFarlanes. L'infraction commise
par l'auteur a été requalifiée de meurtre n'entraînant pas la peine capitale.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été arrêté le 8 mai 1987 pour le meurtre de la dénommée
Angela Bess qui avait été commis le même jour et a été inculpé le 12 mai
1987. Le 18 novembre 1987, il a été reconnu coupable et condamné à mort
par la Circuit Court de Kingston. La cour d'appel de la Jamaïque
l'a débouté de son appel le 11 juillet 1988. Aucune demande d'autorisation
spéciale de former recours auprès de la section judiciaire du Conseil privé
n'a été déposée, pour les raisons exposées ci-après.
2.2 Depuis sa condamnation, le 18 novembre 1987, l'auteur était détenu
dans le quartier des condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine.
Le 8 décembre 1992, son dossier a été revu par un juge unique de la cour
d'appel, et conformément à la loi de 1992 portant modification de la loi
relative aux atteintes aux personnes, le crime dont il avait été reconnu
coupable a été requalifié de meurtre n'emportant pas la peine capitale.
La peine a donc été commuée en emprisonnement à perpétuité.
2.3 Pour ce qui est de la question de l'épuisement des recours internes,
le conseil explique que M. Gallimore n'a pas demandé l'autorisation spéciale
de former recours contre l'arrêt de la cour d'appel auprès de la section
judiciaire du Conseil privé, parce que la matière de son appel ne relevait
pas de la compétence - restrictive - du Conseil privé, qui a statué qu'il
ne jouerait pas le r_le de cour d'appel au pénal. De plus, le conseil londonien
de l'auteur aurait estimé que la requête avait peu de chances d'aboutir.
Par conséquent, il est affirmé que, dans le cas de l'auteur, le recours
auprès de la section judiciaire du Conseil privé n'est ni disponible ni
utile.
2.4 L'auteur n'a pas non plus déposé de recours devant la Cour suprême
(constitutionnelle) de la Jamaïque, parce qu'il a considéré qu'une requête
constitutionnelle était vouée à l'échec compte tenu du précédent créé par
les décisions de la section judiciaire du Conseil privé dans les affaires
DPP c. Nasralla / (1967) 2 11 ER 161./ et Riley
c. Attorney General of Jamaica / (1982) 2 All
ER 469./, dans lesquelles la section judiciaire a statué que la Constitution
jamaïcaine visait à prévenir la promulgation de lois injustes et non pas
seulement à prévenir des traitements inéquitables en vertu de la loi. Comme
l'auteur se plaint d'un traitement inéquitable et non pas de l'inconstitutionnalité
d'une loi promulguée après l'entrée en vigueur de la Constitution, le recours
constitutionnel ne lui est pas ouvert. Le conseil ajoute que, même si l'on
considère que l'auteur a effectivement, en théorie, la possibilité de déposer
une requête constitutionnelle, dans la pratique il n'en est rien puisqu'il
est sans ressources et que l'aide judiciaire n'est pas prévue pour ce type
de recours. Il renvoie à ce sujet aux décisions du Comité concernant les
communications No 230/1987 (Raphael Henry) et No 445/1991 (Lynden Champagnie,
Delroy Palmer et Oswald Chisholm).
2.5. D'après l'accusation, le 8 mai 1987, à 21 h 30, après qu'Angela Bess
eut parlé un moment dans la rue avec l'auteur, ce dernier l'a poignardée
à mort à l'aide d'un pic à glace.
2.6 La pièce maîtresse de l'accusation était le témoignage d'un certain
Phillip Robinson. Celui-ci a déclaré que depuis le siège avant d'un minibus,
il avait vu l'auteur, le dos tourné à la route, parler avec la victime à
c_té de l'arrêt de bus, puis l'avait vu brusquement tirer quelque chose
de sa ceinture et faire un geste hostile vers elle. Il avait vu l'auteur
partir précipitamment et quand il était descendu du bus la femme s'était
effondrée dans ses bras et lui avait dit que l'homme l'avait poignardée.
