Comité des droits de l'homme
Soixante-septième session
18 octobre - 5 novembre 1999
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au
titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-septième session -
Communication No 694/1996
Présentée par : Arieh Hollis Waldman (initialement représenté
par M. Raj Anand du cabinet d'avocats Scott & Aylen, à Toronto (Ontario))
Au nom de : L'auteur
État partie : Canada
Date de la communication : 29 février 1996
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 novembre 1999
Ayant achevé l'examen de la communication No 694/1996 présentée
au Comité des droits de l'homme au nom de M. Arieh Hollis Waldman, conformément
au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, par son conseil
et par l'État partie,
Adopte les constatations suivantes au titre du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif :
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif
1.1 L'auteur de la communication est M. Arieh Hollis Waldman, citoyen
canadien habitant dans la province de l'Ontario. Il affirme être victime
d'une violation de l'article 26, ainsi que des paragraphes 1 et 4 de l'article
18 et de l'article 27 du Pacte lus conjointement avec le paragraphe 1
de l'article 2 L'auteur a été représenté par M. Raj Anand
du cabinet d'avocats Scott and Aylen à Toronto (Ontario) jusqu'en 1998..
1.2 L'auteur est père de deux enfants d'âge scolaire. Étant de confession
juive, il les a inscrits dans une école privée hébraïque à temps complet.
Dans la province de l'Ontario, les écoles catholiques sont les seuls établissements
scolaires non laïcs intégralement et directement financés par l'État.
Les autres écoles religieuses doivent être financées par des sources privées
et, notamment, percevoir des frais de scolarité.
1.3 En 1994, M. Waldman a payé 14 050 dollars canadiens de droits de
scolarité pour que ses enfants puissent fréquenter la Bialik Hebrew Day
School à Toronto (Ontario). Ce montant a été ramené à 10 810,89 dollars
conformément à un système d'imputation de l'imp_t mis en place par les
autorités fédérales. Les frais de scolarité acquittés ont été prélevés
sur le revenu net du ménage qui s'élevait à 73 367,26 dollars. De surcroît,
l'auteur est tenu d'acquitter les taxes foncières locales qui servent
à financer un système d'enseignement public qu'il n'utilise pas.
Rappel des faits
2.1 Dans la province de l'Ontario, l'enseignement public est gratuit
pour tous les habitants sans aucune discrimination fondée sur la religion
ou quelque motif que ce soit. Dans les écoles publiques, l'enseignement
religieux est interdit. Les individus sont libres de créer des écoles
privées et d'y envoyer leurs enfants au lieu de les inscrire dans les
écoles publiques. La seule condition à remplir pour ouvrir une école privée
dans l'Ontario consiste à présenter une "déclaration d'intention
d'ouvrir une école privée". Les écoles privées ne sont assujetties
ni à l'obtention d'une licence ni à une autorisation préalable du Gouvernement.
Au 30 septembre 1989, l'Ontario comptait 494 écoles privées fréquentées
par 64 699 étudiants. Les effectifs des écoles privées représentent 3,3
% du nombre total d'élèves inscrits dans les écoles fonctionnant à temps
complet.
2.2 Le système de financement séparé des écoles en place dans la province
de l'Ontario trouve son origine dans les dispositions de la première Constitution
du Canada, qui remonte à 1867. A cette époque, les catholiques représentaient
17 % de la population de l'Ontario, les protestants 82 % et les adeptes
de toutes les autres religions prises ensemble 2 % seulement. À l'avènement
de la Confédération, il y avait la crainte que la nouvelle province de
l'Ontario ne soit contr_lée par une majorité protestante qui pourrait
mettre à profit ses pouvoirs en matière d'éducation pour dénier ses droits
à la minorité catholique. La solution a consisté à garantir à cette dernière
le droit à une éducation confessionnelle et à définir ce droit en fonction
des lois en vigueur à l'époque.
2.3 En conséquence, la Constitution canadienne de 1867 garantit explicitement,
à son article 93, les droits relatifs aux écoles confessionnelles. Cet
article confère à chacune des provinces du Canada la compétence exclusive
de légiférer en matière d'éducation, les seules restrictions étant celles
découlant des droits relatifs à l'enseignement confessionnel accordés
en 1867. Dans la province de l'Ontario, l'exercice des compétences découlant
de l'article 93 de la Constitution est régi par la loi sur l'éducation.
En vertu de cette loi, l'État est tenu de financer intégralement chaque
école séparée, l'expression "écoles séparées" désignant les
écoles catholiques. La loi sur l'éducation stipule ce qui suit : "1.
1) l'expression 'conseil scolaire des écoles séparées' désigne un conseil
qui administre les écoles catholiques; (...) 122. 1) chaque école séparée
est subventionnée par l'État dans les mêmes conditions qu'une école publique".
En conséquence, les écoles catholiques sont les seules écoles religieuses
qui reçoivent de l'État les mêmes subsides que les écoles publiques non
confessionnelles.
2.4 Les écoles séparées (catholiques) ne sont pas des écoles privées.
Comme les écoles publiques, elles reçoivent des fonds qui sont administrés
par un conseil scolaire démocratiquement élu et contr_lé par le Gouvernement.
Ces conseils scolaires, qui sont élus par les contribuables catholiques,
sont responsables des aspects confessionnels de l'enseignement qui est
assuré dans ces écoles. À la différence des écoles privées, les écoles
catholiques séparées doivent appliquer toutes les directives et tous les
règlements ministériels. Ni l'article 93 de la loi constitutionnelle de
1867 ni la loi sur l'éducation ne prévoient le financement des écoles
catholiques privées, c'est-à-dire indépendantes, à l'aide des fonds publics.
Les 10 écoles catholiques privées (indépendantes) établies dans la province
de l'Ontario ne reçoivent aucun financement public direct.
2.5 Dans l'Ontario, les écoles religieuses privées bénéficient d'une
aide financière sous les formes suivantes : 1) exonération de taxes foncières
pour les écoles privées à but non lucratif; 2) droit de déduire de l'imp_t
sur le revenu les frais de scolarité correspondant à l'enseignement religieux;
et 3) déductions d'imp_t sur le revenu à titre de bienfaisance. Un rapport
de 1985 concluait que l'aide publique fournie aux écoles privées dans
la province de l'Ontario représentait en moyenne un sixième du montant
total des frais de scolarité de chaque élève. Dans aucune province du
Canada, les écoles privées ne bénéficient du même niveau de financement
que les écoles publiques. Le financement direct des écoles privées va
de 0 % (Terre-Neuve, New Brunswick, Ontario) à 75 % (Alberta).
