Comité des droits de l'homme
Soixantième session
14 juillet - 1er août 1997
ANNEXE*
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Soixantième session -
Communication No 698/1996
Présentée par : Gonzalo Bonelo Sánchez [représenté par un conseil,
M. José Luis Mazón Costa]
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Espagne
Date de la communication : 21 septembre 1995 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 juillet 1997,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication, datée du 21 septembre 1995, est Gonzalo
Bonelo Sánchez, citoyen espagnol résidant à Séville (Espagne). Il affirme
être victime d'une violation par l'Espagne du paragraphe 1 de l'article
14 et de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'Espagne
le 25 avril 1985. L'auteur est représenté par un conseil, M. José Luis
Mázon Costa.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 29 août 1984, l'auteur, pharmacien dipl_mé, a demandé l'autorisation
d'ouvrir une pharmacie à l'ordre des pharmaciens de Cádiz (Colegio
Oficial de Farmacéuticos de Cádiz). Il voulait ouvrir une pharmacie
à San Roque, une banlieue de Cádiz, et a invoqué à l'appui de sa demande
les dispositions du décret royal (Real Decreto) 909/1978. Sa demande
a été rejetée par décision du 10 octobre 1985, au motif que cette nouvelle
pharmacie n'était pas suffisamment loin du centre-ville et n'en était
pas séparée par une barrière naturelle ou artificielle. L'auteur a formé
un recours devant le Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Consejo
General de Colegios Oficiales de Farmacéuticos), qui a également été
rejeté, le 14 mai 1986.
2.2. L'auteur a alors introduit un recours administratif (recurso
contencioso administrativo) devant l'Audiencia Territorial
de Séville. Le 20 janvier 1989, celle-ci a annulé la décision administrative
rendue par le Conseil de l'ordre le 14 mai 1986, au motif que la condition
d'éloignement exigée était illégale car elle était établie dans un arrêté
ministériel de 1979 qui ne pouvait pas remplacer un décret royal; l'auteur
a donc été autorisé à ouvrir sa pharmacie.
2.3 Le Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Consejo General
de Colegios Oficiales de Farmacéuticos) a alors formé un pourvoi devant
la Cour suprême d'Espagne (Tribunal Supremo). Le 25 mars 1991,
le jugement de l'Audiencia Territorial a été cassé et l'auteur
s'est vu refuser l'autorisation qui faisait l'objet du litige. Dans son
arrêt, la Cour suprême a admis que la seule condition exigée dans le décret
royal 909/78 était que la nouvelle pharmacie devait desservir une population
de plus de 2 000 personnes alors que, selon l'arrêté ministériel, il fallait
en outre que le nouveau quartier soit séparé de la commune existante par
une barrière naturelle ou physique. La Cour a estimé qu'un arrêté ministériel
ne pouvait pas remplacer un décret royal, car c'était contraire au principe
de la hiérarchie; mais elle a relevé aussi que la condition de la séparation
n'avait pas été pleinement remplie dans le cas de l'auteur.
2.4 Le 8 juillet 1994, une chambre spéciale de la Cour suprême (Sala
Especial del Tribunal Supremo) a rejeté le nouveau recours en révision
de l'auteur. Le recours en amparo qu'il a introduit ultérieurement
devant le Tribunal constitutionnel a été déclaré irrecevable le 13 février
1995.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que la décision rendue par la Cour suprême le 25
mars 1991 était arbitraire et l'a privé de son droit à l'égalité devant
les tribunaux, en violation du paragraphe 1 de l'article 14. Son avocat
fait valoir à cet égard que la Cour suprême a toujours statué en faveur
de l'ouverture de pharmacies et il joint le texte de deux arrêts dans
ce sens Arrêts de la troisième chambre de la Cour suprême
du 19 septembre 1983 et du 28 février 1986 qui interprètent le décret
royal No 909/1978 de manière extensive, c'est-à-dire favorable au principe
"pro aperture".. Cependant le conseil lui-même reconnaît que
la Cour suprême a déclaré que la jurisprudence invoquée ne s'appliquait
pas aux faits de la cause.
3.2 Le conseil affirme que le rejet du recours en amparo de l'auteur
constitue une autre violation du paragraphe 1 de l'article 14. Il prétend
à cet égard que les juges qui siègent au tribunal constitutionnel n'établissent
pas eux-mêmes les décisions concernant la question de l'irrecevabilité
mais que celles-ci sont normalement rédigées par une équipe d'avocats
qui travaillent pour le Tribunal constitutionnel et que les juges se contentent
de les signer. Enfin, selon le conseil, l'auteur se serait vu dénier le
droit d'être entendu équitablement par le Tribunal constitutionnel lorsque
celui-ci a rejeté son recours en amparo, étant donné que seul le
parquet a eu la possibilité de former un recours.
3.3 L'auteur affirme que, du fait des décisions judiciaires injustes
et partiales qui ont été rendues dans son cas ainsi que de l'application
d'une législation qui d'après lui est un vestige de l'époque médiévale,
et ne concerne que les pharmaciens dans l'exercice de leur profession
de dispensateurs de produits médicinaux, il a été victime de discrimination,
en violation de l'article 26 du Pacte.
Délibérations du Comité
4.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2 Le Comité a soigneusement examiné les éléments soumis par l'auteur
et renvoie à sa jurisprudence établie Voir entre autres la
décision du Comité concernant la communication No 58/1979 (Anna Maroufidou
c. Suède, par. 10.1; constatations adoptées le 9 avril 1981). selon
laquelle c'est fondamentalement aux tribunaux et aux autorités de l'Etat
partie concerné qu'il appartient d'interpréter la législation nationale.
En l'espèce, dans la mesure où l'auteur n'a pas étayé sa plainte selon
laquelle la loi a été interprétée et appliquée arbitrairement ou son application
a été équivalente à un déni de justice, qui pourrait constituer une discrimination
en violation de l'article 26 du Pacte, le Comité estime que la communication
est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
4.3 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle le rejet
de son recours par le tribunal constitutionnel constituerait une violation
du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, le Comité a soigneusement examiné
les éléments soumis par l'auteur. Il considère que le conseil de l'auteur
n'établit pas, aux fins de la recevabilité, comment le fait que seul le
parquet peut, dans l'intérêt général, former un pourvoi contre le rejet
d'un recours en amparo ou comment la façon dont le tribunal constitutionnel
organise ses travaux et dirige ses débats constituerait une violation
du droit de l'auteur à ce que sa cause soit entendue équitablement au
sens du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte.
5. En conséquence, le Comité décide :
a) que la communication est irrecevable;
b) que la présente décision sera communiquée à l'auteur et à son conseil
et, pour information, à l'Etat partie.
________________
* Participants: Mr. Nisuke Ando, Mr. Prafullachandra N. Bhagwati, Mr.
Thomas Buergenthal, Ms. Christine Chanet, Lord Colville, Ms. Elizabeth
Evatt, Ms. Pilar Gaitan de Pombo, Mr. Eckart Klein, Mr. David Kretzmer,
Ms. Cecilia Medina Quiroga, Mr. Fausto Pocar, Mr. Martin Scheinin and
Mr. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]