Le témoin avait allongé la victime par terre et était monté dans le bus
qui allait dans la direction que l'auteur avait prise en s'enfuyant. L'auteur
était lui aussi monté dans le bus et quand il en était descendu, le témoin
l'avait suivi et, se faisant passer pour un policier, l'avait sommé de s'arrêter.
Il avait fouillé ses poches et avait trouvé un pic à glace. Il s'en était
emparé et avait conduit l'auteur au poste de police.
2.7 Dans la soirée, la police avait retrouvé sur les lieux de l'incident
le corps d'Angela Bess, poignardée dans la région du coeur, et le 15 mai
1987, Aneita Taylor, la mère de la victime, avait reconnu sa fille.
2.8 L'auteur a fondé sa défense sur une erreur d'identification. Selon
la déclaration qu'il a faite sous serment, il avait pris un verre dans un
bar; plus tard alors qu'il attendait le bus, le témoin et un autre homme
s'étaient avancés vers lui, l'avaient appelé George Campbell et lui avaient
intimé de les suivre, sous la menace d'une arme à feu, d'abord sur les lieux
du crime, puis au poste de police. Il a affirmé qu'il ne connaissait absolument
pas la victime.
2.9 Les moyens d'appel avancés étaient l'iniquité du procès et l'insuffisance
des preuves pour fonder la condamnation. L'auteur n'était pas présent à
l'audience en appel et était représenté par un avocat commis au titre de
l'aide judiciaire différent de celui qui l'avait défendu au procès. Cet
avocat n'a développé aucun des motifs d'appel pour défendre l'auteur, affirmant
qu'il ne trouvait pas matière à défense.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme être victime d'une violation du paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte. À ce sujet, le conseil déclare que les 8 et 9 mai 1987, alors
que l'auteur était en garde à vue, des policiers l'ont frappé deux fois
avec un câble de frein sur tout le corps et lui ont marché sur le ventre
/ La question n'a pas été évoquée au procès./. Le conseil ajoute
que l'auteur a été sauvagement battu à plusieurs reprises par les gardiens
de la prison sans aucune raison quand il était dans le quartier des condamnés
à mort de la prison du district de St. Catherine et qu'à la suite d'un des
passages à tabac, il a perdu l'usage de sa main droite pendant 17 jours.
De plus, bien qu'il se soit plaint à plusieurs reprises aux autorités pénitentiaires,
l'auteur n'a jamais été soigné après ces passages à tabac et il n'a pas
non plus été examiné par un médecin.
3.2 Le conseil indique en outre que l'auteur a écrit au Médiateur parlementaire
quand les policiers l'ont passé à tabac pendant sa garde à vue, les 8 et
9 mai 1987, mais n'a jamais reçu de réponse / L'auteur ne fournit
pas de copie de sa lettre./. Il est fait référence au rapport de décembre
1993 d'Amnesty International, dans lequel l'organisation indique que les
services du Médiateur n'ont pas les moyens financiers nécessaires pour être
efficaces et que le dernier rapport du Médiateur remonte à décembre 1988.
Par conséquent, il est affirmé que les services du Médiateur parlementaire
n'offrent pas un recours interne utile en l'espèce.
3.3 Pour ce qui est de l'allégation de violation de l'article 14 du Pacte,
le Conseil cite des passages de l'exposé final du juge au jury. Il fait
valoir que le juge du fond n'a pas donné des instructions correctes au jury,
selon les règles qui doivent être suivies quand une affaire repose sur l'identification
par un témoin, et qui sont énoncées dans la décision prononcée dans l'affaire
R. c. Turnbull / (1977) QB 244./. En particulier,
le juge a fait une mise en garde insuffisante concernant l'identification
et n'a pas indiqué correctement et clairement que cet élément de preuve
était faible.
