Présentée par : M. Cesario Gómez Vázquez (représenté par José Luis
Mazón Costa)
Au nom de : L'auteur
État partie : Espagne
Date de la communication : 29 mai 1995
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 20 juillet 2000
Ayant achevé l'examen de la communication No 701/1996, présenté au Comité
par M. Cesario Gómez Vázquez en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été
fournies par l'auteur de la communication et par l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Cesario Gómez Vázquez, citoyen espagnol
né en 1966 à Murcie, qui exerçait auparavant la profession de professeur d'éducation
physique. Il vit actuellement dans la clandestinité quelque part en Espagne.
Il affirme être victime de violations par l'Espagne du paragraphe 5 de l'article
14 et de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. L'auteur est représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 22 février 1992, l'auteur a été condamné à 12 ans et un jour de
prison par la cour provinciale (Audiencia Provincial) de Tolède pour tentative
d'assassinat (asesinato en grado de frustración) sur la personne d'un dénommé
Antonio Rodríguez Cottin. La Cour suprême (Tribunal Supremo) a rejeté son
recours le 9 novembre 1993.
2.2 Le 10 janvier 1988 vers 4 heures du matin, Antonio Rodríguez Cottin
a reçu cinq coups de poignard sur une aire de parking située à l'extérieur
d'une discothèque à Mocejón (Tolède). Du fait de ses blessures, la victime
a dû être hospitalisée pendant 336 jours et ne s'est complètement rétablie
qu'au bout de 635 jours.
2.3 Selon la thèse de l'accusation, l'auteur, qui était employé comme portier
à la discothèque en question, a vu la victime arriver en voiture au parking
et est allé lui parler, lui demandant de sortir de son véhicule. Pendant
qu'ils discutaient, une voiture non identifiée s'est arrêtée à côté d'eux
et une personne en est descendue pour leur demander du feu; l'auteur aurait
poignardé Rodríguez au dos et au cou au moment où ce dernier se tournait
vers l'interlocuteur.
2.4 L'auteur a constamment démenti cette version des faits et soutient que
le 10 janvier 1988, se sentant mal, il avait quitté la discothèque entre
2 heures et 2 h 30 du matin pour rentrer chez lui à Móstoles (Madrid). Il
avait été ramené chez lui par Benjamín Sanz Carranza, Manuela Vidal Ramírez
et une autre femme. En arrivant à son domicile à 3 h 15 du matin, il avait
demandé de l'aspirine à la personne avec qui il partageait l'appartement;
il était resté au lit pendant toute la journée suivante. L'auteur connaissait
la victime qui venait souvent à la discothèque et qu'il considérait comme
une personne violente. Il affirme que le 5 décembre 1987, M. Rodríguez avait
eu une altercation avec Julio Pérez, le propriétaire de la discothèque,
et l'avait menacé avec un couteau. Il a déclaré au procès que l'agression
dont avait été victime M. Rodríguez le 10 janvier 1988 était un règlement
de comptes entre un membre de la pègre et la victime, qui faisait elle-même
partie du milieu.
2.5 Au cours du procès, l'auteur et l'accusation ont tous deux appelé des
témoins à la barre pour corroborer leurs thèses respectives (1)
2.6 Le conseil signale que l'auteur n'a pas formé de recours en amparo
: le droit d'appel n'étant pas prévu par les articles 14 à 30 (par. 2) de
la Constitution espagnole, son recours aurait été simplement rejeté. Par
la suite, il a envoyé copie d'une plainte invoquant la jurisprudence constante
de la Cour constitutionnelle, qui rejetait ce type de recours lui ôtant
toute efficacité. Le conseil considère de ce fait qu'il a été satisfait
à la règle de l'épuisement des recours internes.
