Comité des droits de l'homme
Soixante-neuvième session
10 - 28 juillet 2000
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-neuvième session -
Communication No 688/1996
Présentée par : Mme Carolina Teillier Arredondo
Au nom de : María Sybila Arredondo
État partie ; Pérou
Date de la communication : 17 novembre 1995 (date de la communication
initiale)
CONSTATATIONS
1. L'auteur de la communication est Mme Carolina Teillier Arredondo, fille
de Mme María Sybila Arredondo, de nationalité chilienne et péruvienne par
mariage, veuve, actuellement incarcérée à la prison de haute sécurité pour
femmes de Chorrillos à Lima (Pérou) où elle purge plusieurs peines pour activités
terroristes. L'auteur présente la communication au nom de sa mère, parce que
celle-ci, pour des raisons matérielles, n'est pas en mesure de le faire elle-même.
Elle affirme que sa mère est victime de violations, par le Pérou, du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, concrètement de l'article
7, des paragraphes 3 et 4 de l'article 9, des paragraphes 1 et 3 de l'article
10, et des paragraphes 1, 2, 3 b), 3 c), 3 d), 3 e), 6 et 7 de l'article 14
du Pacte.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Mme Arredondo avait été arrêtée une première fois le 29 mars 1985 à
Lima (premier procès). À l'époque, elle avait été accusée d'activités terroristes
(notamment de détention et de transport d'explosifs). Elle avait été acquittée
de ces chefs d'inculpation et remise en liberté à l'issue de deux procès,
tenus en août 1986 et en novembre 1987.
2.2 Lorsqu'elle a été arrêtée une deuxième fois, le 1er juin 1990 (deuxième
procès), Mme Sybila Arredondo militait en faveur des droits de l'homme à
Lima et était spécialisée dans l'aide aux groupes autochtones (1).
Elle a été arrêtée dans le bâtiment où elle travaillait en même temps que
plusieurs personnes ayant des liens avec l'organisation terroriste Sentier
lumineux.
2.3 Mme Arredondo a été arrêtée sur accusation d'appartenir à une organisation
appelée "Socorro Popular", qui serait un groupe de soutien du
Sentier lumineux, et elle a été condamnée à 12 ans d'emprisonnement par
un "tribunal sans visage" (dossier No 05-93). Un avocat chargé
de sa défense a déclaré que Mme Arredondo avait été condamnée simplement
parce qu'elle se trouvait dans le bâtiment au moment où plusieurs membres
du Sentier lumineux étaient interpellés par la police. Aucun des autres
coaccusés ne l'a incriminée et aucun témoin à charge n'a comparu; aucune
expertise n'a été produite qui puisse l'incriminer. L'avocat reconnaît qu'au
moment de son arrestation, Sybila Arredondo portait sur elle une fausse
carte d'électeur. L'auteur joint à sa communication un avis d'un conseil
de Lima qui affirme : "pour ce qui est des accusations portées contre
Mme Sybila, il est regrettable qu'absolument rien n'ait été fait pour la
mettre hors de cause ni pour réfuter les allégations dont elle était l'objet.
Aucun élément à sa décharge n'a été avancé et, de surcroît, elle n'a répondu
à aucune des questions posées par la police ou devant le juge, attitude
observée par les autres personnes impliquées, ce qui a donné l'impression
que tous agissaient d'une façon concertée, puisqu'ils étaient censés appartenir
à la même organisation".
2.4 Alors qu'elle était en détention, des poursuites ont été engagées, en
mai 1992 (troisième procès), contre Mme Arredondo, soupçonnée d'avoir participé
aux événements survenus la première semaine de mai 1992, lors d'une intervention
de la police à la prison Miguel Castro Castro. Le procureur a requis la
réclusion à perpétuité, en application de la nouvelle législation antiterroriste
péruvienne. Mme Arredondo a été acquittée en octobre 1995, également par
un "tribunal sans visage" (dossier No 237-93).
2.5 Le premier procès, celui de 1985, a été rouvert en novembre 1995 devant
un "tribunal sans visage", qui a condamné Mme Arredondo le 21
juillet 1997 à 15 ans d'emprisonnement (dossier No 98-93).
