Présentée par : Steve Shaw (représenté par M. S. Lehrfreund, du Cabinet
d'avocats Simons Muirhead & Burton)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 6 juin 1996 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 2 avril 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 704/1996, présentée
au Comité par M. Steve Shaw en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'Etat partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Steve Shaw, citoyen jamaïcain né
en 1966, actuellement en attente d'exécution à la prison du district de
St. Catherine, à Spanish Town (Jamaïque). Il affirme être victime de violations
par la Jamaïque des articles 6 et 7, des paragraphes 2 et 3 de l'article
9, du paragraphe 1 de l'article 10, et des paragraphes 1 et 3 b), c) et
d) de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. Il est représenté par Saul Lehrfreund, du cabinet d'avocats
Simons Muirhead and Burton (Londres).
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été reconnu coupable, avec deux coaccusés, Desmond et
Patrick Taylor / Voir communications Nos 705/1996 (Desmond
Taylor c. Jamaïque), constatations adoptées le 2 avril 1998,
et 707/1996 (Patrick Taylor c. Jamaïque), constatations
adoptées le 18 juillet 1997./, de quatre meurtres emportant la peine capitale
et condamné à mort par la Circuit Court de St. James, à Montego Bay, le
25 juillet 1994. La Cour d'appel l'a débouté de son recours le 24 juillet
1995. La Section judiciaire du Conseil privé a rejeté, le 6 juin 1996,
sa demande d'autorisation spéciale de former recours.
2.2 Le 27 mars 1992, les corps décomposés de Horrett Peddlar, de sa femme,
Maria Wright, et de leurs deux jeunes enfants, Matthew et Useph, ont été
découverts à proximité du domicile des Peddlar. Ils avaient été "tués
par d'innombrables coups de machette" et portaient des traces de
coups à la tête, au tronc et aux membres.
2.3 Entre le 17 et le 22 avril 1992, l'auteur (qui est surnommé "Curly")
a reçu des produits alimentaires d'un marchand local après lui avoir laissé
en gage un lecteur de cassettes. Le 27 avril, l'appareil a été remis à
la police; le 28 avril, il a été identifié en présence de l'auteur comme
appartenant au défunt. M. Shaw déclare avoir été arrêté le 28 avril 1992
et écroué à la prison de police de Sandy Bay. Sa complicité dans les quatre
meurtres aurait été établie au moyen de déclarations orales faites entre
Pâques et le 14 novembre 1992 :
- Pendant Pâques 1992, l'auteur aurait déclaré à une certaine Mme Sutherland
qu'il avait pris part aux meurtres de Horrett Peddlar et de sa femme;
- Lors de l'interrogatoire qui avait précédé la déclaration officielle
faite à la police le 29 avril 1992, l'auteur aurait dit ce qui suit
: "Vous voyez dans quoi m'a mis Boxer [Desmond Taylor].";
dans sa déclaration officielle à la police, l'auteur a évoqué sa présence
chez les Peddlar au moment des meurtres, avec Boxer, un dénommé "Président"
et Mark [Patrick Taylor], "Boxer" et "Président"
étaient allés dans la cour; il a vu Boxer frapper à coups de machette
M. Peddlar et Président poursuivre un des enfants. Il a ensuite aidé
Boxer et Président à se débarrasser de leurs vêtements et a reçu un
lecteur de cassettes;
- L'auteur a fait au poste de police, en présence de Patrick Taylor,
la déclaration orale suivante : "Moi et Mark, on est allés au
portail de la maison et on a vu Boxer et Président traverser la cour
et frapper les gens à coups de machette";
- Le 5 mai 1992, la déclaration orale suivante a été faite en présence
de Desmond Taylor : "Moi, vu Président courir derrière l'enfant
et Boxer frapper la femme à coups de machette.";
- Le 14 novembre 1992, l'auteur a fait à des compagnons de prison
en détention provisoire la déclaration suivante qui a été entendue
par l'officier de police Wright : "Moi, j'ai poignardé l'enfant
Peddlar".
