Comité des droits de l'homme
Soixante-sixième session
12 - 30 juillet 1999
ANNEXE*
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Soixante-sixième session -
Communication No 718/1996**
Présentée par : Mme María Otilia Vargas Vargas représentée par
la Fundación de Ayuda Social de las Iglesias Cristiana
Au nom de : Mme María Otilia Vargas et de son fils, M.Dagoberto
Pérez Vargas
État partie : Chili
Date de la communication : 3 mai 1996
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 1999,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. La communication est présentée par María Otilia Vargas Vargas en son
propre nom et au nom de son fils, Dagoberto Pérez Vargas, de nationalité
chilienne. Ce dernier a disparu en 1973 et sa mort cette même année a
été confirmée par la suite. Il aurait été victime de violations par le
Chili de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques, de l'article 5, ainsi que du paragraphe 1 de l'article
14, des paragraphes 1 et 2 de l'article 15, de l'article 16 et de l'article
26. Les droits de Mme Vargas Vargas ont été violés en sa qualité de parent.
Les victimes présumées sont représentées par Nelson G. C. Pereira, de
la Fondation d'aide sociale des Églises chrétiennes (Fundación de Ayuda
Social de las Iglesias Cristianas).
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 16 octobre 1973, un affrontement armé avait éclaté entre les membres
de la Direction des services de renseignements nationaux, la DINA (Dirección
de Inteligencia Nacional), aujourd'hui disparue, et des membres du
groupe rebelle Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR - Movimiento
de Izquierda Revolucionario) auquel Dagoberto Pérez appartenait. On
a supposé qu'il avait été tué dans cet affrontement car le corps n'avait
jamais été retrouvé, mais les seules informations que la famille aient
jamais eues sur son sort étaient officieuses. Jamais les proches de la
victime n'ont été avisés du lieu où se trouvait le corps, des circonstances
de la mort ni de l'endroit où il avait été tué, ni de l'identité des responsables.
2.2 Une action a été engagée le 28 avril 1991 devant la juridiction métropolitaine
de Santiago (Juzgado de Letras de Talagante, Región Metropolitana)
en vue de déterminer les circonstances de la mort de M. Pérez Vargas.
Une plainte pénale contre X a été déposée pour enlèvement aggravé ayant
abouti à un meurtre et association de malfaiteurs. Le 24 août 1993, le
magistrat du tribunal de Talagante a déclaré qu'il n'avait pas compétence
pour examiner l'affaire et l'a renvoyée à une juridiction militaire parce
que deux officiers de l'armée semblaient avoir enquêté sur les lieux de
l'incident. Le conseil note que la cour d'appel de San Miguel a par la
suite renvoyé le recours dont elle avait été saisie à une juridiction
militaire.
2.3 Le 24 août 1994, la deuxième juridiction militaire de Santiago (II
Juzgado Militar de Santiago) a prononcé le non-lieu définitif (sobreseimiento
definitivo) conformément à la loi No 2.191 de 1978, sans continuer
les investigations. Le 9 mai 1995, la Cour martiale (Corte Marcial)
a confirmé la décision. L'un des juges civils a émis une opinion dissidente,
estimant que la procédure devait être reprise au stade de l'enquête.
2.4 Un recours en plainte (recurso de queja) a alors été formé
auprès de la Cour suprême pour abus de pouvoir de la part de la juridiction
militaire et de la Cour martiale, qui avaient ordonné l'abandon des poursuites
en vertu des dispositions du décret d'amnistie de 1978. Le 2 octobre 1995,
la Cour suprême a rejeté le recours sans donner de motif. Le conseil indique
que les recours internes disponibles ont donc été épuisés.
Teneur de la plainte
3.1 Le recours formé devant la Cour suprême était motivé par des violations
par les autorités chiliennes de la législation nationale autant que des
conventions internationales. Il était fait référence aux Conventions de
Genève de 1949, en vigueur pour le Chili depuis avril 1951, en vertu desquelles
certains actes illicites commis pendant un conflit armé ne présentant
pas un caractère international ne peuvent pas être amnistiés. Il était
affirmé à ce sujet que les événements qui faisaient l'objet de l'enquête
étaient survenus pendant l'état de siège (Estado de sitio en grado
de "Defensa Interna") au Chili. Le conseil fait valoir qu'en
agissant comme elles le font, les autorités chiliennes actuelles ferment
les yeux sur les actes perpétrés par l'ancien régime militaire et s'en
font les complices.
