Présentée par : Desmond Taylor (représenté par Clifford Chance,
Londres)
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 14 juin 1996 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 2 avril 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 705/1996 présentée
par M. Desmond Taylor en vertu du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'Etat partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Desmond Taylor, citoyen jamaïcain
actuellement en attente d'exécution à la prison du district de St. Catherine
(Jamaïque). Il affirme être victime de violations par la Jamaïque des
articles 6 et 7, du paragraphe 3 de l'article 9, du paragraphe 1 de l'article
10 et des paragraphes 1 et 3 b), 3 c) et 3 d) de l'article 14 du Pacte.
Il est représenté par Steven Dale, du cabinet d'avocats londonien Clifford
Chance.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été reconnu coupable, ainsi que ses deux coaccusés - son
frère, Patrick Taylor / Les constatations relatives à la communication
No 707/1996 (affaire Patrick Taylor) ont été adoptées le 18 juillet 1997./
et un certain Steve Shaw / La communication adressée par Steve
Shaw est enregistrée sous le numéro 704/1996 et est en cours d'examen
par le Comité./ - de quatre meurtres emportant la peine capitale et condamné
à mort par la St. James' Circuit Court de Montego Bay (Jamaïque)
le 25 juillet 1994. La Cour d'appel de la Jamaïque l'a débouté de son
recours le 24 juillet 1995. Sa demande ultérieure d'autorisation spéciale
de recours devant la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée
le 6 juin 1996.
2.2 Le 27 mars 1992, les corps décomposés de Horrett Peddlar, de sa femme,
Maria Wright, et de leurs deux jeunes enfants, Matthew et Useph, ont été
découverts à proximité du domicile des Peddlar. Ils avaient été "tués
à coups de machette" à la tête et sur tout le corps.
2.3 Le même jour, l'auteur, son frère et plusieurs autres membres de
la famille Taylor ont été conduits au poste de police pour être interrogés;
tous, à l'exception de Patrick Taylor, ont été autorisés à rentrer chez
eux le jour même. Patrick Taylor n'a été libéré que 26 jours plus tard.
Desmond et Patrick ont été de nouveau arrêtés vers le 5 mai 1992. Avec
Steve Shaw, ils ont alors été inculpés des meurtres de la famille Peddlar.
L'animosité qui régnait depuis longtemps entre les familles Peddlar et
Taylor était connue de tous : Desmond Taylor était débiteur de M. Peddlar
et les frères Taylor avaient déjà été accusés de l'avoir agressé; cette
affaire était encore en instance en 1992 lorsque la famille Peddlar a
été assassinée.
2.4 Au procès, l'auteur a fait une déclaration sans prêter serment dans
laquelle il niait avoir été présent sur les lieux du crime. L'accusation
reposait sur une déclaration que Patrick Taylor aurait faite le 4 mai
1992, pendant sa garde à vue. Il avait été confronté à Steve Shaw en présence
d'un agent de police et Shaw lui aurait alors dit :
"J'suis descendu à Junie Lawn quand j'ai vu Mark aller là-bas (Patrick
Taylor est aussi appelé Mark), Boxer (pseudonyme de Desmond) et le Président
... Quand je les ai vus, Mark, le Président et Boxer, avec Mark on est
allé jusqu'au portail et on a vu Boxer et le Président traverser la cour
et tuer ces gens à la machette."
Patrick Taylor aurait alors dit "Curly" (un surnom de Shaw) et
se serait mis à pleurer en disant : "Boxer t'a pas dit de ne rien dire.
D'accord, Monsieur. J'suis allé là-bas, mais j'ai jamais pensé qu'ils étaient
sérieux et qu'ils allaient tuer ces gens."
2.5 L'auteur a donc été reconnu coupable de participation aux meurtres
sur la base a) de la déclaration de Shaw selon laquelle les meurtres avaient
été commis, non par lui ou Patrick Taylor, mais par l'auteur et une autre
personne; et b) de la déclaration de Patrick Taylor en réponse aux allégations
de Shaw lors de leur confrontation durant leur garde à vue à Montego Bay.