2.4 Dans une déclaration sans serment faite au procès, l'auteur a nié
avoir été présent au moment du meurtre et avoir fait un quelconque aveu
à Mme Sutherland ou à l'agent de police Wright. Aucun témoin à décharge
n'a été appelé à la barre.
2.5 Après son arrestation le 28 avril 1992, l'auteur a été transféré
de la prison de police de Sandy Bay à celle de Montego Bay. Après la déclaration
orale qu'il a faite au commissariat de Montego Bay, le 29 avril 1992,
pendant l'interrogatoire qui a précédé sa déclaration officielle à la
police, il a été ramené à Sandy Bay. Le 7 mai 1992, il a été de nouveau
conduit à Montego Bay, où il a été inculpé de meurtre. Selon son propre
récit, il a été ensuite gardé au secret huit mois, pendant lesquels il
n'a pu communiquer ni avec ses avocats, ni avec ses amis, ni avec sa famille.
Son conseil affirme avoir essayé au moins à deux occasions de vérifier
cette information; les déclarations faites par l'auteur, à ce propos,
sont cohérentes. M. Shaw signale qu'il a été détenu pendant environ trois
mois avant d'être traduit devant un juge et qu'il a passé presque une
année à la prison de police de Montego Bay avant son transfert à la prison
du district de St. Catherine, où il est resté en détention provisoire
jusqu'à sa condamnation.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil affirme que les droits de l'auteur reconnus aux paragraphes
2 et 3 de l'article 9 du Pacte ont été violés. Il fait valoir qu'il a
été détenu pendant 19 jours avant d'être inculpé de meurtre et qu'il s'est
écoulé trois mois sans qu'il soit présenté à un juge ou à une autre autorité
judiciaire. L'auteur affirme avoir été brutalisé par la police pendant
cette période; il était, dans ces circonstances, capital qu'il soit traduit
sans délai devant une autorité judiciaire.
3.2 L'auteur invoque une violation du paragraphe 3 de l'article 9 et
du paragraphe 3 c) de l'article 14 puisque l'Etat partie ne l'a pas traduit
en justice dans un délai raisonnable. Il a passé deux ans et trois mois
dans les prisons de police de Sandy Bay et de Montego Bay, ainsi que dans
la prison du district de St. Catherine avant son procès; c'est seulement
en avril 1994, environ deux ans après son arrestation, qu'un avocat a
été chargé de sa défense. Le conseil reconnaît que la complexité de l'affaire
est un facteur dont il faut tenir compte lorsqu'il s'agit de déterminer
s'il y a eu ou non violation des dispositions susmentionnées; il affirme
néanmoins que le cas de M. Shaw n'était pas complexe puisque ses aveux
présumés constituaient les principales preuves contre lui et qu'il n'a
à aucun moment demandé une suspension de la procédure.
3.3 M. Shaw affirme que les conditions dans lesquelles il a été détenu
dans les prisons de police de Sandy Bay et Montego Bay avant son inculpation
constituaient une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article
10. L'auteur note qu'il a dû partager une petite cellule avec, parfois,
21 autres détenus, en sorte que la plupart des prisonniers devaient passer
toute la nuit debout ou assis. L'entassement dans les cellules, la nécessité
de dormir sur un sol humide, une ventilation laissant à désirer, l'absence
de tout contact avec des membres de sa famille, ses proches ou un avocat
constituent selon l'auteur une violation de l'article 7 du Pacte.
