Comité des droits de l'homme
Soixantième session
14 juillet - 1er août 1997
ANNEXE*
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre
du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques
- Soixantième session -
Communication No 702/1996
Présentée par : Clifford McLawrence
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 26 avril 1996 (première communication)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 18 juillet 1997,
Ayant achevé l'examen de la communication No 702/1996 présentée
par M. Clifford McLawrence en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Clifford McLawrence, citoyen jamaïcain
condamné à mort et actuellement détenu en Jamaïque, dans la prison du district
de St. Catherine à Spanish Town. Il affirme que la Jamaïque n'a pas respecté
les dispositions des articles 6, 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1 et 2), 14
(par. 1, 3 a), b), c), d), e) et par. 5) et 17 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Il a d'abord été assisté par un conseil,
mais après sa première communication, datée du 26 avril 1996, il a décidé
de ne plus se faire représenter par le cabinet juridique de Londres qui
avait accepté de le défendre, et il a par la suite renoncé également aux
services d'un autre cabinet juridique auquel il s'était adressé pour remplacer
le premier.
Rappel des faits
2.1 L'auteur a été accusé d'avoir assassiné Hope Reid le 8 juillet 1991
dans la paroisse de St. Andrews. Au terme d'un procès qui s'est ouvert le
9 novembre 1992 devant la Home Circuit Court de Kingston, il a été condamné
à mort le 25 novembre, le crime dont il a été reconnu coupable étant passible
de la peine capitale au regard de la loi de 1992 portant modification de
la loi relative aux atteintes aux personnes. Il a présenté le 30 novembre
1992 une demande d'autorisation de former recours, que la Cour d'appel de
la Jamaïque a examinée du 14 au 17 mars 1995 et rejetée le 26 juin suivant.
L'auteur a alors déposé une demande d'une autorisation spéciale de recours
auprès de la section judiciaire du Conseil privé, laquelle a examiné cette
requête le 28 mars 1996 et l'a rejetée sans motiver sa décision. L'auteur
de la communication fait valoir que les recours internes accessibles ont
ainsi été épuisés.
2.2 Mme Reid, âgée de 36 ans et cadre dans une banque, a été étranglée
avec un fil électrique dans la nuit du 7 au 8 juillet 1991. Son mari et
ses enfants se trouvaient alors à l'étranger et sa domestique a découvert
le corps un peu avant 7 heures le matin du 8 juillet. Un poste de télévision
et un appareil vidéo avaient disparu, de même que la voiture familiale.
2.3 Lors du procès, l'accusation s'est appuyée essentiellement sur trois
éléments : a) le témoignage de deux personnes trouvées en possession des
objets volés au domicile de la victime qui affirmaient que l'accusé les
leur avait remis; elles ont été inculpées de recel mais n'ont pas été poursuivies
en échange de leur témoignage pour l'accusation; b) des aveux que l'accusé
avait selon toute apparence faits et signés; c) des empreintes digitales
qui auraient été relevées sur un régulateur de tension au domicile de la
victime et étaient présumées correspondre à celles de l'accusé. La défense
a soutenu que l'auteur n'avait fait ni aveux ni déclaration d'aucune sorte
et qu'il était fort probable que les aveux signés étaient ceux d'un certain
Horace Beckford, arrêté le lendemain du meurtre mais qui n'avait pas été
inculpé et avait été remis en liberté.
2.4 L'auteur fait valoir que la défense a été privée d'un élément crucial
puisqu'elle n'a pas pu interroger Horace Beckford ou présenter comme moyen
de preuve la déclaration que celui-ci avait faite. Manifestement, le jury
- qui n'avait délibéré que sept minutes avant de conclure à la culpabilité
de l'accusé - était persuadé que la déposition signée émanait de celui-ci,
bien qu'il n'eût cessé d'assurer qu'il n'avait pas fait d'aveux. L'auteur
considère que, puisqu'il était soumis aux brutalités de la police au moment
où il faisait ces prétendus aveux, le juge aurait dû déterminer si ceux-ci
étaient volontaires ou non et statuer sur leur admissibilité. Il fait en
outre valoir que deux témoins qui auraient pu lui fournir un alibi n'ont
pas été appelés à la barre.
