Soixante-neuvième session
10 - 28 juillet 2000
ANNEXE*
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-neuvième session -
Communications Nos 690/1996 et 691/1996**
Présentées par : Marc Venier et Paul Nicolas (représentés par François
Roux, avocat)
Au nom de : Les auteurs
État partie : France
Dates des communications : 14 et 17 novembre 1995
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 10 juillet 2000,
Ayant achevé l'examen des communications Nos 690/1996 et 691/1996 présentées
par Marc Venier et Paul Nicolas en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été
communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif *
1. Les auteurs des communications, datées des 14 et 17 novembre 1995, sont
Paul Nicolas et Marc Venier, de nationalité française, nés en 1968 et 1967,
respectivement, et habitant actuellement à Gabarret (France) et Audincourt
(France), respectivement. Ils se déclarent victimes de violations par la France
des articles 18, 19 et 26, lus conjointement avec l'article 8, du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par
un conseil, François Roux.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Les auteurs, bénéficiaires du statut d'objecteur de conscience, ont
commencé leur service civil le 23 juin 1988 (M. Nicolas) et le 16 novembre
1989 (M. Venier). Après environ un an de service, les auteurs ont notifié
aux autorités qu'ils cessaient d'exercer leur service civil, ce qu'ils ont
fait le 1er juillet 1989 et le 1er février 1991, respectivement. Les auteurs
invoquaient le caractère discriminatoire du paragraphe 6 de l'article 116
du Code du service national, qui imposait aux objecteurs de conscience une
durée du service national de 24 mois, tandis que le service national effectué
sous forme militaire ne dépassait pas 12 mois.
2.2 Les auteurs ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel de Paris
et celui d'Orléans, respectivement, pour désertion en temps de paix, faits
punis et réprimés par les articles 398 et 399 du Code de justice militaire.
Le 4 juillet 1991, le tribunal correctionnel de Paris a déclaré M. Nicolas
coupable des faits reprochés et l'a condamné à un an de prison, et le 17
juin 1992, le tribunal correctionnel d'Orléans a reconnu M. Venier coupable
également et l'a condamné à 10 mois de prison, écartant les arguments de
la défense qui avait invoqué les articles 9, 10 et 14 de la Convention européenne
des droits de l'homme et les articles 18 et 19 du Pacte.
2.3 Sur appel de M. Nicolas, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement
sur la déclaration de culpabilité mais a modifié la peine en condamnant
l'auteur à deux mois de prison avec sursis. Le 8 février 1993, la cour d'appel
d'Orléans a confirmé la décision du tribunal correctionnel concernant M.
Venier mais a réduit la peine à huit mois de prison (dont six mois assortis
de sursis). Le 14 décembre 1994, la Cour de cassation a rejeté les pourvois
formés par les auteurs, estimant que le paragraphe 6 de l'article 116 du
Code du service national n'était pas discriminatoire et n'était pas contraire
aux dispositions des articles 9, 10 et 14 de la Convention européenne des
droits de l'homme. Avec cette dernière décision, tous les recours disponibles
seraient épuisés.
Teneur des plaintes
3.1 D'après les auteurs, le paragraphe 6 de l'article 116 du Code du service
national (dans sa rédaction de juillet 1983 prescrivant une durée du service
actif des objecteurs de conscience de 24 mois) et l'article L.2 du Code
du service national dans sa rédaction de janvier 1992 (résultant de la loi
No 92-9 du 4 janvier 1992), qui fixait à 20 mois la durée du service civil
pour les objecteurs de conscience, représentent une violation des articles
18, 19 et 26, lus conjointement avec l'article 8, du Pacte en ce qu'ils
doublent la durée du service pour les objecteurs de conscience par
rapport à ceux qui effectuent un service militaire.
3.2 Les auteurs reconnaissent qu'en ce qui concerne la communication No
295/1988 (1), le Comité a considéré que la durée prolongée du service
de substitution n'était ni déraisonnable ni répressive, et n'avait pas constaté
de violation du Pacte. Toutefois, ils rappellent les opinions individuelles
jointes à ces constatations par trois membres du Comité et en citent de
longs extraits; de l'avis de ces trois membres, la législation attaquée
ne reposait pas sur des critères raisonnables ou objectifs, comme un type
de service plus dur ou la nécessité de suivre une formation spéciale allongeant
la durée du service. Les auteurs adhèrent pleinement aux conclusions de
ces trois membres du Comité.
