Comité des droits de l'homme
Soixante-treizième session
15 octobre - 2 novembre 2001
Annexe
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques
- Soixante-treizième session
-
Communication No. 695/1996
Présentée par: M. Devon Simpson (représenté par un conseil, M. J.
E. Jamison et par M. Jeremy Kosky, du cabinet juridique londonien Clifford
Chance)
Au nom de: L'auteur
État partie: Jamaïque
Date de la communication: 19 mars 1996 (communication initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 octobre 2001
Ayant achevé l'examen de la communication n 695/1996 présentée par M.
Devon Simpson, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été
communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication (lettre initiale datée du 19 mars 1996) est
Devon Simpson, citoyen jamaïcain né le 17 août 1952, qui, au moment où la
communication a été présentée, était en attente d'exécution à la prison du
district de St. Catherine (Jamaïque). Sa condamnation à mort a été commuée
en peine d'emprisonnement à perpétuité le 24 février 1998. L'auteur affirme
être victime de violations de l'article 7, du paragraphe 1 de l'article 10
et de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 15 août 1991, l'auteur a été arrêté parce qu'il était soupçonné de
meurtre. Il a été agressé par la police et on lui a refusé tout soin médical.
Il n'a pas porté la question à l'attention des autorités car il ne savait
pas que les coups qu'il avait reçus constituaient une violation de ses droits.
Il a été enfermé dans une cellule du commissariat de police de Half-Way-Tree
avec 17 autres détenus, dont certains avaient déjà été reconnus coupables.
Peu de temps après, il a été transféré à la prison centrale, où il a partagé
avec cinq autres détenus une cellule d'environ 2,5 m sur 1,20 m sans éclairage
ni seau hygiénique et où il n'était autorisé à aller aux toilettes qu'une
fois par jour.
2.2 Le greffier du tribunal a chargé un avocat de défendre l'auteur parce
que ce dernier n'avait pas les moyens d'en engager un lui-même. L'auteur
n'a pas rencontré son avocat avant l'audience préliminaire, durant laquelle
celui-ci ne l'a de surcroît pas défendu d'une manière satisfaisante. L'avocat
de l'auteur s'est absenté lors de l'audition de deux des quatre témoins
de l'accusation parce qu'il devait se rendre dans un autre tribunal.
2.3 Au procès, l'auteur a été représenté par trois avocats, dont il n'en
avait rencontré qu'un seul, pendant un quart d'heure, avant le début du
procès. Les trois avocats n'ont pas suffisamment contesté les preuves à
charge. En particulier, ils n'ont pas suffisamment appelé l'attention sur
le fait que la description de l'agresseur par les témoins à charge ne correspondait
pas aux caractéristiques physiques de l'auteur. Il n'y a pas eu, d'autre
part, de consultations régulières entre l'auteur et ses avocats au cours
du procès.
2.4 Au début du procès, l'auteur a été accusé d'avoir commis deux meurtres
n'emportant pas la peine de mort. Toutefois, le cinquième jour du procès,
le juge a autorisé la modification des chefs d'accusation en meurtre passible
de la peine de mort. L'auteur a donc de nouveau comparu devant le juge pour
se faire signifier les nouveaux chefs d'accusation mais, apparemment par
erreur, il a été encore une fois accusé d'avoir commis un meurtre n'emportant
pas la peine capitale. Malgré cela, le juge semble avoir présumé qu'il s'agissait
du procès d'une personne accusée d'un meurtre passible de la peine de mort.
L'auteur déclare que, perturbé par la modification des chefs d'accusation
décidée par le juge, il a fait du banc des accusés une déclaration embrouillée.
2.5 Le 6 novembre 1992, l'auteur a été reconnu coupable de deux meurtres
passibles de la peine capitale et condamné à la peine de mort par la Home
Circuit Court de Kingston (1).
2.6 Depuis sa condamnation, l'auteur est confiné, seul, dans une cellule
jusqu'à 22 heures par jour, passant la plus grande partie de ses moments
d'éveil dans l'obscurité, ce qui lui interdit toute occupation. Il ne dispose
que de seaux hygiéniques remplis d'excréments humains et d'eau stagnante
et vidés seulement une fois par jour. Il n'y a pas d'eau courante dans la
cellule. En conséquence, l'auteur doit attendre de pouvoir sortir pour obtenir
de l'eau, dont il garde une bouteille dans sa cellule. Il est également
affirmé que l'auteur a dormi sur des morceaux de carton et des journaux
placés à même le sol en ciment jusqu'en octobre 1994, date à laquelle un
vieux matelas lui a été fourni.
2.7 L'auteur souffre depuis plusieurs années d'une affection non diagnostiquée
et non traitée, dont les symptômes sont une vive douleur et une tuméfaction
au testicule. Il se plaint également d'un problème de dos dont il souffre
depuis l'enfance, et qui fait qu'il lui est difficile de rester assis longtemps.
Il a également un problème aux yeux à cause de l'obscurité qui règne dans
sa cellule. Bien qu'il ait eu la visite d'un médecin en prison, les comprimés
qui lui ont été donnés ne l'ont pas soulagé et il s'est vu refuser la possibilité
de se faire examiner par un spécialiste.
2.8 La cour d'appel ayant autorisé l'auteur à interjeter appel contre les
deux condamnations, son recours a été examiné du 13 au 15 avril et le 9
mai 1994. La cour a admis l'appel contre les deux condamnations pour meurtre
puni de la peine capitale requalifiant les actes commis de meurtres non
passibles de la peine de mort mais a condamné l'auteur à la peine capitale,
en application de l'article 3 (1A) de la loi de 1992 portant modification
de la loi relative aux atteintes aux personnes, qui dispose qu'une personne
reconnue coupable d'avoir commis plusieurs actes qualifiés de meurtres n'entraînant
pas la peine de mort est passible de la peine de mort. L'auteur a fait appel
de cette décision devant la section judiciaire du Conseil privé; son cas
a été examiné par l'avocat principal, qui a considéré que l'appel contre
la condamnation n'avait aucun fondement juridique et a admis une requête
contre la sentence seulement. Une autorisation spéciale de former appel
en tant que personne sans ressources a été accordée et l'appel a été examiné
le 12 février 1996; le 7 mars 1996, le Conseil privé l'a rejeté et a confirmé
la sentence de mort.
2.9 Le 19 mars 1996, l'auteur s'est adressé, par l'intermédiaire de ses
avocats, au Comité des droits de l'homme pour qu'il demande un sursis à
exécution en vertu de l'article 86 de son règlement intérieur. Le 4 avril
1996, l'auteur a été transféré dans la «cellule des condamnés» où son arrêt
de mort, par lequel il a appris qu'il allait être exécuté le 18 avril 1996,
lui a été lu. Le 11 avril 1996, le Comité des droits de l'homme, par l'intermédiaire
de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à
l'État partie de ne pas exécuter Simpson tant qu'il examinerait sa communication.
Le 12 avril 1996, l'État partie a accordé à l'auteur un sursis à exécution.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil affirme que l'auteur est victime d'une violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. L'auteur a été détenu dans
le quartier des condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine
pendant plus de cinq ans, ce qui selon lui constitue un traitement inhumain
et dégradant. Le conseil fait valoir qu'aux termes de la décision rendue
par le Conseil privé dans l'affaire Earl Pratt & Ivan Morgan c.
le Procureur général de la Jamaïque [1994] 2 AC 1, «... lorsque dans
une affaire quelle qu'elle soit l'exécution doit avoir lieu plus de cinq
ans après la sentence, il y a tout lieu de penser que le retard est tel
qu'il constitue un châtiment ou une autre forme de traitement inhumain ou
dégradant».
3.2 D'autre part, le conseil affirme que: a) les conditions – décrites
aux paragraphes 2.1 et 2.6 ci-dessus – dans lesquelles l'auteur est
détenu depuis sa condamnation et le fait qu'il n'ait pas obtenu les soins
médicaux requis – comme indiqué dans les paragraphes 2.1 et 2.7 ci-dessus
– constituent en eux-mêmes un traitement et une peine cruels inhumains
et dégradants contraires à l'article 7 et au paragraphe 1 de l'article 10
du Pacte et que b) appréhendée dans le contexte de ses conditions de détention
et de l'absence de soins médicaux, sa détention prolongée constitue une
violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. À
cet égard, le Conseil fait valoir que de nombreuses organisations non gouvernementales
(2) ont dénoncé les conditions épouvantables dans lesquelles vivaient
les personnes détenues dans la prison du district de St. Catherine, notant
que les installations laissaient beaucoup à désirer: pas de matelas, de
literie, de mobilier ni d'installations sanitaires dans les cellules, conduites
d'eau perforées, entassement des ordures, égouts à ciel ouvert, pas d'éclairage
artificiel dans les cellules jusqu'en 1994, seulement de petites bouches
d'aération par lesquelles entre un peu de lumière naturelle, pas de possibilité
de travailler pour les détenus, pas d'installations convenables pour se
laver et permission de faire sa toilette donnée au compte-gouttes, pas de
médecin attaché à la prison de sorte que les soins médicaux sont généralement
dispensés par des gardiens qui n'ont reçu qu'une formation minimale, et
chaque détenu se trouvant dans le quartier des condamnés à mort occupe une
cellule individuelle où il est généralement confiné plus de 18 heures par
jour (3).