2.6 La question du financement public des écoles religieuses non catholiques
fait l'objet de procédures contentieuses depuis 1978. La première action,
intentée le 8 février 1978, visait à rendre l'enseignement religieux obligatoire
dans certaines écoles, de façon à intégrer les écoles hébraïques dans
l'enseignement public. Le 3 avril 1978 (jugement confirmé le 9 avril 1979),
les tribunaux de la province de l'Ontario se sont prononcés contre une
instruction religieuse obligatoire dans les écoles publiques.
2.7 En 1982, la Constitution canadienne a été modifiée aux fins d'y inclure
une Charte des droits et des libertés contenant une disposition garantissant
l'égalité des droits. En 1985, le gouvernement de l'Ontario a décidé de
modifier la loi sur l'éducation de façon à élargir le financement par
l'État des écoles catholiques aux classes allant de la onzième à la treizième.
Depuis le milieu du XIXe siècle, toutes les classes des écoles catholiques,
de la maternelle à la dixième, étaient subventionnées par l'État. La question
de la constitutionnalité de cette loi (projet de loi 30) au regard
de la Charte canadienne des droits et de libertés a été soumise par le
gouvernement de l'Ontario à la cour d'appel de l'Ontario en 1985.
2.8 Le 25 juin 1987, la Cour suprême du Canada, saisie de l'affaire relative
au projet de loi 30 a confirmé la constitutionnalité de la législation
prévoyant le financement intégral des écoles catholiques. Selon l'opinion
majoritaire, l'article 93 de la loi constitutionnelle de 1867 et tous
les droits et privilèges qui y sont accordés ne pouvaient être contestés
sur la base de la Charte. Madame le Juge Wilson, qui a rédigé l'opinion
majoritaire, a fait observer ce qui suit : "L'intention n'a jamais
été ... d'utiliser la Charte pour infirmer d'autres dispositions de la
Constitution, notamment des dispositions telles que celles qui figurent
à l'article 93, qui constituaient l'élément essentiel du compromis sur
lequel repose la Confédération".
2.9 En même temps, la Cour suprême du Canada, exprimant l'opinion de
la majorité formulée par le juge Wilson, a affirmé : "Les droits
en matière d'éducation accordés spécifiquement aux catholiques de la province
de l'Ontario font qu'il est impossible de traiter tous les Canadiens sur
un pied d'égalité. Le pays a été fondé sur la reconnaissance de droits
spéciaux ou inégaux en matière d'éducation à différents groupes religieux
dans la province de l'Ontario..." Dans une opinion individuelle,
Estey J. a, quant à lui, reconnu ce qui suit : "Il va de soi (et
de nombreux avocats qui ont plaidé devant cette Cour l'ont concédé) que,
si la Charte venait à être appliquée au projet de loi 30, il serait considéré
discriminatoire et contraire aux articles 2 a) et 15 de la Charte des
droits".
2.10 Dans une autre affaire (Adler c. Ontario), des personnes
se réclamant de la tradition calviniste ou chrétienne réformée, ainsi
que des hindous, des musulmans et des juifs ont contesté la constitutionnalité
de la loi sur l'éducation de la province de l'Ontario, invoquant une violation
des dispositions de la Charte relatives à la liberté de religion et à
l'égalité. Ils ont fait valoir que les dispositions de la loi sur l'éducation
en vertu desquelles l'école est obligatoire étaient discriminatoires à
l'égard de ceux qui ne pouvaient pas, du fait de leur conscience ou de
leurs convictions, envoyer leurs enfants dans les écoles publiques laïques
ou catholiques subventionnées par l'État, dans la mesure où ils sont obligés
de payer le prix fort pour assurer une éducation religieuse à leurs enfants.
Les requérants ont également demandé que soit reconnu leur droit aux mêmes
subventions que celles qui sont accordées aux écoles publiques et aux
écoles catholiques. La Cour d'appel de l'Ontario a estimé que l'objectif
visé à travers l'affaire Adler était de remettre sur le tapis une
question que la Cour suprême du Canada avait déjà tranchée dans le cadre
de l'affaire relative au projet de loi 30. Le juge en chef Dubin
a déclaré que "la question de la discrimination soulevée dans ces
appels avait été en fait tranchée d'une manière définitive" dans
l'affaire relative au projet de loi 30. La Cour a également rejeté
l'argument fondé sur la liberté de religion.
2.11 En appel, la Cour suprême du Canada a confirmé, dans son arrêt du
21 novembre 1996, que sa décision sur le projet de loi 30 avait
un caractère définitif en ce qui concerne l'affaire Adler, et statué
que le financement des écoles catholiques séparées ne pouvait être considéré
comme une violation de la Charte, étant donné que la province de l'Ontario
était tenue, en vertu de la Constitution, d'assurer ce financement.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur soutient que le financement par l'État des écoles catholiques
autorisé à l'article 93 de la loi constitutionnelle du Canada de 1867
et mis en oeuvre en application des articles 122 et 128 de la loi sur
l'éducation (Ontario) constitue une violation de l'article 26 du Pacte.
Il affirme que ces dispositions législatives créent une distinction ou
une préférence fondée sur la religion qui a pour effet d'entraver la jouissance
ou l'exercice par toutes les personnes de leurs droits et libertés religieux
dans des conditions d'égalité. Il fait valoir que l'octroi d'un avantage
à un seul groupe religieux n'est pas défendable. Lorsqu'un État partie
reconnaît le droit à un financement public de l'enseignement religieux,
il ne devrait y avoir aucune distinction entre les personnes fondée sur
la nature de leurs convictions particulières. L'auteur soutient que le
financement intégral par l'État des seules écoles catholiques ne saurait
être considéré comme raisonnable. L'adoption par le gouvernement de l'Ontario
d'une politique discriminatoire était justifiée dans le passé par la nécessité
de protéger les droits de la minorité catholique vis-à-vis de la majorité
protestante mais ne l'est plus aujourd'hui; cette protection devrait même
être accordée à présent à d'autres communautés religieuses minoritaires
de la province D'après un recensement effectué en 1991, 44
% de la population sont protestants, 36 % catholiques et 8 % se réclament
d'autres confessions.. L'abus tient aussi au fait que les autres provinces
et territoires canadiens ne pratiquent aucune discrimination fondée sur
la religion.
3.2 L'auteur affirme, d'autre part, que la politique de la province en
ce qui concerne le financement des écoles est contraire au paragraphe
1 de l'article 18 du Pacte lu en parallèle avec l'article 2. Il fait observer
qu'il doit consentir de grands sacrifices financiers pour assurer à ses
enfants une éducation juive, ce qui n'est pas le cas d'un parent catholique
qui souhaite donner à ses enfants une éducation dans leur religion. Il
affirme que le fait de devoir consentir de tels sacrifices entrave dans
une large mesure, d'une manière discriminatoire, l'exercice du droit de
manifester sa propre religion, y compris la liberté d'assurer une éducation
religieuse à ses enfants ou de créer des écoles religieuses.