2.6 Il a été fait appel des trois jugements, à la demande de Mme Arredondo
dans le cas des deux jugements par lesquels elle avait été condamnée et
par le ministère public dans le troisième cas. L'auteur reconnaît que les
recours internes n'ont pas été épuisés en ce qui concerne les poursuites
pénales engagées contre sa mère. Toutefois, elle considère que les procédures
ont été excessivement longues.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que les conditions de détention sont effroyables,
que les détenues n'ont le droit de sortir de leur cellule de 3 m x 3 m que
30 minutes par jour. Elles ne peuvent avoir ni crayon ni papier, sauf autorisation
expresse. Mme Arredondo a été autorisée à écrire trois lettres en trois
ans. Les livres envoyés aux détenues font l'objet d'une censure sévère et
il n'est pas sûr qu'ils parviennent à leurs destinataires. Les détenues
n'ont rigoureusement aucun accès à des magazines, des journaux, à la radio
ou à la télévision. Seules les détenues du premier étage de l'aile B peuvent
travailler dans un atelier : Mme Arredondo est au deuxième étage et ne peut
faire que quelques travaux à la pièce, très rudimentaires. La nourriture
est de très mauvaise qualité. Les denrées alimentaires et tous les articles
de toilette doivent être remis aux autorités dans des sacs en plastique
transparent; les boîtes de conserve et les bocaux sont interdits. Les médicaments,
y compris les vitamines et les compléments nutritionnels, doivent être prescrits
par le médecin de la prison. Un grand nombre de détenues présentent des
troubles psychiques et souffrent aussi de maladies contagieuses. Elles ne
sont pas séparées des autres détenues car il n'y a pas d'installation pour
les malades. Lorsqu'une détenue est conduite à un centre hospitalier, elle
est menottée et enchaînée, avec des entraves aux chevilles. Les détenues
n'ont droit qu'à une seule visite par mois de leurs parents directs. Les
visites sont limitées à 20 ou 30 minutes. L'auteur indique que la législation
péruvienne prévoit une visite par semaine. Elle permet aussi aux prisonnières
et à leurs enfants ou petits-enfants mineurs des contacts directs une fois
par trimestre. Les enfants doivent entrer dans la prison seuls et les personnes
qui les accompagnent doivent les laisser à l'entrée de la cour de la prison.
Mme Arredondo reçoit la visite de sa fille une fois par mois et celle de
son petit-fils de 5 ans une fois par trimestre; mais en raison du contrôle
de police imposé aux visiteurs adultes, ses deux petits-enfants majeurs,
âgés de 17 et 18 ans, ne peuvent pas lui rendre visite parce qu'ils seraient
fichés par la police.
3.2 L'auteur allègue que la procédure judiciaire suivie pour juger sa mère
(procès par des "juges sans visage") n'est pas conforme à l'article
14 du Pacte. Elle se plaint aussi de sa longueur.
3.3 Il est précisé que la même question n'a pas été soumise à une autre
instance internationale d'enquête ou de règlement.
Renseignements et observations de l'État partie concernant la
recevabilité
4. Dans les observations qu'il a présentées le 12 août 1997, l'État partie
conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes
n'ont pas été épuisés et que la fille de la victime n'a pas qualité pour
présenter la communication au nom de sa mère. De plus, l'État partie joint
à ses observations copie de deux articles de presse publiés au Chili à l'issue
de la visite que des parlementaires chiliens ont rendue à Mme Arredondo,
dans lesquels il est précisé que celle-ci ne souhaite bénéficier d'aucun
traitement de faveur et qu'elle est prête à attendre que son cas soit réglé.
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, l'auteur
de la communication informe le Comité qu'elle agit au nom et au su de sa
mère car celle-ci ne peut le faire elle-même. Elle expose une fois de plus
les contraintes auxquelles sa mère est soumise en prison, qu'il s'agisse
des visites, des contacts avec l'extérieur, de l'obtention de papier et
de crayons, etc.
5.2 En ce qui concerne l'allégation de l'État partie touchant l'épuisement
des recours internes, l'auteur rappelle que sa mère a été arrêtée en 1985,
accusée d'activités terroristes, condamnée et acquittée à deux reprises.
Après une nouvelle arrestation en 1990, le procès de 1985 a été rouvert
en 1995. En 1997, Mme Arredondo a été condamnée à une peine de 15 ans d'emprisonnement.
Il a été interjeté appel de cette condamnation devant la Cour suprême, qui
est toujours en attente. C'est pourquoi l'auteur demande au Comité de considérer
la communication recevable en raison du retard excessif pris par les procédures
de recours du fait de l'État partie. De même, Mme Arredondo a été condamnée
à une peine de 12 ans d'emprisonnement pour appartenance au Socorro Popular,
peine qu'elle purge actuellement. Elle a été acquittée du chef de participation
aux événements survenus à la prison Miguel Castro Castro en mai 1992; le
ministère public a fait appel de ce jugement et aucune décision n'a encore
été rendue en la matière.
5.3 L'auteur réaffirme que le traitement infligé à sa mère en prison constitue
une violation des articles 7 et 10 du Pacte. De même, par lettre datée du
28 septembre 1998, communiquée à l'État partie le 1er octobre 1998, Mme
Teillier rappelle les circonstances de l'arrestation de sa mère, précisant
notamment que celle-ci a été arrêtée sans mandat judiciaire, et ce, en violation
de l'article 9 du Pacte, et que lors de ces procès, les conditions et garanties
énoncées à l'article 14 du Pacte n'ont pas été respectées.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 À sa soixante-quatrième session, en octobre 1998, le Comité a examiné
la recevabilité de la communication. Il s'est assuré, conformément à l'alinéa
a) du paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question
n'avait pas été soumise à une autre instance internationale d'enquête ou
de règlement.
6.2 Pour ce qui est du critère de l'épuisement des recours internes, le
Comité a pris note du fait que l'État partie avait contesté la recevabilité
de la communication pour non-épuisement des recours internes. Il a rappelé
sa jurisprudence constante selon laquelle, aux fins de l'alinéa b) du paragraphe
2 de l'article 5 du Protocole facultatif, les recours internes doivent être
utiles et disponibles et les procédures de recours ne doivent pas excéder
des délais raisonnables. Le Comité a considéré qu'en l'espèce les procédures
de recours avaient excédé des délais raisonnables. Mme Arredondo a été arrêtée
en 1990 et jugée pour divers délits, dont un remonte à 1985, pour lequel
elle a été acquittée à deux reprises. À la date du 28 septembre 1998, l'affaire
n'était toujours pas jugée. En conséquence, le Comité a considéré que les
dispositions de l'alinéa b) du paragraphe 2 de l'article 5 ne l'empêchaient
pas d'examiner la plainte.
6.3 S'agissant des allégations de l'auteur selon lesquelles les conditions
de détention de sa mère constituent un traitement inhumain et dégradant,
contrevenant aux dispositions des articles 7 et 10 du Pacte, le Comité a
considéré qu'elles avaient été suffisamment étayées, aux fins de la recevabilité
de la communication, et qu'elles devaient être examinées au fond.
6.4 L'auteur a affirmé que les arrestations dont sa mère avait fait l'objet
étaient arbitraires et qu'elles constituaient donc une violation des dispositions
de l'article 9 du Pacte. Le Comité a considéré que cette allégation devait
être examinée au fond, dès lors qu'elle pourrait soulever des questions
au titre de l'article 9 du Pacte.
6.5 En ce qui concerne les allégations selon lesquelles les garanties établies
à l'article 14 du Pacte n'ont pas été respectées lors des procès, le Comité
a noté que la mère de l'auteur avait été jugée par un tribunal militaire
spécial. Le Comité a pris note des observations de l'État partie selon lesquelles
les procès au pénal intentés contre la mère de l'auteur s'étaient déroulés
et continuaient de se dérouler conformément aux procédures établies par
la législation antiterroriste en vigueur au Pérou. Néanmoins, il s'agissait
de savoir si ces procès ont été conformes à l'article 14 du Pacte. Ces allégations
devaient être examinées au fond.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
7.1 Dans ses observations en date du 4 août 1999, l'État partie demande
qu'il soit procédé au réexamen de la recevabilité de la communication, parce
qu'il estime que la fille de la victime n'a pas qualité pour présenter la
communication au nom de sa mère et qu'il considère que la victime aurait
pu s'adresser elle-même directement au Comité sans qu'il y soit fait obstacle.
Il estime par ailleurs qu'elle aurait aussi pu accorder son autorisation
expresse à sa fille ou la lui faire parvenir par l'intermédiaire de son
avocat ou de son fils, qui réside au Chili et qui lui a parfois rendu visite
à la prison. L'État partie allègue que le fils de Mme Arredondo n'a jamais
dit que sa mère souhaitait saisir une instance internationale.
7.2 L'État partie soutient que les allégations de l'auteur sont les mêmes
que celles qui ont été présentées au Groupe de travail sur la détention
arbitraire le 29 février 1996 et que, celui-ci ne s'étant pas prononcé sur
la question, on peut en déduire qu'il avait considéré qu'il n'y avait pas
détention arbitraire, d'où l'État partie conclut qu'il n'y a rien eu d'arbitraire.