2.5 Le conseil de l'auteur a fait ressortir de nombreux motifs d'appel.
Il a soutenu au premier chef, comme l'auteur lui-même dans sa communication,
que le juge avait décidé à tort que l'authenticité de la déclaration attribuée
à l'auteur était un point de fait laissé à l'appréciation du jury. Puisque,
disait-il, M. McLawrence affirmait que les policiers étaient en train de
le rouer de coups au moment où, selon l'accusation, il passait aux aveux,
la question de savoir si les aveux étaient volontaires ou non était tout
à fait pertinente et devait être tranchée par le juge. Le conseil faisait
valoir en outre que le juge n'avait pas mis le jury en garde contre les
risques d'erreur que comportent les comparaisons d'empreintes digitales,
qui ne constituent que des indices partiels.
2.6 La Cour d'appel a rejeté le recours au motif que le juge avait à bon
droit mis fin à l'examen préliminaire (voire dire) destiné à déterminer
si les aveux présumés avaient été volontaires; puisque l'accusé avait clairement
dit qu'il n'avait jamais fait une telle déclaration, la question de savoir
si les aveux étaient volontaires ou non ne se posait pas et celle de l'authenticité
de la déclaration était un point de fait laissé à l'appréciation du jury.
La Cour a également conclu que le juge avait correctement guidé le jury
quant à la valeur qu'il convenait d'accorder aux empreintes digitales.
2.7 La demande de recours déposée auprès de la section judiciaire du Conseil
privé faisait principalement valoir que le juge avait à tort mis fin à l'examen
préliminaire et qu'il aurait dû statuer sur l'admissibilité des aveux présumés
de l'auteur. Le Conseil privé a rejeté cette demande sans motiver sa décision.
La plainte
3.1 L'auteur dit qu'il est depuis si longtemps détenu dans le quartier
des condamnés à mort (depuis le 25 novembre 1992), que cela constitue une
violation de l'article 7 du Pacte, arguant notamment "des déplorables
conditions réservées à cette catégorie de prisonniers à la prison du district
de St. Catherine". Il cite à l'appui de cette affirmation des décisions
rendues par la section judiciaire du Conseil privé / Earl
Pratt and Ivan Morgan c. Attorney General of Jamaica and Another,
décision du 2 novembre 1993./ et la Cour suprême du Zimbabwe / Catholic
Commission for Justice and Peace in Zimbabwe c. Attorney General
for Zimbabwe et al., Cour suprême du Zimbabwe, arrêt du 24 juin 1993./.
3.2 L'auteur affirme qu'il a été arbitrairement arrêté en violation du
paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte, car les trois principaux éléments
de preuve sur lesquels l'accusation s'est appuyée lors du procès n'avaient
pas encore été recueillis à ce moment-là. Il considère également qu'il y
a eu violation du paragraphe 2 de ce même article 9, puisqu'il n'a été informé
des raisons de son arrestation, dit-il, que quelque trois semaines après
celle-ci, alors qu'on l'emmenait à l'audience préliminaire /
Argument invoqué dans une nouvelle demande de recours déposée le 25 septembre
1996./, et qu'on ne lui a pas spécifié qu'il avait le droit de garder le
silence.
3.3 L'auteur dit que les paragraphes 3 et 4 de l'article 9 n'ont pas été
respectés car il s'est écoulé un certain temps avant qu'il ne soit présenté
à un juge ou à une autorité judiciaire. Il indique que :
- Lorsqu'il a été arrêté, le samedi 13 juillet 1991, il a été immédiatement
emmené au poste de police de Constance Spring, où il a été retenu entre
trois quarts d'heure et une heure;
- Le même jour, il a été transporté à la maison d'arrêt de Rema, où la
police avait d'elle-même pris la décision de l'envoyer sans en référer à
un juge, dit-il;
- Le mardi 16 juillet 1991, il a été emmené de la maison d'arrêt au commissariat
central de police de Kingston, où il a été retenu toute la journée et interrogé
au sujet d'un meurtre;
- Il a ensuite été ramené à la maison d'arrêt de Rema, où il est resté
plusieurs semaines. Il a été pour la première fois présenté à un juge le
20 juillet 1991; à la troisième comparution (il ne se souvient pas de la
date exacte), le juge a ordonné son transfert au pénitencier général.