Teneur de la plainte
3.1 La principale plainte de l'auteur est qu'il n'a pas eu droit à un recours
utile contre la condamnation et la sentence. Il soutient que le Code de
procédure pénale espagnol (Ley de Enjuiciamiento Criminal) viole le paragraphe
5 de l'article 14 et l'article 26 du Pacte, en ce sens que lorsque des personnes
sont accusées des infractions les plus graves, leur cas n'est examiné que
par un seul magistrat (Juzgado de Instrucción) qui, une fois qu'il a achevé
l'instruction de l'affaire et estimé qu'elle est en état d'être jugée, transmet
le dossier à la cour provinciale (Audiencia Provincial) où trois magistrats
jugent l'affaire et statuent. La décision ainsi prise ne peut faire l'objet
d'un pourvoi en cassation que pour des motifs juridiques bien précis. La
Cour de cassation n'a aucune possibilité de réévaluer les éléments de preuve
car toutes les conclusions sur les faits de la cause auxquelles parvient
un tribunal inférieur sont sans appel. En revanche, lorsque des personnes
sont reconnues coupables d'infractions moins graves, passibles d'une peine
de moins de six ans d'emprisonnement, leur cas est examiné par un seul magistrat
(Juzgado de Instrucción), qui, une fois l'affaire en état d'être jugée,
transmet le dossier à un juge unique (Juzgado de lo Penal) dont la décision
est susceptible d'appel devant la cour provinciale (Audiencia Provincial),
ce qui garantit un examen effectif, non seulement pour ce qui est de l'application
de la loi mais aussi des faits.
3.2 Le conseil affirme qu'étant donné que la Cour suprême ne procède pas
à un réexamen des éléments de preuve, la procédure susmentionnée constitue
une violation du droit de faire examiner par une juridiction supérieure
la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcée en vertu de la
loi. À cet égard, le conseil cite le jugement rendu le 9 novembre, par lequel
la demande de pourvoi en cassation déposée au nom de M. Cesario Gómez Vázquez
a été rejetée. Le premier argument juridique invoqué dans ce jugement est
énoncé en ces termes :
"... il convient également de souligner à ce sujet que c'est au juge
unique (tribunal 'a quo') et à lui seul qu'il appartient d'évaluer les éléments
de preuve, comme le stipule l'article 741 du Code de procédure pénale.
... L'appelant, par conséquent, reconnaît l'existence de multiples preuves
à charge et son argumentation consiste uniquement à interpréter celles-ci
à sa manière; or cette argumentation est irrecevable quand elle se fonde
sur le principe de la présomption d'innocence car l'accepter reviendrait
à changer la nature du pourvoi en cassation en le convertissant en une
seconde instance".
et le deuxième argument invoqué est le suivant :
"... de même, le principe 'in dubio pro reo' (le doute profite à l'accusé)
invoqué par l'appelant est rejeté, car l'appelant oublie que ce principe
ne saurait être admis en cassation pour la raison évidente que cela reviendrait
à réévaluer les preuves, réévaluation qui, comme nous l'avons dit et répété,
nous est interdite".
3.3 Le conseil fait valoir en outre que l'existence de différentes procédures
de recours, en fonction de la gravité de l'infraction, constitue un traitement
discriminatoire à l'égard des personnes qui sont reconnues coupables d'infractions
graves, ce qui va à l'encontre de l'article 26 du Pacte.
3.4 L'auteur précise que l'affaire n'a pas été soumise à une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement.
Renseignements et observations sur la question de la recevabilité
communiqués par l'État partie
4.1 Dans les observations qu'il a présentées conformément à l'article 91
du règlement intérieur, l'État partie demande au Comité de déclarer la communication
irrecevable parce qu'elle ne satisfait pas aux dispositions de l'article
2 du Protocole facultatif, l'auteur n'ayant pas épuisé les recours internes,
étant donné qu'il n'a pas présenté de recours en amparo devant la
Cour constitutionnelle. À ce sujet, l'État partie cite les décisions de
la Commission européenne des droits de l'homme, qui a systématiquement refusé
de déclarer recevables les plaintes concernant l'Espagne lorsqu'il n'a pas
été présenté de recours en amparo. L'État partie invoque l'incohérence
de la défense de l'auteur qui, dans une première communication, déclare
qu'il n'a pas formé de recours parce que le droit de faire appel n'est pas
un droit protégé par la Constitution espagnole, pour ensuite rectifier cette
affirmation dans une seconde lettre, et déclarer qu'il n'a pas présenté
de recours en raison de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qui
a constamment rejeté de tels recours. L'État partie affirme également que
la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes
parce que cette question n'a jamais été portée devant les tribunaux espagnols.
4.2 L'État partie invoque également l'irrecevabilité de la communication
pour abus du droit de présenter de telles communications étant donné que
l'auteur vit dans la clandestinité et s'est soustrait à l'action de la justice.
Enfin, l'État partie fait valoir que la qualité de représentant dont se
prévaut le conseil de l'auteur n'est guère fiable faute de pouvoir suffisant
et parce que l'autorisation de l'avocat précédent n'a pas été demandée.
5.1 Le conseil de l'auteur reconnaît que, dans sa lettre initiale, il a
affirmé qu'il n'existait pas de recours effectif devant la Cour constitutionnelle.