3.3 Les auteurs font remarquer que les paragraphes 2 à 4 de l'article L.116
du Code du service national prévoient que chaque demande tendant à obtenir
le statut d'objecteur de conscience doit être agréée par le Ministre chargé
des armées. Un refus peut faire l'objet d'un recours devant le tribunal
administratif, en vertu du paragraphe 3 de l'article L.116. Dans ces conditions,
font valoir les auteurs, on ne saurait supposer que la durée du service
civil a été fixée purement pour des raisons de commodité administrative,
étant donné que toute personne qui accepte d'accomplir un service d'une
durée double de celle du service militaire doit être réputée avoir des convictions
authentiques. On doit au contraire considérer que la durée du service civil
a un caractère punitif qui ne repose pas sur des critères raisonnables ou
objectifs.
3.4 À l'appui de leur allégation, les auteurs rappellent un arrêt de juillet
1989 dans lequel la Cour constitutionnelle italienne a déclaré inconstitutionnelle
la disposition prévoyant que les personnes admises à effectuer le service
non armé devaient l'effectuer pendant un temps supérieur de huit mois à
la durée du service militaire. Ils rappellent aussi une décision adoptée
en 1967 par le Parlement européen qui, se fondant sur l'article 9 de la
Convention européenne des droits de l'homme, a estimé que le service de
remplacement devait avoir la même durée que celle du service militaire.
De plus, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a déclaré que le
service de remplacement ne devait pas revêtir le caractère d'une punition
et que sa durée devait rester, par rapport à celle du service militaire,
dans des limites raisonnables (Recommandation No R(87)8 du 9 avril 1987).
Enfin, les auteurs notent que la Commission des droits de l'homme de l'ONU
a déclaré, dans une résolution adoptée le 5 mars 1987 (2), que l'objection
de conscience au service militaire devait être considérée comme un exercice
légitime du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion,
reconnu par le Pacte.
3.5 Dans ces conditions, les auteurs affirment que leur imposer une durée
de service national double de celle du service militaire constitue une discrimination
illégale et interdite fondée sur l'opinion et que le risque de se voir infliger
une peine de prison pour avoir refusé d'accomplir le service civil au-delà
de la durée prévue pour le service militaire constitue une violation du
paragraphe 2 de l'article 18, du paragraphe 1 de l'article 19 et de l'article
26 du Pacte.
Observations de l'État partie et commentaires des auteurs concernant
la recevabilité des communications
4.1 L'État partie soulève en premier lieu l'incompatibilité ratione materiae
des communications avec les dispositions du Pacte, au motif que, d'une part,
le Comité a reconnu dans sa décision sur la communication No 185/1984 (L.T.K.
c. Finlande) que "le Pacte ne contient aucune disposition stipulant
le droit à l'objection de conscience; ni l'article 18, ni l'article 19 du
Pacte, eu égard notamment au paragraphe 3 c) ii) de l'article 8, ne peuvent
être interprétés comme impliquant un tel droit", et, d'autre part,
qu'en vertu du paragraphe 3 c) ii) de l'article 8 du Pacte, la réglementation
interne du service national, et donc du statut d'objecteur de conscience
pour les États qui le reconnaissent, ne relève pas du domaine de compétence
du Pacte et est laissée à la législation interne.
4.2 À titre subsidiaire, l'État partie relève en second lieu que les voies
de recours internes n'ont pas été épuisées par les auteurs. À cet effet,
il invoque que les auteurs des communications ont épuisé les voies de recours
judiciaires qui s'ouvraient à eux, mais qu'ils n'ont pas épuisé les voies
de recours administratives. L'argument proposé dans ce sens est que les
auteurs, en quittant leur poste avant de recevoir une réponse des autorités
militaires concernant leur demande de réduction de la durée de leur service,
se sont mis en situation d'infraction par rapport aux dispositions du Code
du service national, ouvrant ainsi la voie aux poursuites pénales, et n'ont
pas déféré au juge administratif l'éventuel refus de leur demande par les
autorités militaires.
4.3 Enfin, en troisième lieu, l'État partie conteste que les auteurs puissent
être considérés victimes d'une violation du paragraphe 2 de l'article 18,
du paragraphe 1 de l'article 19 et de l'article 26 du Pacte. Au regard des
articles 18 et 19 du Pacte, l'État partie allègue qu'en reconnaissant le
statut d'objecteur de conscience et en offrant aux appelés la possibilité
de choisir la forme de leur service national, il donne la possibilité aux
appelés de choisir librement le service national adapté à leurs convictions,
leur permettant ainsi d'exercer leurs droits en vertu des articles 18 et
19 du Pacte. À ce propos, l'État partie conclut, en citant la décision sur
la communication No 185/1984 précitée, que les auteurs, n'ayant pas été
"poursuivi(s) ni condamné(s) pour (leurs) convictions ou (leurs) opinions
en tant que telles, mais parce qu'il(s) avai(en)t refusé d'accomplir le
service militaire", ne peuvent donc se plaindre d'une violation des
articles 18 et 19 du Pacte à leur égard.
4.4 Au regard de la violation alléguée de l'article 26 du Pacte, l'État
partie, notant que les auteurs se plaignent d'une violation de cet article
car la durée du service civil de remplacement est le double de celle du
service militaire, relève tout d'abord que "le Pacte, tout en interdisant
la discrimination et en garantissant à toutes les personnes le droit à une
égale protection de la loi, n'interdit pas les différences de traitement",
qui doivent "reposer sur des critères raisonnables et objectifs"
(communication No 196/1985, Gueye c. France). L'État partie
argue dans ce sens que la situation des appelés effectuant un service civil
de remplacement et ceux qui effectuent le service sous la forme militaire
est différente, notamment à l'égard des contraintes plus lourdes au sein
de l'armée, et qu'une durée supérieure du service civil de remplacement
constitue un test de la sincérité des objecteurs de conscience, afin d'éviter
que des appelés ne revendiquent le statut d'objecteur pour des motifs de
confort, de facilité et de sécurité. L'État partie cite également les constatations
du Comité sur la communication No 295/1988 (Järvinen c. Finlande),
dans laquelle le Comité estime que la durée de 16 mois du service de substitution
imposé aux objecteurs de conscience, comparée à celle de huit mois du service
militaire, soit le double, n'était "ni déraisonnable, ni répressive".
L'État partie conclut donc que la différence de traitement dont se plaignent
les auteurs repose sur le principe d'égalité, qui exige un traitement différent
de situations différentes.
4.5 Pour tous ces motifs, l'État partie demande que les communications soient
déclarées irrecevables par le Comité.
5.1 Concernant le premier argument de l'État partie quant à la compétence
ratione materiae du Comité, les auteurs citent l'Observation générale
No 22 (48) du Comité, selon laquelle le droit à l'objection de conscience
"peut être déduit de l'article 18, dans la mesure où l'obligation d'employer
la force au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la
liberté de conscience et le droit de manifester sa religion ou ses convictions.
Lorsque ce droit sera reconnu dans la législation ou la pratique, il n'y
aura plus de différenciation entre objecteurs de conscience sur la base
de la nature de leurs convictions particulières, de même qu'il ne s'exercera
pas de discrimination contre les objecteurs de conscience parce qu'ils n'ont
pas accompli leur service militaire". Selon les auteurs, il ressort
de ces remarques que le Comité est compétent pour déduire s'il y a eu ou
non violation du droit à l'objection de conscience en vertu de l'article
18 du Pacte.