3.4 L'auteur affirme qu'après son arrestation, on ne lui a jamais dit qu'il
pouvait se faire représenter par un conseil ou demander une ordonnance d'habeas
corpus.
3.5 L'auteur fait valoir que l'article 7 et l'article 10 (par. 1) n'ont
pas été respectés car les policiers du poste de Constance Spring, dit-il,
l'ont attaché par des menottes à un c_té d'un siège de métal et lui ont
assené avec une barre de fer, une feuille d'aluminium et un gros livre des
coups sur la tête, en divers endroits du corps et sur la plante des pieds,
à la suite de quoi ses pieds ont enflé de telle façon qu'il ne pouvait plus
marcher normalement ni mettre de chaussures. Les policiers, dit-il encore,
lui ont envoyé des décharges électriques dans les testicules et d'autres
endroits du corps et il a été insulté et soumis à des avanies, certains
policiers faisant mine de tirer sur lui.
3.6 D'après l'auteur, la procédure devant la Home Circuit Court de Kingston
n'était pas conforme au paragraphe 1 de l'article 14, car, malgré les incessantes
recherches qui ont été faites pour retrouver Horace Beckford, considéré
comme un témoin capital, celui-ci n'a pas pu être cité à la barre lors du
procès et le juge n'a pas permis au conseil de l'auteur d'administrer la
preuve littérale que M. Beckford avait été arrêté peu de temps avant l'auteur
lui-même. Ce dernier déclare qu'il ne pouvait pas être jugé équitablement
en l'absence de ce témoin capital.
3.7 L'auteur, invoquant la disposition 3 a) de l'article 14, affirme qu'on
ne lui a jamais formellement fait connaître les motifs d'inculpation retenus
contre lui : il a eu pour la première fois connaissance des raisons de son
arrestation alors qu'on l'emmenait à la première audience préliminaire.
Il affirme également que c'est seulement lorsqu'il est arrivé au poste de
police qu'il a compris que les hommes qui l'avaient appréhendé étaient des
policiers. Lorsqu'il a comparu devant le juge - une quinzaine de fois avant
l'ouverture du procès - pour que celui-ci décide de la date du procès et
du maintien en détention avant jugement, il n'a jamais, dit-il, été assisté
d'un avocat. Ce n'est que très peu de temps avant l'ouverture du procès
qu'il a obtenu un avocat qui, par conséquent n'a pas eu le temps de préparer
la défense / Cet argument mis en avant par le conseil de l'auteur
ne correspond pas à ce que dit l'auteur dans l'une des lettres manuscrites
qu'il a adressées au Comité et dans laquelle il reconnaît que son avocat,
un Queen's Counsel, l'a bien représenté devant le tribunal./. L'avocat ne
se serait entretenu avec l'auteur qu'après l'ouverture du procès, seulement
pendant la deuxième semaine de celui-ci, et à partir du deuxième jour, alors
que l'auteur avait déjà fait une déclaration; de plus, ces entretiens ne
duraient que 10 minutes, ce qui constitue, selon l'auteur, une violation
de la disposition 3 b) de l'article 14. L'auteur dit aussi que le fait que
les deux témoins sur lesquels reposait sa défense - son amie et un ami -
n'ont pas été appelés à la barre constitue une violation du paragraphe 3
e) de l'article 14.