3.3 Le conseil se réfère aux constatations faites par le Comité au sujet
de la communication no 458/1991 (A. Mukong c. Cameroun) dans
lesquelles on peut lire ce qui suit: «Certaines normes minima doivent être
observées quel que soit le niveau de développement de l'État partie. (...)
Il est ? noter que ce sont là des exigences minima qui, de l'avis du Comité,
devraient toujours être observées, même si des considérations économiques
ou budgétaires peuvent rendre ces obligations difficiles à respecter».
3.4 Le conseil affirme aussi que l'auteur est victime d'une violation du
paragraphe 3 g de l'article 14 pour avoir été agressé dans les locaux
de la police après son arrestation.
3.5 De plus, le conseil évoque l'angoisse causée à l'auteur par son transfert
dans la «cellule des condamnés». Il fait valoir que l'état d'esprit de l'auteur
dépendait tellement à l'époque de sa conviction qu'un sursis à exécution
lui serait accordé que le fait que le Comité des droits de l'homme n'ait
pas demandé un sursis en son nom – en vertu de l'article 86 de son
règlement intérieur – dans un délai raisonnable a constitué un traitement
inhumain et dégradant.
3.6 Se référant à l'irrégularité que représentait la modification pendant
le procès des chefs d'accusation retenus contre l'auteur, le conseil estime
qu'elle était telle que la Cour d'appel aurait dû ordonner un nouveau procès
plutôt que de faire une correction sur le papier stipulant que l'auteur
était reconnu coupable d'avoir commis des actes qualifiés de meurtre n'entraînant
pas la peine de mort. Ce manquement de la Cour d'appel représente une violation
du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, dans la mesure où l'auteur n'a
pas eu un procès équitable.
3.7 Le conseil fait aussi valoir qu'en raison de la modification des chefs
d'accusation le cinquième jour du procès, il y a eu violation du paragraphe
3 a et b de l'article 14 du Pacte car l'auteur n'a pas eu
le temps de s'entretenir avec son avocat quant au caractère véritable des
charges retenues contre lui et n'a pas pu apprécier les conséquences de
celles-ci. La défense aurait pu être conduite différemment si l'auteur avait
été informé dès le départ qu'il serait accusé de meurtres emportant la peine
de mort. À cet égard, le conseil fait observer que l'auteur a été l'un des
premiers ? être jugé en vertu de la loi de 1992 portant modification de
la loi relative aux atteintes aux personnes et qu'à l'époque les juristes
jamaïcains étaient encore en train de dégager le sens et les implications
de cette loi.
3.8 Il est affirmé en outre qu'avant l'audience préliminaire, l'auteur n'a
pas disposé du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense
et s'entretenir avec son avocat, ce qui constitue une violation du paragraphe
3 b de l'article 14 du Pacte, et qu'il n'a pas eu toute la latitude
pour faire interroger ou faire comparaître des témoins, ce qui représente
une violation du paragraphe 3 e de l'article 14 du Pacte. À cet égard,
le conseil affirme que le fait que l'auteur ne se soit pas entretenu avec
son avocate avant l'audience préliminaire constitue une violation du paragraphe
3 b et le fait que son avocat était absent lors de l'audition de
deux témoins constitue une violation du paragraphe 3 e. Le conseil
fait valoir en outre que cette audience préliminaire n'ayant pas été suffisamment
préparée, l'auteur a été mal représenté au procès (4). Il affirme
également qu'en l'absence de consultations avec l'avocate avant l'audience
elle-même, il y a eu violation du paragraphe 3 b de l'article 14.