3.4 En ce qui concerne le paragraphe 3 b) de l'article 14, le conseil fait
valoir que l'auteur n'a pas eu assez de temps pour préparer sa défense et
pour communiquer avec le défenseur de son choix. Il fait remarquer que l'avocat
commis au titre de l'aide judiciaire pour représenter l'auteur devant le
premier tribunal n'a pas été choisi par l'auteur puisqu'il a été nommé par
le juge. Il fait aussi valoir que l'auteur a rencontré son avocat la première
fois quatre semaines seulement après son arrestation, que l'entretien a
duré 10 minutes et que l'avocat n'a pas noté par écrit les propos de l'auteur.
Par la suite, l'auteur aurait rencontré l'avocat deux fois seulement, après
l'audience préliminaire et immédiatement avant le procès, 10 minutes seulement
chaque fois, ce qui, selon le conseil, ne suffit pas pour faire le point
sur l'affaire. Aucun témoin à décharge n'a été cité.
3.5 Le Conseil fait observer en outre qu'en ce qui concerne l'appel, un
autre avocat a été commis à l'auteur au titre de l'aide judiciaire, et que
cet avocat ne l'a pas rencontré avant l'audience en appel et n'a développé
aucun moyen d'appel. En outre, l'auteur n'a pas assisté à l'audience. D'après
le conseil, il y a là également violation du paragraphe 5 de l'article 14
du Pacte.
3.6 En ce qui concerne le paragraphe 5 de l'article 14, le conseil ajoute
que l'auteur n'a pas eu accès aux minutes du procès ni à la transcription
de l'exposé final dûment argumenté du juge avant l'audience en appel. Il
fait valoir que, faute de cela, l'auteur a été privé du droit de faire examiner
sa condamnation par une juridiction supérieure / Il n'est pas
précisé dans la communication si l'auteur a demandé une copie des minutes
du procès et de l'exposé final; le conseil de l'auteur semble en avoir une
copie./. À ce sujet, il se réfère aux décisions du Comité relatives aux
communications No 230/1987 (Raphael Henry) et No 282/1988 (Leaford Smith)
dans lesquelles le Comité avait estimé que pour pouvoir exercer effectivement
le droit de faire examiner la condamnation et la peine par une juridiction
supérieure, le condamné devait avoir accès, dans un délai raisonnable, au
jugement écrit, dûment motivé.
3.7 Le conseil indique que, lors du réexamen de l'affaire aux fins de la
requalification de l'infraction, la période pendant laquelle l'auteur ne
pourrait prétendre à la libération conditionnelle a été fixée à vingt ans
/ Il ressort du dossier que la décision prise par un juge unique,
notifiée au prisonnier, prévoyait qu'il devait purger une peine de 15 ans
avant de pouvoir demander une libération conditionnelle. /, à compter de
la date de la requalification, en sorte qu'il n'a pas été tenu compte des
cinq années passées dans le quartier des condamnés à mort de la prison du
district de St. Catherine. D'après le conseil, le caractère rétrospectif
de l'article 7 de la loi de 1992 portant modification de la loi relative
aux atteintes aux personnes, qui vise les prisonniers déjà condamnés à mort,
est contraire à la fois à l'article 14 du Pacte et à la Constitution jamaïcaine.
Le conseil fait valoir qu'en vertu de l'article 7 de cette loi, l'auteur
a été en fait reconnu coupable d'une nouvelle infraction et aurait donc
dû bénéficier des droits afférents à un procès entièrement nouveau. Or on
ne lui a pas communiqué les raisons de la requalification de son infraction
ni le motif justifiant la durée de la peine infligée, et il n'a pas non
plus eu l'occasion de faire la moindre déclaration à propos de la décision
du juge unique relative à la requalification, ni de faire appel de la condamnation
prononcée par ce juge.