2.6 Le conseil affirme que tous les recours internes disponibles ont
été épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif.
Même si, en théorie, Desmond Taylor a la possibilité de présenter une
requête constitutionnelle, en pratique, ce recours ne lui est pas ouvert
étant donné qu'il est indigent et que l'Etat partie ne prévoit pas d'aide
judiciaire pour le dépôt de requêtes constitutionnelles. Le conseil renvoie
à ce propos à la jurisprudence du Comité.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil affirme qu'il y a violation de l'article 9, paragraphe
3 et de l'article 14, paragraphe 3 c) du Pacte du fait que Desmond Taylor
n'a pas été traduit en justice dans un délai raisonnable. L'auteur a en
effet passé deux ans et trois mois en détention provisoire avant d'être
jugé et condamné, le 25 juillet 1994. Tout en admettant que la complexité
d'une affaire doit entrer en ligne de compte pour déterminer s'il y a
eu violation des dispositions précitées, le conseil conteste que l'affaire
Desmond Taylor soit complexe étant donné que le principal élément de preuve
retenu contre lui était la déclaration faite par son coaccusé, Steve Shaw,
et les aveux qu'il aurait faits. Il fait observer qu'à aucun moment l'auteur
n'a sollicité un ajournement du procès.
3.2 Le conseil affirme également qu'il y a eu violation de l'article
14, paragraphe 3 b) et 3 d) du Pacte, étant donné que l'auteur s'est vu
attribuer le même défenseur que son frère Patrick - un seul avocat représentait
leurs intérêts alors que les faits invoqués par l'accusation contre l'auteur
et son frère étaient totalement différents, les faits à la charge de l'auteur
étant qu'il avait directement participé aux meurtres alors que Patrick
Taylor était simplement présent sur le lieu du crime et en avait été complice
ou l'avait encouragé. Le risque d'un conflit d'intérêts entre les deux
causes n'était donc pas à exclure.
3.3 Cette situation aurait porté gravement préjudice à l'auteur parce
que des règles différentes s'appliquaient à chacun des coaccusés. Patrick
Taylor, inculpé de meurtre n'emportant pas la peine capitale, ne pouvait
être coupable que de participation à un projet commun alors que l'auteur,
inculpé de meurtre emportant la peine capitale, était soumis à la règle
différente dite de "l'auteur direct" ("celui qui a tiré")
prévue à l'article 2 2) de la loi portant modification de la loi relative
aux atteintes aux personnes, à savoir qu'il devait avoir commis lui-même
un acte de violence. Le conseil soutient que, dans le cas de l'auteur,
le juge n'a pas rendu le jury attentif aux dispositions de l'article 2
2), ce qui ne se serait sans doute pas produit si l'auteur avait été représenté
par un défenseur distinct.
3.4 D'après le conseil, les conditions de détention à la prison du district
de St. Catherine constitueraient une violation de l'article 7 et de l'article
10, paragraphe 1 du Pacte. Il renvoie à cet égard aux conclusions de divers
rapports publiés par des organisations non gouvernementales sur les conditions
d'incarcération à la prison du district de St. Catherine. Les conditions
auxquelles Desmond Taylor est soumis sont notamment les suivantes :
- Maintien en cellule 23 heures par jour;
- Couchette en ciment sans matelas, ni literie;
- Cellules totalement insalubres, aération insuffisante et absence totale
de lumière naturelle;
- Absence de soins et de services médicaux;
- Absence de programmes de rééducation et de travail pour les détenus
du quartier des condamnés à mort.
