Comité des droits de l'homme
Soixante-sixième session
12 - 30 juillet 1999
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-sixième session -
Communication No 709/1996
Présentée par : Everton Bailey (Représenté par M. Anthony Poulton
du cabinet d'avocat londonien McFarlanes)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 23 avril 1996
Le Comité des droits de l'homme, créé en vertu de l'article 28
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 21 juillet 1999,
Ayant achevé l'examen de la communication No 709/1996 présentée
au Comité par M. Everton Bailey en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Everton Bailey, citoyen jamaïcain purgeant
actuellement une peine de prison à vie à la prison du district de Sainte-Catherine
(Jamaïque). Il affirme être victime de violations par la Jamaïque de l'article
7, du paragraphe 1 de l'article 10 et des paragraphes 1, 3 b) et e) et 5
de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
/ L'auteur a également présenté une communication (No 303/1988)
le 25 mai 1988 qui a été jugée irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de
l'article 5 du Protocole facultatif pour un non-épuisement des recours internes./.
Il est représenté par Mr. Anthony Poulton du cabinet d'avocat londonien
McFarlanes.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a été reconnu coupable, le 17 mars 1979, du meurtre d'Abraham
McKenzie, un fonctionnaire de police. Il a été condamné à mort le 9 novembre
1979 par la Home Circuit Court de Kingston (Jamaïque). La Cour d'appel l'a
débouté de son appel le 10 avril 1981. Entre 1981 et 1992, l'auteur était
représenté par deux cabinets d'avocats, dont aucun n'a jugé bon de soumettre
son cas à la section judiciaire du Conseil privé à Londres. En 1992, le
dossier de l'auteur a été transféré à son conseil actuel, qui a déposé une
demande spéciale d'autorisation de recours auprès de la section judiciaire
du Conseil privé qui a rejeté sa demande le 20 février 1995.
2.2 Le 7 janvier 1993, un juge unique de la Cour d'appel de Jamaïque a
requalifié l'infraction commise par l'auteur de crime non passible de la
peine de mort en application de la loi de 1992 portant modification de la
loi sur les atteintes aux personnes. La durée de la peine non compressible
imposée à l'auteur a été fixée à 20 ans à compter de la date de la requalification.
En conséquence, l'auteur ne peut bénéficier d'une mise en liberté conditionnelle
avant 2013.
2.3 L'auteur affirme qu'il a été arrêté en 1979 chez lui par la police
locale environ deux semaines après le meurtre. Il fait valoir que son arrestation
était fondée sur de fausses déclarations faites à la police par son ex-amie
et la soeur de celle-ci qui avaient prétendu qu'il y avait eu récemment
une altercation entre les deux hommes et que l'auteur possédait un revolver
/ Il ressort des minutes du procès que les déclarations de l'ex-amie
de l'auteur et de la soeur de celle-ci n'ont jamais été mentionnées devant
le tribunal et ont seulement servi de base à l'arrestation de l'auteur./.
Les deux femmes ont depuis lors rétracté leurs déclarations.
2.4 La thèse de l'accusation reposait sur l'identification. Selon le ministère
public, le 17 mars 1979, la victime s'était rendue dans un magasin situé
au 21 Heywood Street. Là, un témoin l'avait vue aux prises avec un inconnu.
Des coups de feu ont été entendus et M. McKenzie a été retrouvé mort des
suites de plusieurs blessures par balle. Le 18 avril 1979, l'auteur a participé
à une séance d'identification au cours de laquelle il a été reconnu par
quatre témoins comme étant l'homme qu'ils avaient vu glisser un revolver
dans la ceinture de son pantalon, avant de quitter la Cour où le corps de
M. McKenzie avait été retrouvé. Un autre témoin n'a reconnu aucune des personnes
qui avaient participé à la séance d'identification. Certains témoins ont
également déclaré qu'ils avaient vu un deuxième homme à l'entrée de la Cour
lorsque les coups de feu ont été tirés. Un revolver a été découvert sur
le lieu du crime mais un seul coup de feu avait été tiré avec cette arme
et la balle a été retrouvée sur les lieux. Deux autres balles, retirées
du corps de la victime, provenaient d'un revolver d'un autre type. L'accusation
a fait valoir que deux tireurs avaient participé au meurtre, à preuve que
l'arme laissée sur le lieu du crime n'était pas du même type que les armes
que portent les fonctionnaires de police.
2.5 La défense s'est fondée sur le fait que l'auteur avait un alibi. Ce
dernier affirme qu'il est resté chez lui toute la journée durant laquelle
les coups de feu ont été tirés, en compagnie de deux personnes, Trevor Francis
et Glenden Williams. Ces derniers ont été cités à comparaître en tant que
témoins de la défense mais aucun d'eux ne s'est présenté au tribunal le
jour où la défense a présenté ses éléments de preuve. N'ayant pas pu retrouver
les témoins, la défense a demandé que l'audience soit suspendue et la Cour
a fait droit à sa demande. Deux heures plus tard, à la reprise de l'audience,
les témoins restaient toujours introuvables; le juge a donc estimé que la
défense avait achevé de présenter ses preuves. L'auteur qui a témoigné sous
serment a donc été le seul à déposer pour la défense.
Teneur de la plainte
3.1 Le Conseil affirme que l'article 14 du Pacte a été violé à plusieurs
égards. Premièrement, il fait valoir qu'il y a eu violation du paragraphe
1 de cet article au motif que le juge n'a pas donné d'instructions correctes
aux jurés quant au risque de prononcer une condamnation en se fondant exclusivement
sur une identification et qu'il a commis une erreur en déclarant recevable
le témoignage selon lequel le prévenu avait gardé le silence chaque fois
qu'il avait été reconnu par un témoin lors de la séance d'identification,
ce qui laissait entendre qu'il était coupable. Le juge a même interrogé
l'accusé en présence des jurés au sujet de son silence donnant à penser
que son mutisme était la preuve de sa culpabilité.
3.2 Deuxièmement, le conseil affirme que le paragraphe 1 de l'article 14
a été violé parce que la preuve fondée sur l'identification présentée par
l'accusation était manifestement insuffisante. L'auteur fait valoir que
les cinq témoins qui ont assisté à la séance d'identification, dont les
trois qui ont déposé devant le tribunal, étaient de faux témoins et que
les preuves n'étaient pas suffisantes pour justifier une condamnation. À
propos de la condamnation qu'il estime abusive, le conseil mentionne également
des déclarations faites au Conseil jamaïcain des droits de l'homme en 1987
par l'ex-amie de l'auteur, par sa soeur et par le propriétaire d'un magasin
situé à proximité du lieu du crime. Dans leurs déclarations, l'ex-amie et
sa soeur affirment qu'elles ont menti à la police lorsqu'elles ont dit que
l'auteur possédait un revolver. La soeur de l'ex-amie affirme aussi qu'elle
voulait témoigner mais que la police l'a menacée de "l'enfermer et
l'inculper de faux témoignage". En outre, l'ex-amie déclare ce qui
suit : "Dans le quartier, tout le monde sait ... qu'il n'a pas tué
l'inspecteur." Le propriétaire du magasin, un certain "L. N.",
affirme dans sa déclaration, qu'au moment du meurtre, après avoir entendu
un coup de feu, il est sorti et a vu la victime qui se battait avec "un
homme de grande taille, mince, à la peau foncée" (alors que l'auteur
serait plut_t petit et fort); il a ensuite trouvé un revolver qu'il a remis
à la police. L. N. signale en outre qu'il a assisté à deux audiences préliminaires,
puis qu'il n'a plus entendu parler de rien jusqu'à ce qu'il apprenne que
l'auteur allait être exécuté. Toujours au sujet du caractère abusif de la
condamnation, un citoyen jamaïcain, qui aide l'auteur à titre privé, déclare
avoir parlé à plusieurs personnes qui affirment que l'auteur n'était pas
présent sur le lieu du crime.
3.3 Troisièmement, le conseil invoque une violation de l'article 14, au
motif qu'après la présentation des arguments de l'accusation, le juge a
autorisé l'examen de la question du non-lieu en présence des jurés. À la
suite de cet examen, le juge s'est prononcé en ces termes, en présence des
jurés : "Compte tenu des éléments de preuve présentes, je conclus que
l'accusé doit répondre de ses actes." Le conseil estime qu'il est contraire
à la jurisprudence du Conseil privé de Londres de faire de telles déclarations
en présence des jurés.
3.4 Quatrièmement, le conseil affirme qu'il y a eu violation des paragraphes
1 et 3 b) et e) de l'article 14, au motif que l'auteur n'a pas eu suffisamment
de temps pour préparer sa défense avec ses avocats avant le jugement et
qu'il n'a par conséquent pas été convenablement défendu par les conseils
commis d'office au titre de l'aide juridictionnelle. Il ajoute que l'auteur
n'a rencontré ses avocats que la veille du procès et qu'ils n'ont pas examiné
avec lui les déclarations faites par les témoins à charge ni discuté de
la nature des accusations portées contre lui. En outre, le conseil affirme
que les avocats commis d'office n'ont pas fait valoir, dans leur défense,
d'importants éléments de preuve que l'auteur avait portés à leur attention,
notamment le fait que les déclarations de son ex-amie et de sa soeur répondaient
à des motifs malveillants et que ces dernières les avaient rétractées ultérieurement
dans des déclarations sous serment recueillies par le Conseil jamaïcain
des droits de l'homme et que les avocats commis d'office ont refusé d'appeler
à la barre les témoins favorables à l'auteur, alors même qu'ils en avaient
été priés. Le conseil déclare également que le fait que les avocats qui
ont défendu l'auteur en première instance n'aient pas obtenu la présence
des témoins essentiels que sont Trevor Francis et Glendon Williams - dont
la présence était nécessaire pour établir l'alibi - et que l'auteur ait
été déclaré coupable bien que ces deux personnes n'aient pas témoigné, constitue
une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14.
3.5 Cinquièmement, le conseil invoque une violation des paragraphes 3 b)
et 5 de l'article 14 dans le cadre de la procédure suivie devant la cour
d'appel, dès lors que l'auteur a été privé de la possibilité de préparer
correctement son appel avec un avocat. Il fait valoir que le nouvel avocat
commis d'office au titre de l'aide juridictionnelle n'a pas soumis des moyens
d'appel satisfaisants et qu'il a inexplicablement renoncé à invoquer quatre
des cinq moyens d'appel.
3.6 Dans sa première communication au Comité (No 303/1988), l'auteur s'était
aussi plaint de ce que la cour d'appel n'avait prononcé qu'un jugement oral,
ses représentants ayant seulement reçu les notes de ce jugement. L'auteur
exprimait la crainte que, faute d'un jugement dûment motivé, sa demande
d'autorisation spéciale de faire recours auprès de la section judiciaire
du Conseil privé, serait inévitablement rejetée. Le conseil demande, en
termes généraux, dans la présente communication, que le Comité examine aussi
les motifs invoqués dans la communication précédente.
3.7 Enfin, le conseil affirme que les droits garantis à l'auteur en vertu
du paragraphe 1 de l'article 14 ont été violés dans le cadre de la procédure
de requalification par laquelle l'infraction commise par l'auteur a été
déclarée non passible de la peine de mort en vertu de l'article 7 de la
loi de 1992 portant modification de la loi sur les atteintes aux personnes
et la durée incompressible de la peine a été fixée à 20 ans à compter de
la date de la décision. Le conseil estime que l'auteur "a été en fait
déclaré coupable d'une nouvelle infraction et aurait donc dû bénéficier
des droits inhérents à une procédure de jugement complète". À ce propos,
le conseil affirme que l'auteur n'a été informé d'aucun des motifs à la
base de la requalification de l'infraction et de la fixation de la période
n'ouvrant pas droit à mise en liberté conditionnelle, et qu'il n'a eu aucune
possibilité de se faire entendre dans le cadre de la procédure devant le
juge unique.
3.8 Le conseil fait valoir que les 14 ans déjà passés par l'auteur dans
le quartier des condamnés à mort n'ont pas été pris en considération pour
fixer la durée de la période n'ouvrant pas droit à mise en liberté conditionnelle
et qu'il en résulte une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte, au motif que le fait d'être détenu en tant que condamné pendant
une aussi longue durée doit être considéré comme constituant un traitement
cruel, inhumain ou dégradant.
3.9 L'auteur affirme aussi que compte tenu des conditions atroces dans
lesquelles il est détenu à la prison du district de St. Catherine, il est
victime d'un traitement cruel, inhumain et dégradant en violation des articles
7 et du paragraphe 1 de l'article 10. Il mentionne un rapport établi par
Amnesty International à la suite d'une visite de la prison en novembre 1993,
et un autre sur les conditions de détention en Jamaïque et les droits de
l'homme, datant de 1990. Le conseil affirme aussi que, d'une manière générale,
l'auteur est sujet à de mauvais traitements et à des brutalités depuis qu'il
a été arrêté.
3.10 Le conseil fait valoir qu'en pratique l'auteur ne peut se prévaloir
des recours constitutionnels parce qu'il est indigent et que la Jamaïque
n'accorde pas d'aide juridictionnelle pour les requêtes constitutionnelles.
Il affirme donc que tous les recours internes ont été épuisés aux fins du
paragraphe 2 b) de l'article 5 du Protocole facultatif. Il est précisé que
l'affaire n'est pas soumise à une autre procédure d'enquête ou de règlement
internationale.
Observation de l'État partie et commentaires du conseil
4.1 Dans sa réponse du 16 décembre 1996, l'État partie, "afin d'accélérer
la procédure", formule également ses observations sur le fond.
4.2 Au sujet des allégations selon lesquelles les paragraphes 3 b) et 5
de l'article 14 ont été violés au motif que l'auteur n'a pas disposé d'un
délai suffisant pour préparer sa défense et en raison de la manière dont
les avocats commis d'office ont conduit la procédure en première instance
et en appel, l'État partie affirme qu'il ne s'agit pas de violations du
Pacte dont il peut être tenu responsable. Il lui incombe de fournir les
services d'un conseil compétent mais il n'est pas responsable de la manière
dont ce conseil assure la défense, par exemple du choix des moyens d'appel
à invoquer.
4.3 À propos de l'allégation selon laquelle il y a eu violation du paragraphe
3 e) de l'article 14, au motif que les deux témoins de la défense ne se
sont pas présentés à l'audience, l'État partie fait valoir qu'il n'est pas
clair si les deux personnes concernées ont été citées à comparaître ou si
on leur a simplement dit qu'elles devaient se présenter devant le tribunal
mais qu'elles ont décidé de ne pas le faire. L'État partie estime que, quoi
qu'il en soit, la non-comparution des témoins n'est pas une violation dont
la responsabilité peut lui être attribuée, à moins qu'il ne soit démontré
que, par ses actes ou par omission, l'État les a empêchés de témoigner.
4.4 S'agissant de l'affirmation selon laquelle il y a eu violation des
articles 7 et 10, au motif que le temps passé par l'auteur au quartier des
condamnés à mort n'a pas été pris en considération lorsque la durée incompressible
de la peine a été fixée en vertu de la loi de 1992 portant notification
de la loi sur les atteintes aux personnes, l'État partie répond que la loi
autorise le juge à décider qu'un détenu doit accomplir une certaine période
de détention avant de pouvoir bénéficier d'une mise en liberté conditionnelle
et qu'en prenant sa décision le juge tient compte de toutes les circonstances
pertinentes. Cet exercice de l'autorité judiciaire est entièrement légitime
et ne constitue en rien une violation du Pacte.
5.1 Dans ses commentaires datés du 4 mars 1997, le conseil déclare, au
nom de l'auteur, qu'il ne voit aucune objection à ce que la communication
soit examinée simultanément quant à la recevabilité et sur le fond.
5.2 Le conseil relève que l'État partie a reconnu qu'il avait l'obligation
de fournir les services d'un conseil compétent et souligne qu'il a clairement
manqué à ce devoir dans le cas de l'auteur. Le conseil fait valoir que la
responsabilité pour les insuffisances du défenseur de l'auteur incombe à
l'État dès lors que le fait de ne pas soutenir et rémunérer comme il convient
l'avocat commis d'office au titre de l'aide juridictionnelle ne peut qu'aboutir
à une représentation d'un niveau inférieur aux normes acceptables.
5.3 Au sujet de la non-comparution des deux témoins de la défense, le conseil
fait valoir qu'il a été établi que l'État, par son omission (la police n'a
pas pris les dispositions nécessaires pour assurer le transport des intéressés),
a empêché les témoins de la défense de témoigner.
5.4 Enfin, le conseil note que l'État partie ne nie pas que la cour d'appel
n'a rendu aucun jugement par écrit dans l'affaire de l'auteur. Il estime
que cette façon de procéder est contraire au paragraphe 5 de l'article 14
du Pacte. À cet égard, le conseil renvoie à la jurisprudence du Comité
/ Communication 230/1987, Raphael Henry c. Jamaïque, constatations
adoptées le 1er novembre 1991./.
Examen de la communication du point de vue de la recevabilité et quant
au fond
6.1 Avant d'examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'État partie a traité du fond de la communication
dans sa réponse, afin d'accélérer le processus d'examen. Le Comité est donc
fondé à examiner à la fois la recevabilité et le fond de la communication
à ce stade conformément au paragraphe 1 de l'article 94 du règlement intérieur.
Toutefois, selon le paragraphe 2 de l'article 94 du règlement intérieur,
le Comité ne se prononce pas sur le fond d'une communication sans avoir
examiné d'abord l'applicabilité des motifs de recevabilité visés dans le
Protocole facultatif.
6.3 Au sujet de l'allégation selon laquelle il y a eu violation de l'article
14, au motif que le moyen de preuve fondé sur l'identification était manifestement
insuffisant et que la condamnation était abusive, le Comité réaffirme que,
si l'article 14 garantit le droit à un jugement équitable, il appartient
généralement aux tribunaux nationaux d'examiner les faits et les éléments
de preuve dans une affaire donnée. Lorsqu'il examine des allégations de
violation de l'article 14 à cet égard, le Comité est seulement habilité
à vérifier si la condamnation a été arbitraire ou a constitué un déni de
justice. Or, les informations dont le Comité est saisi et les allégations
de l'auteur n'indiquent pas que l'évaluation des moyens de preuve par les
tribunaux ait souffert de telles irrégularités. En conséquence, cette partie
de la communication est irrecevable, l'auteur n'étant pas fondé à se prévaloir
de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.4 De même, il appartient aux cours d'appel des États parties de déterminer
si les instructions données par le juge aux jurés et la conduite du procès
ont été conformes à la législation nationale. Au sujet de l'allégation selon
laquelle il y a eu violation de l'article 14, au motif que le juge de première
instance a donné des instructions inappropriées au sujet du moyen de preuve
fondé sur l'identification et a permis que la question du non-lieu soit
examinée en présence des jurés, le Comité est seulement habilité à déterminer
si les instructions du juge aux jurés ont été arbitraires ou ont constitué
un déni de justice, ou si le juge a manifestement manqué à son devoir d'impartialité.
Or, les éléments dont le Comité est saisi et les allégations formulées par
l'auteur ne prouvent pas non plus que les instructions du juge de première
instance ou que la conduite du procès aient été entachées de telles irrégularités.
En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable car l'auteur
n'est pas fondé d'invoquer l'article 2 du Protocole facultatif.
6.5 L'auteur déclare qu'il est détenu dans le quartier des condamnés à
mort dans des conditions atroces, en violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10. Le Comité relève que l'État partie n'a pas abordé la
question. Toutefois, l'auteur n'a donné aucune précision au sujet desdites
conditions de détention et du préjudice qu'elles lui causent, et ne s'en
est jamais plaint auprès des autorités compétentes. Dans les circonstances
de l'affaire, le Comité rappelle qu'en règle générale, c'est à l'auteur
de prouver qu'il est victime de la violation invoquée. En l'espèce, le Comité
conclut donc que faute de preuves, la communication est irrecevable en vertu
de l'article 2 du Protocole facultatif. Le Comité décide de même que, n'ayant
pas été étayée, l'affirmation de l'auteur selon laquelle il est victime
de mauvais traitements et de brutalités depuis son arrestation est irrecevable
en vertu de la même disposition.
6.6 Le Comité déclare les autres allégations recevables et procède à leur
examen quant au fond, compte tenu des renseignements qui lui ont été soumis
par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l'article
5 du Protocole facultatif.
7.1 L'auteur affirme que sa défense "a été d'un niveau inférieur aux
normes acceptables parce qu'il n'a pas disposé d'un délai suffisant pour
se préparer pour son procès avec ses avocats commis d'office. En particulier,
il fait valoir que lesdits avocats ont omis d'invoquer, pour sa défense,
d'importants éléments de preuve qu'il avait portés à leur attention, notamment
le fait que les déclarations de son ex-amie et de sa soeur avaient été motivées
par la malveillance. L'auteur affirme également que les avocats commis d'office
ont refusé de citer des témoins en sa faveur, alors même qu'ils en avaient
été priés. Dans ce contexte, le Comité rappelle qu'il est impératif d'accorder
à l'accusé et à son conseil suffisamment de temps pour leur permettre de
préparer la défense mais l'État partie ne peut pas être tenu responsable
du manque de préparation ou des erreurs présumées des avocats de la défense,
sauf s'il a privé l'auteur et son conseil du temps nécessaire pour préparer
la défense ou s'il aurait dû être évident pour le tribunal que le comportement
de l'avocat était contraire aux intérêts de la justice. Le Comité note que
ni l'auteur ni son conseil n'ont demandé le renvoi du procès et que des
témoins à décharge ont, en fait, été cités à comparaître. Quant aux déclarations
de l'ex-amie de l'auteur, de sa soeur et du propriétaire du magasin, le
dénommé L. N., le Comité relève qu'elles ont été faites environ huit ans
après le procès et que L. N., contrairement à ce qu'il affirme dans sa déclaration,
a bel et bien témoigné au procès. Dans ces conditions, le Comité estime
que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation de l'article
14 pour les motifs invoqués.
7.2 De même, au sujet de l'allégation selon laquelle il y a eu violation
des paragraphe 3 d) et 5 de l'article 14 au motif que l'auteur n'a pas été
représenté efficacement en appel, le Comité note que le nouveau conseil
a, en fait, présenté des arguments en faveur de l'auteur devant la Cour
d'appel. Aucun élément du dossier n'indique que l'avocat n'a pas fait qu'exercer
son jugement professionnel lorsqu'il a décidé de ne pas invoquer certains
moyens. De même, aucun élément figurant au dossier ne permet de conclure
que l'État partie aurait privé l'auteur et son conseil du temps nécessaire
pour préparer l'appel, ou qu'il aurait dû être évident pour le tribunal
que le comportement de l'avocat était contraire aux intérêts de la justice.
Eu égard à sa jurisprudence, le Comité note qu'il a conclu à l'existence
de violations des dispositions en question dans des situations où le conseil
avait renoncé à tous les moyens d'appel et où le tribunal n'avait pas vérifié
que tel était bien le souhait du client. Cependant, cette jurisprudence
ne s'applique pas en l'espèce car le conseil a effectivement plaidé en faveur
de son client mais a choisi de ne pas invoquer certains moyens. En conséquence,
le Comité conclut qu'il n'y a pas eu en la matière violation des paragraphes
3 d) et 5 de l'article 14.
7.3 S'agissant de l'affirmation de l'auteur selon laquelle la responsabilité
de la non-comparution des témoins cités incombe à l'État partie qui, de
ce fait, a violé le paragraphe 3 e) de l'article 14, le Comité estime que
l'auteur n'a pas apporté la preuve que les autorités de l'État partie, en
ne prenant pas les dispositions voulues pour assurer le transport des témoins
ont privé de fait l'auteur de la possibilité d'appeler à la barre des témoins
à décharge. À ce propos, le Comité note également que cet argument n'a pas
été utilisé comme motif de recours devant la Cour d'appel. Sur la base des
pièces dont il est saisi, le Comité conclut qu'il n'y a pas eu violation
du Pacte à cet égard.
7.4 Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle il y a eu violation
du paragraphe 5 de l'article 14 au motif que la Cour d'appel n'a pas rendu
un jugement dûment motivé, le Comité rappelle sa jurisprudence antérieure
/ Communication No 230/1987, Henry c. Jamaïque, constatations
adoptées le 1er novembre 1991; communication No 283/1988, Little c. Jamaïque,
constatations adoptées le 1er novembre 1991./ dans laquelle il a estimé
que, pour pouvoir exercer son droit de demander le réexamen de la condamnation
et de la peine qui lui a été infligée devant une instance supérieure conformément
à la loi, une personne condamnée a le droit d'obtenir, dans un délai raisonnable,
un jugement écrit, dûment motivé. Bien que le paragraphe 5 de l'article
14 lui-même ne garantisse qu'un degré de recours, le Comité a interprété
les mots "conformément à la loi" comme signifiant que le droit
d'obtenir un jugement écrit, dûment motivé s'applique à toutes les possibilités
de recours prévues par le droit interne / Communication No 230/1987,
Henry c. Jamaïque, constatations adoptées le 1er novembre
1991, par. 8.4./. En conséquence, le Comité a conclu à l'existence de violations
dans des cas où le texte du jugement n'avait été communiqué dans un délai
raisonnable. En l'espèce, le Comité note que l'auteur et ses représentants
ont reçu les notes du jugement oral rendu par la Cour d'appel le 20 mars
1981 et constate que ces notes, même si elles sont moins complètes qu'il
n'est souhaitable, étaient suffisantes pour servir de base à un recours
ultérieur. Le Comité estime donc qu'en la matière, le paragraphe 5 de l'article
14 n'a pas été violé.
7.5 L'auteur affirme en outre que ses droits découlant du paragraphe 1
de l'article 14 ont été violés dans le cadre de la procédure de requalification
par laquelle l'infraction dont il a été reconnu coupable a été déclarée
non passible de la peine de mort, en application de l'article 7 de la loi
de 1992 portant modification de la loi sur les atteintes aux personnes,
et la période de détention n'ouvrant pas droit à mise en liberté conditionnelle
a été fixée à 20 ans. Il fait valoir que les motifs justifiant la durée
de cette période ne lui ont pas été communiqués et qu'on ne lui a pas donné
non plus la possibilité de participer à la procédure devant le juge unique.
Même si la loi prévoit une peine d'emprisonnement à vie pour les infractions
requalifiées comme non passibles de la peine de mort, le Comité note que,
lorsque le juge fixe la durée incompressible de la peine, il use de pouvoirs
discrétionnaires qui lui sont conférés par la loi de 1992 et prend une décision
distincte de la décision à accorder la grâce et qui fait partie intégrante
du processus d'examen judiciaire d'une accusation pénale. Le Comité constate
que l'État partie n'a pas contesté les affirmations de l'auteur selon lesquelles
il n'a pas eu la possibilité de se faire entendre avant la décision du juge.
Dans ces circonstances, le Comité estime qu'il y a eu violation des paragraphes
1 et 3 d) de l'article 14.
7.6 S'agissant de l'allégation selon laquelle il y a eu violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10, au motif que la période passée par
l'auteur dans le quartier des condamnés à mort (14 ans) s'ajoutant au fait
que la période incompressible de la peine qui lui a été infligée à été fixée
à 20 ans par le juge unique constitue un traitement cruel et inhumain, le
Comité rappelle qu'en vertu de sa jurisprudence, la durée de la période
passée dans le quartier des condamnés à mort ne constitue pas en soi une
violation de l'article 7. Pour ce qui est de la question de savoir si l'effet
conjugué des 14 ans passés dans le quartier des condamnés à mort et de la
durée de la période incompressible de la peine infligée à l'auteur, qui
a été fixée à 20 ans, constitue un traitement cruel et inhumain, le Comité
estime, eu égard à la nature de l'infraction, qu'il n'y a pas eu en la matière
violation de l'article 7 ou de l'article 10.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 3 d) de l'article
14 du Pacte.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2, l'État partie est tenu d'assurer
à M. Bailey un recours utile sous forme d'une réévaluation de la durée de
la période incompressible de la peine qui lui a été infligée, dans le cadre
d'une procédure garantissant à l'auteur l'exercice des droits qui lui sont
reconnus à l'article 14 du Pacte ou de quelque autre procédure appropriée.
L'État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se
reproduisent pas à l'avenir.
10. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le Comité
avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte.
L'affaire ayant été soumise avant que la dénonciation du Protocole facultatif
par la Jamaïque ne prenne effet, le 23 janvier 1998, elle demeure sujette
à l'application des dispositions du Protocole conformément au paragraphe
2 de l'article 12 du Protocole facultatif. En vertu de l'article 2 du Pacte,
l'État partie s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur
son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le
Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a
été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai
de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet
à ses constatations. L'État partie est également invité à publier les constatations
du Comité.
_____________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
N. Bhagwati, Mme Elizabeth Evatt, Mme Pilar Gaitán de Pombo, M. Eckart Klein,
M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto
Pocar, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski,
M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.
** Les textes de deux opinions individuelles signés par cinq membres du
Comité sont joints en annexe au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
APPENDICE
Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen
(exprimant son désaccord partiel)
J'ai une opinion individuelle au sujet du paragraphe 6.5. L'auteur affirme
qu'il est détenu dans le quartier des condamnés à mort dans des conditions
atroces, en violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10
du Pacte. Il affirme en outre, en particulier, qu'après son arrestation
il a été battu et brutalisé, et a donc été victime d'un traitement cruel,
inhumain et dégradant pendant les 14 années qu'il a passé dans le quartier
des condamnés à mort. Bien qu'il ait été informé de cette accusation, l'État
partie n'a fait aucune remarque à ce propos et n'a pas indiqué si une enquête
avait été ouverte. De ce fait, il a manqué à l'obligation qui lui incombe
en vertu du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif.
À l'appui de son allégation, l'auteur se réfère, sans joindre les documents
cités, à un rapport d'Amnesty International sur le traitement des prisonniers
dans la prison de St. Catherine et à un autre rapport sur les prisons jamaïcaines;
les deux documents portent sur la période de sa détention. Je considère
que l'allégation de l'auteur en ce qui concerne la violation du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte est recevable.
J'ai aussi une opinion individuelle au sujet du paragraphe 7.6. L'auteur
fait état d'une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article
10 du Pacte au motif qu'il a passé 14 ans dans le quartier des condamnés
à mort. Bien que le Comité considère que dans le cas des personnes condamnées
à la peine capitale, la durée de la période passée dans le quartier des
condamnés à mort ne constitue pas en elle-même une violation de l'article
7, cette jurisprudence n'est pas applicable pour deux raisons : premièrement,
à cause des mauvais traitements subis par l'auteur, dont il est question
au paragraphe 6.5, et deuxièmement, parce que l'infraction qu'il a commise,
n'est plus, du fait de sa requalification, passible de la peine de mort
et que les 14 ans passés par l'auteur dans le quartier des condamnés à mort
représentent, par conséquent, une période excessivement longue ce qui rend
recevable l'allégation de violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de
l'article 10.
(Signé) Hipólito Solari Yrigoyen
[Faite en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de Mme Elizabeth Evatt, cosignée par
Mme Pilar Gaitán de Pombo, Mme Cecilia Medina Quiroga et
M. Maxwell Yalden (exprimant un désaccord partiel)
Dans cette affaire, le Comité a jugé irrecevable l'allégation de l'auteur
selon laquelle il a été victime d'un traitement inhumain et dégradant en
violation du paragraphe 1 de l'article 10 du fait des conditions atroces
dans lesquelles il est détenu à la prison du district de St. Catherine.
L'auteur n'a pas fourni de précisions sur cette allégation se contentant
de mentionner dans sa communication un rapport établi par Amnesty International
à la suite d'une visite datant de 1993 et un autre intitulé "Conditions
de détention en Jamaïque, 1990". Ces rapports qui n'ont pas été joints
portent sur une période pendant laquelle l'auteur était détenu à la prison
du district de St. Catherine. Eu égard aux vues exprimées antérieurement
par le Comité selon lesquelles les conditions qui règnent dans le quartier
des condamnés à mort de la prison du district de St. Catherine constituent
une violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte et comme l'État partie
n'a pas répondu aux allégations de l'auteur, je suis d'avis que sa plainte
au titre du paragraphe 1 de l'article 10 a été suffisamment étayée aux fins
de la recevabilité et permet de conclure qu'il y a eu violation de cette
disposition.
(Signé) Elizabeth Evatt
(Signé) Pilar Gaitán de Pombo
(Signé) Cecilia Medina Quiroga
(Signé) Maxwell Yalden
[Faite en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]