3.4 N'ayant pas eu les facilités nécessaires pour préparer sa défense,
l'auteur invoque une violation du paragraphe 3 b) et d) de l'article 14
du Pacte. Il signale qu'il a vu pour la première fois un avocat lorsque
M. Hamilton QC, conseil des frères Taylor, l'a contacté. Ce dernier l'a
aidé à s'assurer les services d'un avocat au titre de l'assistance juridique,
mais cet avocat a cessé de le représenter lorsqu'il a été nommé magistrat
résident. Il a donc fallu que l'auteur attende encore dix mois avant de
bénéficier de nouveau d'une aide juridique. Le conseil fait observer que
M. Shaw avait demandé à son nouveau représentant au titre de l'aide judiciaire
de convoquer son père comme témoin de la défense mais que l'avocat n'a
pas tenu compte de ses instructions. Le conseil affirme en outre que le
même avocat n'a rien fait pour vérifier l'alibi de l'auteur et n'a suivi
aucune de ses instructions. Comme son avocat n'a pas assuré comme il convient
sa représentation au procès, l'auteur a été privé de la possibilité de
défendre de quelque manière que ce soit sa cause devant le jury et le
juge du fond a pu, comme l'y autorise la jurisprudence locale, intimer
aux jurés de ne pas tenir compte, s'ils le souhaitaient, de la déclaration
sans serment de M. Shaw (dans laquelle il avait nié avoir été sur les
lieux du crime). Si des témoins à décharge avaient été appelés à la barre,
le juge aurait agi autrement.
3.5 Il est affirmé que les conditions de détention à la prison du district
de St. Catherine constituent une violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte. L'attention est appelée sur les conclusions
de plusieurs rapports d'organisations non gouvernementales consacrés à
la situation des détenus dans cette prison. Dans le cas de M. Steve Shaw,
il y a lieu de signaler ce qui suit :
- Absence de literie ou de matelas;
- Absence totale d'installations sanitaires, pas d'éclairage électrique,
mauvaise ventilation (la lumière du jour n'entre que par de petites
bouches d'aération); prisonniers ne disposant que d'une tinette pour
faire leurs besoins;
- Prisonniers passant l'essentiel de leur temps à l'intérieur de
leur cellule dans une obscurité quasi totale (l'auteur est ainsi enfermé
au minimum 23 heures par jour);
- Manque d'installations et de services médicaux;
- Absence de programme de rééducation et de travail pour les détenus
se trouvant au quartier des condamnés à mort.
L'auteur affirme que les droits que lui garantit le Pacte en tant qu'individu
sont violés, indépendamment de son appartenance à une catégorie bien déterminée
de personnes (celle des prisonniers se trouvant dans le quartier des condamnés
à mort) qui sont détenues dans des conditions similaires et sont victimes
de violations analogues; car ce n'est pas parce que d'autres personnes souffrent
au même moment des mêmes privations qu'une violation du Pacte cesse d'en
être une.
3.6 Le conseil affirme que les conditions d'incarcération de l'auteur
et le fait qu'il soit enfermé dans une cellule constituent aussi une violation
de l'Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus de l'Organisation
des Nations Unies. Il renvoie, à cet égard, à la jurisprudence du Comité
des droits de l'homme / Voir constatations au sujet de la
communication No 458/1991 (A.W. Mukong c. Cameroun), adoptées
le 21 juillet 1994, par. 9.3./.
3.7 Le conseil fait observer qu'une exécution qui aurait été légale si
elle avait eu lieu immédiatement et sans que le condamné ait été soumis
de surcroît à un traitement inhumain pendant une longue période de détention
au quartier des condamnés à mort devient illégale lorsqu'elle intervient
au terme d'une longue détention dans des conditions insupportables. Le
conseil s'appuie sur la décision de la Section judiciaire du Conseil privé
dans l'affaire Pratt et Morgan pour affirmer que l'exécution d'une
sentence de mort peut devenir illégale lorsque les conditions dans lesquelles
un condamné est détenu (durée de la détention ou inconfort physique) constituent
un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 7 du Pacte.
M. Shaw "a été condamné à la peine capitale et non à être exécuté
après une longue période de traitement inhumain ... [l]e traitement inhumain
subi fait qu'il serait illégal d'exécuter la sentence".