3.8 Le conseil fait valoir que si la durée incompressible de la peine a
été fixée sans qu'il soit tenu compte des cinq années passées dans le quartier
des condamnés à mort, il y a eu violation de l'article 7 du Pacte, car l'auteur
a été détenu pendant cette longue période en tant que condamné. Il est donc
demandé au Comité de solliciter une réparation appropriée pour cette violation,
qui en l'espèce devrait revêtir la forme d'une réduction de peine pour tenir
compte des années passées en prison avant la requalification.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
4.1 Dans ses observations du 21 juin 1996, l'État partie indique qu'il
souhaite répondre sur le fond bien qu'il estime que la communication devrait
être déclarée irrecevable au motif que tous les recours internes n'ont pas
été épuisés, l'auteur n'ayant pas demandé au Conseil privé d'examiner l'affaire.
4.2 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle il y a eu violation
de l'article 7 au motif que lors de la fixation de la durée de la peine
que l'auteur est tenu de purger après la requalification de l'infraction,
il n'a pas été tenu compte des cinq années qu'il a passées dans le quartier
des condamnés à mort, l'État partie fait valoir que la question de la libération
conditionnelle est visée à l'article 8 de la loi de 1992 portant modification
de la loi relative aux atteintes aux personnes. Cet article stipule qu'un
juge peut fixer la période pendant laquelle un prisonnier n'est pas autorisé
à prétendre à la libération conditionnelle. Lorsque cette période n'est
pas précisée, une peine incompressible de sept années est automatiquement
appliquée. La loi n'indique pas les éléments à prendre en compte avant de
fixer la durée de la peine devant être purgée. Le juge, usant de son pouvoir
discrétionnaire, examine tous les éléments pertinents avant de faire une
recommandation. Il n'est pas obligé de tenir compte de la partie de la peine
déjà purgée. Par ailleurs, à moins qu'il ait été établi que dans l'exercice
de son pouvoir discrétionnaire, le juge n'a pas fait preuve de modération
ou a outrepassé ses attributions, il ne peut être allégué qu'il y a eu violation
de l'article 7.
4.3 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle il y a eu violation
de l'article 10 au motif que l'auteur a subi des mauvais traitements pendant
qu'il était dans le quartier des condamnés à mort, l'État partie fait valoir
qu'il a besoin de précisions quant aux dates exactes ou approximatives auxquelles
les faits invoqués se seraient produits, le nom des gardiens et tout autre
élément d'information relatif à l'incident pour pouvoir procéder à une enquête.
4.4 Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle il y a
eu violation du paragraphe 3 b) de l'article 14 parce que les avocats commis
au titre de l'aide judiciaire tant au procès qu'en appel ne lui ont pas
consacré suffisamment de temps, l'État partie fait valoir que s'il est tenu
de fournir un conseil compétent, il n'est pas responsable de la manière
dont celui-ci choisit de représenter son client ni des éventuels manquements
de la part de ce dernier.
4.5 L'État partie rejette l'allégation selon laquelle il y a eu violation
du paragraphe 5 de l'article 14 au motif que l'auteur n'a pas eu accès aux
minutes du procès ni à la transcription de l'exposé final dûment argumenté
du juge du fond. Le fait est qu'un avocat commis au titre de l'aide judiciaire
a représenté l'auteur devant la cour d'appel saisie de l'affaire. Par conséquent,
l'État partie nie qu'il y ait eu la moindre violation.
4.6 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle le caractère rétrospectif
de l'article 7 de la loi de 1992 portant modification de la loi relative
aux atteintes aux personnes concernant la requalification des infractions
est contraire à l'article 14, l'État partie note que l'auteur a affirmé
que cela constituait également une violation de la Constitution jamaïcaine.
