Comité des droits de l'homme
Soixante-quatrième session
19 octobre - 6 novembre 1998
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-quatrième session -
Communication No 719/1996
Présentée par : Conroy Levy (représenté par un cabinet d'avocats
de Londres, Simons Muirhead et Burton)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 17 mai 1996 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 novembre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 719/1996, présentée
au Comité par M. Conroy Levy en vertu du Protocole facultatif se rapportant
au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État
partie,
Adopte les constatations suivantes :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Conroy Levy, de nationalité jamaïcaine,
en attente d'exécution à la prison du district de St. Catherine à Kingston
(Jamaïque). Il se déclare victime de violations par la Jamaïque des articles
6, 7, du paragraphe 1 de l'article 10 et des alinéas b) et d) du paragraphe
3 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il est représenté par M. Saul Lehrfreund, du cabinet d'avocats londonien
Simons Muirhead et Burton.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 16 octobre 1990, l'auteur a été arrêté et inculpé du meurtre d'un
certain Philippe Dussard. Le 8 avril 1992, il a été reconnu coupable de
ce chef d'inculpation et condamné à mort par la Home Circuit Court
de Kingston. Le 13 juin 1994, la Cour d'appel de la Jamaïque l'a débouté
et a requalifié l'infraction dont il avait été reconnu coupable de meurtre
emportant la peine capitale, en vertu de l'article 2 de la loi de 1992 portant
modification de la loi relative aux atteintes aux personnes. Le 22 juin
1995, une demande d'autorisation spéciale de former recours contre la décision
de requalifier l'infraction a été déposée devant la section judiciaire du
Conseil privé au motif que la Cour d'appel n'avait pas compétence pour requalifier
une infraction à l'issue d'une procédure de recours dès lors que l'auteur
du recours était débouté. Cependant, le greffier du Conseil privé a attendu,
pour mettre la cause au r_le, de connaître l'issue d'un recours formé par
Leroy Morgan et Samuel Williams, dont l'affaire avait donné lieu pour une
question similaire à une autorisation spéciale. Le 7 mars 1996, la section
judiciaire du Conseil privé a rendu son jugement en l'affaire Morgan
and Williams. Elle a autorisé les requérants à former recours et infirmé
les requalifications de la Cour d'appel au motif que celle-ci avait excédé
sa compétence, les déclarant nulles et non avenues. En conséquence, la requalification
de l'infraction de M. Levy était également nulle et non avenue, et il convenait
de reprendre à son point de départ le processus de requalification conformément
à l'article 7 de la loi de 1992 portant modification de la loi relative
aux atteintes aux personnes, qui stipule que l'examen doit d'abord être
effectué par un juge unique de la Cour d'appel puis, si un recours est formé,
par trois juges désignés et non par la Cour d'appel en tant que telle. L'infraction
de l'auteur a été requalifiée d'infraction emportant la peine capitale une
première fois par un juge unique en juin 1996 puis de nouveau, en appel,
par trois juges le 19 novembre 1996.
2.2 Sur la question de l'épuisement des recours internes, le conseil explique
que l'auteur ne s'est pas pourvu devant la Cour suprême (constitutionnelle).
Il fait valoir qu'une requête constitutionnelle auprès de la Cour suprême
est vouée à l'échec étant donné le précédent judiciaire créé par la section
judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Huntley v. Attorney General
for Jamaica (1995) (1 ALL ER 308). Le conseil fait en outre valoir que
si l'on peut considérer, en théorie, qu'un recours constitutionnel est encore
ouvert à l'auteur, dans la pratique il ne lui est pas disponible parce qu'il
est indigent et que l'aide judiciaire n'est pas prévue. Il fait référence
aux constatations du Comité / Communication No 445/1991, Lynden
Champagnie, Delroy Palmer et Oswald Chisholm./ qui a conclu qu'en l'absence
d'aide judiciaire, la requête constitutionnelle n'est pas un recours disponible.