L'auteur n'avait pu s'entretenir que 15 minutes avec son avocate, lorsque
le gardien aurait prié cette dernière de partir. En outre, le conseil prétend
qu'il y a violation du paragraphe 3 e de l'article 14 en raison du
comportement de l'avocate – décrit au paragraphe 2.3 ci-dessus –
pendant le procès.
3.9 Le conseil constate qu'avec la décision du Conseil privé, tous les recours
internes disponibles ont été épuisés. Il ajoute que le dépôt d'une requête
constitutionnelle auprès de la Cour suprême (constitutionnelle) de la Jamaïque
n'est pas un moyen de droit dont l'auteur peut se prévaloir (5).
Il affirme en outre que les personnes sans ressources comme son client ne
peuvent en fait se prévaloir de moyens de recours constitutionnels dans
la mesure où l'État partie n'accorde aucune assistance juridictionnelle
pour des requêtes constitutionnelles. Il fait valoir aussi que les chances
de succès des recours administratifs dont peut se prévaloir l'auteur sont
minces (6).
Réponse de l'État partie concernant la recevabilité et commentaires
du conseil
4.1 Dans sa réponse du 10 octobre 1996, l'État partie conteste l'allégation
selon laquelle la durée du séjour de l'auteur dans le quartier des condamnés
à mort constitue une violation du Pacte, et renvoie à cet égard à la jurisprudence
du Comité. Il conteste en outre qu'il y ait eu violation de l'article 10
du Pacte en raison des conditions de détention de l'auteur dans le quartier
des condamnés à mort.
4.2 Dans une autre réponse, datée du 12 mars 1997 , l'État partie aborde
la plainte de l'auteur concernant la modification des charges retenues contre
lui. Il fait observer que la cour d'appel a donné suite à la plainte en
question en remplaçant le verdict rendu par une condamnation pour meurtre
n'emportant pas la peine de mort. Toutefois, cette décision n'a pas eu d'effet
sur la sentence de mort, la Cour d'appel ayant conclu qu'en vertu des lois
en vigueur, la même peine s'appliquait aux personnes ayant commis un meurtre
emportant la peine de mort ou plusieurs meurtres n'emportant pas la peine
de mort, ce qui était le cas de l'auteur. L'État partie estime donc que
la cour d'appel a tranché l'affaire comme il convenait.
4.3 Quant à la manière dont le conseil a assuré la défense de l'auteur au
procès, l'État partie nie qu'il y ait eu une violation du Pacte dont il
aurait à assumer la responsabilité. Il explique qu'une lecture attentive
de la loi permet de constater qu'une personne reconnue coupable d'avoir
commis plusieurs actes qualifiés de meurtres n'emportant pas la peine capitale
est passible de la peine de mort.
4.4 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur, selon laquelle il a été
agressé par la police au moment de son arrestation, l'État partie fait observer
que l'auteur n'a pas signalé l'incident aux autorités, sous prétexte qu'il
ignorait que ce traitement constituait une violation de ses droits. L'État
partie a beaucoup de mal à croire cela et déclare qu'en l'absence d'éléments
de preuve à l'appui de l'affirmation de l'auteur, il rejette l'allégation.
4.5 En ce qui concerne la représentation de l'auteur à l'audience préliminaire,
l'État partie fait valoir que s'il lui appartient de désigner un conseil
compétent, il n'est en revanche pas responsable de la façon dont celui-ci
assure la défense de l'accusé.
4.6 L'État partie indique, en ce qui concerne les violations présumées de
l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10, qu'il va enquêter sur les
allégations de l'auteur selon lesquelles il n'aurait pas reçu de traitement
médical ainsi que sur les circonstances de son transfert dans une cellule
de condamné.
5.1 Dans une lettre, l'auteur déclare que, le 5 mars 1997, lors d'une fouille,
les gardiens ont détruit son lit, certains de ses vêtements et des documents
qu'il avait dans sa cellule, et enlevé l'ampoule électrique.