3.8 L'auteur affirme qu'il n'a pas revu d'avocat après sa condamnation.
C'est ainsi qu'il n'a pas pu consulter un conseil au sujet de la procédure
d'appel et que, bien qu'il ait expressément indiqué dans la demande de recours
qu'il souhaitait assister à l'examen de celui-ci, il n'a pas été informé
de la date à laquelle celui-ci aurait lieu. Il aurait appris par la presse
le rejet de son recours. Il y aurait là une violation de la disposition
3 d) et du paragraphe 5 de l'article 14.
3.9 D'après l'auteur, la durée de sa détention avant jugement - 16 mois
- et le temps qui s'est écoulé - près de 31 mois - entre sa condamnation
et le rejet de son recours constituent une violation du droit à être jugé
sans retard excessif consacré par la disposition 3 c) de l'article 14.
3.10 Enfin, l'auteur fait valoir que le paragraphe 1 de l'article 17 du
Pacte n'a pas été respecté car il y a très souvent eu à la prison des intrusions
illégales des gardiens dans sa correspondance et les lettres qu'il envoyait
par le bureau de la prison ne parvenaient pas à leurs destinataires.
Renseignements et observations communiqués par l'Etat partie
4.1 L'Etat partie, dans une lettre datée du 15 juillet 1996, ne conteste
pas la recevabilité de la communication et examine les allégations de l'auteur
au fond.
4.2 Selon l'Etat partie, une détention de trois ans et demi dans le quartier
des condamnés à mort ne constitue pas une violation de l'article 7 du Pacte.
Citant la durée maximale que la section judiciaire du Conseil privé a établie
par décision rendue le 2 novembre 1993 dans l'affaire Pratt and Morgan,
l'Etat estime qu'il n'y a pas de circonstances extraordinaires qui justifieraient
une exception à la limite de cinq ans.
4.3 L'Etat partie conteste qu'il y ait manquement au paragraphe 1 de l'article
9 du simple fait que l'auteur a pu être arrêté sans raisons ou sans que
ces raisons soient portées à sa connaissance. Il fait valoir que pour arrêter
une personne, "il faut qu'il y ait suffisamment d'éléments de preuve
donnant raisonnablement à penser que la personne a peut-être commis l'infraction
considérée. Ce n'est pas parce que d'autres éléments de preuve ont été recueillis
par la suite et produits par l'accusation lors du procès que l'arrestation
elle-même était injustifiée". L'Etat partie ajoute que pour pouvoir
prétendre qu'il y a violation du paragraphe 2 de l'article 9, l'auteur devrait
apporter la preuve qu'il ignorait totalement les raisons pour lesquelles
il a été arrêté.
4.4 S'agissant des règles posées aux paragraphes 3 et 4 de l'article 9
et à la disposition 3 c) de l'article 14, l'Etat partie estime que les 16
mois qui se sont écoulés entre l'arrestation de l'auteur et le jugement
ne constituaient pas un délai excessif, puisqu'une audience préliminaire
a effectivement eu lieu pendant cette période. S'il est vrai que le délai
de 31 mois pendant lequel l'auteur a dû attendre la décision de la Cour
d'appel était "un peu plus long qu'il n'aurait normalement dû l'être",
l'auteur n'en a pas subi pour autant une injustice notable.
4.5 L'Etat partie rejette catégoriquement l'argument selon lequel le paragraphe
1 de l'article 10 n'aurait pas été respecté parce que l'auteur aurait été
roué de coups lors de son arrestation et contraint à signer des aveux. Tout
d'abord, fait-il valoir, il n'existe aucun élément, médical ou autre, qui
corrobore cette allégation. Ensuite, ce point a été longuement considéré
aussi bien par le tribunal pénal que par la juridiction de recours, qui
ont l'un et l'autre rejeté les allégations de l'auteur. Ainsi, puisque les
tribunaux jamaïcains ont mûrement examiné le sujet et qu'il n'existe aucune
preuve à l'appui des assertions de l'auteur, le Comité, estime l'Etat partie,
n'est pas fondé à revenir sur cette question.