3.3 L'auteur fait observer, en outre, que cette violation ne saurait
être justifiée par les dérogations prévues au paragraphe 3 de l'article
18 du Pacte qui n'autorise que les seules restrictions prévues par la
loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre
et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et des droits
fondamentaux d'autrui. Selon l'auteur, une restriction imposée pour protéger
la morale ne peut être fondée sur les préceptes d'une seule tradition.
3.4 L'auteur affirme en outre que lorsque l'État reconnaît le droit à
une éducation religieuse financée par des fonds publics il ne devrait
y avoir aucune distinction fondée sur la religion. En finançant directement
et intégralement les seules églises catholiques, l'État faillit à son
obligation d'accorder le même respect à la liberté des non-catholiques
de donner à leurs enfants un enseignement conforme à leurs convictions
religieuses, ce qui constitue une violation du paragraphe 4 de l'article
18 du Pacte lu en parallèle avec l'article 2.
3.5 L'auteur fait observer qu'il est reconnu à l'article 27 du Pacte
que des systèmes d'écoles séparées revêtent une importance capitale pour
la pratique de la religion et que de telles écoles constituent une condition
essentielle pour la sauvegarde de l'identité d'une communauté et pour
la survie des groupes religieux minoritaires, et que des mesures correctives
peuvent être nécessaires pour assurer la protection des droits des minorités
religieuses. Comme les catholiques sont la seule minorité religieuse dont
les écoles sont financées intégralement et directement par le gouvernement
de l'Ontario, l'article 27 du Pacte n'a pas été appliqué sans aucune distinction
fondée sur la religion, comme l'exige l'article 2.
Observations de l'État partie
4.1 Dans une note du 29 avril 1997, l'État partie reconnaît que le Comité
a compétence pour se prononcer sur la recevabilité de la communication
et examiner celle-ci quant au fond.
4.2 Dans sa communication datée de février 1998, l'État partie dément
que les faits de la cause révèlent des violations des articles 2, 18,
26 et 17 du Pacte.
4.3.1 En ce qui concerne la violation présumée de l'article 26, l'État
partie soutient que la communication est irrecevable ratione materiae
ou, s'il en va autrement, que les faits allégués ne constituent pas une
violation. L'État partie rappelle qu'une différence de traitement fondée
sur des critères raisonnables et objectifs ne constitue pas une discrimination
interdite au sens de l'article 26. Il renvoie à la jurisprudence du Comité
dans l'affaire No 191/1985 Blom c. Suède, Constatations
adoptées le 4 avril 1988, sélection de décisions du Comité des droits
de l'homme, vol. 2, CCPR/C/OP/2., dans laquelle le Comité avait conclu
que l'État partie ne violait pas l'article 26 en ne subventionnant pas
dans les mêmes proportions l'enseignement privé et l'enseignement public,
dans la mesure où l'enseignement privé n'était pas soumis au contr_le
de l'État. Il renvoie également aux constatations du Comité concernant
les affaires Nos 298/1988 et 299/1988 Lindgren et Lundquist c.
Suède, Constatations adoptées le 9 novembre 1990 (CCPR/C/40/D/298-299/1988).,
où le Comité a décidé que l'on ne pouvait pas considérer que l'État partie
était dans l'obligation d'assurer les mêmes prestations aux écoles privées
qu'aux écoles publiques, et que le traitement préférentiel accordé à l'enseignement
public était raisonnable et fondé sur des critères objectifs. Le Comité
a également estimé que l'État partie n'exerçait aucune discrimination
à l'égard des parents qui choisissaient librement de ne pas se prévaloir
de prestations offertes à tous.
4.3.2 L'État partie argumente qu'il n'exerce aucune discrimination en
finançant les écoles publiques mais non les écoles privées. Tous les enfants,
quelle que soit leur confession ou sans confession, ont les mêmes droits
de fréquenter gratuitement l'école publique laïque, laquelle est financée
par l'argent du contribuable. D'après l'État partie, le Gouvernement ne
prive en rien un enfant ou un parent, lorsque ce dernier choisit volontairement
de renoncer aux avantages offerts par le système scolaire public. L'État
partie souligne le fait que la province de l'Ontario ne finance aucune
école privée, qu'elle soit confessionnelle ou non. En matière de financement,
la distinction entre les écoles est fondée non pas sur la religion, mais
sur la question de savoir si l'école en question est un établissement
public ou un établissement privé, c'est-à-dire indépendant.
4.3.3 D'après l'État partie, la création d'établissements publics laïcs
est conforme à l'esprit de l'article 26 du Pacte. Les établissements laïcs
n'exercent aucune discrimination à l'égard de la religion et constituent
une forme légitime de neutralité appliquée par le Gouvernement. D'après
l'État partie, le système laïc contribue à empêcher la discrimination
entre les citoyens sur la base de la religion. L'État partie n'établit
aucune distinction entre les différents groupes religieux dans l'enseignement
public et ne limite en aucune manière le droit d'aucun de ces groupes
de créer des écoles privées.
4.3.4 Mis à part ses obligations en vertu de la Loi constitutionnelle
de 1867, l'État partie ne finance directement aucune école religieuse.
Dans ces circonstances, l'État partie fait valoir que son refus de financer
des écoles religieuses n'a aucun caractère discriminatoire. En décidant
ainsi, l'État partie entend respecter l'esprit même de l'article 26, c'est-à-dire
instaurer une société tolérante, dans laquelle toutes les croyances religieuses
sont respectées et traitées sur un pied d'égalité. L'État partie soutient
que le Comité irait à l'encontre des buts mêmes de l'article 26 si, mettant
en avant les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoient
le financement des écoles catholiques, il affirmait que l'État partie
doit désormais financer toutes les écoles religieuses privées car, ce
faisant, il compromettrait la capacité de l'État partie d'instaurer et
de promouvoir une société tolérante qui protège vraiment la liberté de
religion, et ce, alors que, si la Loi constitutionnelle de 1867 n'existait
pas, l'État partie n'aurait aucune obligation en vertu du Pacte de financer
des écoles religieuses quelles qu'elles soient.
4.4.1 En ce qui concerne l'article 18, l'État partie renvoie aux travaux
préparatoires qui stipulent clairement que ledit article n'inclut pas
le droit d'exiger de l'État qu'il finance des écoles religieuses privées.
Lors de la rédaction du Guide en question, la question a été soulevée
formellement et a reçu une réponse négative Voir Bossuyt,
Guide to the "Travaux préparatoires" of the ICCPR, 1987, p.