Il demande au Comité de déclarer la communication irrecevable afin de ne
pas déroger au principe non bis in idem.
7.3 L'État partie soutient par ailleurs que si le Comité estime, en dépit
des arguments en faveur de l'irrecevabilité de la communication, qu'il y
a lieu de poursuivre l'examen de l'affaire, il ne pourra prendre en compte
que la procédure en cours concernant Sybila Arredondo, qui est un recours
en nullité pour laquelle il faudrait admettre un retard dans l'administration
de la justice, et il faudrait alors déterminer si les causes de ce retard
sont légitimes ou non. Selon l'État partie, les arguments avancés à l'appui
de la communication No 688/1996 visent à démontrer qu'il y a eu carence
de la justice, l'objectif premier étant que le Comité recommande à l'État
péruvien de libérer Sybila Arredondo, considérant que dans les procès engagés
à son encontre devant les tribunaux nationaux les garanties d'une procédure
régulière n'ont pas été respectées. À cet égard, l'État partie rappelle
que trois procès ont été engagés contre Mme Arredondo. Dans l'un, elle a
été acquittée en dernier ressort; dans le deuxième, il y a recours en nullité
(d'une condamnation à 15 ans de prison) et le jugement n'a pas encore été
rendu; à l'issue du troisième, elle a été condamnée à une peine de 12 ans
d'emprisonnement, qu'elle purge actuellement dans l'établissement pénitentiaire
spécial pour femmes de Chorrillos. Selon l'État partie, la présente communication
vise à "obtenir une constatation tendant à ce que le procès en cours
soit déclaré nul en raison d'un retard 'injustifié' dans l'administration
de la justice et que l'intéressée soit libérée; l'État péruvien devrait
alors interrompre la procédure et en ouvrir une autre ou décider de classer
l'affaire". L'État partie fait ressortir que cela ne changerait rien
à la situation de Mme Arredondo puisque, comme on l'a vu, elle purge actuellement
une peine de 12 ans d'emprisonnement. Si le troisième jugement était confirmé,
il y aurait confusion de cette peine et de celle que Mme Arredondo purge
actuellement et l'intéressée devrait rester en prison pour purger la peine
de 15 ans requise dans le deuxième procès dont elle a fait l'objet.
7.4 L'État partie fait valoir que, dans le procès où Mme Arredondo a été
condamnée, "les garanties d'une procédure régulière ont été respectées
et aucune plainte n'a été déposée ni aucun recours introduit devant les
tribunaux nationaux alléguant d'irrégularités de la procédure; il n'a pas
davantage été démontré devant cette instance internationale que les garanties
requises pour l'administration de la justice n'avaient pas été respectées".
7.5 Pour ce qui est des allégations relatives aux conditions d'incarcération
de Mme Arredondo, l'État partie précise que, conformément aux renseignements
de l'Institut national des prisons, les conditions dénoncées sont celles
qui avaient été décidées au moment où le problème du terrorisme était extrêmement
grave au Pérou. La situation ayant évolué, il a paru possible d'assouplir
le régime pénitentiaire des personnes condamnées pour actes de terrorisme,
et c'est ainsi que le décret suprême No 005-97-JUS, dont bénéficie Mme Arredondo,
a été promulgué. Depuis son incarcération dans l'établissement pénitentiaire
spécial pour femmes de Chorrillos, et suite à l'évaluation du comité technique
de la prison, l'intéressée a été maintenue dans le quartier de sécurité
maximale. Elle se trouve actuellement dans l'aile B où elle partage une
cellule avec une autre détenue.
7.6 Quant au nombre de visites que reçoit Mme Arredondo, l'État partie indique
que tout au long de 1998 et jusqu'à ce jour, sa fille et son petit-fils
lui ont rendu visite. Elle a également eu la visite de sa mère et de son
fils, venus spécialement pour la voir et, à Noël, celle de ses petits-enfants
qui résident au Chili.
7.7 Le régime de sécurité maximale (premier degré) qui s'applique à l'aile
B est tempéré par les mesures décrites dans le texte susmentionné, qui sont
les suivantes : "deux heures dans la cour, une heure de parloir le
samedi pour les femmes, le dimanche pour les hommes, réalisation de travaux
manuels ou artisanaux dans la cellule". L'État partie affirme en outre
que les personnes soumises à ce régime qui progressent dans la réinsertion
peuvent participer aux ateliers organisés par des fonctionnaires de l'Institut
national des prisons.
7.8 L'État partie indique que Mme Arredondo écrit actuellement un livre
sur son mari, ce qui dément l'allégation selon laquelle elle ne peut pas
obtenir de quoi écrire. Les gardiens chargés de la sécurité des détenues
lui remettent tous les jours des crayons et du papier. Par ailleurs, l'État
partie soutient qu'il n'est pas interdit aux détenues de regarder la télévision,
et qu'elles ont même le droit de regarder des films sur vidéocassettes tous
les 15 jours, et de lire des livres et des magazines après que ceux-ci ont
été examinés afin d'éviter qu'ils ne contiennent pas d'écrits subversifs,
pour des raisons tenant à la sécurité nationale. Pour ce qui est des distractions,
elles peuvent participer à des rencontres sportives, danser et écouter de
la musique.
7.9 Pour ce qui est des allégations relatives à la qualité de la nourriture,
celle-ci contient les calories et les protéines nécessaires et est préparée
par roulement par des groupes de détenues. La qualité de leurs préparations
est évaluée et les meilleures reçoivent un prix.
7.10 Quant à l'allégation selon laquelle les détenues ne peuvent pas obtenir
de médicaments sans l'autorisation du médecin de la prison, l'État partie
indique qu'il en est ainsi pour des raisons de sécurité, afin d'éviter des
intoxications dues à des médicaments périmés ou inappropriés pris sans ordonnance
ou en trop grandes quantités, qui risqueraient de mettre en danger la santé
des détenues.
7.11 À propos des allégations relatives au traitement des personnes qui
souffrent de troubles psychiatriques, l'État partie indique qu'un spécialiste
les examine régulièrement et qu'elles occupent des quartiers séparés dans
diverses ailes. Elles reçoivent aussi un traitement d'ergothérapie en plein
air, à la campagne. Pour ce qui est des allégations relatives aux maladies
contagieuses, selon l'État partie ces maladies sont rares et, lorsqu'elles
se déclarent, les autorités prennent les précautions qui s'imposent. Quant
aux conditions dans lesquelles les détenues sont transférées vers des centres
hospitaliers, elles sont conformes aux directives de la police nationale
péruvienne (PNP), qui dépendent de la nature du délit qui a été commis,
afin d'éviter des fugues dans l'enceinte de l'hôpital, fugues qui feraient
courir des risques aux autres patients puisque les soins sont dispensés
dans des hôpitaux publics.
7.12 Enfin, en ce qui concerne les visites des enfants, selon l'État partie,
elles ont lieu tous les vendredis hors parloir. Une fois à l'intérieur de
la prison, les enfants sont conduits par un personnel féminin de la police
nationale jusque dans le secteur où se trouve la personne qui attend leur
visite, afin d'éviter qu'ils ne prennent peur ou ne se rendent par erreur
dans d'autres quartiers. Les adultes membres de la famille des détenus doivent
présenter une pièce d'identité attestant leur parenté avec la détenue pour
pouvoir entrer.
8.1 Dans une lettre du 4 novembre 1999, la fille de Mme Arredondo a adressé
au Comité une photocopie certifiée conforme de la procuration établie par
sa mère ainsi qu'une lettre écrite de sa main dans laquelle elle approuvait
les démarches entreprises par sa fille en son nom.
8.2 Mme Teillier précise dans sa lettre que s'il est vrai que sa mère reçoit
des visites de membres de sa famille, celles-ci ont lieu dans un parloir
et la détenue est séparée de ses visiteurs par une double grille. Il n'y
a aucun contact personnel quel qu'il soit, ni possibilité de faire passer
quoi que ce soit. Les membres de la famille ne peuvent recevoir des détenues
que les récipients dans lesquels ils leur ont apporté de la nourriture et
les objets artisanaux qu'elles ont fabriqués, le tout après une fouille
obligatoire effectuée par les policiers. Les visiteurs doivent eux aussi
se soumettre à une fouille corporelle avant de quitter la prison. Il en
est de même pour les avocats.
8.3 Pour ce qui est de la possibilité d'expédier des lettres depuis la prison,
Mme Teillier explique comment cela se passe : une fois par semaine, les
détenues doivent déposer dans une boîte aux lettres qui se trouve sur place
toute lettre destinée à l'extérieur. Des employés pénitentiaires récupèrent
les lettres et les contrôlent. Toutes sont lues et toutes ne passent pas
la censure. Par exemple, Mme Arredondo a dit à Mme Teiller qu'elle avait
déposé quelques semaines auparavant une enveloppe à son nom contenant une
copie de la demande adressée au directeur de la prison par Mme Arredondo
qui souffrait d'un problème de santé; l'enveloppe n'est jamais parvenue
à sa destinataire. Les lettres, après avoir été contrôlées, sont déposées
les jours de visite dans une caisse qui se trouve à côté de la porte de
sortie de la prison. Les visiteurs prennent les lettres qui portent leur
nom, parfois même les autres puisque rien n'est fait pour garantir qu'elles
arrivent au destinataire.
8.4 L'auteur de la communication rappelle que la plainte présentée au nom
de sa mère porte expressément sur la dureté des conditions d'incarcération.
Elle demande si les représentants de l'État partie croient vraiment que
Mme Arredondo peut rédiger elle-même sa communication et l'envoyer en toute
tranquillité. Elle ajoute que, comme l'a dit l'État partie lui-même, toutes
les personnes accusées d'actes de terrorisme, parmi lesquelles figure Mme
Arredondo, font l'objet d'une évaluation permanente de la part du comité
technique de la prison qui est composé des responsables de l'établissement
et qui risque fort de confondre plaintes et "mauvaise conduite".
8.5 À propos de la deuxième question relative à la présentation de la communication
à deux instances internationales différentes, Mme Teillier précise qu'il
se peut, certes, que le Groupe de travail sur les détentions arbitraires
de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies ait effectivement
transmis à l'État péruvien un groupe de communications dont une concernait
Mme Sybila Arredondo, veuve Arguedas, mais qu'elle n'avait pas connaissance
de cette communication. De plus, à propos de la déduction contenue au paragraphe
12 de la communication de l'État partie, selon laquelle "le Groupe
de travail a considéré que la détention de Mme Arredondo n'était pas arbitraire",
il s'agit là d'une conclusion très forcée. L'auteur pense qu'"on pourrait
plutôt supposer qu'ayant appris que la communication avait été présentée
à 'deux instances' différentes, il avait renoncé à poursuivre".
8.6 En ce qui concerne l'"objectif final", l'auteur déclare que
ce n'est pas nécessairement d'"obtenir une sentence annulant la procédure
en cours", c'est-à-dire celle qui a été engagée en 1985 - il y a 14
ans -, c'est que la Cour suprême rende son arrêt. Elle réaffirme que si
la Cour suprême confirmait le jugement prononcé en juillet 1997 - il y a
deux ans et trois mois - condamnant sa mère à 15 ans d'emprisonnement, la
détenue pourrait bénéficier des mesures prévues dans le décret sur les prisons
de la même année et qu'elle pourrait être remise en liberté puisque cette
peine et la peine de 12 ans seraient confondues. En outre, si ce jugement
n'était pas rendu à bref délai, il se pourrait que, comme elle est en train
de purger la peine de 12 ans, elle ne puisse pas être libérée ou que, si
elle l'était, elle soit arrêtée aussitôt pour être jugée une fois de plus
dans le cadre de ce procès interminable.
8.7 Pour ce qui est du jugement condamnant l'intéressée à 12 ans d'emprisonnement,
l'auteur soutient qu'il n'est pas vrai qu'il n'y a pas eu de plainte déposée
ni de recours introduit devant les tribunaux nationaux, comme le dit l'État
partie. Le recours en nullité a été introduit devant les organes compétents
et rejeté. Il se trouve simplement qu'il n'existe plus aucun recours. L'auteur
rappelle à cet égard que ce jugement a aussi été prononcé, à l'époque où
la législation de 1992 était en vigueur, par un "tribunal sans visage".
8.8 Quant aux conditions de détention, si elles sont moins sévères à Chorrillos
qu'elles ne l'étaient à la base navale du Callao, de Yanamayo et de Chullapalca,
ce sont toujours des conditions punitives. L'auteur réaffirme à ce sujet
que si elle peut voir sa mère tous les samedis pendant une heure, la visite
se passe au parloir et il n'est pas possible d'avoir un contact direct ni
de parler librement. Elle lui apporte à cette occasion des provisions pour
pallier les carences de l'alimentation quotidienne, vu le maigre budget
que l'État affecte à ce poste. Depuis la nomination du nouveau directeur
de la prison, qui est un colonel de gendarmerie, la possibilité d'apporter
de la nourriture aux détenues est à nouveau limitée et une liste des produits
autorisés a été publiée.