Si l'auteur estime qu'il y a eu violation de la Constitution, il lui incombait
de former un recours interne avant de saisir le Comité. En conséquence,
cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable au titre
du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
5.1 Dans sa réponse du 16 août 1996, le conseil réfute l'affirmation de
l'État partie selon laquelle l'auteur peut encore former recours auprès
du Conseil privé. Il fait remarquer que l'auteur n'a pas introduit de recours
auprès de la section judiciaire du Conseil privé, car les motifs sur lesquels
se fonde le Conseil privé pour déterminer si un recours en matière pénale
émanant d'un pays étranger est recevable sont très restrictifs. Il est établi
que le Conseil privé opère rarement en tant que cour d'appel pénale dans
la mesure où les seules affaires criminelles qu'il accepte d'examiner sont
celles qui lui semblent soulever une question d'ordre constitutionnel ou
faire apparaître une grave injustice. La compétence du Conseil privé étant,
pour ces raisons, très restreinte (bien plus restreinte que les pouvoirs
qui sont reconnus au Comité des droits de l'homme de l'Organisation des
Nations Unies), l'auteur n'a pas demandé l'autorisation spéciale de former
recours contre l'arrêt de la cour d'appel auprès de cette instance, puisqu'il
ne s'agit pas d'un recours disponible ni utile. Il a suivi en cela l'avis
donné par écrit par le conseil principal.
5.2 Le conseil réitère l'allégation initiale selon laquelle il y a eu violation
de l'article 7 du Pacte car lors de la requalification de l'infraction au
titre de la loi portant modification de la loi relative aux atteintes aux
personnes, les années passées par l'auteur dans le quartier des condamnés
à mort n'ont pas été prises en compte pour fixer la durée de la peine incompressible.
Le conseil estime que, puisque la loi n'indique pas les éléments à prendre
en compte pour fixer cette durée, il semble raisonnable que, dans l'exercice
de son pouvoir discrétionnaire, le juge prenne au moins en compte la peine
déjà purgée.
5.3 En ce qui concerne les allégations selon lesquelles l'auteur a été
passé à tabac par les gardiens de la prison, le conseil maintient ses affirmations
et souligne que tous les éléments d'information qui se trouvaient en sa
possession ont été communiqués à l'État partie et auraient dû être amplement
suffisants s'il y avait une réelle volonté d'enquêter sur ces allégations.
5.4 Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle l'auteur n'a pas été
représenté de manière adéquate, le temps qu'il a passé avec l'avocat pour
préparer la défense ayant été insuffisant, le conseil réaffirme qu'il y
a eu violation du paragraphe 3 b) de l'article 14, même si l'État partie
refuse d'assumer la responsabilité pour ce manquement.
5.5 Le conseil reconnnaît que l'affaire a été examinée par la cour d'appel,
mais réaffirme le fait que l'auteur n'a pas eu accès aux minutes du procès
ni à la transcription de l'exposé final dûment argumenté du juge, avant
l'audience en appel qui a eu lieu le 11 juillet 1988 et que, par conséquent,
il y a eu violation du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte /
Il ressort du dossier que la cour d'appel a examiné l'affaire et que l'avocat
de la défense a déclaré qu'ayant examiné l'affaire avec attention, il n'avait
pas trouvé matière à défense./.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner toute plainte figurant dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son Règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 À propos de l'allégation de l'auteur selon laquelle le conseil qui
lui avait été commis au titre de l'aide judiciaire ne l'a pas représenté
correctement au procès, car il n'a passé avec lui qu'un court moment avant
l'audience, n'a pas suivi, en visitant les lieux du crime, les instructions
qu'il lui avait données et n'a pas demandé la comparution d'un témoin à
décharge, contrevenant ainsi au paragraphe 3 b) et e) de l'article 14, le
Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu'il ne lui appartient pas
de mettre en cause le jugement professionnel du conseil, sauf s'il est évident
ou s'il aurait dû être manifeste pour le juge que le comportement dudit
conseil était contraire aux intérêts de la justice. Il n'y a aucune raison,
en l'espèce, de penser que le conseil n'a pas fait qu'exercer son jugement
professionnel. Le Comité conclut par conséquent que l'auteur de la communication
n'est pas fondé à invoquer l'article 2 du Protocole facultatif.