Par conséquent, les recours internes sont épuisés.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil fait valoir que la procédure de requalification en meurtre
emportant la peine capitale est une violation des paragraphes 1 et 3 de
l'article 14 du Pacte. La loi de 1992 portant modification de la loi relative
aux atteintes aux personnes crée deux catégories de meurtres : le meurtre
emportant la peine capitale et le meurtre ne l'emportant pas. L'article
7 de cette loi prévoit que les condamnations prononcées avant son entrée
en vigueur doivent être classées en ces deux catégories. Le meurtre entre
dans la première catégorie s'il a été commis, entre autres circonstances,
au cours d'un vol à main armée, d'un cambriolage ou d'un vol avec effraction.
En outre, l'article 7 dispose qu'il faut aussi constater des facteurs aggravants,
qui n'avaient pas été pris en considération au premier procès. Le conseil
objecte que la requalification équivaut à déterminer de nouvelles charges
pénales contre l'auteur, au sens de l'article 14 du Pacte. Il objecte par
ailleurs que la requalification est en fait un prolongement du premier processus
de condamnation et devrait donc être entourée des garanties de procédure
énoncées à l'article 14, qui s'applique normalement au stade du jugement.
Plus précisément, il prétend que l'article 14 a été violé au moment de la
première requalification effectuée par le juge unique dans la mesure où
:
- l'auteur n'a pas été notifié des motifs pour lesquels le juge unique
pourrait décider de requalifier son infraction;
- l'auteur n'a pas eu droit à l'assistance d'un défenseur;
- la procédure n'a pas été publique.
3.2 Le conseil voit une violation des alinéas b) et d) du paragraphe 3
de l'article 14 dans le fait que 1) l'auteur n'était pas représenté par
un défenseur à l'audience préliminaire et 2) l'auteur n'a pas vu l'avocat
commis au titre de l'aide judiciaire avant l'ouverture du procès et n'a
donc pu lui donner d'instructions, notamment sur les témoins à décharge
qu'il souhaitait voir citer à comparaître, et c'est pourquoi l'auteur est
resté silencieux tout au long de son jugement. En ce qui concerne ce dernier
motif, le conseil allègue en outre que l'auteur désirait que le procès soit
fixé à une date ultérieure, mais que son avocat a refusé de demander un
ajournement.
3.3 Le conseil allègue qu'en conséquence de la violation présumée de l'article
14, le paragraphe 2 de l'article 6 a aussi été violé par l'imposition de
la peine de mort étant donné que les dispositions du Pacte ont été violées
et qu'aucun autre recours n'est désormais possible. Il renvoie aux constatations
antérieures du Comité / Communications No 464/1991 et 482/1991,
Garfield Peart c. Jamaïque et Andrew Peart c. Jamaïque,
constatations adoptées le 19 juillet 1995 par le Comité à sa cinquante-quatrième
session./.
3.4 Les droits garantis à l'auteur aux articles 7 et 10 du Pacte auraient
été violés après son arrestation parce que les autorités de police n'auraient
pas tenu compte des blessures de l'auteur ni pris les dispositions nécessaires
pour le faire soigner. Le conseil déclare que l'auteur a été blessé par
balle deux jours avant son arrestation. Dans une lettre au conseil, l'auteur
déclare qu'il a perdu conscience lorsque la balle l'a atteint au visage
du c_té gauche lui fracassant une dent, déplaçant ses amygdales vers la
gauche et lui brisant la mâchoire. L'auteur déclare en outre que quatre
heures après avoir été blessé, il a d'abord été emmené à l'h_pital de Spanish
Town puis à l'h_pital public de Kingston où il a été mis sous perfusion
et où on lui a administré des médicaments. Quatre jours plus tard, il a
été emmené au poste de police de Hunts Bay où il est resté sept jours. Au
cours de cette semaine, il n'aurait reçu aucun médicament et n'aurait pas
été autorisé à consulter un médecin. Au poste de police de Hunts Bay, alors
qu'il était malade, il aurait été détenu avec neuf autres prisonniers dans
une cellule d'environ 2,50 m sur 3 m sans aucun éclairage et où, selon ses
dires, il était obligé de dormir sur le sol, qui était d'une saleté repoussante
et sur lequel une rigole d'eau s'écoulait à travers la cellule. Cette absence
de soins serait également en violation de l'Ensemble de règles minima des
Nations Unies pour le traitement des détenus.
