Communication
no 683/1996
Présentée par: M.
Michael Wanza (représenté par Stephen Chamberlain du cabinet d’avocats
Nabarro Nathanson de Londres)
Au nom de: L’auteur
État partie: Trinité-et-Tobago
Date de la communication: 11 mars 1996 (date de la
communication initiale)
Références: –
Décision prise par le Rapporteur spécial conformément
aux
articles 86 et 91, communiquée à l’État partie le 14 mars 1996
(non publiée sous forme de document)
– CCPR/C/61/D/683/1996 (décision
concernant la
recevabilité
prise le 14 octobre 1997)
Date de l’adoption des
constatations: 26 mars 2002
Le
26 mars 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au
titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
concernant la communication no 683/1996. Le texte en est annexé
au présent document.
[ANNEXE]
ANNEXE
CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE
L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE
FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS
CIVILS ET
POLITIQUES
Soixante‑quatorzième
session
concernant la
Communication
no 683/1996**
Présentée par: M. Michael
Wanza (représenté par Stephen Chamberlain du cabinet d’avocats Nabarro
Nathanson de Londres)
Au
nom de: L’auteur
État
partie: Trinité-et-Tobago
Date
de la communication: 11 mars 1996
(date de la communication initiale)
Le
Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni
le 26 mars 2002,
Ayant
achevé l’examen de la communication no 683/1996 présentée
par M. Michael Wanza en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant
tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées
par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte
les constatations suivantes:
Constatations
au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1. L’auteur
de la communication, Michael Wanza, citoyen trinidadien et ancien maçon, né
en 1964, qui à l’époque de la présentation de la communication était en
attente d’exécution à la Frederick Street State Prison de Port of Spain. Il
prétend être victime de violations de la part de la Trinité-et-Tobago des
articles 7 et 10, paragraphe 1, et 14 [par. 3 c) et 5)] du Pacte. Il est
représenté par le conseil. Le 24 juin 1996, la peine capitale frappant
l’auteur a été commuée en peine de prison de 75 ans et aux travaux forcés.
Les faits tels qu’ils
sont présentés par l’auteur
2.1 M.
Wanza a été reconnu coupable de meurtre par le Tribunal de première instance de
Port of Spain le 28 février 1989 et condamné à mort. La cour d’appel
de la Trinité-et-Tobago a rejeté son appel le 20 janvier 1994. Le Comité
judiciaire du Conseil privé n’a pas fait droit, le 11 décembre 1995, à la
demande d’autorisation spéciale de former un recours.
2.2 Le
8 mars 1996, il a été donné lecture à M. Wanza d’un ordre judiciaire fixant la
date de son exécution au 13 mars 1996. Une motion constitutionnelle a été
déposée en son nom après la publication de l’ordre judiciaire en vue d’obtenir
un sursis à l’exécution. Un sursis a été accordé en attendant le résultat de
l’examen de la motion constitutionnelle. Le 11 mars 1996, le représentant de
l’auteur a présenté l’affaire en vertu du Protocole facultatif; une demande
d’adoption de mesures provisoires en vertu de l’article 86 du règlement
intérieur du Comité a été présentée le 14 mars 1996. En juin 1996, la
condamnation à mort frappant l’auteur a été commuée et il a été retiré du
quartier des condamnés à mort de la prison.
Teneur de la plainte
3.1 Le
conseil affirme que M. Wanza est victime d’une violation des articles 7 et 10,
paragraphe 1, en raison de sa détention dans le quartier des condamnés à mort
pendant une période de sept ans et quatre mois depuis sa condamnation et la
commutation de la peine capitale en juin 1996. Dans sa présentation initiale,
le conseil fait valoir qu’en raison de l’intervalle écoulé, l’application de la
peine de mort serait contraire aux dispositions de la Constitution.
Il renvoie à cet égard à la jurisprudence du Comité judiciaire du Conseil
privé dans Pratt and Morgan et dans Guerra c. Baptiste de
la Cour suprême du Zimbabwe[1].