Puis, se rendant compte de son erreur, il a envoyé une seconde lettre pour
invoquer l'inefficacité du recours en question en faisant valoir la jurisprudence
constante de rejet de la Cour constitutionnelle (une décision de la Cour
constitutionnelle était jointe) et en se référant à la jurisprudence du
Comité à cet égard (2).
5.2 L'avocat reconnaît que l'auteur vit dans la clandestinité, mais il fait
valoir que cette circonstance n'a pas empêché le Comité de déclarer d'autres
communications recevables. En ce qui concerne la fiabilité de son pouvoir
pour représenter l'auteur, le conseil regrette que l'État partie n'explique
pas clairement en quoi celle-ci serait douteuse, si tant est que doute il
puisse y avoir.
Délibérations du Comité quant à la recevabilité
6.1 À sa soixante et unième session d'octobre 1997, Le Comité a examiné
la recevabilité de la communication. Le Comité s'est assuré, comme il est
tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole
facultatif, que la même question n'était pas en cours d'examen devant une
autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
6.2 En ce qui concerne la règle de l'épuisement des recours internes, le
Comité a pris note de l'argument de l'État partie selon lequel la communication
est irrecevable au motif du non-épuisement des recours internes. Le Comité
rappelle sa jurisprudence constante, selon laquelle, aux fins du paragraphe
2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif, les recours internes doivent
être à la fois utiles et disponibles. En ce qui concerne l'argument de l'État
partie selon lequel l'auteur aurait dû introduire un recours devant la Cour
constitutionnelle, le Comité observe que la Cour constitutionnelle a toujours
rejeté les recours en amparo de ce type. Le Comité considère que,
en l'espèce, un recours qui ne peut aboutir ne peut pas compter et n'a pas
à être épuisé aux fins du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité
décide que les dispositions du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole
ne l'empêchent pas d'examiner la plainte, qui pourrait soulever des questions
au titre du paragraphe 5 de l'article 14 et de l'article 26 du Pacte.
Observations de l'État partie quant au fond et réponses de l'auteur
7.1 Dans sa réponse en date du 31 mai 1999, l'État partie réitère sa position
sur l'irrecevabilité de la plainte en raison de ce que les questions soumises
au Comité n'ont jamais été portées devant les tribunaux internes. De plus,
il estime que les recours (3) internes concernant les allégations
de violation de l'article 26 et du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte
n'ont pas été présentés à temps et dans les formes, ce qui devrait entraîner
le rejet de l'affaire.
7.2 Le Conseil de l'État soutient que les allégations soumises au Comité
sont théoriques et visent à la révision de la loi en général et qu'elles
ne concernent pas particulièrement M. Gómez Vázquez qui, par conséquent,
n'a pas le statut de victime. Ainsi, comme il n'existe pas de victime au
sens de l'article premier du Protocole facultatif, l'État partie considère
qu'il faut conclure à l'irrecevabilité de l'affaire.
7.3 De plus, le conseil de l'État soumet que, compte tenu de ce que M. Gómez
Vásquez s'est soustrait à l'action de la justice et est en fuite, il faut
conclure au rejet de l'affaire, pour violation du principe dit "des
mains propres". Le conseil de l'État soumet que, faute d'avoir présenté
sa plainte aux organes judiciaires nationaux, l'auteur n'est pas en droit
de se dire l'objet d'une violation d'un droit de l'homme, et ce, d'autant
moins que non seulement une telle violation n'a pas été invoquée au regard
du droit interne, mais encore les faits établis par la justice sont explicitement
reconnus.
7.4 Le conseil de l'État soutient que l'auteur prétend, du seul fait de
la désignation d'un nouvel avocat, réinterpréter tout le dossier de l'instance.
Il soumet en outre que la désignation de l'avocat qui agit devant l'instance
internationale souffre d'un vice de forme. Selon lui, l'auteur, lorsqu'il
a désigné des avocats pour son procès interne, l'a fait dans les formes
officielles et qu'il s'est contenté pour son recours au droit international
d'une lettre ordinaire.
7.5 Quant à l'allégation de violation de l'article 26, l'État partie maintient
la position qu'il a déjà fait valoir au sujet de la recevabilité, à savoir
que l'on compare deux catégories de délits : d'une part, les délits graves
et d'autre part, les infractions de moindre importance. En ce sens, l'État
partie soutient qu'une différence de traitement entre deux catégories distinctes
ne saurait en aucun cas constituer une discrimination.
7.6 En ce qui concerne la violation du paragraphe 5 de l'article 14, l'État
partie explique que l'avocat de l'auteur non seulement n'a pas invoqué le
défaut de recours en appel, ni demandé la révision complète du procès en
se prévalant du recours en révision, mais a explicitement reconnu dans son
exposé à la Cour suprême : "Nous ne prétendons pas, en arguant de la
présomption constitutionnelle d'innocence, déformer ou dénaturer les fins
du recours en cassation, et en appeler en formant ce recours à une nouvelle
instance judiciaire". En outre, l'auteur non seulement n'a pas formé
de recours en amparo devant la Cour constitutionnelle après le rejet
du recours en cassation du 9 décembre 1993, mais a soumis à la place, le
30 décembre, au Ministère de la justice un recours en grâce, présentant
comme premier argument à l'appui de sa demande : "le soussigné a eu
depuis lors une conduire irréprochable, à l'exception du délit commis, qui
n'a été qu'un acte isolé dans sa vie, acte à propos duquel il a donné de
multiples manifestations de son repentir". Il affirmait semblablement
dans un exposé à la Cour provinciale de Tolède, en date du 14 janvier 1994
: "Le délit qui a valu cette condamnation à l'auteur est un acte isolé
dans sa vie et celui-ci manifeste en permanence le désir fervent et sincère
d'être réintégré dans la société. L'État partie estime qu'il est par conséquent
difficile de soutenir qu'il y a eu violation du Pacte étant donné que l'auteur
a reconnu les faits tels qu'ils ont été établis par les tribunaux espagnols.
8.1 L'avocat de l'auteur dans sa réponse, en date du 8 novembre 1998, aux
allégations de l'État partie, conteste les arguments présentés par celui-ci
qui veulent que la communication n'ait pas de fondement et que l'auteur
ne puisse se poser en victime étant donné qu'il a été condamné à l'issue
d'un procès contradictoire, procès dont il n'a pas eu la possibilité de
demander la révision par une instance supérieure, non plus qu'une réévaluation
des témoignages, la Cour de cassation n'ayant considéré que les aspects
juridiques de la sentence.
8.2 L'avocat de l'auteur rejette l'argument de l'État partie selon lequel
il ne représente pas légitimement l'auteur qui avait initialement fait appel
à un autre conseil avant de saisir les instances internationales, et il
ajoute en faveur de M. Vázquez que ni le Pacte, ni le Protocole facultatif,
ni la jurisprudence du Comité n'exigent que l'avocat de la défense soit
désigné dans des formes officielles; il estime par conséquent que l'allégation
de l'État partie est à cet égard dénuée de tout fondement.
8.3 En réponse au conseil de l'État qui soutient qu'il n'y a pas lieu d'invoquer
l'article 26 étant donné qu'il s'agit de deux catégories distinctes de délits
qui n'ont par conséquent pas à être traitées de la même façon dans la législation,
le conseil de l'auteur réaffirme que la plainte ne porte pas sur le fait
que deux catégories différentes de délits soient traitées différemment,
mais sur le fait que dans l'ordre judiciaire espagnol, les condamnés pour
des délits graves n'ont pas la possibilité d'obtenir une révision complète
de leur procès ni des sentences prononcées, cela en contravention avec le
paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.
8.4 En ce qui concerne l'allégation que l'auteur aurait renoncé aux droits
qui lui sont reconnus au paragraphe 5 de l'article 14 en se pourvoyant en
cassation, pourvoi assujetti aux limites fixées conformément au Code de
procédure pénale pour les recours de ce type, le conseil de l'auteur explique
que dans le système espagnol, l'acceptation des limites fixées en matière
de recours est une condition sine qua non de la recevabilité du recours,
puis de l'examen des arguments présentés. Ce qui ne saurait en aucun cas
être interprété comme un renoncement au droit à la révision intégrale de
la condamnation. Le conseil de l'auteur soutient que l'avocat qui représentait
celui-ci dans la juridiction interne n'a pu demander que la révision partielle
autorisée par la loi et que c'est là, précisément, que réside la violation
du paragraphe 5 de l'article 14, mentionnant à l'appui de ses dires la jurisprudence
du Comité (4)
.
8.5 Le conseil de l'auteur fait valoir que l'on ne demande pas au Comité,
comme le prétend l'État, d'évaluer les faits ni les preuves établies en
l'espèce, question qui d'ailleurs outrepasse sa compétence, mais qu'on lui
demande simplement de vérifier si la révision de la sentence qui a condamné
l'auteur s'est effectuée conformément aux exigences du paragraphe 5 de l'article
14 du Pacte. Il soutient que la jurisprudence présentée par l'État partie,
à savoir 29 sentences de la Cour suprême, est sans rapport avec le déni
du droit d'interjeter appel dont a souffert l'auteur de la communication.
L'examen attentif desdites sentences fait apparaître clairement que l'on
doit en tirer des conclusions opposées à celles qu'en tire l'État, car dans
la plupart d'entre elles, il est reconnu que le pourvoi en cassation d'un
jugement pénal est assujetti à de strictes restrictions quant à la possibilité
de réexamen des éléments de preuve produits devant le tribunal de première
instance. Dans aucune de ces sentences la Cour suprême n'a révisé l'évaluation
des éléments de preuve faite par le tribunal de première instance, sauf
en cas de vice de forme ou d'insuffisance de preuves justifiant que l'on
reconnaisse le non-respect du droit à la présomption d'innocence ou si les
conclusions concernant les faits sur lesquelles se fonde la sentence sont
en contradiction avec des pièces démontrant qu'il y a eu erreur.
8.6 L'État partie soutient que rien au paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte
n'implique qu'un recours doit explicitement être un recours en appel de
jugement et que le pourvoi en cassation tel que le prévoit le régime judiciaire
espagnol répond pleinement aux exigences du recours en deuxième instance,
même s'il n'autorise pas à revoir les éléments de preuve sauf dans les cas
exceptionnels que prévoit la loi. Compte tenu de ce qui précède, le conseil
estime que le procès pénal de son client, et particulièrement la sentence
qui l'a condamné, n'ont pas fait l'objet d'une révision complète, pas plus
sous l'angle juridique que sous l'angle des faits, et que l'auteur s'est
vu dénier ainsi le droit que lui reconnaît l'article 26 du Pacte (5).
Examen de la question quant au fond
9. Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
à la lumière de tous les renseignements qui lui ont été communiqués par
les parties, conformément à ce qui est prévu au paragraphe 1 de l'article
5 du Protocole facultatif.
Révision de la recevabilité
10.1 Pour ce qui concerne l'argument de l'État partie qui veut que la communication
soit irrecevable faute pour l'auteur d'avoir épuisé les recours internes,
le Comité réaffirme sa position, à savoir que pour que l'on considère qu'il
y a eu épuisement des recours, il faut que les recours disponibles aient
quelque chance d'aboutir. En l'espèce, il existe une ample jurisprudence
récente de la Cour constitutionnelle espagnole déniant le recours en amparo
s'agissant de la révision de sentences, jurisprudence dont s'autorise le
Comité pour estimer, comme il l'a déjà fait lorsqu'il a décidé de la recevabilité
de l'affaire considérée le 23 octobre 1998, que rien ne s'oppose à ce qu'il
analyse l'affaire quant au fond.
10.2 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie qui veut que l'auteur
ne puisse exciper du statut de victime, en raison de ce que, comme le soutient
son conseil, la communication prétendrait à faire réviser la loi espagnole,
d'où il s'ensuivrait que la communication serait inadmissible, le Comité
observe que l'auteur a été condamné par une cour de justice espagnole et
que la question dont il est saisi n'est pas celle, théorique, de la révision
de la loi espagnole mais celle de savoir si la procédure d'appel qui a été
suivie dans le cas de l'auteur offrait ou non les garanties exigées par
le Pacte. Il estime par conséquent que l'auteur satisfait aux conditions
lui conférant la qualité de victime, ainsi qu'il ressort de l'article premier
du Protocole facultatif.
10.3 Pour ce qui est de l'allégation de l'État partie qui veut que la communication
soit déclarée inadmissible pour abus du droit de soumettre des plaintes,
puisque l'auteur s'est soustrait à la justice et vit dans la clandestinité,
en violation du droit espagnol, le Comité réaffirme (6) sa position,
à savoir que l'auteur ne perd pas son droit à présenter une plainte en vertu
du Protocole facultatif du seul fait qu'il s'est soustrait à l'exécution
de la peine prononcée par un tribunal de l'État partie contre lequel il
porte plainte.
10.4 Enfin, en ce qui concerne le dernier motif d'irrecevabilité invoqué
par l'État partie, à savoir que le conseil désigné par l'auteur n'aurait
pas légitimement pouvoir pour le représenter devant le Comité des droits
de l'homme, ce dernier prend note de cet argument mais réaffirme néanmoins
qu'aucune modalité spécifique n'est requise pour sa saisie et que l'État
ne met pas en question le fait que le conseil de M. Gómez Vásquez a reçu
de lui mandat de le défendre mais invoque simplement le fait que celui-ci
n'aurait pas rempli des formalités qui ne sont pas requises par le Pacte.
Le Comité considère par conséquent que le conseil de l'auteur agit selon
les instructions de son client et le représente de ce fait légitimement.
Questions de fond
11.1 Quant à la question de savoir si l'auteur a été victime d'une violation
du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte, au motif que la condamnation et
la sentence prononcées à son encontre ont fait l'objet d'un recours devant
la Cour suprême uniquement dans les limites fixées par l'article 876 et
suivants du Code de procédure pénale – ce que son conseil nomme un
recours en révision incomplet - le Comité prend note de ce que l'État partie
affirme que le Pacte n'exige pas que le recours en révision doive être explicitement
un recours en appel. Toutefois, il note qu'indépendamment de la nomenclature
adoptée, le recours en question doit répondre aux critères spécifiés par
le Pacte. Or il ressort des renseignements et des documents présentés par
l'État partie que celui-ci ne réfute pas l'allégation de l'auteur selon
laquelle la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre
lui n'ont pas fait l'objet d'une révision complète. Le Comité conclut que
l'impossibilité d'une révision intégrale – qui ressort clairement
de la décision de la Cour de cassation citée au point 3.2, où il apparaît
que cette révision concerne uniquement les aspects formels ou juridiques
du verdict – n'est pas conforme aux garanties exigées au paragraphe
5 de l'article 14 du Pacte. Par conséquent, l'auteur s'est vu dénier le
droit à une révision de la déclaration de culpabilité et de la condamnation
prononcées à son encontre en violation des dispositions du paragraphe 5
de l'article 14 du Pacte.
11.2 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle il y aurait eu violation
de l'article 26 du Pacte parce que le système espagnol prévoit différentes
procédures de recours en fonction de la gravité de l'infraction, le Comité
considère que le fait de traiter différemment des délits différents ne constitue
pas nécessairement une discrimination. Le Comité considère que l'auteur
n'a pas fourni d'arguments convaincants à l'appui de son allégation selon
laquelle l'article 26 du Pacte aurait été violé dans le présent cas.
12. Le Comité des droits de l'homme, agissant conformément au paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, considère qu'il ressort des faits
examinés qu'il y a bien eu, en ce qui concerne M. Cesario Gómez Vázquez,
violation du paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte.
13. En vertu de l'alinéa a) du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'auteur
a droit à un recours utile. La déclaration de culpabilité de l'auteur doit
être annulée, à moins qu'elle ne soit révisée selon les normes prévues au
paragraphe 5 de l'article 14 du Pacte. L'État partie est tenu de prendre
les dispositions qui s'imposent pour que ne se produisent plus à l'avenir
pareilles violations.
14. Considérant que, lorsqu'il est devenu partie au Protocole facultatif,
l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il
y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2
du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur
son territoire ou soumis à sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte
et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie,
le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
____________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. P.N.
Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme
Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer,
M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M.
Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M.
Abdallah Zakhia.
[Adopté en anglais, en français et en espagnol (version originale). Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Il ressort du jugement que les témoins à décharge étaient sa compagne
et la personne qui partageait l'appartement où il vivait, avec lesquelles
il entretenait des relations étroites, alors que les témoins à charge ne connaissaient
l'auteur que de vue.
2. (Communication No 445/1991, Champagne, Palmer et Chisholme
c. Jamaïque, constatations adoptées le 18 juillet 1994)
3. D'après les renseignements fournis par l'État partie, celui-ci
se réfère uniquement au recours en amparo, même lorsqu'il emploie
le pluriel.
4. Communications 623 à 626/1995, Domukovsky et alia c. Géorgie,
constatations adoptées le 6 avril 1998.
5. À cet égard, le conseil cite une information parue dans les journaux
concernant la jurisprudence du Tribunal supérieur de justice basque pour
1998, selon laquelle ledit Tribunal considère qu'il est indispensable d'instituer
une instance supérieure en matière pénale, estimant qu'il est évident que
le pourvoi en cassation ne suffit pas à combler cette carence.
6. Communication 526/1993, Hill c. Espagne, constatations
adoptées le 2 avril 1997.