3.5 Le conseil allègue aussi une violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte découlant des conditions d'incarcération à la
prison du district de St. Catherine. Il rappelle les rapports de plusieurs
organisations non gouvernementales qui décrivent les conditions inhumaines
d'incarcération dans cette prison. À ce sujet, le conseil explique que l'auteur
passe 23 heures par jour dans une cellule dépourvue de matelas, de literie
et du moindre meuble, sans installation sanitaire, sans lumière du jour
et avec une aération insuffisante. Par ailleurs, l'auteur affirme que les
blessures causées par la balle qu'il a reçue avant son arrestation ne sont
toujours pas guéries et qu'il s'est vu refuser des soins appropriés. Il
aurait dû subir une opération de la gorge et de la mâchoire en avril 1995,
mais les autorités carcérales ne l'ont pas laissé se faire opérer le jour
prévu en dépit du fait qu'il se plaignait constamment que sa gorge était
enflée et qu'il avait beaucoup de difficultés à avaler de la nourriture
solide. Le conseil déclare en outre qu'un médecin a fait savoir à l'auteur
que son état ne pouvait s'améliorer sans une telle opération. La prison
elle-même est dans un état de délabrement total, la nourriture n'est pas
mangeable et ne répond pas aux besoins nutritionnels de l'auteur, les soins
médicaux font défaut. D'après le conseil, les conditions dans lesquelles
l'auteur est incarcéré représentent une violation des articles 7 et 10 du
Pacte, ainsi que de certains articles de l'Ensemble de règles minima pour
le traitement des détenus, à savoir les articles 10, 11 a) et b), 12, 13,
15, 19, 22 1), 2) et 3), 24, 25 1) et 2), 26 1), 35 1), 36 1), 2), 3) et
4), 57, 71 2), 72 3) et 77.
3.6 Le conseil voit en outre une violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte dans le fait que l'auteur attend son exécution
depuis plus de cinq ans dans le quartier des condamnés à mort. D'après lui,
les "affres de l'attente" qu'il subit dans la hantise de l'exécution
représentent un traitement cruel, inhumain et dégradant, comme l'a reconnu
la section judiciaire du Conseil privé dans les affaires Pratt and Morgan
v. The Attorney General of Jamaica /Décision du Conseil
privé No 10 de 1993, rendue le 2 novembre 1993./ et Guerra v. Baptiste
and Others / (1995) 4 ALL ER./.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
:
4.1 Dans sa réponse datée du 1er novembre 1996, l'État partie note que
l'auteur n'a pas épuisé les recours internes puisqu'il ne s'est pas pourvu
devant la section judiciaire du Conseil privé. Il reconnaît cependant que
l'acceptation de sa demande d'autorisation spéciale de former recours était
conditionnée par la décision rendue dans l'affaire Morgan and Williams
v. R., qui à l'époque était pendante devant la section judiciaire du
Conseil privé. C'est pourquoi l'État partie ne se prévaudra pas du fait
que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes.
4.2 Dans le reste de sa réponse, l'État partie traite du fond de la plainte.
En ce qui concerne la violation de l'article 14 qui découlerait du fait
que le juge unique a requalifié l'infraction commise par l'auteur, l'État
partie refuse de voir dans cette opération la "détermination d'une
charge pénale" à laquelle les garanties de l'article 14 s'appliqueraient.