3.8 Selon le conseil, l'Etat partie a violé le paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2, en
ne donnant pas à l'auteur la possibilité d'exercer devant un tribunal
son droit de recours (constitutionnel) pour être dédommagé des violations
des droits de l'homme dont il a été victime. Le conseil fait observer
qu'en ne fournissant pas à l'auteur l'assistance juridique dont il avait
besoin pour présenter une requête constitutionnelle et en le privant ainsi
de la possibilité de se prévaloir d'un recours utile afin d'établir ses
droits, l'Etat partie a violé le Pacte. Pour le conseil de l'auteur, une
procédure devant la Cour suprême (constitutionnelle) doit se dérouler
dans le respect du droit de la personne à ce que sa cause soit entendue
équitablement au sens du paragraphe 1 de l'article 14 qui inclut le droit
à l'aide juridique.
Observations de l'Etat partie et commentaires du conseil
4.1 Dans ses observations du 10 octobre 1996, l'Etat partie n'élève pas
d'objection à la recevabilité de la communication et fait des observations
sur le fond.
4.2 Il nie avoir violé le paragraphe 2 de l'article 9 du Pacte, affirmant
ce qui suit : "Il est possible que 19 jours se soient écoulés avant
que l'auteur n'ait été officiellement inculpé mais, de toute évidence,
il connaissait avant même le jour de son inculpation les motifs de son
arrestation. L'auteur est passé par différents postes de police et (bien
qu'il le nie à présent) a fait plusieurs déclarations sur les infractions
qui lui étaient reprochées. Dans ces circonstances, il est faux d'affirmer
qu'il ignorait les raisons de son arrestation."
4.3 Pour ce qui est des trois mois qui se sont passés avant que l'auteur
ne soit traduit devant un magistrat, l'Etat partie reconnaît que c'est
là un délai plus long qu'il ne l'aurait souhaité mais estime que "cela
ne permet pas forcément de conclure qu'il y a eu une violation du Pacte".
4.4 A propos de l'affirmation selon laquelle, eu égard à la durée de
la détention provisoire de l'auteur (2 ans et 3 mois), le paragraphe 3
de l'article 9 et le paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte ont été
violés, l'Etat partie signale que pendant la période en question, il y
a eu une enquête préliminaire et qu'il ne saurait, par conséquent, souscrire
à l'argument selon lequel la période de détention de l'auteur avant jugement
a été excessivement longue.
4.5 L'Etat partie indique qu'il procédera à une enquête sur l'allégation
de l'auteur selon laquelle il a été gardé "au secret" pendant
huit mois après son arrestation. Il fait toutefois observer qu'"il
est révélateur que cette allégation n'ait apparemment pas été formulée
par le conseil de l'auteur au procès où une telle information aurait eu,
au cas où elle aurait emporté la conviction de la Cour, une incidence
considérable sur la suite du procès". Au 31 décembre 1997, aucune
information n'avait été reçue quant aux résultats de l'enquête que devait
mener l'Etat partie.
4.6 Pour ce qui est des allégations faites au titre du paragraphe 3 b)
et d) de l'article 14 du Pacte, selon lesquelles l'auteur n'a pas pu voir
un avocat choisi par lui-même et a été obligé de consulter celui de ses
coaccusés, l'Etat partie rappelle que les déclarations faites par M. Shaw
lui-même montrent que son avocat n'a agi qu'en son nom. Ayant été ultérieurement
nommé magistrat résident, cet avocat n'a pas pu continuer de défendre
M. Shaw. Au procès, l'auteur a été représenté par un conseil, qui
a eu des consultations avec lui avant l'ouverture du procès. Dans ces
circonstances, l'Etat partie nie que le paragraphe 3 b) et d) de l'article
14 ait été violé; l'auteur ayant bénéficié de l'aide judiciaire aussi
bien lors de l'enquête préliminaire que pendant le procès, l'Etat partie
s'est acquitté des obligations découlant des dispositions susmentionnées.
4.7 Pour ce qui est de l'affirmation selon laquelle l'auteur aurait dû
bénéficier de l'aide judiciaire pour la présentation d'une requête constitutionnelle,
l'Etat partie reconnaît qu'aucune assistance n'est fournie à cet effet
mais, selon lui, le Pacte n'a pas pour autant été violé : "[S']agissant
du paragraphe 1 de l'article 14, il ne contient aucune disposition stipulant
... qu'une aide judiciaire doit être obligatoirement fournie pour les
requêtes constitutionnelles".
5.1 Dans ses commentaires, le conseil réitère ses allégations au titre
des paragraphes 2 et 3 de l'article 9. Il fait observer que l'Etat partie
n'a même pas tenté d'expliquer pourquoi l'auteur a été détenu pendant
trois mois sans être présenté à un juge et n'a pas non plus démontré qu'un
tel comportement de sa part ne constitue pas une violation du Pacte. N'ayant
été inculpé que 19 jours après son arrestation, M. Shaw n'a pas pu être
traduit "dans le plus court délai" devant une autorité judiciaire
comme l'exige le paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte. Le conseil se réfère
à l'Observation générale No 8[16] du Comité dans laquelle il est précisé
qu'au sens du paragraphe 3 de l'article 9, le délai ne doit pas dépasser
quelques jours, ainsi qu'à la jurisprudence du Comité selon laquelle l'expression
"dans le plus court délai" exclut tout retard excédant deux
ou trois jours.
5.2 Le conseil réaffirme que l'Etat partie est seul responsable de la
non-comparution de l'auteur devant un tribunal dans un délai raisonnable.
C'est seulement le 21 avril 1994, deux ans après l'arrestation de M. Shaw,
que sa défense a été confiée à un avocat au titre de l'aide judiciaire,
ce qui indique que les autorités judiciaires n'étaient pas prêtes à entamer
la procédure avant cette date. En outre, le fait qu'il ait fallu effectuer
une enquête préliminaire n'enlève rien à la validité de l'affirmation
selon laquelle il y a eu retard excessif au sens du paragraphe 3 de l'article
9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte : en vertu du droit jamaïcain,
des enquêtes préliminaires sont menées dans toutes les affaires de meurtre
et ne nécessitent généralement pas le maintien du suspect en détention
provisoire pendant plus de deux ans.
5.3 Le conseil fait valoir que les conditions de détention de l'auteur
dans les prisons de police de Sandy Bay et de Montego Bay constituaient
une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
Les conditions dans lesquelles il a été détenu avant son jugement (cellules
surpeuplées, obligation de dormir sur un sol humide, mauvaise aération
et aucune possibilité de contact avec ses proches, les membres de sa famille
ou un représentant en justice) étaient contraires à l'article 7 du Pacte.
5.4 En ce qui concerne le paragraphe 3 b) et d) de l'article 14, le conseil
fait observer qu'en vertu du Pacte, il incombe à l'Etat partie non seulement
d'assurer à l'auteur une aide judiciaire pour l'enquête préliminaire et
le procès mais aussi de faire en sorte, en particulier dans les affaires
de condamnation à mort, qu'il dispose du temps et des facilités nécessaires
à la préparation de sa défense : "le droit de se défendre exige que
l'accusé ou son avocat soient habilités à agir avec diligence pour se
prévaloir de tous les moyens de défense disponibles et à contester la
conduite de la procédure s'ils considèrent qu'elle est inéquitable".
L'avocat de M. Shaw n'ayant pas vérifié son alibi et n'ayant pas suivi
ses instructions, l'auteur n'a pas été dûment représenté.
5.5 Le conseil constate que l'Etat partie n'a pas réagi aux allégations
de l'auteur concernant les conditions de détention épouvantables au quartier
des condamnés à mort, qui constituent selon lui une violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte; il note que ces conditions
sont contraires non seulement à l'Ensemble de règles minima pour le traitement
des détenus de l'Organisation des Nations Unies mais aussi aux dispositions
de la résolution 1996/15 du Conseil économique et social intitulée "Garanties
pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort".
Considérations relatives à la recevabilité et examen quant au fond
6.1 La section judiciaire du Conseil privé ayant rejeté en juin 1996
la demande d'autorisation spéciale de former recours qu'il avait présentée,
l'auteur a épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité constate
que l'Etat partie n'a élevé aucune objection à la recevabilité de la plainte.
Dans ces circonstances, il estime qu'il convient de procéder à l'examen
quant au fond de la communication qu'il juge recevable en vertu du Protocole
facultatif.
6.2 En conséquence, le Comité déclare que les autres allégations de M.
Shaw au titre des articles 7, 9 et 10 et des paragraphes 1 et 3 b), c)
et d) de l'article 14 du Pacte sont recevables et décide de les examiner
au fond, en tenant compte des renseignements fournis par les parties en
application du paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.1 L'auteur invoque une violation de l'article 7 et du paragraphe 1
de l'article 10 du Pacte parce que, après son arrestation, il a été détenu
dans des conditions inacceptables pendant plusieurs mois. L'Etat partie
n'a pas contesté cette allégation et a promis d'ouvrir une enquête, mais
n'en a pas communiqué les conclusions au Comité. Dans ces circonstances,
force est d'accorder le crédit voulu aux allégations de l'auteur. Le Comité
note que, pendant la période de détention provisoire, qu'il a passée en
grande partie à la prison de police de Montego Bay, l'auteur était enfermé
dans une cellule surpeuplée, qu'il a dû dormir sur un sol (en ciment)
humide et qu'il n'a pu recevoir la visite de sa famille, de ses proches
ou d'un avocat qu'en 1992. Il conclut que ces conditions sont en violation
de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte car l'auteur
a été traité d'une manière inhumaine et dégradante et l'Etat partie n'a
pas respecté la dignité inhérente à sa personne.
7.2 L'auteur affirme que son exécution, après une longue période de détention
dans le quartier des condamnés à mort, dans des conditions revenant à
un traitement inhumain et dégradant, serait contraire à l'article 7 du
Pacte. Le Comité réaffirme que la détention d'une certaine durée dans
le quartier des condamnés à mort - en l'occurrence, trois ans et demi
- ne viole pas le Pacte en l'absence d'autres circonstances impérieuses.
Les conditions de détention peuvent toutefois constituer une violation
des articles 7 ou 10 du Pacte. M. Shaw affirme d'autre part que les conditions
de détention dans le quartier des condamnés à mort sont particulièrement
mauvaises et insalubres; cette affirmation est corroborée par des rapports
que le conseil a joints à ses commentaires. Il n'y a ni installations
sanitaires, ni lumière, ni ventilation, ni literie; l'isolement cellulaire
est de 23 heures par jour et les soins de santé laissent à désirer. Dans
ses commentaires, le conseil passe en revue les principaux arguments figurant
dans ces rapports et montre que M. Steve Shaw souffre personnellement
des conditions dans lesquelles il est détenu dans le quartier des condamnés
à mort. Les allégations de l'auteur n'ont pas été réfutées par l'Etat
partie qui ne fait aucune remarque à ce propos. Le Comité considère que
les conditions de détention décrites par le conseil dont M. Shaw souffre
directement constituent une atteinte à son droit d'être traité avec humanité
et avec le respect de la dignité inhérente à sa personne en tant qu'être
humain et sont, par conséquent, contraires au paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte.
7.3 Dix-neuf jours s'étant écoulés entre son arrestation et son inculpation
officielle, l'auteur invoque une violation de l'article 9 du Pacte. Or,
il apparaît à la lecture des minutes du procès que l'auteur a été arrêté
non pas le 18, comme l'affirme le conseil dans ses observations,
mais le 28 avril 1992. M. Shaw a signé une déclaration officielle
à la police en présence d'un juge de paix le 29 avril 1992. L'Etat partie
ne conteste pas que l'auteur ait été détenu pendant au moins neuf jours
avant d'être officiellement inculpé ou qu'il ait dû attendre encore trois
mois avant d'être présenté à un juge ou à une autorité judiciaire. Cela
constitue aux yeux du Comité une violation du paragraphe 3 de l'article
9 du Pacte.