8.9 Pour ce qui est de l'affirmation de l'État partie selon laquelle les
cas de maladies contagieuses sont rares, l'auteur affirme que dans la seule
aile B on a enregistré 15 cas de tuberculose pour 100 détenues. Trois se
sont déclarés au cours du deuxième semestre de 1999. Pour donner un exemple
des difficultés qu'il y a à se faire soigner, l'auteur précise qu'elle attend
depuis des mois que le directeur de la prison donne son autorisation pour
que sa mère, qui souffre d'un genou, puisse aller se faire radiographier
à l'hôpital. Les radiographies ont été demandées par l'orthopédiste de la
prison et par le spécialiste de l'INPE (18 juillet 1999). Deux équipes médicales
ont ensuite donné le feu vert pour que la détenue soit autorisée à sortir
de la prison, mais le 4 novembre 1999 rien n'avait encore été fait.
8.10 L'auteur indique que, même si la question ne touche pas directement
sa mère, elle ne peut que contester les renseignements donnés par l'État
partie au sujet des conditions réservées aux détenues qui souffrent de troubles
psychiatriques, car celles-ci ne sont pas séparées du reste de la population
carcérale. Elles ne suivent pas non plus un traitement d'ergothérapie à
la campagne. L'auteur regrette que le Comité ait été mal informé à cet égard.
8.11 Il est faux de dire que rien n'empêche les détenues de regarder la
télévision et qu'elles peuvent même regarder des films tous les 15 jours,
car elles ne peuvent voir qu'un film lorsqu'une séance est programmée par
les autorités pénitentiaires. Il leur est interdit de regarder les informations
ou tout autre programme diffusé par les chaînes locales. Il leur est toujours
impossible, par ailleurs, d'écouter la radio et d'avoir accès à des journaux
et revues d'actualité. L'introduction de livres est aussi limitée. À propos
de l'affirmation selon laquelle on évite qu'elles puissent prendre connaissance
d'écrits subversifs pour des raisons de sécurité, l'auteur se demande ce
qu'a de subversif le journal officiel de l'État "El Peruano",
que sa mère s'est vu refuser récemment.
8.12 Enfin, pour ce qui est de la visite des enfants aux détenues de l'aile
B, elles ont lieu le dimanche matin et c'est seulement occasionnellement
que les enfants sont accompagnés par des femmes. De toute manière, ils entrent
seuls et sont fouillés seuls, ce qui, selon l'auteur, ne peut manquer d'avoir
des conséquences incalculables pour les mineurs.
Examen de la communication quant au fond
9. Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises
par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
10.1 En ce qui concerne la position de l'État partie qui considère que la
fille de Mme Arredondo n'a pas qualité pour agir devant le Comité des droits
de l'homme, le Comité estime que l'autorisation écrite donnée par Mme Arredondo
à sa fille (voir ci-dessus par. 8.1) est plus que suffisante pour que celle-ci
puisse agir au nom de sa mère. Il estime par ailleurs que Mme Teillier agit
après avoir amplement discuté de la question avec sa mère.
10.2 Le Comité prend note de l'argument de l'État partie pour qui la communication
est irrecevable parce qu'elle est en cours d'examen devant une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement vu que le Groupe de travail sur
la détention arbitraire de la Commission des droits de l'homme des Nations
Unies, à la demande de Mme Arredondo, est saisi de la question. Le Comité
décide de ne pas se prononcer sur le point de savoir si la question relève
du paragraphe 5 de l'article 2 étant donné qu'il a reçu des informations
du Groupe de travail selon lesquelles ce dernier avait appris l'existence
de la présente communication et renvoyait l'affaire au Comité sans aucun
commentaire (2).
10.3 Quant à la question de savoir si l'arrestation de Mme Arredondo était
conforme aux dispositions des paragraphes 1 et 3 de l'article 9 du Pacte,
c'est-à-dire si elle a été arrêtée en vertu d'un mandat d'arrêt et si, après
avoir été conduite dans les locaux de la police, elle a été traduite devant
un juge dans le plus court délai, le Comité regrette que l'État partie n'y
ait pas répondu expressément et qu'il se soit contenté d'indiquer en termes
généraux que la détention et le procès de Mme Arredondo étaient conformes
à la législation péruvienne. Le Comité estime qu'en l'absence de réponse
il convient d'ajouter foi à ces allégations et de conclure que les faits
se sont déroulés comme l'a décrit l'auteur. En conséquence, le Comité estime
qu'il y a eu violation des paragraphes 1 et 3 de l'article 9 du Pacte.
10.4 En ce qui concerne les allégations présentées par l'auteur au sujet
des conditions dans lesquelles sa mère est incarcérée, faites au paragraphe
3.1 et réaffirmées aux paragraphes 8.3, 8.4 et 8.8 à 8.12, le Comité prend
note des affirmations de l'État partie, qui précise que ces conditions correspondent
à la réalité et qu'elles sont justifiées par la gravité des délits dont
les détenues se ont rendues coupables et du grave problème de terrorisme
auquel le pays a été confronté. De même, le Comité prend note du décret
suprême No 005-97-JUS. Il estime que les conditions d'incarcération de Mme
Arredondo, surtout pendant les premières années et, dans une moindre mesure,
depuis l'entrée en vigueur dudit décret suprême, sont excessivement restrictives.
Tout en reconnaissant la nécessité de restrictions pour des raisons de sécurité,
le Comité estime que celles-ci doivent toujours être justifiées. Dans le
cas à l'examen, l'État partie n'a fourni aucune explication pouvant justifier
les conditions décrites par Mme Teillier. En conséquence, le Comité estime
que ces conditions sont contraires aux dispositions du paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte.
10.5 À propos de la plainte de l'auteur selon laquelle le procès dont sa
mère a fait l'objet ne respectait pas les garanties énoncées à l'article
14 du Pacte puisqu'elle a été jugée par un "tribunal sans visage",
le Comité prend note du livre intitulé "Terrorismo: Tratamiento
jurídico, Instituto de Defensa legal, Lima, 1995, pp. 288-290"
sur lequel l'auteur se fonde pour décrire le déroulement d'un procès devant
un "tribunal sans visage" (3). Il prend note de l'affirmation
de l'État partie selon laquelle les trois procès engagés contre Mme Arredondo
étaient conformes à la législation en vigueur à l'époque. Le Comité des
droits de l'homme rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les procès
qui se sont déroulés devant des tribunaux sans visage au Pérou étaient contraires
au paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte puisque les accusés ne jouissaient
pas des garanties prévues dans cette disposition (4).
10.6 S'agissant du caractère dilatoire des procédures légales, qui est
contraire au paragraphe 3 c) de l'article 14, le Comité prend note du fait
que l'État partie reconnaît ce retard et affirme avoir donné des instructions
pour qu'un jugement définitif soit rendu, en dépit de quoi aucune décision
n'a encore été prise concernant la procédure d'appel dans le procès qui
a été rouvert. Étant donné que la réouverture par l'accusation, en 1995,
du deuxième procès, à l'issue duquel Mme Arredondo avait été acquittée,
en 1987, a eu lieu au bout d'un nombre d'années inacceptable, le Comité
estime qu'il y a violation du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant conformément au paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits portés
à son attention constituent des violations du paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte en ce qui concerne les conditions de détention de Mme Arredondo;
de l'article 9 en ce qui concerne les modalités de son arrestation; du paragraphe
1 de l'article 14 pour ce qui est de son procès devant un tribunal composé
de "juges sans visage"; du paragraphe 3 c) de l'article 14 pour
le retard mis à faire aboutir la procédure engagée en 1985.
12. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
est tenu de garantir un recours utile à Mme Arredondo. Le Comité considère
que Mme Arredondo doit être remise en liberté et recevoir une indemnisation.
L'État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se
reproduisent pas à l'avenir.
13. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
________________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. P.N. Bhagwati, Mme
Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitan de
Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari
Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Abdallah Zakhia.
Notes
1. Dans une lettre datée du 21 mars 1999 adressée au Comité, l'auteur
a indiqué que sa mère avait effectivement milité en faveur des droits de
l'homme, mais que, à l'époque où elle a été arrêtée, elle travaillait à
la compilation de la deuxième partie des uvres complètes de José María Arguedas.
2. Voir avis No 4/2000 adopté le 16 mai 2000.
3. "L'anonymat des magistrats prive, comme le souligne la Commission
Goldman, l'accusé des garanties judiciaires essentielles : l'accusé ne sait
qui le juge ni si la personne est compétente (par exemple si elle a la formation
et l'expérience voulues); il est privé du droit d'être jugé par un tribunal
impartial puisqu'il ne peut pas récuser le juge [Rapport de la Commission
internationale de juristes sur l'administration de la justice au Pérou.
Instituto de Defensa legal, Lima, 1994, p. 67]".
4. Voir communication No 577/1994 (Victor Polay Campos c.
Pérou), constatations adoptées le 6 novembre 1997, par. 8.8.