Présentée par: Rafael Armando Rojas Garciá
Au nom de: L'auteur
État partie: Colombie
Date de la communication: 30 août 1995 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 avril 2001,
Ayant achevé l'examen de la communication n 687/1996 présentée par M.
Rafael Armando Rojas García conformément au Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été
communiquées par l'auteur de la communication et par l'État partie,
Adopte ce qui suit:
1. L'auteur de la communication est Rafael Armando Rojas García, de nationalité
colombienne, qui saisit le Comité en son nom et en celui de sa mère âgée,
de ses deux enfants, de son frère et de deux surs, de trois nièces et d'une
employée de maison. Toutes ces personnes seraient victimes de violations
par la Colombie des dispositions suivantes du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques: article 7, paragraphe 3 a de l'article
14, paragraphes 1 et 2 de l'article 17, paragraphe 3 a de l'article
19, articles 23 et 24. Les faits exposés semblent aussi soulever une question
au titre du paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 5 janvier 1993 à 2 heures du matin, un groupe d'hommes armés et
en civil, appartenant aux services techniques du parquet (Cuerpo Técnico
de Investigación de la Fiscalía), ont pénétré par effraction dans la
maison de l'auteur, en passant par le toit. Ces hommes ont fouillé chacune
des pièces de la maison, terrorisant et injuriant les membres de la famille
de l'auteur, même les jeunes enfants. Pendant cette perquisition, l'un d'eux
a tiré des coups de feu en l'air. Deux autres hommes ont pénétré dans la
maison par la porte d'entrée; l'un d'eux a tapé à la machine à écrire une
déclaration et a obligé le seul homme adulte de la famille présent (Alvaro
Rojas) à la signer, sans lui permettre de la lire ou d'en avoir une copie.
Alvaro Rojas ayant demandé s'il était nécessaire d'agir avec tant de brutalité,
il lui a été répondu qu'il n'avait qu'à s'adresser au Procureur, Carlos
Fernando Mendoza. C'est alors que la famille Rojas a appris que la perquisition
avait été ordonnée dans le cadre de l'enquête ouverte à la suite de l'assassinat
du maire de Bochalema, Ciro Alfonso Colmenares.
2.2 Le même jour, Alvaro Rojas a porté plainte auprès du Procureur de Cúcuta
(Procuraduría Provincial de Cúcuta) pour violation de domicile. Cette
autorité provinciale a ouvert une enquête, mais celle-ci n'a jamais été
menée à son terme et l'affaire a simplement été classée sans suite le 3
novembre 1993, sans que l'auteur en soit informé. Il a déposé une nouvelle
plainte auprès du Procureur délégué à la police judiciaire et administrative
de Bogota (Procuraduría General de la Nación, Procuraduría Delegada de
la Policía Judicial y Administrativa), plainte qui a également été classée,
le 24 juin 1994, prétendument en application du principe non bis in idem.
L'auteur a alors saisi le tribunal administratif de Cúcuta, afin d'obtenir
réparation pour cette brutale intrusion, avec utilisation d'arme à feu,
à son domicile.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que cette brutale descente à son domicile a été une
expérience psychologiquement très traumatisante, qui a eu des effets préjudiciables
sur la santé de sa sur invalide, Fanny Elena Rojas García. Celle-ci est
morte le 8 août 1993, la perquisition violente étant considérée comme la
cause indirecte du décès. La mère de l'auteur, âgée de 75 ans, ne s'est
jamais complètement remise du choc.
3.2 L'auteur indique que, loin de mener avec diligence une enquête, les
autorités ont tout fait pour couvrir l'incident. Personne n'a jamais cherché
à déterminer la responsabilité des autorités qui avaient autorisé l'opération
ni des agents qui l'avaient exécutée, notamment de l'homme qui avait tiré
un coup de feu dans la chambre où dormaient de jeunes enfants.
3.3 L'auteur considère que ces événements constituent des violations de
l'article 7, du paragraphe 3 a de l'article 14, des paragraphes 1
et 2 de l'article 17, du paragraphe 3 a de l'article 19 et des articles
23 et 24 du Pacte.