7.4 En ce qui concerne l'affirmation de M. Shaw selon laquelle il n'a
pas été jugé dans des délais raisonnables, puisque 27 mois se sont écoulés
entre son arrestation en avril 1992 et son jugement en juillet 1994, le
Comité a pris note de l'argument de l'Etat partie, qui soutient que ce
délai n'est pas excessivement long, d'autant plus qu'une enquête préliminaire
a été effectuée au cours de cette période. Il considère néanmoins que
la détention de l'auteur pendant 27 mois entre son arrestation et son
procès représente une violation de son droit à être jugé dans un délai
raisonnable ou libéré. Le retard est, en outre, tel qu'il constitue une
violation du droit de l'auteur d'être jugé sans retard excessif. L'Etat
partie n'a apporté aucune précision - en ce qui concerne par exemple l'extrême
complexité de l'affaire - de nature à expliquer ce retard. En conséquence,
le Comité conclut qu'il y a eu en l'espèce violation du paragraphe 3 de
l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
7.5 L'auteur affirme ne pas avoir disposé des facilités nécessaires pour
préparer sa défense et que, dans un premier temps, pour obtenir des conseils,
il a dû consulter l'avocat de ses coaccusés. L'Etat partie signale qu'il
a fourni à l'auteur une aide judiciaire pour l'enquête préliminaire et
le procès et que, ce faisant, il s'est acquitté des obligations qui lui
incombaient en vertu du paragraphe 3 b) et d) de l'article 14 du Pacte.
Le Comité note qu'il va de soi dans les affaires de condamnation à mort
que l'accusé soit défendu aussi bien pendant l'enquête préliminaire que
durant le procès. Dans le cas d'espèce, il est préoccupant de noter que
parce que le conseil qui représentait l'auteur pendant l'enquête préliminaire
a dû abandonner sa défense après avoir été appelé à d'autres fonctions
judiciaires, l'auteur est resté sans représentant en justice pendant une
période considérable. Cependant, la procédure n'avait pas alors commencé
et un conseil a été assigné à l'auteur quelques mois avant le début du
procès. Cela ne constitue pas en soi une violation du paragraphe 3 b)
et d) de l'article 14 du Pacte. L'auteur affirme en outre que le conseil
qui a été chargé de le défendre au procès au titre de l'aide judiciaire
n'a pas appelé son père à témoigner, le privant ainsi de son alibi, et
n'a pas suivi ses instructions; mais au vu des minutes du procès et des
pièces dont dispose le Comité, il n'est pas possible d'affirmer qu'en
ne suivant pas les instructions de M. Shaw, son conseil n'a pas fait qu'exercer
son jugement professionnel. Rien ne prouve que son comportement ait été
arbitraire ou incompatible avec les intérêts de la justice. Dans ces circonstances,
il n'y a eu aucune violation du paragraphe 3 b) et d) de l'article 14
du Pacte.
7.6 L'auteur affirme que, ne lui ayant pas fourni l'aide juridique dont
il avait besoin pour présenter une requête constitutionnelle, l'Etat partie
a violé des droits qui lui sont reconnus par le Pacte. La détermination
des droits dans le cadre d'une procédure devant la Cour suprême (constitutionnelle)
de la Jamaïque doit respecter le droit du requérant à ce que sa cause
soit entendue équitablement conformément au paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte / Voir communication No 377/1989 (Anthony Currie
c. Jamaïque), constatations adoptées le 29 mars 1994, par. 13.4;
communication No 707/1996 (Patrick Taylor c. Jamaïque),
constatations adoptées le 18 juillet 1997, par. 8.2)./. Dans le cas de
M. Shaw, la Cour constitutionnelle serait appelée à déterminer si la condamnation
de l'auteur dans une affaire pénale constitue une violation des garanties
d'un procès équitable. En l'occurrence, l'application du droit à ce qu'une
cause soit entendue équitablement devrait être conforme aux principes
énoncés au paragraphe 3 d) de l'article 14. Il s'ensuit donc que lorsqu'un
condamné qui souhaite faire réexaminer par la Cour constitutionnelle des
irrégularités qui auraient été commises au cours d'un procès pénal n'a
pas les moyens de payer les services d'un conseil en vue de se prévaloir
de ce recours constitutionnel et lorsque l'intérêt de la justice l'exige,
l'Etat partie doit fournir à l'intéressé une aide judiciaire. Dans le
cas d'espèce, faute d'avoir bénéficié d'une aide judiciaire, l'auteur
n'a pas pu s'adresser à la Cour constitutionnelle pour qu'elle détermine,
dans le cadre d'une procédure équitable, si son procès a été entaché d'irrégularités;
ce manquement de la part de l'Etat partie constitue une violation de l'article
14 du Pacte.
7.7 Le Comité considère qu'une condamnation à mort à l'issue d'un procès
pendant lequel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue,
s'il n'y a aucune possibilité de faire appel de la sentence, une violation
de l'article 6 du Pacte. Comme dans le cas de M. Shaw une sentence de
mort a été prononcée en dernier ressort sans que les garanties d'un procès
équitable énoncées à l'article 14 du Pacte aient été respectées, force
est de conclure que le droit garanti par l'article 6 a été violé.
8. Le Comité des droits de l'homme, se fondant sur le paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi montrent qu'il y a eu violation de l'article 7, du paragraphe
3 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article 10, des paragraphes 1 et
3 c) de l'article 14 et, partant, de l'article 6 du Pacte.
9. Dans toutes ces circonstances, en application du paragraphe 3 a) de
l'article 2 du Pacte, l'auteur a droit à un recours utile sous la forme
d'une commutation de sa peine.
10. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le
Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation
du Pacte. La présente affaire a été soumise à l'examen du Comité avant
le 23 janvier 1998, date à laquelle la dénonciation du Protocole facultatif
par la Jamaïque a pris effet; conforment au paragraphe 2 de l'article
12 du Protocole facultatif, le Protocole facultatif continue donc à lui
être applicable. Conformément à l'article 2 du Pacte, elle s'est engagée
à garantir à toutes les personnes se trouvant sur son territoire et relevant
de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours
utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite
recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
_________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à
l'examen de la présente communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
N. Bhagwati, M. Thomas Buergenthal, Lord Colville, M. Omran El Shafei,
Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin
et M. Maxwell Yalden./
** Le texte d'une opinion individuelle signée par les membres du Comité
N. Ando, P.N. Bhagwati, Th. Buergenthal et D. Kretzmer est joint au présent
document./
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de MM. N. Ando, P. Bhagwati, Th. Buergental,
et D. Kretzmer
L'auteur de la présente communication a été jugé en même temps que M.
Desmond Taylor, dont nous venons d'achever d'examiner la communication.
Nous sommes d'accord avec les opinions exprimées par le majorité aux paragraphes
7.1 à 7.5 mais nous ne pouvons souscrire à celles qui figurent au paragraphe
7.6. Nous considérons qu'en l'espèce, l'Etat partie n'éètait pas tenu
de fournir une aide judiciaire à l'auteur pour une procédure devant la
Cour constitutionnelle. Le même argument, qui est fondé sur le paragraphe
3 d) de l'article 14 du Pacte, avait été invoqué en faveur de l'auteur
dans l'affaire Desmond Taylor, mais étant en désaccord avec la majorité,
nous l'avons alors rejeté faisant valoir que le paragraphe 3 d) de l'article
14 était sans objet dans le cas de Desmond Taylor et que l'Etat partie
n'était pas tenu de lui founir une assistance judiciaire gratuite pour
une procédure devant la Cour constitutionnelle. Le même raisonnement doit
être appliqué au présent cas et nous devons affirmer en conséquence qu'en
ce qui concerne l'auteur, il n'y a pas eu violation du paragraphe 3 d)
de l'article 14 et, partant, du paragraphe 1 du même article.