En outre, il souligne que la décision du juge unique n'est pas sans appel
et que les garanties d'un procès équitable s'appliquent dans la procédure
de recours devant le collège de trois juges. Il explique que l'octroi de
ces garanties au stade du recours est dans l'intérêt de la justice et ne
se justifie pas par le fait que le réexamen constitue la détermination d'une
charge pénale.
4.3 En ce qui concerne la violation du paragraphe 3 b) de l'article 14,
qui aurait été commise du fait que l'auteur n'était pas représenté lors
de l'audience préliminaire, l'État partie affirme que c'est à l'auteur qu'il
revenait de demander une aide juridictionnelle pour cette audience. À moins
qu'il ne puisse être démontré que des agents de l'État ont empêché l'auteur
d'exercer ce droit, l'État partie ne se considère pas responsable de cette
absence de représentation. S'agissant de la violation présumée de cette
même disposition qui découlerait du fait que l'auteur n'a rencontré son
avocat commis d'office que le premier jour du procès, ce qui l'aurait empêché
de faire comparaître un témoin à sa décharge, l'État partie note que le
défenseur qui a formé le recours n'a pu retrouver ce témoin malgré de nombreuses
tentatives. Par ailleurs, il rejette l'idée qu'il puisse être considéré
comme responsable de la façon dont l'avocat commis d'office a organisé la
défense de l'auteur. En conclusion, il affirme que les circonstances ne
font apparaître aucune violation du Pacte dont il puisse être tenu pour
responsable.
4.4 En ce qui concerne les violations de l'article 7 et du paragraphe 1
de l'article 10 qui découleraient de l'absence de soins médicaux et des
conditions de détention au poste de police de Hunts Bay, l'État partie estime
qu'il n'existe aucune preuve de ce que l'état de santé de l'auteur était
aussi mauvais qu'il l'affirme et qu'il se soit vu refuser des soins médicaux.
Il affirme qu'étant donné la gravité des blessures que l'auteur prétend
avoir reçues, on voit mal comment son état de santé a pu jusqu'à présent
ne pas se dégrader au point qu'une hospitalisation s'avère essentielle pour
assurer sa survie.
4.5 En ce qui concerne le traitement de l'auteur au cours de sa détention,
l'État partie déclare qu'il procédera à une enquête sur l'allégation selon
laquelle l'auteur s'est vu refuser la possibilité de subir une opération
chirurgicale.
4.6 En ce qui concerne la violation alléguée de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte, découlant des "affres de l'attente"
que connaîtrait l'auteur en raison de la lenteur de la procédure, l'État
partie affirme qu'un séjour prolongé dans le quartier des condamnés à mort
ne constitue pas en soi un traitement cruel et inhumain.
5.1 Dans sa réponse du 9 janvier 1997, le conseil réaffirme que les dispositions
de l'article 14 du Pacte ont été violées lorsqu'en juin 1996, le juge unique
a requalifié l'infraction commise par l'auteur puisque cela même constituait
une détermination de charge pénale. Le verdict rendu à l'issue du procès
n'étant plus la décision justifiant son exécution, l'auteur n'a effectivement
été accusé de meurtre entraînant la peine capitale pour la première fois
que lors de la requalification. À cet égard, le conseil souligne que le
juge unique, auteur de la requalification, a dû prendre une décision supplémentaire,
à savoir conclure que l'infraction était constitutive de meurtre avec circonstances
aggravantes ou meurtre entraînant la peine capitale. Si l'on n'admet pas
que la requalification équivaut à déterminer de nouvelles charges pénales,
on doit reconnaître que le processus consistant à procéder par déduction
lors du jugement était, en fait, un prolongement du premier processus de
jugement et que les garanties de l'article 14 doivent donc s'appliquer conformément
au principe général selon lequel "les garanties d'une procédure régulière
applicables au stade de la déclaration de culpabilité s'appliquent également
au stade de la déclaration de la peine". Se référant à la note de l'État
partie selon laquelle les garanties de procédure s'appliquent au stade du
recours contre la procédure de requalification, c'est-à-dire devant le collège
de trois juges, et que ces garanties sont octroyées dans l'intérêt de la
justice, le conseil fait valoir que l'intérêt de la justice signifie aussi
que les garanties doivent s'appliquer au stade antérieur, où le juge unique
a rendu sa décision.