5.2 Les auteurs allèguent que le problème qui se pose dans leur cas ne réside
pas dans une éventuelle atteinte à la liberté de conviction des objecteurs
de conscience par la législation française, mais dans les modalités d'exercice
de cette liberté, puisque le service civil de remplacement est d'une durée
double à celle du service militaire, ce qui ne se justifie par aucune disposition
d'ordre public, en violation du paragraphe 3 de l'article 18 du Pacte. Les
auteurs invoquent dans ce contexte l'Observation générale No 22 (48) du
Comité, selon laquelle "les restrictions imposées doivent être prévues
par la loi et ne doivent pas être appliquées d'une manière propre à vicier
les droits garantis par l'article 18. (...) Il ne peut être imposé de restrictions
à des fins discriminatoires ni de façon discriminatoire" et concluent
que le fait d'imposer aux objecteurs de conscience un service civil de remplacement
d'une durée double à celle du service militaire constitue une restriction
discriminatoire à la jouissance des droits prévus à l'article 18 du Pacte.
5.3 Quant à la question de l'épuisement des recours internes, les auteurs
indiquent que les recours internes ont effectivement été épuisés en ce qui
concerne la procédure pénale dont ils ont été l'objet, puisque la Cour de
cassation a rejeté le 14 décembre 1994 les pourvois formés contre les arrêts
rendus en appel. En ce qui concerne le non-épuisement des voies de recours
administratives, les auteurs soutiennent que celles-ci ne leur étaient pas
ouvertes, dans la mesure où, aucune décision administrative ne leur ayant
été notifiée, ils ne pouvaient pas saisir le juge administratif.
5.4 En ce qui concerne la violation alléguée de l'article 26, les auteurs
font valoir que le fait d'assujettir le service civil à une durée double
de celle du service militaire constitue une différence de traitement qui
n'est pas fondée sur des "critères raisonnables et objectifs",
et qui constitue donc une discrimination interdite par le Pacte (communication
No 196/1985 précitée). À l'appui de cette conclusion, les auteurs argumentent
que rien ne justifie une durée double du service civil; en effet, et contrairement
au cas de M. Järvinen (communication No 295/1988 susmentionnée), la durée
plus longue n'est pas justifiée par un allégement des procédures administratives
permettant l'obtention du statut d'objecteur de conscience, puisqu'en vertu
des paragraphes 2 et 4 de l'article L.116 du Code du service national, les
demandes tendant à obtenir le statut d'objecteur de conscience doivent être
agréées par le Ministre chargé des armées à la suite d'un contrôle qui peut
entraîner le refus de l'agrément. Elle n'est pas plus justifiée pour des
raisons d'intérêt général, ni comme test du sérieux et de la sincérité des
convictions de l'objecteur de conscience. En effet, le simple fait de prendre
des mesures spéciales pour tester la sincérité et le sérieux des convictions
des objecteurs de conscience constitue en soi une discrimination fondée
sur la reconnaissance d'une différence de traitement entre les appelés.
De plus, les objecteurs de conscience ne tirent aucun avantage ou privilège
de leur statut, contrairement, par exemple, aux coopérants qui ont l'opportunité
de travailler à l'étranger dans un domaine professionnel correspondant à
leurs qualifications universitaires pendant 16 mois (soit quatre mois de
moins que le service civil pour les objecteurs de conscience), et une différence
de traitement ne se justifie donc pas sur ce motif.
Décisions du Comité concernant la recevabilité
6.1 À sa soixantième session, le Comité a décidé de joindre l'examen des
communications Nos 690/1996 et 691/1996. Il a ensuite procédé à l'examen
de la recevabilité de ces communications.
6.2 En ce qui concerne la nécessité de l'épuisement des recours internes
disponibles, le Comité a pris note du fait que les auteurs avaient épuisé
toutes les voies de recours judiciaires qui s'ouvraient à eux. Le Comité
a aussi considéré qu'un recours administratif n'était plus disponible aux
auteurs des communications. Le Comité a donc conclu qu'il n'était pas empêché
par le paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif d'examiner
les communications.
6.3 Le Comité a pris note de l'argument de l'État partie concernant l'incompatibilité
ratione materiae des communications avec les dispositions du Pacte.
À cet égard, il a estimé que la question soulevée par les communications
ne concernait pas une violation du droit à l'objection de conscience en
tant que tel. Le Comité a estimé que les auteurs avaient suffisamment étayé,
aux fins de recevabilité, leur allégation selon laquelle les communications
pouvaient soulever des questions au titre de certaines dispositions du Pacte.
7. En conséquence, le 11 juillet 1997, le Comité a décidé que les communications
étaient recevables.
Observations de l'État partie sur le fond
8.1 Dans une communication datée du 18 juin 1998, l'État partie déclare
que les communications doivent être rejetées, au motif que les auteurs n'ont
pas pu démontrer qu'ils étaient victimes d'une violation du Pacte et que
leur plainte était sans fondement.
8.2 Selon l'État partie, l'article L.116 du Code du service national, dans
sa rédaction de juillet 1983, a institué un authentique droit à l'objection
de conscience, dans la mesure où la sincérité des objections est réputée
démontrée par le simple fait de demander le statut d'objecteur de conscience,
à condition que cette demande soit présentée conformément aux dispositions
prévues par la loi (c'est-à-dire accompagnée d'une déclaration du requérant
stipulant qu'il est opposé à l'usage personnel des armes). Lesdites objections
ne donnent lieu à aucune vérification. Pour être acceptées, les demandes
doivent être présentées avant le 15 du mois qui précède l'incorporation
de l'intéressé. La demande ne peut être rejetée que si elle n'est pas motivée
ou n'est pas présentée dans les délais fixés. Le requérant peut former un
recours devant le tribunal administratif.
8.3 Depuis janvier 1992, la durée normale du service militaire en France
est de 10 mois, sauf dans certains cas où elle est de 12 mois (service militaire
des scientifiques) ou de 16 mois (service civil au titre de l'aide technique).
Pour les objecteurs de conscience, la durée du service est de 20 mois. L'État
partie dément que cette durée ait un caractère répressif ou discriminatoire.
Selon ce dernier, c'est le seul moyen de contrôler le caractère sérieux
des objections, dans la mesure où il n'existe plus aucune procédure administrative
de vérification. Quand ils ont effectué leur service, les objecteurs de
conscience ont les mêmes droits que ceux qui ont terminé le service national
civil.
8.4 L'État partie informe le Comité qu'une loi portant réforme du service
national a été adoptée le 28 octobre 1997. Selon cette loi, tous les jeunes
gens des deux sexes, âgés de 16 à 18 ans, sont tenus de participer à une
journée de préparation à la défense. Il est prévu un service volontaire
facultatif portant sur une période de 12 mois, qui peut être renouvelée
jusqu'à atteindre une durée maximale de 60 mois. La nouvelle loi s'applique
aux hommes nés après le 31 décembre 1978 et aux femmes nées après le 31
décembre 1982.
8.5 Selon l'État partie, le système régissant l'objection de conscience
auquel l'auteur a été soumis était conforme aux dispositions des articles
18, 19 et 26 du Pacte ainsi qu'à l'Observation générale No 22 du Comité.
L'État partie déclare que la réglementation applicable aux objecteurs de
conscience n'établit aucune différence fondée sur la conviction et que les
motivations des requérants ne font pas l'objet d'une vérification, comme
c'est le cas dans de nombreux pays voisins. Les objecteurs de conscience
ne sont soumis à aucune discrimination, puisque le service qu'ils accomplissent
est une forme reconnue du service national se trouvant sur un pied d'égalité
avec le service militaire ou d'autres formes de service civil. En 1997,
près de 50 % des personnes accomplissant un service civil le faisaient en
tant qu'objecteurs de conscience au service militaire.
8.6 L'État partie affirme que les auteurs des communications n'ont subi
aucune discrimination pour avoir choisi d'effectuer le service national
en tant qu'objecteurs de conscience. Il note que les auteurs ont été condamnés
pour n'avoir pas rempli leurs obligations au titre du service civil qu'ils
avaient librement choisi. S'ils ont été condamnés, ce n'est pas pour leurs
convictions personnelles ni parce qu'ils ont choisi un service civil de
substitution, mais parce qu'ils ont refusé de respecter les conditions propres
à cette forme de service. L'État partie note que lorsque les auteurs se
sont portés candidats au service civil de substitution, ils n'ont formulé
aucune objection quant à la durée de ce service. Il note en outre, dans
le cas de M. Venier, que la raison que ce dernier a donnée pour abandonner
le service civil était "l'attitude de son pays à l'égard du tiers monde",
ce qui n'avait donc aucun rapport avec le caractère prétendument discriminatoire
de la longueur du service accompli par les objecteurs de conscience. À ce
propos, l'État partie note que les auteurs auraient pu choisir une autre
forme de service national non armé, comme l'aide technique. En conséquence,
il affirme que les auteurs n'ont pas établi leur qualité de victimes d'une
violation qu'aurait commise l'État partie.
8.7 À titre subsidiaire, l'État partie affirme que la plainte des auteurs
est sans fondement. À cet égard, l'État partie rappelle que, selon la jurisprudence
du Comité, toutes les différences de traitement ne constituent pas une discrimination,
dès lors qu'elles sont fondées sur des critères raisonnables et objectifs.
À cet égard, l'État partie renvoie aux constatations adoptées par le Comité
dans l'affaire No 295/1988 (Järvinen c. Finlande), où la durée
du service était de 16 mois pour les objecteurs de conscience et de huit
mois pour les autres appelés; or, le Comité avait constaté qu'il n'y avait
pas eu violation du Pacte dans la mesure où la durée du service garantissait
la sincérité des postulants au statut d'objecteur de conscience, puisque
leurs objections n'étaient soumises à aucun autre contrôle. L'État partie
affirme que le même raisonnement s'applique dans les présentes affaires.
8.8 En l'espèce, l'État partie indique aussi que les conditions dans lesquelles
s'effectue le service civil de remplacement sont moins contraignantes que
celles du service militaire. Les objecteurs de conscience ont la possibilité
de choisir entre un large éventail de postes; ils peuvent également proposer
eux-mêmes leur employeur et effectuer leur service dans leur domaine de
compétence professionnelle. Ils sont également mieux rétribués que ceux
qui servent dans les forces armées. À cet égard, l'État partie rejette l'affirmation
du conseil selon laquelle les personnes qui effectuent leur service au titre
de la coopération internationale bénéficient d'un traitement privilégié
par rapport aux objecteurs de conscience; il affirme que le service de la
coopération internationale s'effectue souvent à l'étranger dans des conditions
très difficiles, alors que les objecteurs de conscience accomplissent leur
service en France. M. Venier faisait son service civil au secrétariat du
"Mouvement pour une alternative non violente", tandis que M. Nicolas
occupait un poste de fonctionnaire international en Île-de-France.
8.9 L'État partie conclut que la durée de service à laquelle les auteurs
des présentes communications ont été assujettis n'avait aucun caractère
discriminatoire si on la compare à d'autres formes de service civil ou au
service militaire. Les différences concernant la durée du service étaient
raisonnables et reflétaient des différences objectives entre les formes
de service. En outre, l'État partie fait valoir que la durée du service
des objecteurs de conscience est plus longue que celle du service militaire
dans la plupart des pays européens.
Observations du conseil
9.1 Dans ses observations, datées du 21 décembre 1998, le conseil fait
remarquer que le point controversé concerne les modalités du service civil
des objecteurs de conscience. Il fait observer que la durée deux fois plus
longue de ce service ne se justifie par aucune raison d'ordre public et,
à cet égard, il renvoie au paragraphe 3 de l'article 18 du Pacte qui dispose
que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire
l'objet que des seules restrictions prévues par la loi qui sont nécessaires
à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publics, ou de
la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui. Il renvoie également
à l'Observation générale No 22 du Comité dans laquelle le Comité a déclaré
qu'il ne pouvait pas être imposé de restrictions à des fins discriminatoires
ou de façon discriminatoire. Il déclare que le fait d'imposer aux objecteurs
de conscience un service civil d'une durée double de celle du service militaire
constitue une restriction discriminatoire, dans la mesure où la manifestation
d'une conviction, telle que le refus de porter les armes, ne constitue pas
en soi une atteinte à la sécurité, à l'ordre et la santé publics, à la morale
ou aux droits et libertés fondamentaux d'autrui, puisque la loi reconnaît
expressément le droit à l'objection de conscience.
9.2 Le conseil déclare que, contrairement à ce que l'État partie affirme,
les personnes qui demandent à bénéficier du statut d'objecteur de conscience
sont soumises à un contrôle administratif et n'ont pas la possibilité de
choisir leurs conditions de service. Dans ce contexte, le conseil rappelle
que la loi prescrit que la demande de statut doit être déposée avant le
15 du mois précédant l'incorporation et doit être motivée. Le Ministre chargé
des armées peut donc rejeter cette demande, de sorte que le droit de bénéficier
du statut d'objecteur de conscience n'est pas automatique. Il apparaît donc
clairement, selon le conseil, que la motivation de l'objecteur de conscience
est soumise à un contrôle.
9.3 Le conseil rejette l'argument de l'État partie qui affirme que les auteurs
eux-mêmes ont choisi en connaissance de cause la forme du service qu'ils
allaient effectuer. Le conseil insiste sur le fait que les auteurs ont fait
leur choix en fonction de leurs convictions et non de la durée du service.
Ils n'avaient pas le choix quant aux modalités d'exécution de ce service.
Le conseil fait valoir qu'aucune raison d'ordre public ne justifie que la
durée du service civil des objecteurs de conscience soit le double de celle
du service militaire.
9.4 Le conseil maintient que la durée du service constitue une discrimination
fondée sur l'opinion. Se référant aux constatations du Comité concernant
la communication No 295/1988 (Järvinen c. Finlande), le conseil
affirme que la présente affaire est différente car, dans le cas précédent,
la durée supérieure du service se justifiait, de l'avis de la majorité des
membres du Comité, par l'absence de procédure administrative d'agrément
du statut d'objecteur de conscience.
9.5 En ce qui concerne les autres formes de service civil, notamment le
service au titre de la coopération internationale, le conseil rejette l'argument
de l'État partie selon lequel celui-ci est souvent effectué dans des conditions
difficiles et il affirme au contraire que les intéressés sont souvent envoyés
dans un autre pays d'Europe où ils servent dans des conditions agréables.
Par ailleurs, ceux qui effectuent un tel service acquièrent une expérience
professionnelle. Selon le conseil, l'objecteur de conscience ne tire aucun
avantage de son service. Quant à l'argument de l'État partie selon lequel
la durée supérieure du service permet de vérifier si les objections de l'intéressé
sont sérieuses, le conseil fait valoir qu'un tel contrôle, dans le cas des
objecteurs de conscience, constitue en lui-même une discrimination flagrante,
dans la mesure où la sincérité de ceux qui choisissent une autre forme de
service civil ne fait l'objet d'aucune procédure de vérification. Pour ce
qui est des avantages mentionnés par l'État partie (comme le fait de n'avoir
pas à porter l'uniforme ou de n'être pas soumis à la discipline militaire),
le conseil note que ceux qui effectuent d'autres formes de service civil
jouissent des mêmes avantages, alors que la durée de leur service ne dépasse
pas 16 mois. En ce qui concerne l'argument de l'État partie selon lequel
les objecteurs de conscience reçoivent une rémunération supérieure à la
solde perçue par ceux qui effectuent un service militaire, le conseil relève
que les premiers travaillent dans des structures où ils sont considérés
comme des salariés et qu'il est donc normal qu'ils reçoivent une certaine
rémunération. Il fait observer que cette rémunération est faible par rapport
au travail accompli et très inférieure à celle que perçoivent les salariés
ordinaires. Selon le conseil, ceux qui effectuent leur service au titre
de la coopération sont mieux payés.
Délibérations du Comité
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné les communications en tenant
compte de toutes les informations mises à sa disposition par les parties,
conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
10.2 Le Comité a noté l'argument de l'État partie selon lequel les auteurs
n'ont été victimes d'aucune violation car ils n'ont pas été condamnés pour
leurs convictions personnelles mais pour avoir déserté le service qu'ils
avaient librement choisi. Le Comité relève toutefois que les auteurs, au
cours des procédures devant les tribunaux, ont invoqué le droit à l'égalité
de traitement entre les objecteurs de conscience et les appelés du service
militaire pour justifier leur désertion, ce que les décisions des tribunaux
mentionnent. Il note aussi l'argument des auteurs qui affirment qu'ils n'avaient,
en tant qu'objecteurs de conscience au service militaire, aucune liberté
de choix quant au service qu'ils devaient accomplir. Le Comité considère
donc que les auteurs remplissent les conditions nécessaires pour être considérés
comme victimes d'une violation aux fins du Protocole facultatif.
10.3 Le Comité doit se prononcer sur la question de savoir si les conditions
spécifiques dans lesquelles les auteurs devaient effectuer un service de
remplacement constituaient ou non une violation du Pacte (3). Le
Comité note qu'en vertu de l'article 8 du Pacte les États parties sont libres
d'exiger d'un individu l'accomplissement d'un service de caractère militaire
et, en cas d'objection de conscience, d'un service national de remplacement,
à condition que ce service ne soit pas discriminatoire. Pour les auteurs,
le fait que la législation française exige un service national de remplacement
de 24 mois au lieu des 12 mois requis pour le service militaire constitue
une pratique discriminatoire et une violation du principe de l'égalité devant
la loi et de l'égale protection de la loi qui est énoncé à l'article 26
du Pacte. Le Comité rappelle sa position et réaffirme que l'article 26 n'interdit
pas toutes les différences de traitement. Cela dit, comme il a eu l'occasion
de l'affirmer à maintes reprises, toute différenciation doit être fondée
sur des critères raisonnables et objectifs. En l'espèce, le Comité reconnaît
que la loi et la pratique peuvent instituer des différences entre le service
militaire et le service national de remplacement et que de telles différences
peuvent, dans un cas particulier, justifier un service plus long à condition
que la différenciation soit fondée sur des critères raisonnables et objectifs
tels que la nature du service dont il est question ou la nécessité de subir
un entraînement spécial pour pouvoir accomplir ce service. Toutefois, en
l'espèce, les motifs invoqués par l'État partie ne sont pas fondés sur de
tels critères ou mentionnent lesdits critères dans des termes généraux qui
ne s'appliquent pas spécifiquement au cas des auteurs, reposant plutôt sur
l'argument selon lequel le doublement de la durée du service était le seul
moyen de s'assurer de la sincérité des convictions de l'intéressé. Le Comité
est d'avis qu'un tel argument ne remplit pas la condition qui veut que la
différence de traitement doit être fondée sur des critères raisonnables
et objectifs. Dans ces circonstances, le Comité estime qu'il y a eu violation
de l'article 26 dès lors que les auteurs ont été victimes d'une discrimination
du fait de leur objection de conscience.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant conformément au paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il
est saisi révèlent une violation de l'article 26 du Pacte.
12. Le Comité des droits de l'homme note avec satisfaction que l'État partie
a modifié sa législation de telle sorte que des violations similaires ne
se reproduiront plus. Dans les circonstances de la présente affaire, le
Comité considère que la constatation de l'existence d'une violation constitue
pour les auteurs une réparation suffisante.
______________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication : M. Nisuke Ando, M. P. N. Bhagwati, Lord Colville, Mme Elizabeth
Evatt, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari
Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden, M. Abdallah Zakhia.
Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité, Mme Christine
Chanet n'a pas participé à l'examen de la communication.
** Le texte d'une opinion individuelle signée par Nisuke Ando, Eckart Klein,
David Kretzmer et Abdallah Zakhia est joint au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
Appendice
Opinion individuelle (dissidente) de Nisuke Ando, Eckart Klein,
David Kretzmer et Abdallah Zakhia
Nous n'approuvons pas les constatations du Comité, pour les mêmes motifs que
ceux que nous avons exposés dans notre opinion dissidente concernant l'affaire
Foin (communication No 666/1995).
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
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1. Järvinen c. Finlande, constatations adoptées le 25 juillet
1990, par. 6.4 à 6.6.
2. E/CN.4/1987/L.73, en date du 5 mars 1987.
3. Voir aussi les constatations du Comité dans l'affaire No 666/1995 (Foin
c. France) (CCPR/C/67/D/666/1995).