4.6 S'agissant du paragraphe 1 de l'article 14, l'Etat partie constate
que le représentant de l'auteur déclare lui-même que l'on n'a pas réussi,
malgré toutes les recherches qui ont été faites, à retrouver Horace Beckford,
considéré comme un témoin capital. Le fait que ce témoin n'ait pas comparu
et que par conséquent la défense n'ait pas pu contester sa crédibilité ne
constitue pas des circonstances qui ont empêché de juger équitablement l'auteur.
L'Etat partie conteste aussi, "en l'absence de précisions", qu'il
y ait eu manquement à la disposition 3 b) de l'article 14.
4.7 L'Etat partie conteste catégoriquement que l'auteur n'ait pas été informé
qu'il avait le droit d'être assisté d'un défenseur la première et la deuxième
fois qu'il a comparu devant le juge. Il rappelle par ailleurs qu'un condamné
n'est généralement pas présent lors de l'examen de son recours, que le greffier
de la cour d'appel notifie régulièrement la date de l'examen de son cas
à tous les appelants et que, par conséquent, l'auteur avait bien reçu notification
de cet examen et en connaissait donc parfaitement la date.
4.8 S'agissant de la disposition 3 e) de l'article 14, l'Etat partie fait
valoir que l'absence de deux témoins qui auraient pu fournir un alibi à
l'auteur mais n'ont pas été cités à la barre ne saurait lui être imputée
si on n'apporte pas clairement la preuve qu'il a d'une manière ou d'une
autre empêché la comparution de ces témoins.
4.9 L'Etat partie conteste qu'il y ait eu violation du paragraphe 5 de
l'article 14, puisqu'un recours faisant valoir plusieurs motifs d'appel
a été présenté au nom de l'auteur et examiné par la cour d'appel pendant
trois jours pleins.
4.10 Enfin, l'Etat partie fait observer qu'il ne suffit pas que l'auteur
lance des accusations générales d'immixtions dans sa correspondance par
les gardiens de la prison pour que l'on puisse conclure à un manquement
à l'article 17. Si les lettres envoyées de la prison ne sont pas parvenues
à leurs destinataires, cela peut très bien s'expliquer par d'autres raisons
que des intrusions délibérées dans le courrier expédié à partir de cet établissement.
Examen quant au fond
5.1 Le Comité note que, dans sa réponse du 15 juillet 1996, l'Etat partie
ne conteste pas la recevabilité de la communication. Il a vérifié que la
communication répondait bien à tous les critères de recevabilité prévus
par le Protocole facultatif. Quant à l'allégation de l'auteur faisant état
d'immixtions arbitraires dans sa correspondance par les autorités pénitentiaires,
en violation de l'article 17 du Pacte, le Comité estime que l'auteur ne
l'a pas étayée, aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication
est, en conséquence, irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole facultatif.
5.2 Quant aux autres allégations de l'auteur, le Comité conclut qu'elles
sont étayées et passe donc directement à l'examen quant au fond de celles-ci.
Il a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations
qui lui ont été soumises par l'auteur, son ancien conseil et l'Etat partie,
comme prévu au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
5.3 L'auteur a fait état d'une violation de l'article 7 du Pacte en raison
de sa longue détention dans le quartier des condamnés à mort, où il se trouvait
depuis trois ans et cinq mois au moment où il a soumis sa communication.
Le Comité souligne à nouveau qu'une longue détention dans le quartier des
condamnés à mort ne constitue pas en soi une violation de l'article 7 du
Pacte en l'absence d'autres circonstances contraignantes. Or, rien n'indique,
en l'espèce, qu'il y ait eu, en dehors de la durée de la détention, d'autres
circonstances de cette nature; il n'y a donc pas eu violation de l'article
7 de ce chef.