5.2 En ce qui concerne les allégations de violation des alinéas b) et d)
du paragraphe 3 de l'article 14, le conseil réaffirme que l'auteur, en violation
du Pacte, n'a pas été représenté à l'audience préliminaire, que l'auteur
n'a rencontré son avocat pour la première fois qu'à l'ouverture du procès,
et que l'avocat commis d'office a refusé d'en demander l'ajournement contre
le voeu de l'auteur. L'auteur s'est vu dénier une possibilité effective
de s'entretenir et de communiquer avec son avocat, et la préparation de
sa défense a donc été insuffisante.
5.3 Pour ce qui est des violations de l'article 7 et du paragraphe 1 de
l'article 10, qui découleraient de l'absence de soins médicaux et des conditions
de détention au poste de police de Hunts Bay et dans la prison du district
de St. Catherine ainsi que d'un séjour prolongé dans le quartier des condamnés
à mort, le conseil renouvelle les plaintes et allégations déjà formulées.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'État partie renonce expressément au droit d'invoquer
le non-épuisement des recours internes et qu'il a traité dans sa réponse
du fond de la communication. Ceci permet au Comité d'examiner tant la question
de la recevabilité que le fond de l'affaire à ce stade, conformément au
paragraphe 1 de l'article 94 de son règlement intérieur. Toutefois, conformément
au paragraphe 2 de l'article 94 de son règlement intérieur, le Comité ne
se prononcera pas sur le fond de la communication sans avoir examiné l'applicabilité
de tous les motifs de recevabilité visés dans le Protocole facultatif.
6.3 En ce qui concerne la plainte de l'auteur selon laquelle, en violation
de l'article 14, paragraphes 3 b) et 3 d), il n'a rencontré son avocat pour
la première fois qu'à l'ouverture du procès, et qu'il n'a donc pas eu le
temps de préparer sa défense comme il convenait, notamment en donnant à
son défenseur des instructions quant aux témoins qu'il souhaitait voir comparaître
à sa décharge, le Comité note que les minutes du procès montrent que, contrairement
à ce qu'a expressément déclaré le conseil, l'avocat commis d'office a bien
demandé un report de deux jours - qui lui a été accordé -en vue d'interroger
deux témoins potentiels dont il connaissait l'identité. Dans ces circonstances,
le Comité déclare cette plainte irrecevable en tant qu'abus du droit de
présenter des communications, en application de l'article 3 du Protocole
facultatif.