Le conseil affirme que les droits reconnus dans le Pacte dont Desmond
Taylor peut se prévaloir en tant qu'individu sont violés en dépit du fait
qu'il appartient à un groupe de personnes bien déterminé - les condamnés
à mort -, qui sont détenues dans les mêmes conditions et sont victimes
de violations analogues. D'après le conseil, une violation du Pacte ne
cesse pas d'être une violation simplement parce que d'autres subissent
le même sort au même moment.
3.5 Le conseil fait en outre valoir que les conditions d'incarcération
et la cellule dans laquelle l'auteur est enfermé constituent une violation
de l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des
détenus. Il renvoie à cet égard à la jurisprudence du Comité 3/
Constatations relatives à la communication No 458/1991 (Albert W. Mukong
c. Cameroun), adoptées le 21 juillet 1994, par. 9.3./.
3.6 Le conseil considère qu'une exécution qui aurait pu être conforme
à la loi si elle avait lieu immédiatement et sans aggraver la peine en
exposant le condamné à un traitement inhumain pendant une longue période
de détention peut devenir contraire à la loi si le condamné est exécuté
après un temps considérable passé dans des conditions de détention intolérables.
Il invoque la décision rendue par la section judiciaire du Conseil privé
dans l'affaire Pratt et Morgan à l'appui de l'argument selon lequel
l'exécution d'une sentence de mort peut devenir contraire à la loi si
les conditions dans lesquelles le condamné est détenu constituent une
peine ou un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 7, soit
parce que la durée de la détention est excessive, soit en raison des conditions
matérielles de la détention. L'auteur "a été condamné à mort, il
n'a pas été condamné à être exécuté après une longe période de traitement
inhumain... C'est ce traitement inhumain qui rend l'exécution de la sentence
illégale".
3.7 Enfin, le conseil estime que l'Etat partie a violé le paragraphe
1 de l'article 14 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l'article 2
du Pacte en déniant à l'auteur le droit de s'adresser à un tribunal pour
obtenir réparation (constitutionnelle) pour la violation de ses droits
fondamentaux dont il a été victime. Il fait observer qu'en ne fournissant
pas à l'auteur l'aide judiciaire nécessaire pour déposer une requête constitutionnelle,
l'Etat partie a violé le Pacte, puisqu'il a privé ainsi l'auteur d'un
recours utile pour qu'il soit statué sur ses droits. Il estime que la
procédure à suivre devant la Cour constitutionnelle doit être conforme
aux conditions d'un procès équitable énoncées au paragraphe 1 de l'article
14, ce qui comprend le droit à l'aide judiciaire.
Observations de l'Etat partie et commentaires du conseil
4.1 Dans ses observations du 10 octobre 1996, l'Etat partie ne conteste
pas la recevabilité de la plainte et se prononce directement sur le bien-fondé
de la communication. A propos de l'allégation de violation du paragraphe
3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14, il fait valoir
que, durant les 27 mois au cours desquels l'auteur a été maintenu en détention
provisoire, il a été procédé à une instruction préliminaire de tous les
éléments de l'affaire. Il rejette l'argument selon lequel la durée de
cette détention avant jugement constitue une violation du droit à être
jugé "sans retard excessif".
4.2 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 3 b) et
3 d) de l'article 14, au motif que l'auteur et son frère étaient représentés
par le même avocat commis au titre de l'aide judiciaire lors de leur procès
devant la St. James' Circuit Court, l'Etat partie admet "qu'il
a pu être préjudiciable à l'auteur, qui était inculpé de meurtre emportant
la peine capitale, d'être représenté par le même défenseur que son frère
qui était inculpé, lui, de meurtre n'emportant pas la peine capitale".
Il fait valoir cependant que Desmond Taylor avait le droit de demander
à être représenté par un avocat différent, mais qu'il a choisi d'avoir
le même défenseur que son frère : l'Etat partie n'est donc pas responsable
du fait qu'il n'a pas exercé son droit. L'Etat partie laisse entendre
que, compte tenu des liens familiaux des deux frères, cet arrangement
ne dérangeait pas l'auteur.