5.4 L'auteur se plaint qu'après son arrestation, il a été battu par des
agents de la force publique et a subi de leur part des traitements constituant
une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10; l'Etat
partie a contesté cette allégation. Le Comité note que les incidents invoqués
par l'auteur ont été examinés en détail par la juridiction de première instance
et par la cour d'appel. Il n'a pas été établi que l'appréciation des éléments
de preuve par ces juridictions ait été arbitraire ou ait constitué un déni
de justice. Le Comité constate donc qu'il n'y a pas eu violation de l'article
7 ni du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
5.5 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle le paragraphe 1 de l'article
9 aurait été violé au motif que les trois principaux moyens de preuve invoqués
par la suite par l'accusation n'avaient pas été mentionnés dans le mandat
d'arrêt délivré contre l'auteur, le Comité rappelle que le principe de légalité
est violé si un individu est arrêté ou détenu pour des motifs qui ne sont
pas clairement prévus par la loi nationale. Rien n'indique, en l'espèce,
que M. McLawrence ait été arrêté pour des motifs non prévus par la loi.
Il a toutefois fait valoir qu'il n'avait pas été informé dans le plus court
délai des motifs de son arrestation, en violation du paragraphe 2 de l'article
9. L'Etat partie a réfuté cette allégation en termes généraux, disant que
l'auteur devait prouver qu'il ne connaissait pas les motifs de son arrestation;
il ne suffit pas, toutefois, à l'Etat partie de se contenter de dire que
les allégations de l'auteur sont sans fondement ou fausses pour les réfuter.
En l'absence d'informations de la part de l'Etat partie établissant que
l'auteur a été informé dans le plus court délai des motifs de son
arrestation, force est au Comité de s'en remettre à la déclaration de M.
McLawrence selon laquelle il n'a été informé des raisons de son arrestation
que lorsqu'il a comparu à l'audience préliminaire, soit près de trois semaines
après l'arrestation. Ce délai est incompatible avec le paragraphe 2 de l'article
9.
5.6 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle il y aurait eu violation
du paragraphe 3 de l'article 9, il est manifeste que l'auteur a été traduit
devant un juge ou une autre autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires
le 20 juillet 1991, c'est-à-dire une semaine après avoir été arrêté. L'Etat
partie n'a pas rattaché cette allégation aux paragraphes 3 et 4 de l'article
9, mais a préféré la situer dans le contexte des lenteurs de la procédure
de jugement. Il y a lieu de déterminer dans chaque cas le sens des mots
"dans le plus court délai" utilisés au paragraphe 3 de l'article
9, mais le Comité rappelle l'Observation générale qu'il a formulée sur l'article
9 / Observation générale 8 [16] du 27 juillet 1982, par. 2./ et sa jurisprudence
relative au Protocole facultatif, conformément auxquelles les délais ne
devraient pas être supérieurs à quelques jours /Voir Constatations relatives
à la communication No 373/1989 (Lennon Stephens c. Jamaïque),
adoptée le 18 octobre 1995, par. 9.6./. Un délai d'une semaine dans une
affaire de condamnation à mort ne peut être considéré comme compatible avec
le paragraphe 3 de l'article 9. Le Comité estime également qu'une détention
avant jugement d'une durée supérieure à 16 mois constitue, dans le cas de
l'auteur, en l'absence d'explications satisfaisantes de l'Etat partie ou
autre fait justificatif ressortant du dossier, une violation du droit énoncé
au paragraphe 3 de l'article 9 d'être jugé "dans un délai raisonnable"
ou d'être libéré.
5.7 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 4 de l'article
9, il est incontestable que l'auteur n'a pas introduit de demande d'habeas
corpus. Il se plaint par ailleurs de ce qu'il n'a jamais été informé
de ce droit et de ce qu'il a été privé de la possibilité de se faire assister
d'un défenseur pendant l'enquête préliminaire. L'Etat partie affirme catégoriquement
que l'auteur a été informé de son droit de se faire assister d'un
défenseur dès ses premières comparutions au tribunal. Vu les éléments d'information
dont il dispose, le Comité considère que l'auteur aurait pu demander
que la légalité de sa détention soit examinée lorsqu'il a comparu à l'audience
préliminaire, où il a été informé des motifs de son arrestation. On ne peut
donc conclure que M. McLawrence a été privé de la possibilité de faire examiner
sans délai par un tribunal la légalité de sa détention.