5.2 Dans ses commentaires sur la réponse de l'État partie du 12 mars 1997,
le conseil objecte que l'État partie ne peut se contenter de faire valoir
que le résultat du procès a été équitable même si son déroulement a été
entaché d'irrégularités. Il souligne que la modification des chefs d'accusation
à la dernière minute a eu un effet, non seulement sur la sentence, mais
aussi sur le moral de l'auteur, ce qui a eu à son tour des répercussions
sur la façon dont il a pu contribuer à sa propre défense et la mesure dans
laquelle il a pu le faire. D'après le conseil, ceci a pu influer sur la
nature des preuves présentées au tribunal. La cour d'appel aurait donc dû
ordonner un nouveau procès au lieu de changer simplement la sentence.
5.3 En ce qui concerne la représentation de l'auteur à l'audience préliminaire,
le conseil fait valoir qu'un conseil qui néglige d'écouter la déposition
de deux témoins à charge sur quatre et d'examiner le dossier avec son client
avant l'audience ne peut être qualifié de «compétent».
Considérations relatives à la recevabilité
6.1 À sa soixante-quatrième session, le Comité a examiné la recevabilité
de la communication.
6.2 En ce qui concerne l'allégation du conseil, selon laquelle l'auteur
n'aurait pas disposé du temps nécessaire à la préparation de sa défense,
ses avocats n'étant venus le voir qu'une fois avant le procès, le Comité
fait observer que c'était aux représentants de l'auteur ou à l'auteur lui-même
qu'il appartenait de demander un ajournement au début du procès s'ils avaient
estimé qu'ils manquaient de temps pour préparer la défense. Il ressort des
minutes du procès, qu'aucun ajournement n'a été demandé au début du procès
et qu'à une autre occasion, un ajournement a été accordé par le juge au
conseil de la défense pour lui permettre d'examiner de nouveaux éléments
de preuve. Le Comité estime que cette allégation est irrecevable au regard
de l'article 2 du Protocole facultatif, car non étayée. (par. 3.8)
6.3 Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle le représentant de l'auteur
au procès n'avait pas procédé à un contre-interrogatoire en bonne et due
forme des témoins à charge, le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir
qu'un État partie ne peut être tenu responsable de la conduite d'un avocat
de la défense, sauf si le juge a constaté ou aurait dû constater qu'elle
était incompatible avec l'intérêt de la justice (7). Dans le cas
d'espèce, il n'y a aucune raison de penser que le conseil n'a pas fait usage
au procès de son jugement professionnel dans l'intérêt de son client; aussi
cette partie de la communication est-elle irrecevable au regard de l'article
2 du Protocole facultatif. (par. 3.8)
6.4 En ce qui concerne la plainte de l'auteur au titre du paragraphe 3 a
et b de l'article 14 du Pacte concernant la modification des chefs
d'accusation retenus contre lui, le Comité note que la Cour d'appel a réparé
les éventuelles irrégularités à cet égard en annulant les condamnations
pour meurtre emportant la peine de mort. Cette partie de la communication
est donc irrecevable au regard de l'article 2 du Protocole facultatif. (par.
3.7)
6.5 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur, selon laquelle la décision
de la cour d'appel concernant la transformation de la condamnation équivalait
à un déni de justice et selon laquelle la Cour aurait dû par contre ordonner
un nouveau procès, le Comité note que la question n'a pas été soulevée lors
de l'examen du recours de l'auteur devant la section judiciaire du Conseil
privé, où le seul élément dont il a été débattu a été la sentence et non
les condamnations. Cette partie de la communication est donc irrecevable
car les recours internes n'ont pas été épuisés. (par. 3.6)
6.6 En ce qui concerne la plainte de l'auteur selon laquelle il aurait été
frappé au moment de son arrestation et n'aurait pas reçu de traitement médical
en août 1991, le Comité note que cette plainte n'a jamais été portée à l'attention
des autorités avant d'être présentée au Comité. Cette partie de la communication
est donc irrecevable, les recours internes n'ayant pas été épuisés. (par.
