Comité des droits de l'homme
Soixante-quatrième session
19 octobre - 6 novembre 1998
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-quatrième session -
Communication No 720/1996**
Présentée par : Leroy Morgan et Samuel Williams
(représentés par le cabinet d'avocats, Simon Muirhead & Burton, Londres)
Au nom de : Les auteurs
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 19 avril 1995 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 novembre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 720/1996 présentée
par MM. Leroy Morgan et Samuel Williams en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par les auteurs de la communication, leur conseil et l'État
partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication sont Leroy Morgan et Samuel Williams,
tous deux de nationalité jamaïcaine, en attente d'exécution à la prison
du district de St. Catherine, à la Jamaïque. Ils se déclarent victimes de
violations, par la Jamaïque, des articles 6 et 7, ainsi que du paragraphe
1 de l'article 10 et des paragraphes 3 b) et 3 d) de l'article 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés
par M. Saul Lehrfreund du cabinet d'avocats Simons Muirhead & Burton
de Londres.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 Le 12 avril 1991, ils ont été reconnus coupables du meurtre de George
Chambers et condamnés à mort. Le 16 novembre 1992, la Cour d'appel de la
Jamaïque les a déboutés et a requalifié l'infraction dont ils avaient été
reconnus coupables en meurtre entraînant la peine capitale, en application
de l'article 2 de la loi de 1992 portant modification de la loi relative
aux atteintes aux personnes. Le 15 mars 1995, une demande d'autorisation
spéciale de former recours contre leur condamnation et la requalification
des faits a été déposée auprès de la section judiciaire du Conseil privé.
L'autorisation spéciale de recours a été accordée exclusivement en ce qui
concerne la "question de la transformation par la Cour d'appel du verdict
de culpabilité pour un meurtre entraînant la peine capitale". Le 7
mars 1996, la section judiciaire du Conseil privé a décidé que la Cour d'appel
en tant que telle n'était pas compétente pour procéder à la requalification
d'une infraction en meurtre entraînant la peine capitale. En conséquence,
la qualification faite par la Cour d'appel dans le cas à l'étude a été déclarée
nulle et non avenue. La procédure de qualification a ensuite été recommencée
conformément à l'article 7 de la loi de 1992 portant modification de la
loi relative aux atteintes aux personnes, aux termes duquel l'examen doit
d'abord être confié à un juge unique de la Cour d'appel puis, en cas de
recours, à trois juges désignés, et non à la Cour d'appel en tant que telle.
Dans le cas des auteurs, les faits ont été qualifiés de meurtre entraînant
la peine capitale par un juge unique le 26 juillet 1996 puis, en appel,
par trois juges le 18 novembre 1996.
2.2 En ce qui concerne la requalification à laquelle il a été procédé conformément
à la loi de 1992, le conseil avance qu'une demande d'autorisation spéciale
de former recours auprès du Conseil privé n'est pas disponible et utile.
Il renvoie aux conclusions du Conseil privé dans l'affaire Walker v.
The Queen (1995) 2 AC 36. Il explique que son règlement n'habilite pas
la section judiciaire du Conseil privé à se prononcer sur une décision émanant
des juges de la Cour d'appel de la Jamaïque siégeant en tant qu'organe administratif.
2.3 Les auteurs ne se sont pas pourvus devant la Cour suprême (constitutionnelle)
de la Jamaïque. Ils font valoir qu'une requête constitutionnelle auprès
de la Cour suprême est vouée à l'échec, depuis le précédent créé par la
section judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Huntley v. Attorney
General for Jamaica (1995) 1 ALL ER 308. En outre,
si l'on peut considérer en théorie qu'un recours constitutionnel est ouvert
aux auteurs, dans la pratique il n'en est rien parce qu'ils sont indigents
et que l'aide judiciaire n'est pas prévue. Le conseil renvoie aux constatations
du Comité / Communication No 445/1991, Lynden Champagnie, Delroy
Folmer et Oswald Chisholm./ qui a conclu qu'en l'absence d'aide judiciaire
la requête constitutionnelle ne constituait pas un recours disponible. Le
conseil affirme que, par conséquent, tous les recours internes ont été épuisés.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil fait valoir que la procédure de requalification en meurtre
emportant la peine capitale a été faite en violation des paragraphes 1 et
3 de l'article 14 du Pacte. Il indique que la loi de 1992 portant modification
de la loi relative aux atteintes aux personnes crée deux catégories de meurtres
: le meurtre emportant la peine capitale et le meurtre ne l'emportant pas.
L'article 7 de cette loi prévoit que les condamnations prononcées avant
son entrée en vigueur doivent être classées en ces deux catégories. Le meurtre
doit être puni de mort s'il a été commis, entre autres circonstances, au
cours d'un vol à main armée, d'un cambriolage ou d'un vol avec effraction.
Le conseil note que l'article 7 dispose qu'il faut aussi constater des facteurs
aggravants qui n'avaient pas été pris en considération au premier procès.
Il soutient que la requalification équivaut à déterminer de nouvelles charges
pénales contre les auteurs, au sens de l'article 14 du Pacte. Il fait valoir
subsidiairement que la requalification est en fait un prolongement du premier
processus de condamnation et devrait donc être entourée de toutes les garanties
de procédure énoncées à l'article 14 qui s'appliquent au stade du jugement.
Plus précisément, l'article 14 aurait selon lui été violé au stade de la
qualification initiale par un juge unique, du fait que :
- les auteurs n'ont pas été informés du lieu ni des modalités de l'examen
de leur cas
- les auteurs n'ont pas été informés de la catégorie légale de meurtre
entraînant la peine capitale dont relèveraient les faits commis par eux
- aucune copie des motifs étayant la décision du juge n'a été communiquée
aux auteurs
- les auteurs n'ont pas eu la possibilité de défendre eux-mêmes leur cause
ni de présenter des déclarations écrites
- les auteurs n'ont pas eu la possibilité d'être représentés par un défenseur
- les auteurs n'ont pas été informés des constatations de fait sur lesquelles
le juge a entendu fonder la qualification
- l'audience au cours de laquelle la décision a été prise n'était pas
publique.
3.2 Selon le conseil, de la violation alléguée de l'article 14 il résulte
que le paragraphe 2 de l'article 6 a lui aussi été violé par l'imposition
de la peine capitale, puisque les dispositions du Pacte ont été violées
et qu'il n'y a plus désormais de possibilité d'appel. Il fait référence
à la jurisprudence du Comité / Communications Nos 464/1991 et
482/1991, Garfield Peart et Andrew Peart c. Jamaïque, constatations
adoptées le 19 juillet 1995 à la cinquante-quatrième session du Comité./.
3.3 Le conseil affirme qu'il y a eu violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 en raison des conditions de détention à la prison du district
de St. Catherine. Il rappelle les rapports d'organisations non gouvernementales
décrivant les conditions inhumaines d'incarcération à la prison du district
de St. Catherine. Il explique que les auteurs passent 23 heures par jour
dans une cellule dépourvue de matelas, de literie et du moindre meuble,
sans installations sanitaires, sans lumière du jour et avec une aération
insuffisante. L'établissement pénitentiaire est dans un état de délabrement
total, la nourriture est de très mauvaise qualité et les soins médicaux
font défaut. Les conditions dans lesquelles les auteurs sont détenus constitueraient
une violation des articles 7 et 10 du Pacte, ainsi que de plusieurs articles
de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus : articles
10, 11 a) et b), 12, 13, 15, 19, 22 1), 2) et 3), 24, 25 1) et 2), 26 1),
35 1), 36 1), 2), 3) et 4), 57, 71 2), 72 3) et 77.
3.4 S'agissant du seul Leroy Morgan, le conseil affirme qu'il y a eu violation
de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 au motif qu'au début de
son incarcération à la prison du district de St. Catherine il n'a pu obtenir
de soins pour les séquelles d'un coup de feu reçu en 1987. D'après le conseil,
M. Morgan a demandé à plusieurs reprises au directeur de la prison du district
de St. Catherine à être soigné pour sa blessure qui le faisait énormément
souffrir mais, malgré les promesses du directeur, il n'a jamais reçu aucun
traitement médical. Cette absence de soins médicaux serait également une
violation de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.
3.5 Le conseil tire un autre motif de violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du fait que les auteurs sont détenus depuis 1992 dans
le quartier des condamnés à mort, en attente d'exécution. D'après lui, les
"affres de l'attente" représentent un traitement cruel, inhumain
et dégradant comme il a été reconnu par la section judiciaire du Conseil
privé dans l'affaire Pratt and Morgan v. The Attorney General of Jamaica
/ Décision du Conseil privé No 10 de 1993, rendue le 2 novembre
1993./ et dans l'affaire Guerra v. Baptiste and Others /
(1995) 4 ALL ER./.
Réponse de l'État partie et commentaires du conseil
4.1 Dans ses observations en date du 4 novembre 1996, l'État partie indique
qu'en vue d'accélérer l'examen de la communication il entend aborder à la
fois la recevabilité et le fond; il ne conteste toutefois pas explicitement
la recevabilité de la communication.
4.2 En ce qui concerne la prétendue violation des paragraphes 1 et 3 de
l'article 14 lors de la requalification des infractions commises par les
auteurs, l'État partie conteste qu'il y ait eu une quelconque violation
du Pacte. Il explique qu'avant l'entrée en vigueur de la loi portant modification
de la loi relative aux atteintes aux personnes en octobre 1992, le meurtre
était automatiquement puni de la peine de mort, et que toute personne qui,
à cette époque, était déjà condamnée à la peine capitale a pu bénéficier
d'une seconde chance en raison de la rétroactivité de la loi. À cette fin,
une procédure d'examen a été instituée, un juge unique étant chargé de décider
à titre préliminaire s'il y avait meurtre entraînant la peine de mort ou
meurtre n'entraînant pas la peine de mort. L'État partie affirme que les
facteurs qui interviennent dans la décision du juge sont d'une part, les
catégories claires et précises définies dans la loi et d'autre part, le
compte rendu d'audience qui, l'un et l'autre, ont été mis à la disposition
de chaque auteur et de son conseil. Il ajoute que, préalablement à cet examen,
un jury a jugé, sur la base de l'intime conviction, que les auteurs étaient
coupables de meurtre, ce jury ayant dû avoir la certitude non seulement
que le crime avait été commis, mais aussi qu'il l'avait été de la manière
alléguée par l'accusation. De plus, selon l'État partie, l'affaire, y compris
les instructions données par le juge au jury et les déclarations, ayant
été réexaminée en appel, il en résulte que les éléments sur lesquels s'est
fondé le juge unique pour prendre sa décision avaient déjà été examinés
à deux reprises avant de lui être soumis. Au demeurant, la procédure prévoit
que, si pour une raison quelconque, le juge unique, allant au-delà des éléments
relatés dans le compte rendu d'audience, se prononce pour une qualification
de meurtre entraînant la peine capitale, le conseil peut alors saisir le
collège de trois juges; en l'occurrence, les auteurs ont eu la possibilité,
avec l'assistance de leur défenseur, de contester la décision rendue par
le juge unique. En conclusion, l'État partie affirme que tant la requalification
décidée en l'espèce que la procédure de requalification en général sont
conformes aux dispositions du Pacte et ne constituent pas une violation
de celui-ci.
4.3 L'État partie indique qu'il va ouvrir une enquête sur l'affirmation
de Leroy Morgan selon laquelle il aurait été privé de soins à la prison
du district de St. Catherine.
4.4 Pour ce qui est de la violation alléguée de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte en raison des "affres de l'attente"
subies par les auteurs à cause des lenteurs de la procédure, l'État partie
fait valoir qu'un séjour prolongé dans le quartier des condamnés à mort
ne constitue pas en soi un traitement cruel et inhumain.
5.1 Dans ses observations en date du 10 janvier 1997, le conseil présente
des commentaires sur la réponse de l'État partie. En ce qui concerne la
violation alléguée de l'article 14, il fait valoir que les facteurs qui
influent sur la décision du juge unique, contrairement à ce qu'affirme l'État
partie dans ses observations, sont loin d'être claires et que plusieurs
catégories d'infractions définies dans la loi portant modification de la
loi relative aux atteintes aux personnes sont ambiguës. À cet égard, le
conseil souligne que des recours ont déjà été examinés par la section judiciaire
du Conseil privé sur la question de la juste qualification au regard de
ladite loi /Il est fait référence aux affaires Leroy Lamey
v. The Queen [1996] 1 WLR 902 et Simpson v. The Queen [1996] 2 WLR
77./. S'agissant de l'affirmation de l'État partie selon laquelle les
auteurs ont été parmi les personnes qui ont bénéficié de l'application rétroactive
de la loi portant modification, et qu'il leur a ainsi été donné une seconde
chance par une loi votée par le Parlement, le conseil rétorque que bien
que l'objectif de la loi portant modification corresponde à l'un des objectifs
du Pacte, à savoir réduire les catégories de meurtres emportant la peine
de mort, la question en cause est de savoir si le mécanisme permettant de
déterminer l'existence éventuelle de facteurs aggravants au regard de la
loi est compatible avec les garanties énoncées à l'article 14 du Pacte.
À cet égard, le conseil estime qu'il y a eu violation de l'article 14 lors
de la requalification par le juge unique des faits commis par les auteurs.
5.2 Pour ce qui est des violations alléguées de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 en raison du séjour prolongé dans le quartier des condamnés
à mort, le conseil, se référant à la jurisprudence du Comité selon laquelle
la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort peut violer
les dispositions du Pacte lorsque sont étayées d'autres circonstances impérieuses,
affirme que le traitement physique et psychologique des détenus, ainsi que
leur santé, doivent être pris en considération. Il renvoie aussi aux opinions
individuelles de cinq membres du Comité concernant la communication No 588/1994
/ Errol Johnson c. Jamaïque, constatations adoptées
le 22 mars 1996./ exprimant la nécessité de procéder à une appréciation
au cas par cas pour déterminer si un séjour prolongé dans le quartier des
condamnés à mort constitue une violation du Pacte.
5.3 Sur les autres allégations, le conseil réitère les affirmations contenues
dans la lettre initiale.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que, dans sa réponse, l'État partie a, dans le but d'accélérer
la procédure, abordé l'examen quant au fond de la communication. Cela permet
au Comité, à ce stade, d'examiner l'affaire sous l'angle tant de la recevabilité
que du fond, conformément au paragraphe 1 de l'article 94 de son règlement
intérieur. Toutefois, conformément au paragraphe 2 de l'article 94 du règlement
intérieur, le Comité ne se prononce pas sur le fond de la communication
sans avoir examiné l'applicabilité de tous les motifs de recevabilité visés
dans le Protocole facultatif.
6.3 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la détention des auteurs
dans le quartier des condamnés à mort depuis 1991 constituerait un traitement
cruel, inhumain ou dégradant, le Comité réaffirme sa jurisprudence constante
/ Voir, entre autres, les constatations du Comité relatives
à la communication No 588/1994, Errol Johnson c. Jamaïque,
adoptées le 22 mars 1996./ selon laquelle la détention dans le quartier
des condamnés à mort pendant une durée déterminée ne constitue pas une violation
des articles 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte en l'absence
d'autres circonstances impérieuses. Le Comité a estimé dans sa jurisprudence
/ Voir, entre autres, les constatations du Comité relatives
à la communication No 705/1996, Desmond Taylor c. Jamaïque,
adoptées le 2 avril 1998./ que des conditions déplorables de détention peuvent
à elles seules constituer une violation des articles 7 et 10 du Pacte, mais
qu'elles ne peuvent être considérées comme d'"autres circonstances
impérieuses" par rapport au "syndrome du quartier des condamnés
à mort". Dès lors, aucune circonstance pertinente n'ayant été avancée
par le conseil ou par les auteurs, le Comité conclut que cette partie de
la communication est irrecevable au regard de l'article 2 du Protocole facultatif.
En revanche, les allégations des auteurs concernant des violations des mêmes
dispositions en raison de l'absence de soins médicaux et des conditions
de détention à la prison du district de St. Catherine sont, de l'avis du
Comité, suffisamment étayées pour être examinées quant au fond, et sont
donc considérées comme recevables.
6.4 Le Comité déclare aussi la communication recevable pour le surplus,
et procède à l'examen quant au fond de tous les griefs recevables, compte
tenu des informations qui lui sont soumises par les Parties, conformément
au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
7.1 Pour ce qui est de l'allégation des auteurs selon laquelle la requalification
des faits en meurtre entraînant la peine capitale par le juge unique aurait
violé l'article 14, le Comité note que, conformément à la loi de 1992 portant
modification de la loi relative aux atteintes aux personnes, l'État partie
a adopté une procédure de requalification, dans les plus brefs délais, de
condamnations déjà prononcées pour meurtre en confiant le réexamen initial
de chaque cas à un juge unique, habilité à trancher sans tarder le cas de
détenus qui, à son avis, avaient commis un meurtre n'entraînant pas la peine
de mort, levant ainsi rapidement toute incertitude quant au risque éventuel
d'exécution. Si en revanche, le juge unique constatait que les faits constituaient
un meurtre entraînant la peine de mort, le détenu en était avisé et avait
le droit de faire appel de la décision devant un collège de trois juges,
lequel examinait la question au cours d'une audience publique. Le Comité
note qu'il n'est pas contesté que toutes les garanties de procédure énoncées
à l'article 14 étaient applicables à la procédure devant le collège de trois
juges. Le grief des auteurs ne vise que le premier stade de la procédure
de requalification, à savoir l'examen par le juge unique, dont ils n'ont
pas été avisés et qui n'a donné lieu à aucune audience publique au cours
de laquelle ils auraient pu faire des observations sur les questions pertinentes
ou à laquelle ils auraient pu être représentés. Le Comité estime que la
requalification de faits délictueux pour un détenu déjà condamné à la peine
de mort ne revient pas à statuer sur une "accusation en matière pénale"
au sens de l'article 14 du Pacte, et qu'en conséquence les dispositions
du paragraphe 3 de l'article 14 ne s'appliquent pas. Le Comité considère
toutefois que les garanties énoncées au paragraphe 1 de l'article 14 devraient
également s'appliquer à la procédure de requalification. À cet égard, le
Comité note que le système de requalification offrait aux intéressés la
possibilité de faire entendre leur cause équitablement et publiquement par
le collège de trois juges. Le fait que cette audience ait été précédée d'un
examen préliminaire confié à un juge unique dans le but d'accélérer la procédure
de requalification ne constitue pas une violation de l'article 14. Le Comité
conclut donc également que ces faits ne constituent pas une violation du
paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte.
7.2 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 7 et du paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte en raison des conditions de détention, notamment
de l'absence de soins médicaux, à la prison du district de St. Catherine,
le Comité note que les auteurs ont présenté des griefs précis. Ils affirment
qu'ils sont détenus 23 heures par jour dans des cellules dépourvues de matelas,
de literie et du moindre meuble, sans installations sanitaires correctes
et sans lumière du jour et que la nourriture est mauvaise. Ils allèguent
en outre l'absence d'assistance médicale en général, l'auteur Leroy Morgan
indiquant plus précisément qu'au début de son incarcération, malgré de nombreuses
demandes adressées au directeur de l'établissement, il n'a pu faire soigner
les séquelles d'un coup de feu reçu en 1987. L'État partie n'a pas réfuté
ces allégations précises et n'a pas fait parvenir les résultats de l'enquête
annoncée sur les allégations de l'auteur concernant la privation de soins
médicaux en 1991. Le Comité estime que ces faits font apparaître une violation
du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
8. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 10.
9. Conformément au paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
est tenu d'offrir aux auteurs un recours utile donnant lieu à une indemnisation.
Compte tenu des circonstances, le Comité recommande aussi la commutation
de la peine de mort prononcée contre les auteurs.
10. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le Comité
avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte.
La présente communication a été présentée au Comité avant que la dénonciation
par la Jamaïque du Protocole facultatif prenne effet le 23 janvier 1998;
selon dénonciation n'entrave pas l'application à la communication des dispositions
du Protocole facultatif. Conformément à l'article 2 du Pacte, l'État partie
s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire
et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer
un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le Comité
souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements
sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. Il l'invite
aussi à publier ses constatations.
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati,
M. Th. Buergenthal, Lord Colville, M. Omran El Shafei, Mme Elizabeth Evatt,
M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto
Pocar, M. Martin Scheinin, M. Roman Wieruszewski, M. Maxwell Yalden et M.
Abdallah Zakhia.
** Le texte de l'opinion individuelle d'un membre du Comité, M. Nisuke
Ando, est joint en annexe au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de M. Nisuke Ando
(exprimant son désaccord partiel)
Je ne suis pas en désaccord avec la conclusion du Comité selon laquelle
il y aurait eu violation du paragraphe 1 de l'article 10 en l'espèce en
relation avec l'allégation de M. Leroy Morgan quant au fait que l'État partie
l'aurait privé de soins médicaux en 1991 (voir par. 7.2). J'ai des difficultés,
en revanche, à accepter la conclusion du Comité selon laquelle il y aurait
eu violation du paragraphe 1 de l'article 10 en relation avec les allégations
selon lesquelles les auteurs "sont détenus 23 heures par jour dans
des cellules dépourvues de matelas, de literie et du moindre meuble, sans
installations sanitaires correctes et sans lumière du jour et [...] la nourriture
est mauvaise [...] outre l'absence d'assistance médicale". (Voir encore
par. 7.2.) Ces allégations sont fondées exclusivement sur les rapports d'organisations
non gouvernementales décrivant les conditions générales de détention à la
prison du district de St. Catherine et si le conseil des auteurs fait référence
à ces rapports il ne démontre pas, à mon avis, dans quelle mesure ces conditions
générales de détention ont affecté les conditions particulières de détention
de chacun des auteurs. Il se peut que l'État partie n'ait pas réfuté les
allégations susmentionnées, mais il incombe au Comité de s'assurer du bien-fondé
de chaque allégation sur la base de faits qui l'étayent spécifiquement.
Dans ce cas particulier, je crains que le Comité doive faire davantage pour
se conformer à cette obligation.
(Signé) Nisuke Ando