5.8 L'auteur s'est plaint de ce que le paragraphe 1 de l'article 14 avait
été violé, au motif que la comparution d'un témoin jugé capital, Horace
Beckford, n'avait pu être obtenue et que le juge avait omis de se prononcer
sur la question du caractère spontané ou non des prétendus aveux et avait
donné des indications inexactes au sujet de la recevabilité des empreintes
digitales comme preuve. Le droit d'être entendu équitablement par un tribunal
indépendant et impartial ne comporte pas le droit absolu de citer tel ou
tel témoin au procès; le fait qu'un certain témoin ne comparaisse pas à
l'audience peut ne pas nécessairement constituer une violation des droits
de la défense si tout a été fait, mais en vain, pour obtenir sa présence,
encore que cela dépende de la nature du témoignage. En l'espèce, le conseil
reconnaît que des "efforts répétés" ont été faits pour obtenir
la présence d'Horace Beckford. Pour ce qui est de la question du caractère
spontané des prétendus aveux et de l'admissibilité des empreintes digitales
comme preuve, le Comité rappelle qu'il appartient généralement aux juridictions
d'appel des Etats parties au Pacte d'apprécier tous les faits et les éléments
de preuve dans un cas d'espèce. Il n'appartient pas au Comité de contester
l'appréciation du juge en la matière à moins qu'il ne puisse être établi
que cette appréciation était arbitraire ou constituait un déni de justice;
rien n'indique que tel soit le cas en l'espèce. Le Comité n'estime pas que
l'auteur a établi qu'il y avait eu violation du paragraphe 1 de l'article
14.
5.9 A l'alinéa a) du paragraphe 3 de son article 14, le Pacte prévoit que
toute personne accusée d'une infraction pénale a droit à être informée "dans
le plus court délai ... et de façon détaillée ... de l'accusation portée
contre elle". M. McLawrence soutient qu'il n'a jamais été officiellement
informé des accusations portées contre lui et qu'il n'a su les motifs de
son arrestation qu'au moment où il a comparu à l'audience préliminaire.
Le Comité note que l'obligation qui est faite à l'alinéa a) du paragraphe
3 de l'article 14 d'informer toute personne accusée est plus précise que
celle que prévoit le paragraphe 2 de l'article 9 applicable aux personnes
arrêtées. Pour autant que le paragraphe 3 de l'article 9 est appliqué, la
nature et les motifs de l'accusation ne doivent pas être nécessairement
indiqués immédiatement au moment de l'arrestation de façon détaillée. Considérant
les éléments d'information dont il dispose, le Comité conclut qu'il n'y
a pas eu violation des dispositions de l'alinéa a) du paragraphe 3 de l'article
14.
5.10 Le droit de tout accusé à disposer du temps et des facilités nécessaires
à la préparation de sa défense est un élément important de la garantie d'un
procès équitable et un élément important du principe de l'égalité des armes.
Lorsque l'accusé risque la peine de mort, lui et son défenseur doivent pouvoir
disposer de suffisamment de temps pour préparer la défense. La question
de savoir ce que signifie "suffisamment de temps" doit être appréciée
selon les circonstances propres à chaque espèce. L'auteur affirme aussi
qu'il n'a pas pu obtenir la comparution de deux témoins qui auraient pu
lui fournir un alibi. Le Comité note toutefois qu'il ne ressort pas des
éléments d'information dont il est saisi que le défenseur ou l'auteur se
soient plaints au juge du fond de ce qu'ils n'avaient pas eu suffisamment
de temps pour préparer la défense. Si le défenseur ou l'auteur avaient estimé
qu'ils n'étaient pas suffisamment préparés, il leur incombait de demander
l'ajournement du procès. En outre, il y a des contradictions dans la version
que l'auteur donne de cette question : dans des communications à son représentant
devant le Comité, il se plaint que son avocat n'a pas eu le temps de préparer
la défense, alors que dans une lettre au Comité, datée du 1er octobre 1996,
il affirme que sa représentation au procès a été "excellente".
Enfin, rien n'indique que la décision du défenseur de ne pas citer deux
témoins qui auraient pu fournir un alibi ne découlait pas du fait qu'il
n'avait pas jugé opportun de le faire ni que, s'il avait été demandé que
les deux témoins soient cités à comparaître, le juge s'y serait opposé.
Dans ces conditions, rien ne permet de conclure qu'il y a eu violation des
alinéas b) et e) du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte.
5.11 L'auteur s'est plaint de ce qu'il y avait violation du paragraphe
3 c) et du paragraphe 5 de l'article 14 au motif que son procès avait eu
lieu avec un "retard excessif". Le Comité note que l'Etat partie
lui-même admet qu'un délai de 31 mois entre le procès et le rejet de l'appel
est "plus long qu'il n'aurait normalement dû l'être" mais n'apporte
aucune autre justification à ce délai. Le Comité conclut, en l'occurrence,
qu'un délai de 31 mois entre la condamnation et le rejet de l'appel constitue
une violation du droit de l'auteur énoncé à l'alinéa c) du paragraphe 3
de l'article 14 d'être jugé sans retard excessif. Il relève qu'en l'absence
de toute justification de l'Etat partie, cette constatation s'imposerait
dans des circonstances similaires dans d'autres cas.
5.12 En ce qui concerne la question de savoir dans quelle mesure la représentation
en justice de l'auteur, en première instance et en appel, a été satisfaisante,
le Comité rappelle que toute personne passible de la peine de mort doit
pouvoir se faire assister d'un défenseur. En l'espèce, il est incontestable
que M. McLawrence n'a pas eu cette possibilité lors de ses premières comparutions
devant le tribunal, bien que l'Etat partie affirme qu'il a été informé
de son droit à se faire assister d'un défenseur à cette occasion. Par ailleurs,
M. McLawrence s'est fait assister d'un défenseur par la suite et,
de son propre aveu, a été représenté de façon satisfaisante au procès. En
ce qui concerne l'appel, le Comité note qu'il ressort de la requête d'appel,
datée du 30 novembre 1992, que l'auteur n'avait pas souhaité que
la cour d'appel commette un avocat d'office, qu'il avait les moyens de se
faire représenter et qu'il avait donné les noms des deux avocats qui l'avaient
représenté en première instance. L'auteur avait en un premier temps manifesté
le désir d'être présent en appel. Néanmoins, il s'était fait représenter
en appel et les éléments dont dispose le Comité n'indiquent pas clairement
s'il a continué d'insister, en mars 1995, pour y assister. Dans les circonstances
de l'espèce, le Comité n'est pas en mesure de faire de constatations sur
l'alinéa d) du paragraphe 3 de l'article 14.
5.13 Le Comité estime qu'une condamnation à la peine de mort à l'issue
d'un procès durant lequel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées
constitue, s'il n'existe aucune autre possibilité de faire appel du jugement,
une violation de l'article 6 du Pacte. Comme le Comité l'a relevé dans son
Observation générale 6 [16], la disposition selon laquelle la peine de mort
ne peut être prononcée que conformément à la législation et ne doit pas
être en contradiction avec les dispositions du Pacte suppose que les "garanties
d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris
le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption
d'innocence, les garanties minima de la défense et le droit de recourir
à une instance supérieure". Dans le cas d'espèce, étant donné que cette
peine a été prononcée en dernier ressort sans que les conditions énoncées
à l'article 14 aient été respectées, le Comité doit conclure qu'il y a aussi
eu, en conséquence, violation de l'article 6 du Pacte.
6. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation des paragraphes 2 et 3 de l'article
9, et de l'alinéa c) du paragraphe 3 de l'article 14 et partant de l'article
6 du Pacte.
7. Le Comité estime qu'en vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte,
M. McLawrence a droit à un recours utile sous la forme d'une commutation
de la peine de mort.
8. Etant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est
engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et
relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité
souhaite recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
________________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M. Thomas
Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt, Mme
Pilar Gaitan de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Julio Prado Vallejo,
M. Martin Scheinin, M. Danilo Türk et M. Maxwell Yalden.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]