Observations de l'État partie et réponse de l'auteur
4.1 Dans une réponse datée du 12 novembre 1996, l'État partie fait valoir
que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes, étant donné qu'une procédure
disciplinaire est toujours en cours à l'égard des personnes qui ont procédé
à la perquisition au domicile de l'auteur.
4.2 L'État partie fait valoir en outre que la perquisition s'est déroulée
dans le respect de toutes les prescriptions légales énoncées à l'article
343 du Code de procédure pénale et était donc légale. La perquisition avait
été ordonnée par un fonctionnaire de justice, Miguel Angel Villamizar Becerra,
et a été effectuée en présence d'un procureur (procurador). L'État
partie précise que le Procureur général (Fiscalía General) a demandé
aux services d'enquête interne (Veeduría) toutes les pièces concernant
les responsabilités éventuelles des agents qui ont pris part à l'opération
afin de déterminer si une action disciplinaire devait être engagée. L'État
partie signale aussi qu'une enquête disciplinaire a été menée par la direction
des enquêtes (Dirección Seccional del Cuerpo Técnico de Investigación)
et par le Procureur chargé des affaires de la police judiciaire (Procuraduría
Delegada para la Policía Judicial); dans les deux cas l'affaire a été
classée.
5. Dans ses commentaires datés du 22 janvier 1997, l'auteur réaffirme que
la perquisition était illégale, car l'article 343 du Code de procédure pénale
ne permet pas des actions «de type commando» menées de nuit, les intrusions
domiciliaires par le toit, les coups de feu en l'air, etc. D'après lui,
le Procureur chargé des affaires militaires (Fiscal Delegado ante las
Fuerzas Armadas) n'était pas présent et le Procureur (procurador)
n'est apparu que tout à la fin de l'opération et seulement pour établir
un procès-verbal, dont le frère de l'auteur n'a pas reçu copie. L'auteur
réaffirme que la perquisition a eu de très grandes répercussions sur sa
famille, dont les membres ont été montrés du doigt, accusés d'être les assassins
de l'ancien maire, que sa sur est morte à la suite de cette descente de
police et que sa mère et les jeunes enfants sont toujours traumatisés. Il
note que les procédures administratives engagées en 1993 n'ont à ce jour
donné aucun résultat.
6. Le 14 octobre 1997, l'État partie a informé le Comité qu'il s'était plusieurs
fois enquis de la procédure administrative entamée. Le Procureur général
(Fiscalía General de la Nación) a demandé à la direction des enquêtes
de Cúcuta (Seccional del Cuerpo Técnico de Investigación) si une
action avait été engagée contre l'agent Gabriel Ruiz Jiménez. Au 30 avril
1997, aucune procédure n'avait été engagée. L'État partie s'est de nouveau
enquis de l'existence d'une procédure en juin, juillet et août 1997 et à
chaque fois la réponse a été négative. Il affirme que l'enquête se poursuit
et que par conséquent les recours internes n'ont pas été épuisés.
Décision du Comité concernant la recevabilité
7.1 À sa soixante-deuxième session, le Comité a examiné la question de la
recevabilité de la communication et a noté que l'État partie demandait qu'elle
soit déclarée irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes.
Le Comité a considéré que, dans les circonstances de l'affaire, il convenait
de conclure que l'auteur avait essayé avec diligence, mais en vain, de faire
usage des recours ouverts afin de déterminer les responsabilités dans la
violation de son domicile. Plus de cinq ans après les faits (au moment de
la décision concernant la recevabilité), les responsables n'avaient pas
été identifiés ni inculpés et encore moins jugés. Le Comité a conclu que
dans ces conditions les procédures de recours avaient excédé des «délais
raisonnables» au sens du paragraphe 2 b de l'article 5 du Protocole
facultatif.
7.2 En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 3 a
de l'article 14 du Pacte, du paragraphe 3 a de l'article 19 et des
articles 23 et 24, le Comité a constaté qu'il s'agissait d'observations
de caractère général et qu'elles n'étaient pas étayées par de nouveaux éléments.
Ainsi, rien n'indiquait que l'auteur ait été accusé d'une infraction pénale
dont il n'avait pas été informé dans le plus court délai (art. 14, par.
3 a) ou qu'il y ait eu atteinte à son droit à la liberté d'expression
(art. 19) et l'auteur n'explique pas non plus en quoi l'État se serait immiscé
dans sa vie de famille ou n'aurait pas respecté les droits des enfants (art.
23 et 24).
7.3 En ce qui concerne les autres allégations – relatives à l'article
7 et aux paragraphes 1 et 2 de l'article 17 du Pacte –, le Comité
a estimé qu'elles étaient suffisamment étayées pour être recevables et qu'elles
devaient donc être examinées au fond.
Observations de l'État partie sur le fond et commentaires de l'auteur
à ce sujet
8.1 Dans une réponse datée du 28 décembre 1999, l'État partie réaffirme
sa position en ce qui concerne l'irrecevabilité de la communication et considère
qu'il n'y a eu aucune violation des articles du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques.
8.2 L'État partie signale, comme l'avait déjà fait l'auteur, que les services
techniques du parquet de Cúcuta ont découvert une enquête administrative
tendant à faire la lumière sur l'incident survenu le 5 janvier 1993 lors
de la perquisition au domicile de la famille Rojas García et que, par une
ordonnance du 3 novembre 1993, il a décidé le classement sans suite. De
même, après l'enquête visant à établir les faits, des investigations préliminaires
pour ces mêmes faits ont été ordonnées contre Gabriel Juiz Jiménez qui avait
tiré le coup de feu pendant l'opération. D'après le Procureur délégué, il
n'y avait pas lieu de poursuivre l'enquête préliminaire étant donné qu'il
avait été établi que le Procureur général de la nation, par l'intermédiaire
de la direction des services techniques du parquet de Cúcuta, avait engagé
et achevé une procédure disciplinaire pour ces mêmes faits, procédure qui
avait abouti à une décision de classement (voir par. 2.2).
8.3 Par un acte en date du 10 mai 1999, le Procureur général de la nation
a réaffirmé que la direction des services techniques du parquet de Cúcuta
qui avait engagé la procédure préliminaire disciplinaire à l'encontre de
Gabriel Ruiz Jiménez avait décidé de classer l'affaire considérant qu'il
avait tiré accidentellement et non par négligence ou par abus de pouvoir,
raison pour laquelle il n'y avait pas lieu d'ouvrir une enquête pénale.
8.4 En ce qui concerne le traumatisme psychologique causé aux habitants
de la maison par la panique, l'État partie affirme qu'il appartient à un
expert médical de le déterminer, dans le cadre de la procédure contentieuse
administrative qui est en cours.
8.5 L'État partie signale que l'auteur a engagé, pour les mêmes faits, devant
le tribunal du contentieux administratif du département de Norte de Santander
une action en réparation des préjudices qui auraient été causés.
8.6 L'État partie ne partage pas l'avis du Comité qui affirme que plus de
cinq ans après les faits les responsables des incidents n'ont pas été identifiés
ni inculpés. Pour lui, il est clair que la perquisition a été menée par
des membres des services techniques du parquet, conformément à l'article
343 du Code de procédure pénale qui dispose:
8.7 Ainsi l'État partie estime que la responsabilité pour une éventuelle irrégularité
par les intéressés dans l'exercice de leurs fonctions doit être déduite des
enquêtes des autorités compétentes. En ce qui concerne la responsabilité supposée
de M. Gabriel Ruiz Jiménez, le Procureur a établi qu'il s'agissait d'un accident.
8.8 Pour ce qui est de la durée excessive des procédures de recours internes
au regard du paragraphe 2 b de l'article 5 du Protocole facultatif,
à laquelle se réfère le Comité, l'État partie fait les remarques suivantes:
1) Depuis les faits, le frère de l'auteur a exercé les recours prévus par
la législation nationale auprès du Procureur général de la nation qui, par
l'intermédiaire du Procureur délégué à la police judiciaire et administrative
de Bogota, a ordonné par une décision du 24 janvier 1994 le classement de
l'affaire étant donné que le Procureur général de la nation, par l'intermédiaire
de la direction des services techniques du parquet de Cúcuta, avait mené
à bien une enquête disciplinaire pour les mêmes faits. L'État partie explique
que le simple fait qu'un recours interne n'aboutisse pas ne suffit pas à
montrer qu'il n'existe pas d'autres recours ou que tous les recours internes
utiles ont été épuisés. Si, dans une affaire comme l'affaire à l'étude,
le recours n'est pas approprié, il est évident qu'il n'est pas nécessaire
de l'exercer mais qu'il faut en former un autre plus approprié.
2) M. Rojas García a engagé de plus une action en réparation contre l'État
auprès du tribunal du contentieux administratif du département de Norte
de Santander en se prévalant d'une autre voie de recours; quand l'État
partie a reçu la communication, la décision était sur le point d'être
rendue. Donc, contrairement à ce que le Comité affirme, les procédures
n'ont pas excédé des délais raisonnables étant donné que les circonstances
de l'affaire ont exigé que les recours employés soient aussi appropriés
et efficaces que possible. Pour que les recours soient appropriés, il
faut que leur fonction dans le système interne soit de nature à assurer
la protection de la situation juridique à laquelle il a été porté atteinte.
La règle vise à produire un effet et ne peut pas être interprétée comme
n'ayant pas produit d'effet ou comme ayant eu un résultat manifestement
absurde ou déraisonnable. Les autorités compétentes n'ont pas eu l'intention
de prolonger les investigations mais toute légèreté de leur part aurait
réellement conduit à des décisions absurdes et illogiques.
8.9 L'État partie réaffirme que M. Rojas García n'avait pas épuisé les recours
internes au moment où il a soumis sa communication au Comité, qui aurait dû
la déclarer irrecevable en vertu du paragraphe 2 b de l'article 5 du
Protocole facultatif.
9.1 Les observations de l'État partie sur le fond ont été transmises à l'auteur
qui, dans une réponse datée du 14 mars 2000, réfute quelques-uns des arguments
avancés. Ainsi il réaffirme qu'une famille qui n'a jamais eu affaire avec
la justice a été victime d'une violation de domicile dont les occupants
ont été maltraités. Il explique que la perquisition a eu lieu parce qu'on
supposait que dans cette maison se trouvaient les criminels et que, quand
les agents se sont aperçus qu'il n'y avait que des enfants et des personnes
âgées, au lieu de reconnaître leur erreur, ils n'ont fait jusqu'ici que
persister.
9.2 D'après l'auteur, l'article 343 du Code de procédure pénale ne pouvait
pas être appliqué dans le cas du domicile d'une famille honnête sans que
les conditions légales les plus élémentaires prévues pour ce genre de cas
soient réunies. En faisant violemment irruption dans la maison, par le toit,
à 2 heures du matin et en tirant un coup de feu, les agents ont porté atteinte
au droit à la protection de la vie, au droit à la vie de famille et à d'autres
droits et libertés garantis dans la Constitution de la Colombie.
9.3 L'auteur réfute l'argument du Gouvernement qui donne à entendre que
plus une enquête dure longtemps moins les décisions sont absurdes et illogiques.
L'auteur réitère que, plus de sept années se sont écoulées depuis les faits
et que l'affaire n'a toujours pas été réglée.
9.4 L'auteur ajoute qu'il serait impératif que les cas arbitraires où il
est fait un usage injustifié de la force soient considérés comme des affaires
spéciales justifiant un traitement particulier, de façon à pouvoir être
étudiées par des organismes internationaux de surveillance et préserver
ainsi l'impartialité nécessaire pour qu'un procès soit équitable.
9.5 Par une réponse du 10 juillet 2000, l'auteur donne des renseignements
sur l'issue de l'action qu'il a engagée contre l'État devant le tribunal
du contentieux administratif du département de Norte de Santander afin d'obtenir
réparation: le tribunal a décidé de rejeter ses prétentions en invoquant
l'absence de preuve et en s'en tenant strictement à l'article 343 du Code
de procédure pénale. L'auteur signale que la décision a été attaquée en
deuxième instance auprès du Conseil d'État, à Bogota.
9.6 L'auteur réaffirme que, d'après des témoins oculaires, la perquisition
devait se faire à la maison no 2-36 et non au no 2-44 (celle de la famille
Rojas García). Il explique aussi que la veuve de Ciro Alfonso Colmenares
(maire de Bochalema, dont l'homicide faisait l'objet de l'enquête qui avait
donné lieu à la perquisition au domicile de la famille Rojas) lui a assuré
qu'elle ne les avait jamais dénoncés. Pour ce qui est du coup de feu tiré
par Gabriel Ruiz Jiménez, il affirme que ce n'était pas un accident mais
que l'agent avait tiré une fois qu'il était à l'intérieur pour obliger les
occupants à aller chercher les clefs de la porte qui donnait sur la rue.
Il signale que, quand ils se sont aperçus que vivait dans la maison une
fonctionnaire du parquet régional de Pamplona, Cecilia Rojas García, les
agresseurs ont changé d'attitude et certains se sont excusés en déclarant
s'être trompés.
9.7 En ce qui concerne le décès de sa sur quelques mois après les faits,
l'auteur affirme que les autorités n'ont pas déployé les efforts voulus
pour montrer l'existence d'un lien de causalité entre la perquisition et
sa mort.
Examen quant au fond
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
à la lumière de toutes les informations qui lui avaient été communiquées
par les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
10.2 Le Comité a noté que l'État partie affirmait que l'auteur n'avait pas
épuisé les recours internes au moment où il avait adressé sa communication,
qui n'aurait pas dû être déclarée recevable. Il note également que selon
l'État partie les autorités compétentes n'ont pas eu l'intention de prolonger
la procédure mais que toute légèreté de leur part aurait au contraire conduit
à des décisions absurdes et illogiques. Le Comité renvoie à ce qu'il a indiqué
à ce sujet dans sa décision sur la recevabilité.
10.3 Le Comité doit déterminer en premier lieu si les conditions réelles
dans lesquelles la perquisition au domicile de la famille Rojas García (irruption
au domicile par le toit, à 2 heures du matin, d'hommes en cagoule) s'est
déroulée constituent une violation de l'article 17 du Pacte. Dans sa réponse
du 28 décembre 1999, l'État partie réaffirme que la perquisition a été effectuée
dans le respect de la lettre de la loi, conformément à l'article 343 du
Code de procédure pénale. Le Comité ne s'interroge pas sur la légalité de
la perquisition, mais il considère que l'article 17 du Pacte oblige à ce
que l'immixtion soit non seulement légale mais qu'elle ne soit pas arbitraire.
Conformément à son observation générale no 16 (HRI/GEN/1/Rev.4, du 7 février
2000), le Comité estime que la notion d'arbitraire à l'article 17 a pour
objet de garantir que même une immixtion prévue par la loi soit conforme
aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et soit, dans tous
les cas, raisonnable eu égard aux circonstances de l'affaire. Il estime
en outre que l'État partie n'a pas produit suffisamment d'arguments pour
justifier l'opération telle que décrite. En conséquence, le Comité conclut
qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article 17 dans la mesure où
l'immixtion au domicile de la famille Rojas García a été arbitraire.
10.4 Le Comité ayant constaté qu'il y avait eu violation de l'article 17
du Pacte du fait du caractère arbitraire de la perquisition au domicile
de l'auteur, il ne juge pas nécessaire de se prononcer sur la question de
savoir si la perquisition avait porté atteinte à l'honneur et à la réputation
de la famille Rojas García.
10.5 Pour ce qui est de la violation présumée de l'article 7 du Pacte, le
Comité constate que l'État partie n'a pas réfuté le traitement que la police
a fait subir à la famille Rojas García, tel qu'il est exposé au paragraphe
2.1 ci-dessus. En conséquence, le Comité décide qu'il y a eu en l'occurrence
violation du Pacte.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation par l'État partie à l'égard de la famille
Rojas García de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 17 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques.
12. En vertu du paragraphe 3 a de l'article 2 du Pacte, l'État partie
est tenu de garantir à Rafael A. Rojas García et à sa famille un recours
utile sous forme d'une indemnisation. L'État partie est également tenu de
veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
13. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie a reconnu
que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation
du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à
garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant
de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours
utile lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de
l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures
prises pour donner effet à ses constations. Le Comité demande également
à l'État partie de rendre publiques ses constatations.
__________________
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen de
la présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer,
M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Nigel Rodley, M. Martin
Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Ahmed Tawfic
Khalil, M. Patrick Vella, M. Maxwell Yalden.
** Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité, M. Rafael
Rivas Posada n'a pas participé à l'examen de la communication.
*** Le texte d'une opinion individuelle signée par deux membres du Comité,
M. Nisuke Ando et M. Ivan A. Shearer, est joint en annexe au présent document.
Opinion individuelle de MM. Nisuke Ando et Ivan A. Shearer
Nous souscrivons à la conclusion du Comité selon laquelle il y a eu violation
du paragraphe 1 de l'article 17, dès lors qu'il y a eu immixtion arbitraire
au domicile de la famille Rojas García. Nous ne pouvons cependant partager
sa conclusion selon laquelle il y a eu en l'espèce violation de l'article
7 (par. 10.3 et 10.5).
De l'avis du Comité (la majorité des membres), le traitement subi par la
famille Rojas García aux mains de la police, tel qu'il est décrit au paragraphe
2.1 et que l'État partie n'a pas réfuté, constitue une violation de l'article
7. Il est dit au paragraphe 2.1 que le 5 janvier 1993, à 2 heures du matin,
un groupe d'hommes armés et en civil, appartenant au parquet, ont pénétré
par infraction dans la maison de l'auteur, en passant par le toit; que ces
hommes ont fouillé chacune des pièces de la maison, terrorisant et injuriant
les membres de la famille de l'auteur, même les jeunes enfants; et que pendant
cette perquisition, l'un de ces hommes a tiré des coups de feu en l'air.
Comme l'auteur lui-même le déclare, le groupe d'hommes qui a procédé à la
perquisition se serait apparemment trompé de maison (n 2-44 au lieu du no
2-36) et lorsqu'ils se sont rendu compte que dans la maison vivait une fonctionnaire
du parquet régional, certains de ses membres se sont excusés en déclarant
s'être trompés (par. 9.6). L'auteur explique aussi que la perquisition a
eu lieu parce que l'on supposait que dans cette maison se trouvaient des
criminels mais que, après l'incident, le parquet, au lieu de reconnaître
l'erreur, n'a fait jusqu'ici que persister (par. 9.1).
Selon nous, les membres du groupe qui a procédé à la perquisition devaient
forcément s'attendre à une vive résistance, voire armée, de la part des
occupants de la maison, parce qu'ils supposaient que l'assassin ou les assassins
du maire s'y cachaient. C'est ce qui expliquerait les faits relatés au paragraphe
2.1: l'irruption par effraction dans la maison, en passant par le toit,
au milieu de la nuit; puis la fouille, pièce par pièce, de la maison, accompagnée
sans doute de propos grossiers tenus par les membres du groupe; et le coup
de feu accidentel tiré par l'un d'eux. Il y a eu certes erreur de la part
du parquet, mais il est douteux que le comportement de ceux qui ont procédé
à la perquisition par erreur puisse être qualifié de comportement constituant
une violation de l'article 7.
Nous pensons que les auteurs de la perquisition ont agi de bonne foi jusqu'à
ce qu'ils se soient rendu compte qu'ils s'étaient trompés de maison. L'État
partie maintient que la perquisition de la maison de l'auteur s'est déroulée
conformément à la loi. Il affirme aussi que la direction des services techniques
du parquet avait engagé une procédure préliminaire sur le coup de feu et
estimé que celui-ci avait été tiré non par négligence mais accidentellement
(par. 8.3). Dans ces circonstances, nous concluons que les membres du groupe
qui a procédé à la perquisition n'avaient nullement l'intention de terroriser
la famille de l'auteur.
Normalement, pour qu'il y ait violation de l'article 7, le fait doit avoir
été commis intentionnellement, et l'absence d'intention plaide en faveur
de l'exclusion, ou de l'atténuation, de l'illicéité du fait. Cela vaut pour
la perquisition opérée par la police en l'espèce. Il s'ensuit qu'à notre
avis, il n'y a pas eu en la présente affaire violation de l'article 7.
(Signé) Nisuke Ando
(Signé) Ivan A. Shearer
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]