369.. En conséquence, l'État partie déclare que la plainte de l'auteur
en vertu de l'article 18 est irrecevable ratione materiae. Si tel
n'est pas le cas, l'État partie fait valoir que sa politique garantit
la liberté de religion consacrée à l'article 18, parce que ses écoles
publiques sont ouvertes aux personnes se réclamant de toutes les confessions
et n'enseignent aucune religion ou croyance particulière, et également
parce que la liberté existe de créer des écoles religieuses privées où
les parents sont libres d'envoyer leurs enfants. L'État partie rejette
l'idée que le paragraphe 4 de l'article 18 fait obligation aux États de
subventionner les écoles religieuses privées ou l'enseignement religieux
L'État partie renvoie à Nowak, UN Covenant on Civil and Political
Rights, CCPR commentary, p. 330 à 333.. Selon l'État partie, le but de
l'article 18 est d'assurer que l'observance, les croyances et les pratiques
religieuses demeurent une affaire privée, dans laquelle l'État n'impose
aucune contrainte ou limitation. L'État a l'obligation d'offrir un enseignement
ouvert et accessible à tous les enfants quelle que soit leur religion.
Il n'est nullement tenu d'assurer ou de financer un enseignement ou un
endoctrinement religieux. Si la province a le devoir de faire respecter
la liberté de religion et les différences en matière de confession à l'intérieur
des écoles publiques, en revanche elle n'est nullement tenue d'aider financièrement
les particuliers qui, pour des raisons religieuses, choisissent librement
de ne pas utiliser le système scolaire public.
4.4.2 L'État partie fait valoir que l'absence de mesure destinée à faciliter
la pratique de la religion ne saurait être considérée comme un obstacle
mis par l'État à la liberté de religion. Il fait observer qu'il existe
de nombreux domaines dans lesquels l'État intervient et qui ont également
une signification religieuse pour des croyants; or l'État partie rejette
l'idée qu'il doit financer cet aspect religieux, qu'il s'agisse du mariage
religieux ou des institutions tenues par des communautés religieuses,
comme les églises et les h_pitaux.
4.4.3 Dans l'hypothèse contraire, autrement dit si le Comité devait interpréter
l'article 18 comme exigeant des États qu'ils financent les écoles religieuses,
l'État partie fait valoir que ses restrictions sont conformes aux dispositions
du paragraphe 3 de l'article 18, dans la mesure où elles sont prévues
par la loi et nécessaires pour protéger l'ordre public ainsi que les libertés
et droits fondamentaux d'autrui. Le système éducatif de l'État partie
vise à assurer gratuitement un enseignement public laïc accessible à tous
les habitants sans discrimination et à créer un système d'enseignement
public qui encourage et développe les valeurs d'une société démocratique
pluraliste, à savoir notamment la cohésion sociale, la tolérance religieuse
et la compréhension. L'État partie fait valoir que s'il devait financer
les écoles religieuses privées, cela aurait un effet néfaste sur les écoles
publiques et, partant, sur l'instauration dans la province d'une société
tolérante, pluriculturelle et non discriminatoire.
4.4.4 De l'avis de l'État partie, les écoles publiques constituent un
moyen rationnel de favoriser la cohésion sociale et de respecter les différences,
religieuses ou autres. Les écoles sont d'autant mieux à même d'enseigner
la compréhension mutuelle et les valeurs communes qu'elles sont moins
homogènes. L'État partie affirme que l'une des forces de l'école publique
réside dans le fait qu'elle est un lieu où des personnes de toutes les
couleurs, races, nationalités, origines ethniques et religions peuvent
se rencontrer et accepter leurs différences. De ce fait, les écoles publiques
favorisent la cohésion sociale, la tolérance et la compréhension mutuelle.
Cette capacité sera compromise si les écoles religieuses privées ont les
mêmes droits que les écoles publiques en matière de financement, ce qui
risque d'entraîner une augmentation notable du nombre d'écoles privées
de toutes sortes. Cela nuira au bon fonctionnement des écoles publiques,
qui n'accueilleront plus que les élèves n'ayant pas été admis dans d'autres
écoles. Cette fragmentation potentielle du système scolaire est coûteuse
pour la société et débilitante. En outre, le fait d'étendre aux écoles
religieuses privées le droit d'être financées au même niveau que les écoles
publiques risque de renforcer les pratiques coercitives et l'ostracisme
religieux auxquels sont parfois confrontés les groupes religieux minoritaires
dans les zones rurales homogènes de la province. Le groupe religieux majoritaire
risquerait de réintroduire et même de rendre obligatoire la pratique de
la prière à l'école ainsi que l'instruction religieuse, de sorte que les
groupes religieux minoritaires seraient obligés d'accepter ces pratiques
ou de fréquenter leurs propres écoles, condamnés à une ségrégation virtuelle.
Dans la mesure où le fait d'être intégralement financées permettra aux
écoles privées de remplacer les écoles publiques, l'objectif du Gouvernement
qui est de rendre l'enseignement accessible à tous sera compromis. Le
financement intégral des écoles religieuses privées a toutes les chances
de se solder par la fermeture d'un nombre croissant d'écoles publiques
et par la réduction du nombre de programmes et de services que ces écoles
publiques seront à même d'offrir.
4.4.5 L'État partie affirme que si la province de l'Ontario devait financer
les écoles religieuses privées, les écoles publiques en pâtiraient, de
même que les efforts faits pour instaurer dans la province une société
tolérante, multiculturelle et non discriminatoire, ce qui finirait par
porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux d'autrui. L'État partie
estime avoir maintenu un juste équilibre en finançant un système scolaire
public où les membres de tous les groupes peuvent s'instruire ensemble,
tout en laissant aux parents la liberté d'envoyer leurs enfants dans des
écoles religieuses privées, à leurs propres frais, s'ils le souhaitent.
4.5.1 Quant à l'allégation de l'auteur selon laquelle il est victime
d'une violation de l'article 18 lu en parallèle avec l'article 2 du Pacte,
l'État partie rappelle que l'article 2 ne crée pas un droit indépendant
mais constitue un engagement général des États et ne peut donc être invoqué
par des particuliers en vertu du Protocole facultatif sans référence à
d'autres articles spécifiques du Pacte. Or on ne peut pas affirmer que
l'article 2 lu conjointement avec l'article 18 a été violé si le droit
invoqué n'est pas stipulé dans l'article 18 lui-même.
4.5.2 De même, arguant du fait qu'un traitement différent fondé sur des
critères raisonnables et objectifs ne constitue pas une distinction ni
une discrimination au sens de l'article 2 du Pacte, l'État partie réfute
l'allégation selon laquelle il aurait violé ledit article. Pour l'argumentation
de fond concernant la question de la discrimination, il renvoie à ses
arguments concernant la violation présumée de l'article 26.
4.6.1 En ce qui concerne la violation présumée de l'article 27, l'État
partie affirme que la communication est irrecevable ratione materiae
ou, en tout état de cause, ne révèle aucune violation. Selon l'État partie,
les travaux préparatoires montrent clairement que l'article 27 n'inclut
pas le droit d'exiger de l'État qu'il finance les écoles religieuses privées.