4.3 S'agissant de l'allégation selon laquelle Desmond Taylor n'a pas
pu introduire de requête constitutionnelle parce qu'il ne pouvait bénéficier
d'une aide judiciaire à cette fin, l'Etat partie rejette l'idée qu'en
ne fournissant pas d'aide judiciaire pour le dépôt de requêtes constitutionnelles
il a contrevenu aux dispositions du Pacte étant donné qu'il n'est pas
tenu d'accorder une telle aide à cette fin. Il fait observer en
outre que l'indigence n'est pas un obstacle absolu au dépôt de requêtes
constitutionnelles, la plupart des requêtes de ce type ayant été introduites
par des indigents, notamment dans l'affaire Pratt et Morgan c.
Attorney-General of Jamaica.
4.4 Compte tenu de ce qui précède, l'Etat partie considère que l'imposition
de la peine de mort ne constitue pas une violation de l'article 6. Il
ajoute que l'allégation selon laquelle le juge de première instance n'a
pas donné au jury des instructions appropriées concernant l'application
de la règle de "l'auteur direct" énoncée à l'article 2 2) de
la loi portant modification de la loi sur les atteintes aux personnes
a été examinée en détail par la Cour d'appel; il rappelle en outre que
cette question se rapporte à l'évaluation des faits et des éléments de
preuve dont l'examen ne relève pas, d'une manière générale, de la compétence
du Comité.
5.1 Dans ses commentaires, le conseil réaffirme que son client est victime
d'une violation du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de
l'article 14 du Pacte - l'argument de l'Etat partie selon lequel il a
été procédé à l'instruction préliminaire pendant les 27 mois au cours
desquels l'auteur a été maintenu en détention provisoire est, selon lui,
fallacieux, étant donné qu'il est procédé à une instruction préliminaire
dans toutes les affaires de meurtre en Jamaïque et qu'elle n'aboutit pas
généralement à une détention provisoire de 27 mois. En tout état de cause,
dans le cas de l'auteur, l'instruction préliminaire n'a eu lieu que neuf
mois après son arrestation et l'Etat partie ne donne pas d'explication
sur le contenu ou le déroulement de cette instruction.
5.2 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 3 b) et
3 d) de l'article 14, le conseil affirme que son client n'a jamais demandé
à être représenté par le même avocat que son frère. Ni les avocats qui
l'ont représenté, ni le juge chargé de l'affaire, que ce soit lors de
l'instruction préliminaire ou du procès, ne lui ont dit que non seulement
il aurait pu être représenté par un avocat différent, mais qu'il aurait
dû l'être. L'auteur a estimé que, puisqu'il n'avait pas les moyens de
s'assurer les services d'un avocat, il était obligé d'accepter l'arrangement
proposé et d'être représenté par le même avocat que son frère. Le conseil
qualifie d'absurde l'argument de l'Etat partie selon lequel, puisque l'auteur
a choisi de ne pas exercer son droit d'être représenté par un avocat distinct,
il ne saurait être rendu responsable des erreurs attribuées à la défense.
Affirmer que, du fait des liens familiaux entre Desmond et Patrick, la
formule de la représentation conjointe avait été forcément acceptée est
tout aussi fallacieux : en réalité, compte tenu des liens étroits existant
entre les deux frères, les faits reprochés à chacun d'eux étant totalement
différents, cette représentation séparée était d'autant plus importante,
et non pas moins importante.