3.2 Le conseil fait valoir que, quelle que soit la définition donnée
des événements, c'est-à-dire qu'ils tombent sous le coup des Conventions
de Genève ou du paragraphe 2 de l'article 15 du Pacte, ces événements
constituent des actes ou omissions qui, au moment où ils ont été commis,
étaient des actes criminels au sens des principes généraux du droit reconnus
par la communauté des nations et qui ne sont pas susceptibles d'être prescrits
ou de faire l'objet d'une amnistie unilatérale décrétée par un État. Le
conseil affirme qu'en appliquant le décret-loi d'amnistie No 2.191 de
1978, le Chili a accordé l'impunité aux responsables. D'après le conseil,
l'État a manqué à son obligation d'enquêter sur des crimes relevant du
droit international et de traduire les responsables en justice et, par
conséquent, de déterminer le sort des victimes. Cela signifie que des
droits fondamentaux de l'auteur et de sa famille ont été violés. D'après
le conseil, il y a violation du paragraphe 2 de l'article 15 du Pacte
en ce que des actes criminels ont été unilatéralement et illégalement
amnistiés par l'État.
3.3 Le conseil affirme que l'application de la loi d'amnistie No 2.191
de 1978 a privé la victime et sa famille du droit à la justice, y compris
du droit à un procès équitable et à une réparation appropriée pour les
violations du Pacte qu'elles ont subies / Il est fait référence
à ce sujet à la décision de la Commission interaméricaine des droits de
l'homme dans l'affaire Velasquez Rodriguez./. D'après le conseil,
il y a également eu violation de l'article 14 du Pacte parce que la victime
et sa famille n'ont pas eu accès, en toute égalité, aux tribunaux et n'ont
pas non plus bénéficié d'un procès équitable et impartial. Étant donné
que ce sont des juridictions militaires qui ont été saisies de l'affaire,
le principe de l'égalité du droit à la défense n'a pas été respecté.
3.4 D'après le conseil, la décision des tribunaux militaires de ne pas
enquêter sur les circonstances de la mort de la victime constitue une
violation de l'article 16 du Pacte, c'est-à-dire une violation du droit
de la victime à la reconnaissance de sa personnalité juridique.
3.5 En ce qui concerne la réserve émise par le Chili lors de la ratification
du Protocole facultatif, en 1992, le conseil fait valoir que, même si
les événements se sont produits avant le 11 mars 1990, la décision qu'il
conteste est l'arrêt de la Cour suprême d'octobre 1995.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
4.1 Dans des réponses datées du 6 décembre 1996, du 12 février 1997 et
du 9 février 1998, l'État partie relate en détail l'historique de chaque
affaire et de la loi d'amnistie de 1978 et donne notamment des détails
sur le décès de M. Pérez Vargas. Il reconnaît spécifiquement que les faits
se sont bien produits comme l'auteur les décrit. C'était effectivement
en réaction aux graves violations des droits fondamentaux commises par
l'ancien régime militaire que l'ancien Président Aylwin avait créé la
Commission nationale de la vérité et de la réconciliation, par le décret
du 25 avril 1990. Pour son rapport, la Commission devait dresser un catalogue
complet des violations des droits de l'homme qui avaient été portées à
sa connaissance : parmi tous les cas figurait l'affaire de l'auteur. Celui-ci
note que l'affaire est exposée dans la deuxième partie du volume I du
rapport final de la Commission; la conclusion est que sa mort était attribuable
à la "violence politique".
4.2 L'État partie fait valoir que les faits qui sont à l'origine de la
communication ne peuvent pas être attribués au(x) gouvernement(s) constitutionnellement
élu(s) qui a ou qui ont succédé au régime militaire. Il expose en détail
le contexte historique dans lequel de très nombreux Chiliens ont disparu
et ont été victimes d'exécutions sommaires et extrajudiciaires sous le
régime militaire.
4.3 L'État partie souligne qu'il n'est pas possible d'abroger le décret
d'amnistie de 1978 pour diverses raisons. Premièrement, l'initiative de
la loi dans des domaines comme l'amnistie appartient exclusivement au
Sénat (art. 62 de la Constitution), où le Gouvernement est minoritaire.
Deuxièmement, l'abrogation de la loi n'aurait pas nécessairement d'incidences
pénales sur les coupables éventuels, l'application rétroactive de la loi
pénale étant interdite. Ce principe est consacré au paragraphe 3 de l'article
19 de la Constitution du Chili et au paragraphe 1 de l'article 15 du Pacte.
La troisième raison tient à la composition du Tribunal constitutionnel.
La quatrième au mode de désignation des commandants en chef des forces
armées : le Président de la République ne peut destituer les officiers
en titre, parmi lesquels le général Pinochet. Enfin, la composition et
les attributions du Conseil national de sécurité (Consejo de Seguridad
Nacional) limitent les attributions des autorités démocratiques dans
tous les domaines ayant trait à la sécurité intérieure ou extérieure du
pays.
4.4 L'État partie fait observer de plus que l'existence de la loi d'amnistie
n'empêche en aucune manière la poursuite des enquêtes pénales en cours
devant les tribunaux chiliens. Ainsi, le décret-loi d'amnistie de 1978
peut éteindre la responsabilité pénale des personnes accusées d'avoir
commis des crimes sous le régime militaire, mais il ne peut en aucune
manière suspendre la poursuite des enquêtes qui visent à déterminer le
sort des particuliers qui avaient été arrêtés à l'époque et qui avaient
par la suite disparu. Telle est l'interprétation du décret donnée par
la Cour martiale comme par la Cour suprême.
4.5 Le Gouvernement souligne que la Constitution du Chili protège l'indépendance
du pouvoir judiciaire (art. 73). Par conséquent, le pouvoir exécutif ne
peut pas intervenir dans l'application et l'interprétation des lois internes
par les tribunaux, même si les décisions de ces derniers vont à l'encontre
des intérêts du Gouvernement.
4.6 En ce qui concerne les termes de la loi d'amnistie, l'État partie
souligne qu'il faut concilier le désir de réconciliation et d'apaisement
de la société avec la nécessité de faire éclater la vérité sur les violations
des droits de l'homme commises dans le passé et d'obtenir justice. C'est
guidé par ces critères que l'ancien Président Aylwin a créé la Commission
de la vérité et de la réconciliation. Pour l'État partie, la composition
de cette commission était un modèle de représentativité puisqu'elle comptait
parmi ses membres des personnes proches de l'ancien régime militaire,
d'anciens magistrats et des membres de la société civile, notamment le
fondateur et Président de la Commission chilienne des droits de l'homme.
4.7 L'État partie fait une distinction entre l'amnistie accordée de fait
par un régime autoritaire, qui ne dénonce pas les violations massives
des droits de l'homme, n'ouvre pas d'enquête ou adopte des mesures conçues
pour garantir l'impunité des membres du régime, d'une part, et une amnistie
proclamée par un régime démocratique constitutionnellement élu, d'autre
part. Il fait valoir que les gouvernements constitutionnellement élus
qui se sont succédé au Chili n'ont pas adopté de mesures ou de décrets
d'amnistie qui pourraient être réputés incompatibles avec les dispositions
du Pacte et n'ont pas davantage commis d'actes qui constitueraient un
manquement aux obligations contractées par le Chili en vertu du Pacte.
4.8 L'État partie rappelle que, lorsque le mandat de la Commission de
la vérité et de la réconciliation est venu à expiration, un autre organe
- la Corporación Nacional de Reparación y Reconciliación - a continué
le travail de l'ancienne Commission, ce qui marque la volonté du Gouvernement
d'enquêter sur les violations massives commises par l'ancien régime militaire.
En août 1996, la Corporación Nacional a présenté au Gouvernement
un rapport détaillé dans lequel elle a ajouté les cas de 899 autres victimes
de l'ancien régime. Cet organe surveille également l'application d'une
politique d'indemnisation en faveur des victimes, qui avait été recommandée
par la Commission de la vérité et de la réconciliation.
4.9 Le fondement juridique de l'indemnisation des victimes de l'ancien
régime militaire est la loi No 19.123 du 8 février 1992, par laquelle
- la Corporación Nacional est créée, avec pour mandat d'assurer
l'indemnisation des victimes des violations des droits fondamentaux désignées
dans le rapport final de la Commission de la vérité et de la réconciliation;
- la Corporación Nacional a pour mandat de poursuivre les enquêtes
sur les situations et les affaires dont la Commission de la vérité et
de la réconciliation n'avait pas pu établir si elles étaient dues à la
violence politique;
- un plafond est fixé aux pensions d'indemnisation à accorder dans chaque
cas, en fonction du nombre de bénéficiaires;
- il est décidé que les pensions seront révisables, suivant le système
général des pensions;
- il est accordé une "bonification" équivalant à 12 mensualités
de la pension d'indemnisation;
- les pensions sont augmentées du montant des cotisations d'assurance
maladie mensuelles, de sorte que toutes les dépenses de santé seront prises
en charge par l'État;
- il est décidé que l'éducation des enfants des victimes de l'ancien
régime sera à la charge de l'État, y compris les études universitaires;
- il est décidé que les enfants de victimes de l'ancien régime peuvent
demander à être exemptés du service militaire.
Conformément aux principes directeurs ci-dessus, les parents de M. Pérez
Vargas ont reçu et continuent de recevoir une pension mensuelle.
4.10 Étant donné ce qui précède, l'État partie demande au Comité d'établir
qu'il ne peut pas être tenu pour responsable des actes qui sont à l'origine
de la présente communication. Il lui demande en outre de conclure que
la création de la Commission nationale de la vérité et de la réconciliation
et les mesures correctrices prescrites dans la loi No 19.123 constituent
une réparation appropriée au sens de l'article 2 du Pacte.
4.11 L'État partie rappelle aussi qu'avec le passage à la démocratie,
les victimes de l'ancien régime ont pu compter sur la coopération pleine
et entière des autorités pour recouvrer, dans les limites dictées par
la loi et par les circonstances, leur dignité et l'exercice de leurs droits.
Il est fait référence aux travaux en cours de la Corporación Nacional
de Reparación y Reconciliación.
5.1 Dans ses observations, le conseil conteste plusieurs des observations
de l'État partie. Il fait valoir que la défense présentée par l'État partie
ignore ou, à tout le moins, interprète mal les obligations contractées
par le Chili en droit international qui, d'après lui, imposent au Gouvernement
de prendre des mesures pour atténuer ou supprimer les effets du décret
d'amnistie de 1978. L'article 2 de la Convention américaine relative aux
droits de l'homme et le paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte imposent
à l'État partie l'obligation d'adopter les mesures nécessaires (d'ordre
législatif, administratif ou judiciaire) propres à donner effet aux droits
consacrés dans ces deux instruments. D'après le conseil, il est erroné
de faire valoir qu'il n'existe pas d'autre moyen que d'abroger ou de déclarer
nul le décret d'amnistie de 1978 : rien n'empêche l'État partie de déclarer
l'amnistie en faveur de ceux qui ont commis des actes illégaux, sauf quand
ces actes illégaux constituent des crimes à caractère international ou
des crimes contre l'humanité. Or, d'après le conseil, les faits à l'origine
de la présente communication entrent dans la deuxième catégorie.
5.2 Pour le conseil, il est tout aussi faux de prétendre que le principe
de la non-rétroactivité de la loi pénale empêche de poursuivre les responsables
présumés des violations graves des droits fondamentaux commises sous le
régime militaire. Ce principe ne s'applique pas aux crimes contre l'humanité,
qui sont imprescriptibles. De surcroît, si l'application du principe de
la non-rétroactivité de la loi pénale bénéficie au responsable mais entre
en conflit avec d'autres droits fondamentaux des victimes, comme le droit
à réparation, le conflit doit être réglé en faveur de la victime car il
découle de violations des droits fondamentaux, tels que le droit à la
vie, à la liberté ou à l'intégrité physique. En d'autres termes, le responsable
de crimes graves ne peut pas avoir davantage de droits que les victimes
des crimes qu'il a commis.
5.3 Le conseil affirme en outre que, d'un point de vue strictement juridique,
avec la modification en 1989 de la Constitution et avec l'incorporation
dans le droit interne des dispositions des instruments internationaux
et régionaux de défense des droits de l'homme comme la Convention américaine
relative aux droits de l'homme et le Pacte, l'État partie a abrogé implicitement
toutes les dispositions (internes) incompatibles avec ces instruments,
ce qui est le cas du décret-loi d'amnistie No 2.191 de 1978.
5.4 En réponse à l'argument de l'État partie qui invoque la nécessité
de garantir l'indépendance du pouvoir judiciaire, le conseil reconnaît
que l'application du décret d'amnistie et par conséquent le déni aux victimes
de l'ancien régime militaire de l'exercice de voies de recours sont des
actes appartenant aux tribunaux chiliens, en particulier aux juridictions
militaires et à la Cour suprême. Toutefois, si ces organes sont assurément
indépendants, ils demeurent des agents de l'État et leurs actes engagent
donc la responsabilité de l'État s'ils sont incompatibles avec les obligations
que celui-ci a contractées en droit international. Le conseil qualifie
donc d'inacceptable l'argument de l'État partie qui objecte qu'il ne peut
pas intervenir dans l'action du pouvoir judiciaire : aucun système politique
ne peut justifier la violation de droits fondamentaux par l'une des branches
du pouvoir et il serait absurde de conclure que, tandis que le pouvoir
exécutif s'efforce d'encourager le respect des normes internationales
en matière de droits de l'homme, l'appareil judiciaire peut agir de façon
contraire à ces normes ou simplement les ignorer.
5.5 Le conseil fait valoir enfin que l'État partie s'est servi à mauvais
escient des conclusions de plusieurs rapports et décisions de la Commission
interaméricaine des droits de l'homme à l'appui de son argumentation.
Pour le conseil, il est évident que la Commission considérerait toute
forme d'amnistie qui empêche la manifestation de la vérité et entrave
la justice, dans des domaines tels que les disparitions forcées et involontaires
et les exécutions sommaires, comme incompatible avec la Convention américaine
relative aux droits de l'homme et attentatoire à ses dispositions.
5.6 Dans une autre réponse, le conseil réitère les griefs résumés aux
paragraphes 3.2 et 3.3 ci-dessus. Ce qui est en cause dans la présente
affaire, ce n'est pas l'octroi d'une forme quelconque d'indemnisation
aux victimes de l'ancien régime, c'est le déni de justice qu'elles ont
subi : l'État partie se limite à avancer qu'il ne peut pas enquêter
sur les crimes commis par le régime militaire et poursuivre les responsables,
fermant ainsi toute voie de recours judiciaire aux victimes. Pour le conseil,
il n'y a pas de meilleure réparation que la manifestation de la vérité
par la voie judiciaire et que le jugement des présumés responsables de
ces crimes. Dans l'affaire qui fait l'objet de la communication, il s'agirait
donc de déterminer où la victime a été ensevelie, pourquoi elle a été
assassinée, qui l'a tuée ou qui a donné l'ordre de la tuer, et ensuite
d'inculper et de juger les responsables.
5.7 Le conseil ajoute que son interprétation de la nullité du décret-loi
d'amnistie No 2.191 de 1978 au regard du droit international et du Pacte
a été confirmée par la Commission interaméricaine des droits de l'homme
dans une résolution adoptée en mars 1997. La Commission a estimé dans
cette résolution que la loi d'amnistie était contraire à la Convention
américaine relative aux droits de l'homme et a enjoint l'État partie de
modifier sa législation en conséquence. Le Gouvernement chilien était
prié de poursuivre les enquêtes sur les disparitions qui s'étaient produites
sous l'ancien régime et d'inculper, de poursuivre et de juger les responsables.
Pour le conseil, la résolution de la Commission établit parfaitement la
responsabilité du Chili pour des faits et actes tels que ceux qui sont
à l'origine de la présente communication.
Considérations relatives à la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'État partie ne conteste pas explicitement la
recevabilité de la communication, bien qu'il fasse observer que les faits
dénoncés par l'auteur, dont la proclamation du décret d'amnistie de 1978,
se sont produits avant l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour
le Chili, lequel a ratifié cet instrument le 28 août 1992 avec la mention
suivante : "Le Gouvernement chilien reconnaît la compétence du Comité
des droits de l'homme à recevoir et examiner des communications émanant
de particuliers, étant entendu que cette compétence vaut pour des faits
survenus après l'entrée en vigueur pour le Chili du Protocole facultatif
ou en tout cas après le 11 mars 1990".
6.3 Le Comité note que l'auteur conteste aussi l'arrêt rendu par la Cour
suprême du Chili le 2 octobre 1995, rejetant sa demande de révision de
décisions antérieures défavorables rendues par des juridictions militaires.
6.4 Le Comité note que les actes sur lesquels est fondée la plainte relative
au décès de M. Pérez Vargas se sont produits avant l'entrée en vigueur
du Pacte au niveau international, le 23 mars 1976, ce qui rend la plainte
irrecevable ratione temporis. L'arrêt rendu par la Cour suprême
en 1995 ne peut être considéré comme un fait nouveau susceptible de porter
atteinte aux droits d'une personne qui a été tuée en 1973. En conséquence,
la communication est irrecevable en ce qui concerne M. Pérez Vargas, en
vertu de l'article premier du Protocole facultatif. Par conséquent, le
Comité n'a pas à se prononcer sur la question de savoir si la déclaration
faite par le Chili lors de la ratification du Protocole facultatif doit
être considérée comme une réserve ou comme une simple déclaration.
6.5 Le Comité note que la communication a été présentée par Mme María
Otilia Vargas Vargas, la mère de M. Pérez Vargas, et que l'État partie
lui a conféré le statut de victime de violations présumées du Pacte. Avec
le rejet du recours de l'auteur par la Cour suprême en octobre 1995, tous
les recours internes disponibles ont été épuisés. L'État partie a lui-même
fait valoir que le décret d'amnistie No 2.191 de 1978 ne pouvait pas être
abrogé ni annulé, d'où le Comité conclut que toute contestation judiciaire
du décret, par voie constitutionnelle ou autre, serait vouée à l'échec.
Le Comité conclut donc que les conditions énoncées au paragraphe 2 b)
de l'article 5 du Protocole facultatif sont réunies dans la présente affaire
en ce qui concerne Mme María Otilia Vargas Vargas.
6.6 Le Comité note que les faits dénoncés par Mme Vargas Vargas se sont
produits avant l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour le Chili.
Toutefois, la décision qu'elle attaque est l'arrêt rendu en octobre 1995
par la Cour suprême du Chili, c'est-à-dire des actes qui se sont produits
après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l'État partie.
Le Comité n'est donc pas empêché ratione temporis d'examiner la
communication de Mme Vargas Vargas.
6.7 Le Comité note que la plainte soumise au nom de Mme Vargas Vargas
a un caractère général et découle simplement des faits dénoncés concernant
M. Pérez Vargas. Mme Vargas Vargas n'a pas précisé lesquels de ses droits
au titre du Pacte ont été violés par l'arrêt rendu en 1995 par la Cour
suprême. Par conséquent, le Comité estime que la plainte soumise au nom
de Mme Vargas Vargas n'a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité
et doit donc être considérée comme irrecevable au regard des dispositions
de l'article 2 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie, à l'auteur
et à son conseil.
_______________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
N. Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth Evatt,
Mme Pilar Gaitán de Pombo, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen,
M. Roman Wieruszewski et M. Abdallah Zakhia./
** Conformément à l'article 85 du Règlement intérieur du Comité, Mme
Cecilia Medina Quiroga n'a pas pris part à l'examen de l'affaire.
*** Le texte d'une opinion individuelle signée de deux membres du Comité
est joint au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport
annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
APPENDICE
Opinion individuelle de Mme Christine Chanet concernant les communications
Nos 717/1996 et 718/1996, et cosignée par M. Fausto Pocar en
ce qui
concerne la communication No 718/1996
Je conteste la décision du Comité qui, dans les deux communications a
évincé les demandeurs sur le fondement de la réserve "ratione
temporis" émise par le Chili au moment de son adhésion au Protocole
facultatif.
De mon point de vue, la question ne pouvait être abordée de cette manière
dès lors que des décisions judiciaires de l'État partie étaient intervenues
postérieurement à la date fixée par ce dernier dans sa réserve et que
le problème posé au regard de l'article 16 du Pacte concerne une situation
qui tant qu'elle n'est pas définitivement close a des effets prolongés.
Au cas d'espèce, même si les circonstances de fait des deux communications
divergent, l'attitude de l'État au regard des conséquences à tirer des
disparitions posait nécessairement une question au regard de l'article
16 du Pacte.
En effet, ce texte reconnaît à chacun le droit à la personnalité juridique.
Ce droit, s'il cesse à la mort de la personne connaît des effets qui
perdurent après la mort; tel est le cas notamment du testament ou de la
question épineuse posée par les dons d'organes.
Ce droit demeure a fortiori lorsqu'une incertitude entoure l'absence;
la personne peut réapparaître et même si elle n'est pas présente, elle
ne perd pas son existence légale; on ne peut substituer une mort civile
à la mort naturelle établie.
Ces constatations n'impliquent pas que ce droit a une durée indéterminée
: en effet, soit l'identification du corps est incontestable et la mort
peut être déclarée, soit l'incertitude demeure sur l'absence ou l'identification
et l'État doit fixer des règles applicables à tous ces cas de figure;
il peut par exemple fixer un délai au terme duquel la personne disparue
est considérée comme morte.
C'est au cas particulier ce que le Comité aurait dû chercher à savoir
en examinant les affaires au fond.
Ch. Chanet (signé)
Fausto Pocar (signé)
[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra
ultérieurement en arabe et en russe dans le rapport annuel présenté par
le Comité à l'Assemblée générale.]