2.1)
6.7 S'agissant de l'affirmation selon laquelle il y a eu violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte en raison du temps que l'auteur
a passé dans le quartier des condamnés à mort, le Comité renvoie à sa jurisprudence
(8), selon laquelle la détention dans le quartier des condamnés à
mort pendant une période déterminée ne représente pas une violation du Pacte,
en l'absence d'autres circonstances impérieuses. En l'espèce, le Comité
estime que l'auteur n'ayant présenté aucun autre élément qui puisse étayer
son allégation, cette partie de la communication est irrecevable au regard
de l'article 2 du Protocole facultatif. (par. 3.1)
6.8 En ce qui concerne la plainte faisant état de la souffrance morale causée
à l'auteur lorsqu'on lui a lu son arrêt de mort bien que son avocat ait
présenté une communication au Comité des droits de l'homme, le Comité estime
que le fait qu'il n'ait pas demandé un sursis à exécution avant que l'ordre
d'exécution ne soit lu à l'auteur ne peut constituer une violation du Pacte
imputable à l'État partie. Cette partie de la communication est donc jugée
irrecevable au regard de l'article premier du Protocole facultatif. (par.
3.5)
6.9 Le Comité note que l'État partie a dit qu'il enquêterait sur les plaintes
de l'auteur concernant les conditions de sa détention et le fait qu'il n'ait
pas reçu de traitement médical. Le Comité estime que ces plaintes, ainsi
que celles qui portent sur les conditions de sa détention provisoire, sont
recevables et doivent être examinées quant au fond.
6.10 Le Comité estime également que la plainte de l'auteur, selon laquelle
son représentant à l'audience préliminaire n'a pu entendre la déposition
de deux témoins à charge sur quatre parce qu'il était absent à ce moment-là,
peut soulever des questions au titre des paragraphes 1 et 3 d de
l'article 14 du Pacte qui devraient être examinées quant au fond.
Délibérations du Comité
7.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en se fondant sur toutes les informations qui lui ont été fournies par les
parties comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
Il note avec préoccupation que, depuis que le Comité a pris sa décision
concernant la recevabilité, l'État partie n'a fourni aucune information
complémentaire pour éclaircir les points soulevés dans la communication.
Le Comité rappelle qu'il ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article
4 du Protocole facultatif que l'État partie est tenu d'examiner de bonne
foi toutes les allégations qui lui sont soumises et de fournir au Comité
tous les renseignements dont il dispose. Comme l'État partie ne s'est pas
montré coopératif en la matière, force est de donner tout leur poids aux
allégations de l'auteur dans la mesure où elles ont été étayées.
7.2 Pour ce qui est de l'affirmation selon laquelle il y a eu violation
des articles 7 et 10 du Pacte, le Comité note que le conseil a formulé des
allégations précises et détaillées concernant les conditions de détention
inadéquates de l'auteur avant son procès et depuis sa condamnation et le
fait qu'il n'ait pas bénéficié de soins médicaux. L'État partie n'a pas
répondu d'une manière détaillée à ces allégations se contentant de nier
dans sa lettre initiale que ces conditions constituent une violation du
Pacte et indiquant ensuite qu'il enquêterait sur les allégations de l'auteur
y compris celles relatives à l'absence de soins médicaux (par. 4.6). Le
Comité note que l'État partie ne l'a pas informé du résultat de son enquête.
En l'absence de toute explication de la part de l'État partie, il considère
que les conditions de détention de l'auteur et le manque de soins médicaux
dont il a fait état constituent une violation de son droit d'être traité
avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine
et sont donc contraires au paragraphe 1 de l'article 10. Compte tenu de
la conclusion à laquelle le Comité est parvenu en ce qui concerne l'article
10, disposition du Pacte qui porte sur la situation des personnes privées
de liberté et qui étend au cas de ces personnes le champ d'application des
éléments exprimés en termes généraux dans l'article 7, il n'est pas nécessaire
d'examiner séparément les différentes allégations faites au titre de cet
article. (par. 3.2)
7.3 Pour ce qui est de l'affirmation du conseil selon laquelle l'avocate
de l'auteur était absente lors de l'audition de deux des quatre témoins
pendant l'audience préliminaire, le Comité a estimé dans sa décision concernant
la recevabilité que cette allégation pouvait soulever des questions au titre
des paragraphes 1 et 3 d de l'article 14. Le Comité rappelle sa jurisprudence
antérieure selon laquelle il va de soi que l'assistance d'un défenseur doit
être assurée à toutes les étapes de la procédure pénale, en particulier
dans les cas de crime capital (9). Il rappelle aussi la décision
qu'il a adoptée le 23 mars 1999 concernant la communication n 775/1997 (Brown
c. Jamaïque), dans laquelle il a déclaré qu'un magistrat ne devrait
pas appeler les témoins à faire leur déposition à l'audience préliminaire
sans donner à l'auteur l'occasion de se faire assister de son conseil. Dans
les circonstances de l'espèce, le Comité note qu'il n'est pas contesté que
l'avocate de l'auteur était absente lors de l'audition de deux témoins et
qu'il ne semble pas que le magistrat ait ordonné une suspension d'audience
jusqu'à ce qu'elle revienne. En conséquence, le Comité estime que les faits
portés à son attention montrent qu'il y a eu violation de l'alinéa d
du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte. (par. 3.8)
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation par la Jamaïque de l'article 10
et du paragraphe 3 d de l'article 14 du Pacte.
9. En application du paragraphe 3 a de l'article 2 du Pacte, le Comité
considère que l'auteur a droit à un recours utile, sous la forme d'une indemnisation
adéquate, à l'amélioration de ses conditions de détention et à ce que la
possibilité qu'il soit libéré rapidement soit dûment examinée.
10. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou non
violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, l'État partie
s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
____________________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen de
cette communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M.
Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer,
M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin
Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Irigoyen et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieusement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Au procès, l'accusation s'est appuyée sur les dépositions de trois témoins
oculaires. Ces derniers ont affirmé avoir vu le 8 août 1991, à 19 h 30,
Simpson se dirigeant vers l'épicerie de Georges S. Cockett où travaillaient
Cecil Cockett (le père de Georges S. Cockett) et son frère Donovan. Ils
ont témoigné que Simpson avait sorti un revolver et tiré plusieurs coups
de feu à l'extérieur du magasin ainsi qu'à l'intérieur de l'épicerie à travers
la vitrine, causant la mort de Donovan, Cecil et Simon Cockett. Un des témoins
a affirmé qu'une semaine avant l'incident, Donovan Cockett et Simpson avaient
eu une altercation durant laquelle ce dernier avait menacé de tuer toute
la famille. Dans une déclaration faite sans serment, l'auteur a nié avoir
été sur les lieux au cours de l'incident et a déclaré que de fausses accusations
avaient été portées contre lui parce qu'un des témoins croyait que c'était
après qu'il l'eut dénoncé pour une affaire de drogue que la police avait
effectué une descente chez lui quelques semaines avant l'incident.
2. Le conseil se réfère en particulier au Jamaïcan Council for Human Rights
(Conseil jamaïcain des droits de l'homme), à America Watch et à Amnesty
International.
3. Cette information, fournie par le conseil de l'auteur, provient d'un
rapport établi par Amnesty International à la suite de sa visite à la prison
de St. Catherine en novembre 1993.
4. Le conseil et l'auteur ne font aucun autre commentaire à ce sujet.
5. Le conseil fait observer que la loi autorise les tribunaux à imposer
la peine de mort et à maintenir des détenus en prison jusqu'à ce que la
sentence de mort soit exécutée et que l'article 17 de la Constitution jamaïcaine
stipule ce qui suit: «Aucune disposition figurant dans une loi ni aucun
acte accompli en application d'une loi ne seront considérés comme incompatibles
avec le présent article ou contraires au présent article si ladite loi autorise
l'application de toute forme de châtiment qui était légal en Jamaïque immédiatement
avant».
6. Le conseil affirme que, comme l'ont signalé le Conseil jamaïcain des
droits de l'homme et Amnesty International, «la procédure interne de plainte
dont disposent les prisonniers ne leur assure aucune réparation appropriée»
et «des plaintes graves (n'ont) fait apparemment l'objet d'aucune mesure,
(et) des gardiens auraient exercé des représailles à l'encontre des prisonniers
qui s'étaient plaints de mauvais traitements».
7. Voir, entre autres, la décision par laquelle, le 28 mars 1995, le Comité
a déclaré irrecevable la communication no 536/1993, Perera c. Australie.
8. Voir les constatations adoptées le 22 mars 1996 concernant la communication
no 558/1994 (Errol Johnson c. Jamaïque).
9. Voir, entre autres, les constatations du Comité relatives à la communication
n 730/1996, Clarence Marshall c. Jamaïque, adoptées le 3 novembre
1998, à la communication n 459/991, Osbourne Wright et Eric Harvey
c. Jamaïque, adoptées le 27 octobre 1995, et à la communication n
223/1987, Frank Robinson c. Jamaïque, adoptées le 30 mars
1989.