5.3 Le conseil ajoute que cette situation a réellement porté préjudice
à son client. Ainsi, avant le procès, l'auteur n'a pu voir son conseil
que quelques minutes avant le début de l'instruction préliminaire et n'a
plus été en contact avec lui jusqu'au procès et, durant le procès, il
n'a pu lui parler que quelques minutes à la fois. A aucun moment, le conseil
n'a demandé d'instructions détaillées à l'auteur et n'a revu avec lui
les éléments de preuve à charge. Enfin, il n'a pas cité un témoin important
que Desmond Taylor voulait faire citer et qui aurait pu témoigner que
la victime avait été menacée par d'autres personnes que l'accusé. Dans
ces conditions, étant donné que le conseil était "toujours pressé",
l'auteur n'avait pas bénéficié du temps et des facilités nécessaires à
la préparation de sa défense. Si l'auteur et son frère avaient été représentés
par des avocats distincts, le risque de telles erreurs aurait été plus
faible, et la défense de l'auteur aurait été mieux préparée.
5.4 Le conseil réaffirme qu'en ne fournissant pas d'aide judiciaire aux
fins du dépôt de requêtes constitutionnelles, l'Etat partie a violé le
paragraphe 1 de l'article 14 lu conjointement avec le paragraphe 3 de
l'article 2 du Pacte, puisqu'il a ainsi privé l'auteur d'un recours potentiellement
utile. En outre, le frère de l'auteur a écrit au Conseil pour les droits
de l'homme de la Jamaïque pour demander s'il était possible d'introduire
une requête constitutionnelle mais a été informé que cela coûtait cher
et qu'aucun avocat à la Jamaïque n'accepterait de le représenter à titre
gracieux à cette fin.
5.5 Enfin, le conseil fait observer que l'Etat partie n'a pas répondu
aux allégations de l'auteur concernant ses conditions effroyables de détention
dans le quartier des condamnés à mort qui constitueraient une violation
de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. Ces conditions
sont contraires non seulement à l'Ensemble de règles minima des Nations
Unies pour le traitement des détenus, mais aussi à la résolution 1996/15
du Conseil économique et social sur les "garanties pour la protection
des droits des personnes passibles de la peine de mort".
5.6 Le conseil souligne que Desmond Taylor n'est pas d'accord
pour que la recevabilité et le fond de la communication soient examinés
conjointement.
Considérations relatives à la recevabilité et examen quant au fond
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer
si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte.
6.2 S'agissant de l'allégation selon laquelle l'auteur n'a pas disposé
du temps suffisant pour préparer sa défense et que son représentant n'a
guère essayé de le consulter, de lui demander des instructions ou de rechercher
et de citer des témoins, le Comité rappelle que l'avocat avait été initialement
engagé à titre privé. Il estime que l'Etat partie ne peut être tenu pour
responsable des lacunes dont aurait souffert la défense de l'accusé ou
des erreurs qui auraient été commises par le défenseur, à moins que le
juge lui-même n'ait estimé que le comportement du défenseur était manifestement
incompatible avec les intérêts de la justice. En l'espèce, rien n'indique
que l'avocat de l'auteur (Queen's Counsel) ne faisait pas ce qui lui paraissait
être le mieux en décidant de ne pas tenir compte de certaines des instructions
de l'auteur et de ne pas citer un témoin à comparaître. Cette plainte
est, par conséquent, également irrecevable au titre de l'article 2 du
Protocole facultatif.
6.3 Dans la mesure où sa demande d'autorisation spéciale de recours devant
la section judiciaire du Conseil privé a été rejetée en juin 1996, l'auteur
a épuisé tous les recours internes disponibles. Dans ces conditions, le
Comité considère qu'il convient maintenant d'aborder l'examen de la communication
quant au fond; il constate que l'Etat partie n'a pas formulé d'objection
à la recevabilité de la communication et que l'auteur souhaite que la
question de la recevabilité et le fond soient examinés séparément. Il
note que, tout en réitérant cette demande, le conseil a commenté également
les arguments de l'Etat partie concernant le fond. Puisque les deux parties
ont eu amplement l'occasion de commenter leurs observations respectives
sur le fond, le Comité considère qu'il doit procéder à l'examen de la
communication quant au fond.
6.4 En conséquence, le Comité déclare que les autres éléments de la plainte
de l'auteur sont recevables et décide de les examiner immédiatement quant
au fond, à la lumière des informations qui lui ont été communiquées par
les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
7.1 L'auteur affirme qu'il n'a pas été jugé dans un délai raisonnable
puisqu'il s'est écoulé près de 27 mois entre son arrestation en mai 1992
et son procès en juillet 1994 et l'Etat partie a fait valoir que ce délai
n'était pas excessif étant donné qu'une enquête préliminaire avait eu
lieu pendant cette période. Le Comité considère toutefois que la période
de deux ans et presque trois mois qui s'est écoulée entre l'arrestation
et le procès et pendant laquelle Desmond Taylor a été maintenu en détention,
constitue une violation du droit d'être jugé dans un délai raisonnable
ou libéré. Cette période de 27 mois entre l'arrestation et le procès équivaut
également à une violation du droit de l'auteur à être jugé sans retard
excessif. L'Etat partie n'a pas avancé d'argument portant par exemple
sur la complexité particulière de l'affaire, qui aurait pu justifier ce
retard. En conséquence, le Comité conclut qu'il y a eu violation en l'espèce
du paragraphe 3 de l'article 9 et du paragraphe 3 c) de l'article 14.
7.2 M. Taylor soutient que sa défense a été entachée d'irrégularités
parce qu'il était représenté par le même avocat que son frère, alors qu'il
n'était pas inculpé pour les mêmes motifs et que, par conséquent, il y
avait conflit d'intérêts entre les deux causes. Le Comité rappelle que
Desmond et Patrick Taylor étaient représentés par un avocat expérimenté,
lequel avait été engagé à titre privé par les deux frères en vue de l'instruction
préliminaire, et qu'au début du procès, cet avocat avait demandé à être
commis au titre de l'aide judiciaire auprès de l'un et de l'autre. Le
Comité fait observer que les accusés ont tous les deux nié avoir été présents
sur les lieux du crime ou avoir eu connaissance du crime et qu'ils ont
nié avoir fait les déclarations qui leur sont attribuées. Dans ces conditions,
il ne pouvait pas y avoir de conflit d'intérêts dans leur défense. Aucun
des deux n'a présenté de preuve ou d'argument ayant un effet sur l'autre.
Le Comité conclut que les faits dont il dispose ne révèlent pas de violation
du paragraphe 3 b) et 3 d) de l'article 14 du Pacte.
7.3 M. Taylor soutient que le fait que l'Etat partie ne lui ait pas fourni
l'aide judiciaire nécessaire pour introduire une requête constitutionnelle
constitue une violation des droits qui lui sont reconnus en vertu du Pacte.
La procédure à suivre pour statuer sur les droits devant la Cour suprême
(constitutionnelle) de la Jamaïque doit être conforme aux conditions d'un
procès équitable énoncées au paragraphe 1 de l'article 14 4/
Voir communication No 377/1989 (A. Currie c. Jamaïque),
constatations adoptées le 29 mars 1994, par. 13.4; communication No 707/1996
(Patrick Taylor c. Jamaïque), constatations adoptées le
18 juillet 1997, par. 8.2./. En l'espèce, la Cour constitutionnelle serait
appelée à déterminer si la condamnation de l'auteur dans une instance
pénale constitue une violation des garanties d'un procès équitable. En
l'occurrence, l'application du droit à ce que la cause soit entendue équitablement
devrait être conforme aux principes énoncés au paragraphe 3 d) de l'article
14. Il s'ensuit que si un condamné qui estime que son procès a été entaché
d'irrégularités n'a pas les moyens de s'assurer l'assistance juridique
requise pour se pourvoir devant la Cour constitutionnelle alors que la
justice l'exige, l'Etat devrait lui fournir l'aide judiciaire nécessaire.
En l'espèce, l'absence d'aide judiciaire a privé l'auteur de la possibilité
de faire entendre équitablement sa cause par la Cour constitutionnelle
pour qu'elle détermine si le procès pénal avait été entaché d'irrégularités,
ce qui constitue une violation de l'article 14.
7.4 L'auteur fait valoir qu'une exécution intervenant après une longue
période de détention dans le quartier des condamnés à mort dans des conditions
qui équivalent à un traitement inhumain et dégradant serait contraire
à l'article 7 du Pacte. Le Comité réaffirme, conformément à sa jurisprudence
constante, que la détention dans le quartier des condamnés à mort pendant
une durée précise - en l'espèce trois ans et demi - ne constitue pas une
violation du Pacte en l'absence d'autres circonstances impérieuses. Les
conditions de détention peuvent, par contre, constituer une violation
de l'article 7 ou de l'article 10 du Pacte. M. Taylor affirme qu'il est
détenu dans le quartier des condamnés à mort dans des conditions particulièrement
mauvaises et insalubres, ce que corroborent les documents joints à la
communication du conseil. Les cellules sont totalement insalubres, sans
lumière ni ventilation, et il n'y a ni matelas ni literie; les détenus
sont maintenus en cellule 23 heures par jour et les soins médicaux sont
inadéquats. Les affirmations de l'auteur n'ont pas été réfutées par l'Etat
partie qui a gardé le silence sur ce point. Dans ses observations, le
conseil résume les principaux arguments avancés dans ces documents et
montre que les conditions décrites affectent Patrick Taylor lui-même,
dans sa situation de condamné à mort. Le Comité considère que ces conditions
de détention, qui touchent M. Taylor directement, constituent une violation
du droit de ce dernier d'être traité avec humanité et avec le respect
de la dignité inhérente à la personne humaine, et sont donc contraires
au paragraphe 1 de l'article 10.
7.5 Le Comité considère qu'une condamnation à mort prononcée au terme
d'un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées
constitue, si le condamné n'a pas la possibilité de faire appel de cette
sentence, une violation de l'article 6 du Pacte. En l'espèce, l'auteur
n'a pas été effectivement représenté par un conseil lors du procès et,
faute d'aide judiciaire, n'a pas eu la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle.
Etant donné que, dans le cas de M. Taylor, la condamnation à mort définitive
a été prononcée sans que le droit à un procès équitable, consacré par
l'article 14 du Pacte, ait été respecté, force est de conclure que le
droit protégé par l'article 6 du Pacte n'a pas été respecté lui non plus.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi font apparaître des violations du paragraphe 3 de l'article
9, du paragraphe 1 de l'article 10, du paragraphe 1 et du paragraphe 3
c) de l'article 14, et par conséquent de l'article 6 du Pacte.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, Desmond Taylor
a droit à un recours utile qui doit être la commutation de sa peine.
10. En adhérant au Protocole facultatif, l'Etat partie a reconnu que
le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation
du Pacte. La communication a été présentée avant que la dénonciation du
Protocole facultatif par la Jamaïque ne prenne effet, le 23 janvier 1998;
conformément au paragraphe 2 de l'article 12 du Protocole facultatif,
les dispositions du Protocole continuent donc de s'appliquer à elle. Aux
termes de l'article 2 du Pacte, l'Etat partie s'est engagé à garantir
à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa
juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours
utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le Comité souhaite
recevoir de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
_____________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M.
Th. Buergenthal, Lord Colville, Mme Christine Chanet, M. Omran el Shafei,
Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin,
M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia./
** Le texte d'une opinion individuelle signée de M. Ando, M. Bhagwati,
M. Buergenthal et M. Kretzmer est joint au présent document./
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle signée de M. Nisuke Ando,
M. Prafullachandra Bhagwati, M. Th. Buergenthal
et M. D. Kretzmer
Les faits se rapportant à la communication adressée par l'auteur sont
exposés dans les constatations formulées par la majorité des membres et
il n'est donc pas nécessaire de les rappeler. Nous pouvons nous occuper
directement des questions soulevées dans la communication.
