University of Minnesota



M. Clement Boodoo
c. Trinité‑et‑Tobago, Communication No. 721/1996, U.N. Doc. CCPR/C/74/D/721/1996 (2002).


Communication no 721/1996

Présentée par:                                         M. Clement Boodoo

Au nom de:                                             L’auteur

État partie:                                              Trinité‑et‑Tobago

Date de la communication:                      13 juin 1994 (date de la lettre initiale)

Décisions antérieures:                                Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 14 novembre 1996 (non publiée sous forme de document)

                                                                CCPR/C/66/D/721/1996 – décision concernant la recevabilité prise le 5 juillet 1999

Date de l’adoption des constatations:      2 avril 2002

          Le 2 avril 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations, au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 721/1996. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]
ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF
SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

– Soixante‑quatorzième session –

concernant la

Communication no 721/1996**

Présentée par:                                                      M. Clement Boodoo

Au nom de:                                                          L’auteur

État partie:                                                           Trinité‑et‑Tobago

Date de la communication:                                    13 juin 1994 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité:        5 juillet 1999

          Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

          Réuni le 2 avril 2002,

          Ayant achevé l’examen de la communication no 721/1996 présentée par M. Clement Boodoo, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

          Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

          Adopte les constatations suivantes:


Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.       L’auteur de la communication (lettre initiale datée du 13 juin 1994) est Clement Boodoo, citoyen trinidadien, qui purgeait, au moment de la présentation de la communication, une peine de 10 ans d’emprisonnement à la prison de Carrera (Trinité‑et‑Tobago). Bien que l’auteur n’invoque aucune disposition particulière du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la communication semble soulever des points au titre de l’article 7, du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, du paragraphe 3 c) de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1     L’auteur indique qu’il est détenu depuis le 21 avril 1989. Il a été déclaré coupable de vol et condamné à 10 ans d’emprisonnement le 24 janvier 1992. Il dit que la date la plus proche à laquelle il puisse être libéré est le 31 décembre 1998[a].

2.2     Le 3 décembre 1990, alors que l’auteur était encore en détention provisoire, un plan de la prison et une arme de fabrication artisanale ont été découverts dans sa cellule. En guise de punition, il a été placé en «isolement cellulaire» dans un quartier de haute sécurité réservé aux évadés. L’auteur est resté depuis lors en isolement cellulaire. Il est enfermé 23 heures par jour dans sa cellule, où il dort sur un tapis de 2,5 cm d’épaisseur. Il ne peut en sortir qu’une fois par jour pour prendre l’air et se laver. Pour prendre l’air, on le conduit dans un endroit qui sert de lieu d’évacuation des urines et des excréments, alors que les autres prisonniers peuvent prendre l’air dans un endroit beaucoup plus spacieux et plus propre, où ils ont la possibilité de faire de l’exercice, de jouer au tennis et au football et de se livrer à d’autres activités récréatives. L’endroit où l’auteur peut prendre l’air est humide, glissant et infesté de vers et de mouches. Le sol est souvent couvert d’excréments. Si l’auteur se plaint de cette situation, les gardiens le laissent enfermé dans sa cellule. En mars 1991, il s’est vu infliger 21 jours de régime alimentaire restreint.

2.3     En raison de ses conditions de détention, l’auteur est en train de perdre la vue. Le médecin de la prison lui a recommandé de passer au moins trois heures à la lumière du jour mais il n’est pas donné suite à cette recommandation. Alors que les autres personnes détenues dans le quartier de sécurité maximum sont autorisées à participer au programme récréatif et à faire leurs prières pendant les offices chrétiens ou musulmans, l’auteur s’est vu priver de ces privilèges.

2.4     Lorsque, après sa condamnation, l’auteur a été photographié, le photographe l’a forcé à se faire raser la barbe bien que l’auteur lui ait dit que sa confession musulmane le lui interdisait. Plus tard dans la journée, l’auteur s’est plaint auprès de l’inspecteur des prisons, qui l’a autorisé à se laisser pousser la barbe à nouveau.

2.5     Le 1er décembre 1992, l’auteur a été menacé par des surveillants et a subi des violences avant d’être ramené dans sa cellule. Le 8 décembre 1992, les autorités pénitentiaires l’ont informé qu’un détenu leur avait dit qu’il préparait une tentative d’évasion.

2.6     Le 18 janvier 1993, l’auteur a été fouillé, ses habits de prière lui ont été enlevés et on lui a rasé la barbe de force. Il a ensuite subi des sévices de la part des surveillants de la prison. Il a reçu des coups à la tête, à la poitrine, à l’aine et aux jambes et lorsqu’il a demandé des soins médicaux immédiats, sa requête a été ignorée. Quelques semaines plus tard, parce qu’il se plaignait de douleurs continues, le fonctionnaire médical lui a donné des analgésiques. Le 27 mai 1993, l’auteur s’est plaint par écrit à l’inspecteur des prisons mais aucune suite n’a été donnée à sa plainte.

2.7     De temps en temps, l’auteur est transféré pour de brèves périodes à la prison de Port‑of‑Spain. Dans cet établissement, il est maintenu 24 heures par jour dans une cellule faiblement éclairée et n’a pas le droit de se distraire ou de prendre l’air. Il ignore la raison pour laquelle il doit faire le va‑et‑vient entre les deux prisons. À son retour à la prison de Carrera, l’auteur est forcé de se déshabiller complètement et de rétracter son prépuce. Il est en outre obligé d’écarter les fesses et de s’accroupir trois ou quatre fois devant les gardiens. Selon l’auteur, aucun autre prisonnier n’est soumis à une telle humiliation.

2.8     L’auteur a été brutalisé par les gardiens plusieurs fois. Il a en outre reçu d’eux des menaces pour s’être plaint à l’Organisation des Nations Unies et on ne lui remet pas toujours son courrier. L’auteur affirme également qu’il doit demander l’autorisation chaque fois qu’il veut écrire une lettre et qu’on lui a parfois refusé la permission d’écrire à l’ONU, au Président et à son avocat.

Teneur de la plainte

3.1     L’auteur affirme que ses droits sont violés du fait de différents aspects de sa détention et que les conditions dans lesquelles il est incarcéré sont inhumaines et qu’en conséquence sa vue se détériore.

3.2     Il déclare qu’il est privé du droit de pratiquer sa religion puisqu’il lui est interdit de faire sa prière pendant les offices musulmans, que ses livres de prière lui ont été confisqués et que par deux fois on lui a rasé de force la barbe.

3.3     L’auteur affirme que la méthode utilisée par les gardiens pour le fouiller, qui est décrite aux paragraphes 2.6 et 2.7, est humiliante, qu’aucun autre prisonnier n’est soumis au même traitement et que les atteintes physiques à son intégrité sont gratuites et inhumaines.

3.4     Enfin, il affirme qu’il a eu beaucoup de mal à recevoir des informations de l’ONU et d’autres personnes se trouvant à l’extérieur de la prison ou à leur communiquer des informations en raison des menaces dont il est l’objet et parce que son courrier est intercepté.

Décision concernant la recevabilité

4.1     À sa soixante‑sixième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a noté avec préoccupation le manque de coopération de la part de l’État partie qui n’a fait parvenir aucune observation sur la recevabilité.

4.2     Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.3     S’agissant de l’épuisement des recours internes, le Comité a noté que l’État partie n’avait pas fait valoir qu’il existait des recours internes que l’auteur pouvait encore épuiser.

4.4     Le Comité est parvenu à la décision suivante: «En l’absence d’observations de la part de l’État partie, le Comité ne voit pas d’obstacle à la recevabilité de la communication et considère qu’elle semble soulever, en particulier au titre des articles 7, 10 et 18 du Pacte, des questions qui doivent être examinées quant au fond.». En conséquence, le 5 juillet 1999, le Comité a déclaré la communication recevable.

Délibérations du Comité

5.1     En dépit de rappels datés du 25 septembre 2000 et du 11 octobre 2001, l’État partie n’a fait parvenir aucune observation sur le fond. Le Comité regrette le manque de coopération de la part de l’État partie et rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif qu’il est tenu de fournir au Comité, de bonne foi et dans les délais impartis, toutes les informations à sa disposition. En l’absence de renseignements émanant de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur dans la mesure où elles sont étayées.

5.2     Le Comité note qu’au moment de la présentation de la communication, la Trinité‑et‑Tobago était partie au Protocole facultatif. Le retrait de l’État partie de ce protocole le 27 mars 2000, avec effet au 27 juin 2000, n’affecte en rien la compétence du Comité pour examiner la communication quant au fond.

6.1     Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2     Le Comité note que l’auteur a été détenu pendant deux ans et neuf mois avant son procès et réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle toutes les phases de la procédure judiciaire doivent se dérouler sans retard excessif. Le Comité conclut que la période de 33 mois qui s’est écoulée entre l’arrestation et le procès a constitué un retard excessif et ne peut être considérée comme compatible avec les dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, en l’absence de toute explication de l’État partie justifiant le retard ou précisant pourquoi l’auteur a été détenu pendant cette période sans jugement. Le Comité estime donc qu’il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

6.3     Le Comité note que l’auteur se plaint, aux paragraphes 2.2 et 2.6 ci‑dessus, d’avoir été détenu dans des conditions épouvantables et insalubres qui ont fait que sa vue s’est détériorée. De l’avis du Comité, les conditions décrites dans ces paragraphes sont telles qu’elles constituent une violation du droit d’être traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et sont donc contraires au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

6.4     Pour ce qui est des atteintes physiques à l’intégrité de l’auteur, en particulier l’incident décrit au paragraphe 2.6 ci‑dessus, des menaces de violence dont il a été l’objet et du traitement qui lui est réservé lorsqu’il est fouillé par les gardiens (par. 2.7), le Comité considère qu’en l’absence de toute explication de la part de l’État partie, un tel traitement constitue une violation de l’article 7 du Pacte.

6.5     Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il lui a été interdit de porter la barbe et de faire sa prière pendant les offices religieux et que ses livres de prière lui ont été confisqués, le Comité réaffirme que la liberté de manifester sa religion et sa conviction par le culte, l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement englobe des actes très variés et que le concept de culte comprend les actes rituels et cérémoniels exprimant une conviction, ainsi que différentes pratiques propres à ces actes. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie concernant les allégations de l’auteur formulées aux paragraphes 2.3 à 2.6, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 18 du Pacte.

6.6     Pour ce qui est des allégations de l’auteur relatives aux atteintes à sa vie privée et à sa dignité, et en l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits de l’auteur en vertu de l’article 17.

7.       Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, du paragraphe 3 c) de l’article 14, de l’article 17 et de l’article 18 du Pacte.

8.       En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à un recours utile sous la forme d’un dédommagement pour le traitement qu’il a subi. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.       Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est prié de publier les constatations du Comité.

 

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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* Constatations rendues publiques sur décision du Comité des droits de l’homme.

 

** Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l’examen de la communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Louis Henkin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Patrick Vella et M. Maxwell Yalden.

[a] Aucun renseignement à jour n’a été fourni quant à la question de savoir si l’auteur est encore en détention.



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