6.4 L'auteur affirme qu'après son arrestation, en violation de l'article
7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, il s'est vu refuser des soins
médicaux alors qu'il était détenu au poste de police de Hunts Bay, et qu'il
a été incarcéré dans des conditions insatisfaisantes alors qu'il était en
très mauvais état. Le Comité note que l'État partie a réfuté cette allégation
et note aussi que l'auteur n'a pas porté ces allégations à l'attention de
son avocat commis d'office, des tribunaux ou de toute autre autorité avant
d'en faire part au Comité, et qu'il n'a pas non plus présenté d'autres éléments
de preuve à l'appui de ses allégations. Le Comité conclut que l'auteur n'a
pas suffisamment étayé ses allégations et déclare cette partie de la communication
irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.5 L'auteur affirme être victime de violations de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 pour deux autres motifs. Concernant sa plainte selon laquelle
sa détention dans le quartier des condamnés à mort depuis 1992 constitue
un traitement cruel, inhumain ou dégradant, le Comité rappelle sa jurisprudence
constante / Voir, entre autres, les constatations du Comité
concernant la communication No 588/1994, Errol Johnson c. Jamaïque,
adoptées le 22 mars 1996./ et réaffirme que la détention dans le quartier
des condamnés à mort, quelle qu'en soit la durée, ne constitue pas une violation
de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte en l'absence
d'autres circonstances impérieuses. Le Comité a, dans ses constatations
antérieures / Voir, entre autres, les constatations du Comité
relatives à la communication No 705/1996, Desmond Taylor c. Jamaïque,
adoptées le 2 avril 1998./, estimé que des conditions de détention déplorables
peuvent en soi constituer une violation des articles 7 et 10 du Pacte, mais
qu'elles ne peuvent être considérées comme "d'autres circonstances
impérieuses" relativement au "syndrome de l'antichambre de la
mort". Par conséquent, aucune circonstance pertinente n'a été présentée
par le conseil ou l'auteur, et le Comité déclare cette partie de la communication
irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif. Par contre,
les affirmations de l'auteur selon lesquelles les mêmes dispositions ont
été violées du fait de l'absence de soins médicaux et des conditions de
détention à la prison du district de St. Catherine sont, de l'avis du Comité,
suffisamment étayées pour être examinées au fond, et sont donc jugées recevables.
6.6 Le Comité déclare aussi les autres plaintes recevables et procède à
l'examen au fond de toutes les plaintes recevables, à la lumière de toutes
les informations portées à son attention par les parties, conformément au
paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.1 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle la requalification
de son infraction en meurtre emportant la peine capitale par le juge unique
violait l'article 14, le Comité note que, conformément à la loi de 1992
portant modification de la loi relative aux atteintes aux personnes, l'État
partie a adopté une procédure visant à requalifier dans les meilleurs délais
les condamnations pour meurtre déjà prononcées en confiant l'examen initial
de chaque affaire à un juge unique, lui permettant de rendre promptement
une décision en faveur d'un prisonnier qui, à son avis, avait commis une
infraction n'entraînant pas la peine capitale, et de lever ainsi rapidement
toute incertitude sur le risque d'exécution auquel il était exposé. Si,
en revanche, le juge unique constatait que l'infraction emportait la peine
capitale, le condamné en était notifié et se voyait octroyer le droit de
former un recours contre cette décision devant un collège de trois juges
qui délibérerait en audience publique. Le Comité note qu'il n'est pas contesté
que toutes les garanties de procédure prévues par l'article 14 ont été appliquées
dans les délibérations du collège de trois juges. La plainte de l'auteur
porte uniquement sur le premier stade de la procédure de requalification,
c'est-à-dire le traitement de l'affaire par le juge unique, procédure qui
n'a pas été notifiée à l'auteur et dans laquelle aucune audience publique
n'a été tenue où l'auteur aurait pu faire des observations sur les questions
pertinentes ou être représenté. Le Comité est d'avis que la requalification
d'une infraction commise par un individu déjà condamné à mort pour ladite
infraction ne constitue pas une "détermination d'une charge pénale"
au sens de l'article 14 du Pacte, ce qui signifie que les dispositions du
paragraphe 3 de l'article 14 ne s'appliquent pas en l'espèce. Le Comité
considère toutefois que les garanties prévues par le paragraphe 1 de l'article
14 devraient s'appliquer également à la procédure de requalification. À
cet égard, il note que le système de requalification a permis aux condamnés
d'être entendus en audience publique par un collège de trois juges. Le fait
que cette audience ait été précédée par une opération de sélection effectuée
par un juge unique dans le but d'accélérer la procédure de requalification
ne constitue pas une violation de l'article 14.