Les conclusions de la majorité des membres du Comité sont énoncées aux
paragraphes 7.1 à 7.5 des constatations. Nous approuvons celles qui figurent
aux paragraphes 7.1, 7.2 et 7.4 et nous ne voyons donc aucune raison de
revenir sur ce qui est dit dans ces paragraphes, si ce n'est pour indiquer
que nous y souscrivons entièrement; en revanche nous ne pouvons souscrire
au raisonnement et à la conclusion exposés au paragraphe 7.3. Nous sommes
d'avis qu'en l'espèce l'Etat partie n'était pas tenu d'accorder l'aide
judiciaire à l'auteur pour lui permettre de se pourvoir devant la Cour
constitutionnelle. Notre opinion est fondée sur les motifs ci-après.
Il est certes vrai que dans l'affaire Patrick Taylor le Comité a estimé
que l'octroi de l'aide judiciaire pour permettre à un accusé indigent
de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle était un des droits garantis
au paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte. Or en y réfléchissant davantage,
nous estimons que notre décision sur ce point dans l'affaire Patrick Taylor
mérite d'être réexaminée. Le paragraphe 3 d) de l'article 14 énonce le
droit d'être assisté par un défenseur garanti à un accusé indigent et
qui doit être respecté pour "toute personne accusée d'une infraction
pénale". C'est d'abord le juge du fond puis, sur appel, la cour d'appel,
qui se prononcent sur l'infraction pénale. La Cour constitutionnelle ne
détermine pas la culpabilité d'un accusé. Elle se limite à trancher des
questions de constitutionnalité - déterminant si la décision de la juridiction
de jugement ou de la cour d'appel a été entachée d'irrégularité au regard
de la Constitution. La Cour constitutionnelle ne se prononce pas sur la
culpabilité de l'accusé et la procédure menée devant cette juridiction
ne saurait donc pas être considérée comme une étape inhérente à la procédure
pénale qui aboutit à la détermination de la culpabilité d'une personne
accusée d'une infraction pénale. Par conséquent on ne peut que conclure
que le paragraphe 3 d) de l'article 14 ne s'applique pas au pourvoi devant
la Cour constitutionnelle.
De plus, les questions d'ordre constitutionnel que, d'après la communication,
l'auteur aurait pu soulever s'il avait pu introduire une requête devant
la Cour constitutionnelle, ont toutes été soulevées auparavant et de toute
façon auraient pu être évoquées devant la cour d'appel et la section judiciaire
du Conseil privé. La cour d'appel et la section judiciaire du Conseil
privé avaient compétence pour se prononcer sur des questions de constitutionnalité
se rapportant à la conformité d'une mesure exécutoire ou d'une procédure
judiciaire avec la Constitution et la loi et ces questions ont été ou
auraient pu être soulevées devant la cour d'appel et devant la section
judiciaire du Conseil privé. Or cette dernière a rejeté la demande d'autorisation
spéciale de former recours de l'auteur. Il n'était donc plus possible
pour lui de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle.
De surcroît, même si le paragraphe 3 d) de l'article 14 s'appliquait
à un recours devant la Cour constitutionnelle, ce qu'il impose c'est le
droit de se voir attribuer un défenseur, sans frais, "chaque fois
que l'intérêt de la justice l'exige". L'auteur n'a avancé aucun élément
sur la foi duquel le Comité puisse affirmer que les intérêts de la justice
exigeaient que l'auteur se voie attribuer un défenseur sans frais. Il
n'est donc pas possible de conclure que l'Etat partie a commis une violation
du paragraphe 3 d) de l'article 14 du Pacte.
Etant donné notre opinion sur cette affaire, nous ne pouvons pas conclure
à une quelconque violation du paragraphe 3 d) de l'article 14 et, pour
cette raison, du paragraphe 1 de l'article 14.