L'article se borne à protéger les individus contre des actions de l'État
ayant un caractère négatif. Ainsi, les personnes "ne peuvent être
privées du droit" ... etc. Une proposition tendant à inclure l'obligation
de prendre des mesures positives n'a pas été adoptée Nowak,
UN Covenant on Civil and Political Rights, CCPR commentary, p. 481 et
504.. Si, en vertu de l'article 27, un État partie peut être tenu de prendre
certaines mesures positives, seules des circonstances exceptionnelles
peuvent, dans l'esprit des auteurs de cet article, exiger l'adoption de
telles mesures. Selon l'État partie, la province de l'Ontario a pris des
mesures positives qui protègent le droit des personnes appartenant à des
minorités religieuses d'établir des écoles religieuses et d'y envoyer
leurs enfants. L'État partie n'est pas tenu de financer ces écoles.
4.6.2 À titre subsidiaire, il est possible de restreindre les droits
énoncés à l'article 27 lorsqu'il existe des motifs raisonnables et objectifs
de le faire et lorsque ces restrictions sont conformes aux dispositions
du Pacte lu dans son ensemble. Pour les raisons exposées concernant la
création d'une société tolérante, la décision de l'Ontario de ne pas financer
toutes les écoles religieuses privées apparaît justifiée.
4.6.3 Rappelant ses arguments concernant l'article 18, l'État partie
juge indéfendable l'allégation selon laquelle l'article 27 lu conjointement
avec l'article 2 a été violé, étant donné que le droit invoqué n'est pas
stipulé à l'article 27. Il n'y a pas eu non plus violation de l'article
2, étant donné qu'un traitement différent fondé sur des critères raisonnables
et objectifs ne constitue pas une distinction ou une discrimination au
sens de l'article 2. L'État partie renvoie à son argumentation concernant
l'article 26 ci-dessus.
Commentaires de l'auteur
5.1 Le conseil fait observer que l'État partie a admis le caractère discriminatoire
du financement de l'enseignement et s'en est expliqué en invoquant une
obligation constitutionnelle. Le conseil fait valoir que l'article 26
du Pacte ne tolère aucune exception en vertu de lois constitutionnelles
discriminatoires et que les anomalies à caractère historique ne sauraient
entraver l'application des dispositions du Pacte en matière d'égalité.
Le conseil réfute, parce qu'il ne prouve rien, l'argument de l'État partie
selon lequel les écoles catholiques sont financées différemment des autres
écoles religieuses parce que les unes sont publiques et les autres privées.
Le conseil note que le caractère public des écoles catholiques relève
d'une décision bureaucratique prise en faveur d'un groupe de contribuables
en raison de leur confession religieuse à l'exclusion, discriminatoire,
de tous les autres contribuables.
5.2 Le conseil réfute l'argument de l'État partie selon lequel le fait
d'étendre le bénéfice du financement public à d'autres écoles religieuses
sans discrimination irait à l'encontre de l'objectif poursuivi, à savoir
l'instauration d'une société tolérante, pluriculturelle et non discriminatoire;
il affirme qu'au contraire, la pratique actuelle qui consiste à financer,
de façon discriminatoire et sélective, l'établissement et le fonctionnement
d'écoles religieuses appartenant à une seule confession, loin de favoriser
l'avènement d'une société tolérante et non discriminatoire dans la province,
encourage les divisions sociales selon des critères religieux, ce que
l'État partie affirme vouloir empêcher.
5.3 D'après le conseil, en déclarant que la plainte formulée au titre
de l'article 18 est irrecevable ratione materiae, du fait que ledit
article n'inclut pas le droit d'exiger de l'État qu'il finance des écoles
privées, l'État partie déforme les arguments de l'auteur. Le conseil soutient
que le paragraphe 1 de l'article 18 inclut le droit d'enseigner la religion
et le droit d'éduquer ses enfants dans une école religieuse. Si, pour
des motifs discriminatoires, cela est possible pour certains et non pour
d'autres, dans ce cas il y a violation de l'article 18 lu conjointement
avec l'article 2. Selon le conseil, pour qu'il prenne tout son sens, l'article
2 doit avoir pour effet d'exiger l'absence de discrimination pour les
motifs énumérés à l'égard des droits et libertés énoncés dans le Pacte,
même si, ces droits et libertés ayant été respectés, il n'y a pas eu violation
du Pacte. S'il devait toujours y avoir violation du Pacte, sans que l'article
2 soit appliqué ou pris en considération, de l'avis du conseil, cet article
serait superflu Le conseil renvoie à la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l'homme concernant l'article 14 de la Convention
européenne des droits de l'homme, selon laquelle une mesure conforme en
elle-même aux exigences de l'article consacrant le droit ou la liberté
en question peut cependant enfreindre cet article, pour le motif qu'elle
revêt un caractère discriminatoire (jugement du 23 juillet 1968, concernant
certains aspects de la législation relative à l'emploi des langues dans
l'enseignement en Belgique).. Le conseil précise qu'il n'allègue pas une
violation de l'article 18 en lui-même, mais seulement de l'article 18
lu en parallèle avec l'article 2, dans la mesure où le fait de financer
exclusivement les écoles catholiques revient à favoriser de façon discriminatoire
l'enseignement catholique.
5.4 D'après le conseil, l'État partie commet la même erreur lorsqu'il
répond à ses allégations concernant l'article 27 lu en parallèle avec
l'article 2. Il affirme que, puisque les écoles catholiques sont les seules
écoles appartenant à une minorité religieuse dont l'enseignement est intégralement
et directement financé par le Gouvernement de l'Ontario, l'article 27
n'a pas été appliqué comme l'exige l'article 2, c'est-à-dire sans distinction
fondée sur la religion.
5.5 Le conseil convient avec l'État partie que le fait de ne pas financer
au même niveau les écoles privées et les écoles publiques ne saurait en
soi être jugé discriminatoire. Il reconnaît que les écoles publiques de
l'Ontario disposeraient de davantage de ressources si le Gouvernement
cessait complètement de financer des écoles religieuses quelles qu'elles
soient. La suppression d'un tel financement est une décision politique
qui relève du Gouvernement. Le conseil note que l'amendement des dispositions
de la loi constitutionnelle canadienne de 1867 requiert uniquement l'accord
du gouvernement de la province concernée et du gouvernement fédéral. Des
amendements de cette nature ont été adoptés récemment au Québec et à Terre-Neuve
afin de réduire l'engagement, pris dans le passé par les gouvernements
de ces provinces de financer certaines écoles confessionnelles à l'aide
de fonds publics.
5.6 Le conseil maintient que, lorsque les États parties reconnaissent
le droit à un enseignement religieux financé à l'aide de fonds publics,
aucune différence ne doit être faite entre les personnes sur la base de
leurs convictions. La pratique en vigueur dans la province de l'Ontario,
qui consiste à financer exclusivement l'enseignement religieux catholique,
est donc contraire au Pacte. Le conseil demande donc que toutes les écoles
religieuses conformes aux normes établies par la province bénéficient
d'un financement égal à celui que reçoivent, le cas échéant, les écoles
catholiques de la province.
Autres observations de l'État partie
6.1 Dans une autre réponse, l'État partie fait observer que les amendements
constitutionnels introduits récemment dans le domaine de l'enseignement,
au Québec et à Terre-Neuve, ne constituent pas la solution demandée par
l'auteur, à savoir un financement équivalent pour toutes les écoles religieuses.
Les changements introduits au Québec préservent le statut confessionnel
des écoles catholiques et protestantes dans cette province, et ce par
le biais d'un autre moyen constitutionnel, qui est l'application de la
clause dérogatoire contenue dans la Charte. À Terre-Neuve, les changements
apportés vont totalement à l'encontre de la solution demandée par l'auteur,
puisque l'ancien système scolaire à caractère confessionnel, selon lequel
huit religions différentes représentant 90 % de la population avaient
chacune le droit de créer des écoles financées à l'aide de fonds publics,
a été remplacé par un seul système scolaire public où l'observance religieuse
sera autorisée à la demande des parents.
6.2 En ce qui concerne l'argument du conseil concernant l'article 2 du
Pacte, l'État partie rejette l'idée que des lois ou des mesures gouvernementales
conformes aux droits et libertés énoncés dans le Pacte, peuvent néanmoins
être contraires à celui-ci en vertu de l'article 2. De l'avis de l'État
partie, l'auteur s'efforce de trouver des arguments en faveur de l'égalité
en combinant l'article 2 avec les articles 18 et 27 respectivement. Or,
c'est l'article 26 du Pacte qui traite des garanties en matière d'égalité
et c'est dans le contexte de cet article que la question de l'égalité
doit être soulevée. L'État partie note que l'article 26 n'a pas d'équivalent
dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales. L'État partie soutient que l'auteur d'une communication
qui ne parvient pas à défendre sa cause en invoquant l'article 26 ne devrait
pas avoir la possibilité de faire réexaminer la question, simplement en
combinant l'article 2 avec diverses clauses de fond contenues dans le
Pacte.
6.3 L'État partie fait également observer que l'article 2 du Pacte exige
de l'État partie qu'il respecte, et reconnaisse à toutes les personnes
résidant sur son territoire, les droits stipulés dans le présent Pacte.
Le financement d'écoles confessionnelles séparées dans la province de
l'Ontario n'est pas une obligation destinée à garantir les droits énoncés
à l'article 18 ou à l'article 27 du Pacte, pas plus qu'il ne fait partie
des obligations créées par ces articles ou ne s'ajoute à celles-ci. S'il
y a financement, c'est uniquement en vertu de l'obligation constitutionnelle
stipulée au paragraphe 1 de l'article 93 de la loi constitutionnelle de
1867 et non en vertu d'une obligation quelconque qu'imposerait un droit,
ou l'élargissement d'un droit, énoncé dans l'un quelconque des articles
du Pacte.
Autres commentaires de l'auteur
7. Dans sa communication du 15 mars 1999, l'auteur note que l'argument
de l'État partie en faveur d'un traitement différent des écoles religieuses,
à savoir le désir de créer une harmonie multiraciale et multiculturelle
en maximisant les fonds publics alloués au système scolaire laïc, exigerait
en fait le retrait des fonds dont bénéficient, à titre spécial, les écoles
catholiques séparées. Il fait également remarquer que le fait que le Québec
ait dû recourir à la clause dérogatoire contenue dans la Charte pour préserver
le financement des écoles séparées, montre bien que ce système est contraire
au droit à l'égalité énoncé dans cette Charte, et partant, à l'article
26 du Pacte. Se référant aux changements constitutionnels introduits dans
le système éducatif de Terre-Neuve, l'auteur y voit la preuve qu'il est
possible de modifier la Constitution en ce qui concerne les écoles confessionnelles
malgré les objections de ceux qui ont des droits acquis.
Autres observations de l'État partie
8.1 Dans une réponse ultérieure aux commentaires de l'auteur, l'État
partie conteste l'interprétation que fait ce dernier de l'application
au Québec de la clause dérogatoire. Selon l'État partie, l'amendement
de l'article 93 de la loi constitutionnelle de 1867 a enlevé aux écoles
protestantes et catholiques leur statut d'écoles protégées par la loi
de 1867 en les remplaçant par des écoles publiques dotées de conseils
scolaires linguistiques. Néanmoins, ces écoles conservent leur statut
d'écoles confessionnelles, grâce à l'application d'un autre moyen constitutionnel
qui est la clause dérogatoire. D'après l'État partie, tout ceci montre
que le financement des écoles confessionnelles demeure une question complexe
qui exige une prise en considération équilibrée de besoins et d'intérêts
divers.
8.2 L'État partie note que, dans ses commentaires, l'auteur suggère pour
la première fois un éventuel remède à la discrimination alléguée, à savoir
la suppression des fonds dont bénéficient les écoles catholiques séparées.
Jusqu'à présent, en répondant à la communication de l'auteur, l'État partie
a concentré son attention sur l'allégation selon laquelle le fait de ne
pas étendre le financement à d'autres écoles constituait une violation
du Pacte, mais non sur celle selon laquelle le maintien des fonds alloués
aux écoles catholiques séparées contrevenait au Pacte. Notant que cette
question a été évoquée dans une autre communication (No 816/1998, Tadman
et al. c. Canada) soumise au Comité en vertu du Protocole facultatif,
l'État partie demande au Comité d'examiner conjointement ces deux communications.
8.3 Pour le cas où le Comité n'opterait pas pour la jonction de ces deux
communications, l'État partie fournit d'autres arguments concernant cette
question. L'État partie explique que, si les droits de la minorité catholique
romaine n'avaient pas été protégés, il n'aurait pas été possible de fonder
la Confédération canadienne et que le système scolaire séparé demeurait
une question litigieuse, qui compromettait parfois l'unité nationale du
Canada. L'État partie explique que la communauté catholique romaine voit
dans le financement de ses écoles un moyen de corriger un tort commis
dans le passé.
8.4 L'État partie fait valoir qu'il existe des motifs raisonnables et
objectifs de ne pas supprimer les fonds alloués aux écoles catholiques
séparées dans la province de l'Ontario. Une telle mesure serait perçue
comme réduisant à néant le compromis établi au moment de l'établissement
de la Confédération afin de protéger les intérêts d'une minorité vulnérable
dans la province et susciterait l'indignation et la résistance de la communauté
catholique romaine. Il en résulterait également certaines perturbations
d'ordre économique, notamment en raison de demandes d'indemnisation au
titre des installations ou des terres mises à la disposition des écoles
catholiques. En outre, la protection des droits des minorités, notamment
en matière de religion et d'éducation, est un principe qui sous-tend la
Constitution canadienne et milite contre la suppression des fonds alloués
aux écoles catholiques séparées. Éliminer ce financement dans la province
de l'Ontario inciterait les autres provinces du Canada à supprimer les
mesures de protection dont bénéficient les minorités à l'intérieur de
leurs frontières.
Délibérations du Comité
9.1 Avant d'examiner une communication au fond, le Comité des droits
de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur,
décider si cette communication est recevable aux termes du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte.
9.2 Le Comité note que l'État partie a contesté la recevabilité de la
communication ratione materiae. Toutefois, le Comité considère
que l'allégation de discrimination formulée par l'auteur, considérée à
la fois en elle-même et conjointement avec l'article 18, n'est pas incompatible
avec les dispositions du Pacte. L'État partie n'ayant pas soulevé d'autres
objections, le Comité juge donc la communication recevable. Le Comité
ne voit aucune difficulté ni aucun désavantage pour les parties à examiner
l'affaire en elle-même, sans opter pour la jonction des deux communications,
comme l'a demandé l'État partie.
10.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de tous les renseignements communiqués par les parties,
conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
10.2 La question soumise au Comité est de savoir si le fait que les écoles
catholiques, mais non les écoles de la religion de l'auteur, soient subventionnées
par l'État, ce qui fait que l'auteur doit prendre en charge la totalité
des frais d'éducation de ses enfants dans une école religieuse, constitue
une violation des droits de l'auteur en vertu du Pacte.
10.3 L'État partie a fait valoir qu'il n'y a pas discrimination, puisque
la distinction est fondée sur des critères objectifs et raisonnables :
le traitement privilégié dont bénéficient les écoles catholiques est inscrit
dans la Constitution. Étant donné que les écoles catholiques rentrent
dans le cadre du système scolaire public, au sein duquel elles ont un
statut séparé, le traitement différent dont elles jouissent tient au fait
que ce sont des écoles publiques par opposition aux écoles privées, et
non à une différence de traitement entre les écoles catholiques privées,
et les autres écoles religieuses privées; les objectifs du système scolaire
laïc public sont compatibles avec le Pacte.
10.4 Le Comité note d'abord que le fait qu'une distinction soit inscrite
dans la Constitution ne la rend pas pour autant raisonnable et objective.
En l'espèce, la distinction a été établie en 1867 afin de protéger les
droits des catholiques romains dans la province de l'Ontario. D'après
les éléments d'information soumis au Comité, il ne semble pas que les
membres de la communauté catholique, ou certains membres identifiables
de cette communauté, se trouvent actuellement dans une position défavorisée
par rapport aux membres de la communauté juive qui souhaitent que leurs
enfants soient élevés dans une école religieuse. En conséquence, le Comité
rejette l'argument de l'État partie selon lequel le traitement préférentiel
octroyé aux écoles catholiques n'est pas discriminatoire du fait qu'il
est imposé par la Constitution.
10.5 En ce qui concerne l'argument de l'État partie, selon lequel il
est raisonnable d'établir un régime différent entre les écoles privées
et les écoles publiques en matière de subventions, le Comité note que
les personnes se réclamant d'une religion autre que la religion catholique
n'ont pas la possibilité d'intégrer leurs écoles religieuses au système
scolaire public. Dans le cas présent, l'auteur a envoyé ses enfants dans
une école religieuse privée, non pas parce qu'il souhaite assurer à ses
enfants un enseignement privé indépendant du Gouvernement, mais parce
que le système scolaire public financé par le Gouvernement n'inclut pas
la religion à laquelle il appartient, alors que les catholiques ont des
écoles religieuses subventionnées par l'État. Compte tenu des faits qui
lui sont soumis, le Comité considère que la distinction établie entre
les écoles religieuses catholiques, qui sont financées par le Gouvernement
dans le cadre du système scolaire public où elles ont un statut à part,
et les écoles de la religion de l'auteur, qui sont par nécessité des écoles
privées, ne saurait être jugée raisonnable et objective.
10.6 Le Comité a noté l'argument de l'État partie, selon lequel les objectifs
du système scolaire public laïc de l'État partie sont compatibles avec
le principe de non-discrimination énoncé dans le Pacte. Le Comité ne conteste
pas cet argument mais note, toutefois, que les objectifs ainsi proclamés
ne justifient pas le financement exclusif des écoles catholiques. Il a
pris note également de la remarque de l'auteur, selon laquelle les écoles
publiques de l'Ontario disposeraient de davantage de ressources si le
Gouvernement cessait de financer des écoles religieuses quelles qu'elles
soient. Dans ce contexte, le Comité fait observer que le Pacte n'oblige
pas les États parties à financer des écoles religieuses. Toutefois, si
un État partie décide de financer de telles écoles, il doit le faire pour
toutes sans discrimination. Ce qui signifie que le fait de financer les
écoles de tel groupe religieux mais pas d'un autre doit être fondé sur
des critères raisonnables et objectifs. Dans l'affaire en cause, le Comité
conclut, d'après les informations qui lui sont soumises, que le traitement
différent réservé aux écoles catholiques par opposition à celles de la
confession de l'auteur n'est pas fondé sur ces critères. En conséquence,
il y a eu violation du droit de l'auteur de bénéficier, en vertu de l'article
26 du Pacte, d'une protection égale et efficace contre toute discrimination.
10.7 Le Comité a noté les arguments de l'auteur selon lesquels les faits
indiqués constituent également une violation des articles 18 et 27 lus
conjointement avec le paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte. Le Comité
considère que vu ses conclusions sur l'article 26, aucune autre question
ne se pose au titre des articles 18 et 27 du paragraphe 1 de l'article
2 du Pacte.
11. Le Comité des droits de l'homme, agissant conformément au paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits qui lui
sont soumis constituent une violation de l'article 26 du Pacte.
12. Conformément à l'alinéa a) du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte,
l'État partie a l'obligation de fournir un recours utile, qui supprimera
cette discrimination.
13. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif l'État partie
a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait
eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte,
il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le
Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
L'État partie est également invité à rendre publiques les constatations
du Comité.
_______________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M.
Prafullachandra N. Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme
Elizabeth Evatt, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer,
M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin
Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Abdallah
Zakhia. Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité,
M. Maxwell Yalden n'a pas participé à l'examen de la communication.
** Une opinion individuelle signée par un membre du Comité, M. Martin
Scheinin, est jointe en annexe au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Annexe
Opinion individuelle concordante de M. Martin Scheinin,
membre du Comité
J'approuve la conclusion du Comité, à savoir que l'auteur est victime
d'une violation de l'article 26 du Pacte mais je tiens à exposer les raisons
de ma position.
1. Le Pacte n'impose pas la séparation de l'Église et de l'État bien
que les pays qui ne font pas cette séparation aient souvent des difficultés
à appliquer les articles 18, 26 et 27 du Pacte. Les États parties au Pacte
ont mis en place des arrangements divers, qui vont de la totale séparation
à un système dans lequel il existe une Église d'État constitutionnellement
établie. Ainsi que le Comité l'a déclaré dans son Observation générale
No 22 [48] concernant l'article 18, le fait qu'une religion est reconnue
en tant que religion d'État ou qu'elle est établie en tant que religion
officielle ou traditionnelle, ou que ses adeptes représentent la majorité
de la population "ne doit porter en rien atteinte à la jouissance
de l'un quelconque des droits garantis par le Pacte, notamment les articles
18 et 27, ni entraîner une discrimination quelconque contre les adeptes
d'autres religions ou les non-croyants" (par. 9).
2. La pluralité d'arrangements acceptables pour ce qui concerne la relation
entre l'État et la religion vaut aussi pour l'éducation. Dans certains
pays, toute forme d'instruction ou de pratique religieuse est interdite
dans les écoles publiques et l'enseignement religieux, protégé par le
paragraphe 4 de l'article 18, est dispensé soit en dehors des heures de
classe soit dans des écoles privées. Dans d'autres pays, où il y a une
religion officielle ou majoritaire, des cours d'instruction religieuse
sont dispensés dans les écoles publiques, les adeptes d'autres religions
et les non-croyants étant pleinement dispensés de les suivre. Dans un
troisième groupe de pays, un enseignement religieux est offert pour plusieurs
confessions ou même toutes, en fonction de la demande, à l'école publique.
Un quatrième arrangement consiste à inscrire au programme scolaire des
écoles publiques un enseignement neutre et objectif sur l'histoire générale
des religions et de la morale. Tous ces arrangements permettent la mise
en oeuvre du Pacte. Ainsi que le Comité l'a déclaré expressément dans
l'Observation générale No 22 [48], "l'éducation publique incluant
l'enseignement d'une religion ou d'une conviction particulière est incompatible
avec le paragraphe 4 de l'article 18, à moins qu'elle ne prévoie des exemptions
ou des possibilités de choix non discriminatoires correspondant aux voeux
des parents et des tuteurs" (par. 6). Cette déclaration découle de
conclusions du Comité dans l'affaire Hartikainen et al. c. Finlande
(communication No 40/1978).
3. Dans l'affaire à l'examen, le Comité a porté son attention avec raison
sur l'article 26. L'Observation générale No 22 [48] et l'affaire Hartikainen
portent sur l'article 18 mais il y a une interdépendance très étroite
entre cet article et la clause de non-discrimination contenue dans l'article
26. D'une manière générale, les arrangements en matière d'éducation religieuse
qui sont conformes à l'article 18 sont vraisemblablement conformes également
à l'article 26 car la non-discrimination est l'un des éléments fondamentaux
dont il est question au paragraphe 4 de l'article 18. Dans les affaires
Blom c. Suède (communication No 191/1985) et Lundgren
et al. et Hjord et al. c. Suède (communications Nos
288 et 299/1988), le Comité a exposé en détail sa position sur ce qui
constitue une discrimination dans le domaine de l'éducation. Il n'a pas
tranché la question de savoir si un financement public partiel des écoles
privées était obligatoire dans certains cas en vertu du Pacte mais il
a conclu que le fait que les écoles privées, librement choisies par les
parents et leurs enfants, ne reçoivent pas le même niveau de financement
que les écoles publiques ne constituait pas une discrimination.
4. Dans la province de l'Ontario, un enseignement religieux n'est prévu
dans les écoles publiques que pour une seule confession et les adeptes
d'autres religions doivent faire assurer l'éducation religieuse de leurs
enfants en dehors des heures de classe ou créer des écoles religieuses
privées. Il existe des arrangements dans le cadre desquels les écoles
privées existantes reçoivent des fonds publics indirectement mais ceux-ci
ne représentent qu'une fraction des sommes que doivent débourser les familles,
alors que les écoles catholiques romaines de l'enseignement public sont
gratuites. Cette différence de traitement entre les catholiques et les
adeptes d'autres religions qui souhaitent que leurs enfants fréquentent
des écoles religieuses est, de l'avis du Comité, discriminatoire. J'approuve
cette conclusion mais je tiens à faire observer que s'il existe des écoles
catholiques publiques dans la province de l'Ontario c'est pour des raisons
historiques de protection d'une minorité et c'est par conséquent une question
dont il convient de débattre non seulement dans le cadre de l'article
26 du Pacte mais aussi dans celui des articles 27 et 18. La question de
savoir si ce système doit être supprimé relève des pouvoirs publics et
de la conception générale du système éducatif au sein de l'État partie;
il ne s'agit pas d'une obligation découlant du Pacte.
5. En mettant en oeuvre les constatations du Comité dans l'affaire à
l'examen, l'État partie devrait, à mon avis, se rappeler qu'en vertu de
l'article 27, les États sont indéniablement tenus de favoriser la mise
en place d'un enseignement religieux pour les religions minoritaires et
que de proposer cet enseignement en tant qu'option dans le système public
est un arrangement possible pour répondre à cette obligation. Le fait
de subventionner l'enseignement dans des langues minoritaires pour ceux
qui souhaitent recevoir ce type d'enseignement n'est pas discriminatoire
en soi mais il faut bien sûr veiller à ce que les éventuelles distinctions
entre les différentes langues minoritaires soient fondées sur des motifs
objectifs et raisonnables. Cette règle s'applique aussi pour ce qui est
de l'éducation religieuse pour les religions minoritaires. Pour éviter
toute discrimination en ce qui concerne le financement de l'enseignement
religieux (ou linguistique) pour certaines minorités et non pour l'ensemble
d'entre elles, les États doivent vérifier s'il existe une demande constante
pour ce type d'éducation. Pour de nombreuses minorités religieuses, le
fait que l'enseignement public soit totalement laïc est suffisant car
elles préfèrent faire assurer l'éducation religieuse de leurs enfants
en dehors des heures de classe et en dehors de l'école. Si des demandes
de création d'écoles religieuses sont exprimées, un critère légitime à
prendre en considération pour savoir s'il serait discriminatoire de ne
pas créer d'école minoritaire publique ou de ne pas financer dans les
mêmes proportions une école minoritaire privée consiste à vérifier si
suffisamment d'enfants fréquenteraient ce type d'école pour lui permettre
de fonctionner de manière viable dans le cadre du système éducatif en
général. Dans le cas d'espèce, cette condition était remplie. En conséquence,
le montant des fonds publics indirectement alloués à l'auteur pour l'éducation
de ses enfants représentait une discrimination par rapport à la prise
en charge financière intégrale des écoles catholiques publiques dans la
province de l'Ontario.
(Signé) Martin Scheinin