6.3 L'auteur affirme qu'il y a eu des irrégularités dans la procédure,
que le juge du fond n'a pas donné d'instructions correctes au jury quant
à l'interprétation de l'élément de preuve ayant servi à l'identification,
que sa mise en garde, notamment, concernant l'identification était insuffisante
et qu'il a omis d'indiquer correctement et clairement que cet élément de
preuve était faible. Le Comité réaffirme à ce sujet que si l'article 14
garantit à l'accusé le droit à un procès équitable, c'est aux juridictions
des États parties au Pacte qu'il appartient généralement d'apprécier les
faits et les éléments de preuve dans un cas d'espèce. De même, ce sont les
juridictions d'appel des États parties au Pacte, et non pas le Comité, qui
ont compétence pour examiner les instructions données au jury par le juge
du fond, sauf s'il peut être établi que ces instructions ont été manifestement
arbitraires ou ont constitué un déni de justice, ou que le juge a manifestement
manqué à son devoir d'impartialité. Rien dans les allégations de l'auteur
ni dans les minutes du procès qui ont été portées à la connaissance du Comité
n'indique que la conduite du procès ait été entachée de telles irrégularités.
En particulier, il ne semble pas qu'en donnant des instructions quant àl'interprétation
de l'élément de preuve ayant servi à l'identification, le juge ait manqué
à son devoir d'impartialité. En conséquence, n'ayant pas été étayée, cette
partie de la communication est irrecevable conformément à l'article 2 du
Protocole facultatif.
6.4 Pour ce qui est de l'obligation d'épuiser tous les recours internes,
le Comité a pris note de l'affirmation de l'État partie selon laquelle l'auteur
de la communication n'avait pas demandé l'autorisation spéciale de former
recours contre l'arrêt de la cour d'appel auprès de la section judiciaire
du Conseil privé. Toutefois, même si l'auteur n'a pas formé de recours devant
cette dernière instance, il ne peut lui en être tenu grief car pour pouvoir
introduire un recours devant la section judiciaire du Conseil privé, il
lui faut, comme il est sans ressources, joindre à sa requête un affidavit,
ainsi qu'un certificat du conseil attestant du caractère raisonnable des
motifs du recours. L'auteur n'a pas formé de recours devant le Conseil privé,
sur le conseil, formulé par écrit, de son défenseur principal. À cet égard,
le Comité tient à rappeler sa jurisprudence / Communication
No 283/1988 (Aston Little c. Jamaïque), constatations adoptées
le 1er novembre 1991./ et considère, qu'en l'espèce, une requête formée
devant le Conseil privé ne peut être considérée comme un recours utile et
ne constitue pas un recours qui doit être épuisé par l'auteur aux fins de
l'application du Protocole facultatif. Le Comité en conclut donc que rien
dans le paragraphe 2 b) de l'article 5 ne lui interdit d'examiner la communication.
6.5 Pour ce qui est de l'affirmation de l'État partie selon laquelle la
communication est irrecevable dans la mesure où tous les recours internes
n'ont pas été épuisés, l'accusé n'ayant pas tiré parti de la possibilité
de déposer une requête constitutionnelle pour violation de l'article 7 de
la loi de 1992 portant modification de la loi relative aux atteintes aux
personnes, le Comité rappelle qu'en vertu de sa jurisprudence les recours
internes doivent être à la fois utiles et effectifs au sens du paragraphe
2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Il note que l'État partie a
fait valoir que l'auteur de la communication pouvait encore former un recours
constitutionnel et constate que la cour suprême de la Jamaïque a dans certains
cas autorisé la formation de recours constitutionnels pour violations de
certains droits fondamentaux, après que les parties requérantes eurent été
déboutées en appel. Toutefois, le Comité rappelle que l'État partie a indiqué
à plusieurs occasion qu'aucune aide judiciaire n'était prévue pour les recours
constitutionnels. Le Comité considère qu'en l'absence d'une telle aide,
un recours constitutionnel ne saurait constituer un recours disponible devant
être épuisé aux fins du Protocole facultatif.
6.6 Le Comité déclare le reste de la communication recevable et procède
sans plus tarder à son examen quant au fond, en tenant compte de toutes
les informations qui lui ont été communiquées par les parties, comme l'exige
le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.1 Pour ce qui est des mauvais traitements que l'auteur affirme avoir
subis, le Comité note qu'il a déclaré avoir été battu alors qu'il était
en garde à vue, allégation à laquelle l'État partie n'a pas du tout répondu.
En conséquence, le Comité considère que cette allégation doit être dûment
prise en considération. Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon
laquelle il a été battu pendant sa détention à la prison du district de
St. Catherine et que faute de soins il a perdu l'usage d'une main pendant
17 jours, le Comité note que l'État partie a affirmé qu'il lui fallait de
plus amples informations sur cet incident. Il note également que selon le
conseil l'auteur a soulevé la question avec les gardiens de la prison. Or
l'État partie ne fait que demander de plus amples informations et ne semble
pas avoir enquêté sur la question. Il note en outre que la lettre du Conseil
l'informant de son incapacité de fournir d'autres renseignements a été transmise
à l'État partie en décembre 1996. En l'absence de précisions de la part
de l'État partie, le Comité considère que la plainte de l'auteur doit être
dûment prise en considération et conclut que le traitement qui lui a été
infligé par les autorités, non seulement pendant qu'il était en garde à
vue mais aussi durant sa détention, est contraire à l'article 7 et au paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte.
7.2 L'auteur affirme en outre que les droits qui lui sont reconnus au paragraphe
1 de l'article 14 du Pacte ont été violés lors de la procédure de requalification,
durant laquelle l'infraction qu'il avait commise a été reclassée dans la
catégorie des meurtres n'emportant pas la peine capitale en application
de l'article 7 de la loi de 1992 portant modification de la loi relative
aux atteintes aux personnes et la période durant laquelle l'auteur ne serait
pas habilité à demander une libération conditionnelle a été fixée à quinze
ans. Il est affirmé que l'auteur n'a pas été informé des raisons justifiant
la durée de la peine incompressible à laquelle il a été condamné et qu'il
n'a pas non plus eu l'occasion de participer à la procédure ou de faire
appel de la peine prononcée contre lui par le juge unique. Le Comité note
que si la loi prévoit une peine de prison à vie pour les auteurs d'infractions
requalifiées de crime n'emportant pas la peine capitale, en fixant la durée
incompressible de la peine, le juge exerce un pouvoir discrétionnaire qui
lui est conféré par la loi de 1992 portant modification de la loi relative
aux atteintes aux personnes et prend une décision qui est un élément essentiel
du processus d'appréciation des accusations portées contre l'auteur. Le
Comité note que l'État partie n'a pas contesté les affirmations de l'auteur
selon lesquelles il n'a pas eu la possibilité de formuler la moindre observation
avant la décision du juge ni de faire appel de cette décision. Dans ces
circonstances, il estime qu'il y a eu violation des paragraphes 1 et 5 de
l'article 14.
7.3 S'agissant de l'affirmation selon laquelle l'article 7 et le paragraphe
1 de l'article 10 ont été violés au motif que la période passée par l'auteur
dans le quartier des condamnés à mort (cinq ans) et la durée incompressible
de la peine, fixée à 15 ans / Voir note 7./ par le juge, prises
ensemble constituent une peine cruelle et inhumaine, le Comité se réfère
à sa jurisprudence constante selon laquelle la période passée dans le quartier
des condamnés à mort ne constitue pas en soi une violation de l'article
7. Pour ce qui est de la question de savoir si l'effet conjugué des cinq
années passées dans le quartier des condamnés à mort et de la durée incompressible
de la peine qui a été fixée à quinze ans constitue un traitement cruel et
inhumain, le Comité, tenant compte de la nature de l'infraction, conclut
qu'il n'y a pas eu violation des articles 7 et 10 en l'espèce.
7.4 En ce qui concerne l'allégation du conseil selon laquelle l'auteur
n'a pas été convenablement représenté en appel, le Comité note que le conseil
chargé de la défense de l'auteur en appel a admis qu'il n'y avait pas matière
à recours. Il rappelle sa jurisprudence / Voir, entre autres,
les constatations du Comité concernant les communications Nos 734/1997 (Anthony
McLeod c. Jamaïque) adoptées le 31 mars 1998, par. 6.3; 537/1993
(Paul Anthony Nelly c. Jamaïque), adoptées le 17 juillet 1996,
par. 9.5./ selon laquelle le paragraphe 3 d) de l'article 14 impose au tribunal
de s'assurer que la conduite d'une affaire par un avocat n'est pas contraire
aux intérêts de la justice. Même s'il n'appartient pas au Comité de remettre
en question la façon dont un conseil a exercé son jugement professionnel,
force est de rappeler que dans toute procédure pénale et notamment dans
une affaire de condamnation à mort, quand un avocat affirme qu'il n'y a
pas matière à défense, le tribunal doit s'assurer qu'il a consulté l'accusé
et l'a informé de son intention de plaider dans ce sens. S'il ne l'a pas
fait, le tribunal est tenu de s'assurer que l'accusé est bien informé de
cette intention et a la possibilité d'engager un autre avocat. Le Comité
est d'avis qu'en l'espèce, M. Gallimore aurait dû être informé que le conseil
commis au titre de l'aide judiciaire n'allait développer aucun moyen de
défense à l'appui du recours, ce qui lui aurait permis d'examiner toute
autre possibilité qui lui restait ouverte. Le Comité conclut donc qu'il
y a eu violation du paragraphe 5 de l'article 14 en ce qui concerne l'appel
formé par l'auteur.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article
10 et des paragraphes 1, 3 d) et 5 de l'article 14 du Pacte.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est
tenu de fournir à M. Gallimore un recours utile sous la forme d'une réduction
de la durée incompressible de la peine à la période minimum de sept ans
prévue dans la loi de 1992 portant modification de la loi sur les atteintes
aux personnes ou d'un réexamen de la durée de la période n'ouvrant pas droit
à la mise en liberté conditionnelle, dans le cadre d'une procédure garantissant
pleinement à l'auteur l'exercice de ses droits qui lui sont reconnus à l'article
14. L'État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues
ne se reproduisent pas à l'avenir.
10. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le Comité
avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte.
L'affaire ayant été soumise avant que la dénonciation du Protocole facultatif
par la Jamaïque ne prenne effet, le 23 janvier 1998, elle demeure sujette
à l'application des dispositions du Protocole facultatif conformément au
paragraphe 2 de l'article 12 du Protocole. Conformément à l'article 2 du
Pacte, l'État partie s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant
sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans
le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation
a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai
de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet
à ses constatations. L'État partie est également invité à publier les constatations
du Comité.
_______________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
N. Bhagwati, Lord Colville, Mme Elisabeth Evatt, Mme Pilar Gaitán de Pombo,
M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, M. Fausto Pocar,
M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski,
M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.
** Une opinion individuelle signée par un membre du Comité, M. Hipólito
Solari Yrigoyen, est jointe en annexe au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
APPENDICE
Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen
(exprimant son désaccord partiel)
J'ai une opinion individuelle au sujet du paragraphe 7.1. L'auteur a formulé
des allégations précises affirmant que des mauvais traitements lui avaient
été infligés alors qu'il était en garde à vue, et plus tard dans la prison
de St. Catherine, où une blessure lui a fait perdre l'usage de sa main pendant
17 jours; selon le conseil de l'auteur, les autorités pénitentiaires ont
été informées de l'incident. L'État partie n'a fourni aucun renseignement
à propos de ces allégations, se contentant de demander de plus amples précisions
au Comité : eu égard à l'obligation qui incombe à l'État partie en vertu
du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif, sa façon de procéder
n'est pas appropriée. Le Comité n'a pas non plus reçu d'informations sur
la question de savoir si l'incident a fait l'objet d'une enquête. Compte
tenu de ce qui précède, le Comité considère qu'il y a lieu de tenir compte
des accusations de l'auteur et que le traitement qu'il a subi, aussi bien
pendant qu'il était en garde à vue qu'en prison, constitue une violation
de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]