3.2 Le
conseil fait valoir que l’angoisse qu’a causée à M. Wanza pendant plus de sept
ans le fait d’être constamment confronté à la perspective de son exécution
ainsi que les conditions de sa détention dans le quartier des condamnés à mort
de la prison nationale, constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant au
sens des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte. À cet égard, le conseil fait
valoir que l’auteur a été incarcéré dans une cellule 22 heures par jour où il
se trouvait seul et qu’il a passé la plupart de son temps dans l’obscurité.
3.3 D’après
la déposition sous serment de l’auteur à l’appui de sa motion
constitutionnelle, il affirme être incarcéré dans une petite cellule (3 m sur 2
m environ) comportant un lit, une table, une chaise et un seau hygiénique,
dénuée de fenêtre et aérée au moyen d’une petite ouverture de 40 cm sur
20 cm. Toute la rangée de cellules est éclairée par des lampes fluorescentes
qui restent allumées toute la nuit et empêchent l’auteur de dormir. À part
l’heure habituelle d’exercice dans la cour, il n’est autorisé à quitter sa
cellule que lors de visites et pour prendre un bain une fois par jour. Les
dimanches et jours fériés, il ne peut pas quitter sa cellule par manque de
personnel pénitentiaire.
3.4 Le conseil allègue une
violation de l’article 14, paragraphe 3 c), ainsi que du paragraphe 5, du fait
que la cour d’appel n’a pas examiné l’appel interjeté par M. Wanza dans des
délais raisonnables: il fait valoir qu’un délai de près de cinq ans pour
statuer sur un appel interjeté à la suite d’une condamnation à la peine
capitale est inacceptable. Il renvoie à l’Observation 13[21] du Comité des
droits de l’homme.
Observations de l’État
partie
4. Dans
sa réponse reçue le 9 juillet 1996, l’État partie fait valoir qu’une requête
constitutionnelle a été déposée, et que par conséquent la plainte devrait être
considérée comme irrecevable en raison du non-épuisement des recours internes.
Le 4 octobre 1996, l’État partie confirme que la peine de mort prononcée à
l’encontre de l’auteur est commuée en peine d’emprisonnement (75 ans de travaux
forcés).
Décision du Comité
concernant la recevabilité
5.1 Le
Comité a examiné la recevabilité de la communication à sa soixante et unième
session. Il a noté que la requête constitutionnelle déposée au nom de l’auteur
n’avait plus d’objet du fait de la commutation de la peine capitale en peine
d’emprisonnement par décision du Président trinidadien, et que par conséquent
l’auteur ne serait plus tenu d’épuiser d’autres recours disponibles et utiles.
5.2 Le
Comité a estimé que, aux fins de la recevabilité de sa communication, l’auteur
avait suffisamment étayé ses allégations au titre de l’article 7 et du
paragraphe 1 de l’article 10, dans la mesure où elles concernent ses
conditions de détention dans le quartier des condamnés à mort, et au titre des
paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, eu égard au retard enregistré dans
l’examen de son pourvoi.
6. En
conséquence, le 14 octobre 1997, le Comité a déclaré la communication recevable
dans la mesure où elle semble soulever des questions au regard de
l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 3 c) et 5
de l’article 14 du Pacte.
Examen quant au fond
7.1 L’État
partie a transmis ses observations quant au fond concernant la communication
par une note datée du 12 mai 1999. En ce qui concerne les conditions de
détention, il note que l’auteur s’est limité à des allégations d’ordre général,
arguant par exemple qu’il était enfermé seul dans une cellule et dans
l’obscurité 22 heures sur 24. L’État partie affirme que les conditions de
détention de l’auteur dans le quartier des condamnés à mort et depuis la
commutation de sa peine ne sont pas contraires aux dispositions du Pacte. Il
indique à ce propos que, dans des affaires similaires[2]
fondées sur des allégations du même ordre, la cour a estimé, après avoir
entendu les autorités pénitentiaires et les détenus, que ces conditions ne
constituaient pas un traitement cruel. Il rappelle également que dans ses
constatations concernant l’affaire Dole Chadee et al.[3],
le Comité des droits de l’homme avait considéré que les conditions de détention
à la Trinité-et-Tobago ne violaient pas l’article 10 du Pacte. L’État partie en
conclut que l’auteur a constamment été traité avec le respect de la dignité
inhérente à sa personne et que ses allégations de torture et de traitement ou
autres peines cruelles, inhumaines ou dégradantes sont sans fondement.
7.2 À
propos des allégations formulées par l’auteur au titre des articles 7 et 10 du
Pacte, et qui concernent la durée de sa détention dans le quartier des
condamnés à mort, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité des droits
de l’homme, qui considère que la détention prolongée dans le quartier des
condamnés à mort ne constitue pas en soi un traitement cruel, inhumain ou
dégradant en l’absence d’autres circonstances impérieuses. Estimant que ces
circonstances n’existent pas en l’espèce, l’État partie récuse l’argument de
l’auteur selon lequel les conditions de détention pourraient frapper
d’illégalité l’exécution de la peine capitale, en renvoyant à ce propos aux
affaires Fisher c. Ministre de la sécurité publique (no 1),
1998 A.C. 673 et Hilaire et Thomas c. Procureur général de la
Trinité-et Tobago, 1999.
7.3 S’agissant
de l’allégation faisant état d’un retard dans l’examen du pourvoi, l’État
partie précise que le laps de temps qui s’est écoulé entre le prononcé de la
sentence et l’examen du pourvoi n’a pas été excessif compte tenu de la
situation qui prévalait à l’époque (le lendemain d’une tentative de coup
d’État). La montée de la criminalité avait en effet considérablement alourdi la
charge de travail des tribunaux, d’où l’augmentation du nombre d’affaires en souffrance.
Par ailleurs, il n’a pas toujours été possible d’établir avec diligence des
procès‑verbaux complets et exacts, ce qui a entraîné des retards. Depuis,
des réformes procédurales ont été engagées pour éviter ces engorgements. Des
ressources financières et autres ont été affectées à la justice et des juges
supplémentaires ont été nommés à la Haute Cour et à la cour d’appel. Une unité
de transcription assistée par ordinateur a été mise en place afin que des
procès-verbaux complets et exacts puissent être établis dans les meilleurs
délais. En conséquence, les recours sont maintenant entendus dans l’année qui
suit les condamnations.
8. Malgré
les deux rappels adressés au conseil de l’auteur, le Comité n’a pas reçu de
commentaires sur les observations de l’État partie.
Délibérations du Comité
9.1 Le
Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant
compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties,
conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
9.2 S’agissant
de la plainte de l’auteur selon laquelle ses conditions de détention
constituent une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de
l’article 10 du Pacte, le Comité relève que les informations sur
l’éclairage de la cellule fournies par le conseil et l’auteur sont
contradictoires mais que les autres allégations relatives aux conditions de
détention, en particulier celles selon lesquelles la cellule, petite et sans
fenêtre, n’est aérée que par une bouche de ventilation de 45 cm sur 20 et
l’auteur y a été maintenu 22 à 23 heures par jour et n’a pas été autorisé à en
sortir les week-ends et jours fériés par manque de personnel pénitentiaire,
n’ont été contestées par l’État partie que de manière très générale, ce qui,
selon sa jurisprudence étaye l’accusation selon laquelle le paragraphe 1
de l’article 10 du Pacte a été violé. Au vu de cette conclusion concernant
l’article 10 du Pacte, qui porte spécifiquement sur la situation des personnes
privées de leur liberté y compris les éléments énoncés en termes généraux à
l’article 7, il n’y a pas lieu d’examiner séparément les plaintes présentées au
titre de l’article 7.
9.3 S’agissant
de la plainte de l’auteur selon laquelle sa détention prolongée dans le
quartier des condamnés à mort constitue une violation de l’article 7 et du
paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, le Comité relève que l’auteur
a été maintenu dans ledit quartier du 28 février 1989, date de sa
condamnation, au 24 juin 1996, date à laquelle sa peine a été commuée.
Rappelant sa jurisprudence[4],
selon laquelle une détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort ne
constitue pas en soi une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de
l’article 10 du Pacte si elle n’est pas aggravée par d’autres
circonstances et estimant, compte tenu des faits portés à sa connaissance, que
cela n’a pas été le cas, le Comité conclut que la durée de la détention dans le
quartier des condamnés à mort ne constitue pas en l’espèce une violation de
l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.
9.4 En
ce qui concerne la période de presque cinq années qui s’est écoulée entre la
condamnation de l’auteur et la formation de son recours, le Comité a pris note
des explications de l’État partie et notamment de sa déclaration au sujet des
mesures qu’il a prises pour remédier à la situation. Il tient cependant à
souligner que les droits consacrés par le Pacte constituent des normes
minimales que tous les États parties ont accepté d’observer[5].
Se prévalant du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte, selon lequel
tout accusé a le droit d’être jugé sans retard excessif, et du
paragraphe 5 du même article, selon lequel tout accusé a le droit de faire
réexaminer la déclaration établissant sa culpabilité et sa condamnation, le
Comité estime que la période de presque cinq années qui s’est écoulée entre la
condamnation de l’auteur en février 1989 et le rejet de son appel par la cour
d’appel en janvier 1994 est incompatible avec le paragraphe 3 c) de l’article
susmentionné, lu conjointement avec le paragraphe 5 du même article.
10. De
même, se prévalant du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se
rapportant au Pacte, le Comité estime que les faits dont il est saisi
constituent une violation de l’article 5 et du paragraphe 1 de l’article 10 du
Pacte, ainsi que du paragraphe 3 c) de l’article 14, lu conjointement avec le
paragraphe 5 du même article.
11. Conformément
au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à
M. Wanza un recours effectif, y compris la possibilité d’une libération
anticipée.
12. En
adhérant au Protocole facultatif, la Trinité-et-Tobago a reconnu que le Comité
avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La
présente affaire ayant été examinée avant que sa dénonciation du Protocole ne
devienne effective le 27 juin 2000, cette dénonciation ne saurait, conformément
au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole, entraver l’application
de celui-ci. Dans ces conditions et étant donné que, conformément à l’article 2
du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se
trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus
dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation
a été établie, le Comité souhaite recevoir de lui, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses
constatations.
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* Constatations rendues publiques sur décision du Comité des droits de l’homme.
** La communication a été examinée par les membres du Comité suivant: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmet Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Maxwell Yalden.
[1] Pratt and Morgan c. Procureur général de la Jamaïque et autres, appel du Conseil privé no 10 de 1993, jugement du 2 novembre 1993; Guerra c. Baptiste and others [1995] All ER 583; Cour suprême du Zimbabwe, jugement S.C. 73/93 du 24 juin 1993 dans Commission catholique pour la justice et la paix au Zimbabwe c. Procureur général du Zimbabwe.
[2] Joey Ramiah c. Procureur général de la Trinité‑et‑Tobago et Commissaire des institutions pénitentiaires H.C.A. no 1164 de 1998, Haute Cour de justice, 13 novembre 1998. L’État partie rappelle également que, dans l’affaire Thomas et Hilaire, le Conseil privé a entériné les conclusions de la cour d’appel de la Trinité‑et‑Tobago, laquelle a estimé que les conditions de détention ne constituaient pas un traitement cruel et inhabituel au regard de l’article 5.2.b de la Constitution.
[3] Communication no 813/1998, CCPR/C/63/D/813/1998, constatations adoptées le 29 juillet 1998.
[4] Voir notamment les constatations que le Comité a formulées dans la communication no 558/1994, Erroll Johnson c. Jamaïque, et qu’il a adoptées le 22 mars 1996, par. 8.2 à 8.5, et les constatations qu’il a formulées dans le document CCPR/C/66/D/709/1996, Everton Bailey c. Jamaïque, et qu’il a adoptées le 21 juillet 1999, par. 7.6.
[5] Voir les constatations que le Comité a formulées à propos de l’affaire Lubuto c. Zambie dans le document CCPR/C/55/D/390/1990 et qu’il a adoptées le 31 octobre 1995, par. 7.3. Voir également celles qu’il a formulées à propos de l’affaire Sextus c. Trinité-et-Tobago dans le document CCPR/C/72/D/818/1998 et qu’il a adoptées le 16 juillet 2001, par. 7.3.