7.2 L'auteur allègue être victime d'une violation du paragraphe 3 d) de
l'article 14 parce qu'il n'a pas été représenté lors de l'audience préliminaire
tenue avant le procès. Dans sa jurisprudence / Voir les constatations
du Comité sur la communication No 459/1991, Osbourne Wright et Eric
Harvey c. Jamaïque, adoptées le 27 octobre 1995./, le Comité
a estimé qu'un défenseur devait être mis à la disposition de toute personne
répondant à un crime pour lequel elle encourait la peine de mort non seulement
lors du procès et de l'exercice des voies de recours pertinentes, mais également
à toute audience préliminaire concernant l'affaire. Dans le cas présent,
le Comité note qu'il n'est pas contesté que l'auteur n'était pas représenté
à l'audience préliminaire et nonobstant l'affirmation de l'État partie selon
laquelle il ne peut être tenu responsable de l'absence de représentation
dans la mesure où il incombe à l'auteur de demander une aide juridictionnelle,
il estime que les faits font apparaître une violation du paragraphe 3 d)
de l'article 14. Comme l'a estimé antérieurement le Comité /
Voir, entre autres, les constatations du Comité sur la communication No
223/1987, Frank Robinson c. Jamaïque, adoptées le 30 mars
1989. /, il va de soi que l'assistance d'un défenseur doit être assurée
dans les cas de crime punis de la peine capitale, à tous les stades de la
procédure.
7.3 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il est victime
d'une violation du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte, le Comité note
son Observation générale 6[16], dans laquelle il a jugé que la disposition
selon laquelle une condamnation à mort ne peut être prononcée que conformément
à la loi et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte
implique que "les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte
doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu
par un tribunal indépendant, la présomption d'innocence, les garanties minima
de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure". En
l'espèce, l'audience préliminaire a été tenue sans satisfaire aux prescriptions
de l'article 14, et le Comité estime donc que le paragraphe 2 de l'article
6 a aussi été violé dans la mesure où la peine de mort a été prononcée à
l'issue d'une procédure dans laquelle les dispositions du Pacte n'ont pas
été respectées.
7.4 Concernant l'allégation de violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte du fait des conditions de détention - notamment
de l'absence de soins médicaux - à la prison du district de St. Catherine,
le Comité note que l'auteur a fait des allégations précises. Il déclare
qu'il est détenu 23 heures par jour dans une cellule dépourvue de matelas,
de literie et du moindre meuble, sans lumière naturelle et sans installation
sanitaire et que la nourriture n'est pas mangeable. Il dénonce en outre
une absence générale de soins médicaux, et mentionne plus précisément qu'en
avril 1995, il aurait dû subir une opération de la mâchoire et de la gorge,
mais que les autorités de la prison ont fait en sorte qu'il soit impossible
pour lui d'être opéré comme prévu. L'État partie n'a pas réfuté ces allégations
spécifiques et n'a pas communiqué les résultats de l'enquête annoncée à
propos des allégations de l'auteur selon lesquelles il s'était vu refuser
la possibilité de subir une opération en avril 1995. Dans ces conditions,
le Comité estime qu'il y a eu violation du paragraphe 1 de l'article 10
du Pacte.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître des violations du paragraphe 1 de l'article 10, du
paragraphe 3 d) de l'article 14 et, en conséquence, du paragraphe 2 de l'article
6 du Pacte.
9. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie est
tenu de fournir à M. Levy un recours utile, sous la forme notamment d'une
commutation de peine et d'une indemnisation.
10. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le Comité
avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte.
L'affaire considérée ici a été soumise avant que la dénonciation du Protocole
facultatif par la Jamaïque ne prenne effet, le 23 janvier 1998; en vertu
du paragraphe 2 de l'article 12 du Protocole facultatif, les dispositions
de celui-ci continuent de lui être applicables. Conformément à l'article
2 du Pacte, l'État partie s'est engagé à garantir à tous les individus se
trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus
dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation
a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai
de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet
à ses constatations. Il demande en outre à l'État partie de publier les
constatations du Comité.
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati,
M. Th. Buergenthal, M. Omran El Shafei, Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein,
M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin
Scheinin, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, chinois et russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale].