Présentée par: M. Dobroslav Paraga
Au nom de: L'auteur
État partie: Croatie
Date de la communication: 16 avril 1996 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 4 avril 2001,
Ayant achevé l'examen de la communication n 727/1996 présentée par
M. Dobroslav Paraga en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations suivantes:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole
facultatif
1. L'auteur de la communication, datée du 16 avril 1996, est M. Dobroslav
Paraga, citoyen croate résidant à Zagreb. Il affirme être victime de violations
par la Croatie du paragraphe 3 de l'article 2, des paragraphes 1 et 5 de l'article
9, de l'article 7, du paragraphe 2 de l'article 12, des paragraphes 2 et 7
de l'article 14, des paragraphes 1 et 2 de l'article 19 et des articles 25
et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Pacte
est entré en vigueur pour la Croatie le 8 octobre 1991 et le Protocole facultatif
est entré en vigueur pour la Croatie le 12 janvier 1996. L'auteur n'est pas
représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur signale qu'il a été un militant des droits de l'homme tout
au long de sa vie, qu'il a été emprisonné, torturé et que des procès politiques
lui ont été intentés dans l'ex-Yougoslavie. En 1990, il a réorganisé le
HSP (Parti croate des droits) qui était interdit depuis 1929 et en est devenu
Président.
2.2 L'auteur déclare qu'après la désintégration de l'ex-Yougoslavie, le
nouveau gouvernement croate l'a lui aussi persécuté et qu'il a été victime
de nombreuses mesures répressives (arrestations illégales, déclarations
calomnieuses, procès politiques, mandats d'arrestation injustifiés, etc.).
2.3 Le 21 septembre 1991, le Vice-Président du HSP, Ante Paradzik, a été
assassiné alors qu'il venait de participer à un rassemblement politique.
L'auteur affirme qu'il était également visé par l'attentat et que c'était
par pur hasard qu'il ne se trouvait pas dans la voiture avec son collègue.
En 1993, quatre fonctionnaires du Ministère de l'intérieur ont été reconnus
coupables du meurtre de Paradzik; ils auraient été libérés en 1995.
2.4 Le 22 novembre 1991, M. Paraga a été arrêté dans une embuscade tendue
par la police, au motif qu'il aurait eu l'intention de renverser le Gouvernement.
Il a été maintenu en détention jusqu'au 18 décembre 1991, date à laquelle
sa libération a été ordonnée; la Haute Cour avait en effet jugé insuffisants
les éléments de preuve présentés à l'appui de l'accusation portée contre
lui. L'auteur affirme qu'il y a eu en l'espèce violation des paragraphes
1 et 5 de l'article 9 du Pacte. Il affirme également qu'après avoir statué
en sa faveur, le Président de la Haute Cour a été démis de ses fonctions.
2.5 Le 1er mars 1992, une explosion s'est produite dans les bureaux du
HSP à Vinkovci où l'auteur devait se trouver. Plusieurs personnes sont mortes
dans la conflagration, mais selon l'auteur il n'y a pas eu d'enquête officielle.
Le 21 avril 1992, l'auteur a fait l'objet d'un avertissement pour avoir
traité le Président de la République de dictateur. M. Paraga affirme qu'il
s'agit là d'une violation de l'article 19 du Pacte, car les mesures prises
contre lui visaient à restreindre sa liberté d'expression.
2.6 M. Paraga déclare que, le 2 juin 1992, il a été accusé de «mobiliser
illégalement des personnes en vue de constituer une armée». Selon lui, cette
accusation visait à l'empêcher de participer à la campagne électorale pour
les élections parlementaires et de se présenter aux élections présidentielles.
L'auteur invoque une violation de l'article 25 du Pacte car il aurait été
effectivement empêché de participer aux élections. Il affirme en outre que
lesdites élections étaient truquées.
2.7 Le 30 septembre 1992, le parquet a déposé une requête auprès de la
Cour constitutionnelle en vue d'obtenir l'interdiction du HSP. Le 8 novembre
1992, un tribunal militaire siégeant à Zagreb a ouvert une enquête sur les
activités du HSP qui était soupçonné de complot visant à renverser le Gouvernement.
Pour l'auteur, cette mesure constitue une violation du paragraphe 7 de l'article
14 du Pacte car il avait déjà été acquitté du même chef d'accusation en
1991. M. Paraga a de ce fait cessé de bénéficier de l'immunité parlementaire
pendant 13 mois. Le 4 novembre 1993, le tribunal militaire a prononcé un
non-lieu.
2.8 Après un voyage aux États-Unis au cours duquel il avait qualifié le
Président de la République d'oppresseur, l'auteur a été accusé de calomnie,
le 3 juin 1993. Le Parlement l'a alors démis de ses fonctions de Vice-Président
de la Commission parlementaire des droits fondamentaux de l'homme et des
groupes ethniques. L'auteur affirme qu'un membre de la police secrète a
reconnu, dans une déclaration publiée par un hebdomadaire en juillet 1993,
qu'il avait reçu l'ordre de l'assassiner.
2.9 Le 28 septembre 1993, le Ministère de l'administration aurait privé
l'auteur du droit de représenter le HSP et aurait conféré ce droit à un
agent du Gouvernement, faisant ainsi du HSP une simple annexe du parti au
pouvoir. Les plaintes déposées par l'auteur auprès du tribunal administratif
et de la Cour constitutionnelle ont été rejetées.
2.10 L'auteur a participé aux élections parlementaires d'octobre 1995 au
sein d'une nouvelle formation, le Parti croate des droits – 1861,
mais n'a pas été réélu. Il affirme qu'il a été désavantagé par les sanctions
prises contre lui, ce qui constitue une violation de l'article 25 du Pacte.
Selon lui, la Commission électorale a violé la loi électorale, ce qui a
permis au HSP (alors dirigé par un agent du Gouvernement) d'entrer au Parlement
bien qu'il n'ait pas obtenu les 5 % de voix nécessaires. L'auteur et les
dirigeants de 10 autres partis politiques ont déposé une plainte, que la
Cour constitutionnelle a rejetée le 20 novembre 1995.
2.11 L'auteur note qu'il continue de faire l'objet de persécutions. Il
mentionne à cet égard une décision judiciaire datée du 31 janvier 1995 (confirmée
le 25 mars 1996), lui enjoignant de quitter les bureaux qu'il occupait.
Pour lui, cette mesure vise à entraver ses activités politiques. Il note,
en outre, que des candidats de son parti figuraient parmi les personnes
élues au Gouvernement de coalition du comitat de Zagreb, mais que
le Président de la République n'a pas accepté les résultats des élections
et a fait obstacle à la nomination d'un maire.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité et commentaires
de l'auteur
3.1 Dans ses observations datées du 31 octobre 1997, l'État partie rappelle
qu'en adhérant au Protocole facultatif, il avait émis la réserve suivante
qui limite la compétence ratione temporis du Comité pour examiner
des communications: «La République de Croatie interprète l'article premier
du Protocole comme donnant compétence au Comité pour recevoir et examiner
des communications émanant de particuliers relevant de la juridiction de
la République de Croatie qui prétendent être victimes de violations, par
la République, de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte, résultant
soit d'actes, soit d'omissions, soit d'événements postérieurs à la date
d'entrée en vigueur du Protocole pour la République de Croatie.» Pour l'État
partie, les allégations de l'auteur portent presque exclusivement sur des
événements et des actes qui se sont produits bien avant l'entrée en vigueur
du Protocole pour la Croatie, le 12 janvier 1996.
3.2 Pour l'État partie, les violations invoquées ne sauraient être considérées
comme un processus ininterrompu qui, pris globalement, constitue une seule
et même violation continue des droits de l'auteur garantis par le Pacte.
En outre, dans certaines procédures judiciaires mentionnées par le requérant,
les tribunaux ont statué en sa faveur; c'est le cas par exemple de la procédure
visant à interdire le HSP que le parquet a décidé d'interrompre. Le fait
que l'auteurait été partie à plusieurs procédures judiciaires au cours des
ans ne prouve pas que ces procédures aient été liées les unes aux autres
et ne permet pas non plus de conclure à la persistance des effets de telles
procédures sur l'exercice par l'auteur de ses droits fondamentaux.
3.3 L'État partie reconnaît, toutefois, que la décision judiciaire tendant
à ce que M. Paraga quitte les locaux que lui-même et son parti occupaient,
qui a été confirmée le 25 mars 1996, c'est-à-dire après l'entrée en vigueur
du Protocole facultatif pour la Croatie, constitue une exception aux observations
ci-dessus. Toutefois, l'État partie déclare qu'étant donné que M. Paraga
ne se plaint pas d'une violation de l'article 26 à cet égard, mais allègue
une violation de son droit à la propriété, qui n'est pas protégé par le
Pacte, cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae.
L'État partie fait observer en outre que la Cour constitutionnelle croate
peut connaître à la fois des affaires concernant la discrimination fondée
sur l'opinion politique et de celles qui ont trait au droit à la propriété
dans le contexte de la protection des droits et des libertés fondamentaux
garantis par la Constitution. Comme l'auteur ne s'est pas prévalu de cette
voie de droit, les recours internes disponibles n'ont pas été épuisés.
3.4 Ainsi, l'État partie considère que la communication est irrecevable
en partie ratione temporis et en partie en raison du non-épuisement
des recours internes.
4.1 Dans ses observations, l'auteur affirme que toutes les conséquences,
juridiques ou autres, des mesures prises à son encontre par les autorités
croates ont eu des effets persistants. Il réitère ce qui suit:
a) Les autorités n'ont jamais fait toute la lumière sur les circonstances
de l'assassinat de son ex-adjoint et Vice-Président du HSP, Ante Paradzik.
Après leur deuxième procès, les quatre membres du Ministère de l'intérieur
qui sont les auteurs du crime ont été graciés et le juge qui les avait condamnés
a été démis de ses fonctions;
b) L'action en justice intentée à l'auteur et qui a débouché sur son
arrestation le 22 novembre 1991, puis sur sa remise en liberté faute de
preuves, n'a jamais été officiellement menée à terme, de sorte que l'auteur
ne peut pas introduire une action en dommages et intérêts pour arrestation
et détention arbitraires;
c) Les poursuites engagées contre l'auteur le 21 avril 1992 pour calomnie
n'ont pas été officiellement abandonnées;
d) Il n'y a eu aucune enquête équitable et impartiale sur l'attentat
à la bombe au siège du parti de l'auteur à Vinkovci le 1er mars 1992;
e) Le trucage présumé des élections, le 2 août 1992, n'a fait l'objet
d'aucune enquête impartiale;
f) Aucune enquête n'a été ouverte pour faire la lumière sur la tentative
d'assassinat présumée dont a été victime l'auteur en mars 1993 et qui
aurait, selon lui, été menée à l'instigation de membres du Gouvernement;
g) Enfin, après que l'auteur eut été démis de ses fonctions de président
du HSP, ce parti a été transformé en «satellite» du parti au pouvoir.
4.2 L'auteur affirme être victime d'une violation de l'article 26 du Pacte,
car il a fait l'objet d'une discrimination du fait de ses opinions politiques.
Le 7 octobre 1997, le tribunal du comitat de Zagreb, se fondant sur
l'article 191 du Code pénal, a entamé une procédure contre l'auteur pour propagation
de fausses nouvelles; M. Paraga signale qu'il risque d'être condamné à six
mois de prison s'il est reconnu coupable. Le 4 décembre 1997, l'auteur a été
arrêté à la frontière autrichienne, apparemment parce que de fausses informations
sur le but de sa visite avaient été délibérément communiquées par le Ministère
croate des affaires étrangères aux autorités autrichiennes; l'auteur a été
détenu pendant 16 heures par lesdites autorités. Un incident semblable s'était
déjà produit lors d'une visite de l'auteur au Canada; il aurait été alors
détenu six jours à Toronto en juin 1996, parce que le Gouvernement croate
l'aurait accusé d'activités subversives.
4.3 L'auteur rejette l'argument du Gouvernement selon lequel la procédure
judiciaire d'expulsion et de dépossession de l'appartement abritant les
bureaux de son parti ne constitue en aucun cas une mesure de discrimination
fondée sur l'opinion politique. Il objecte que c'est seulement à cause des
pressions exercées par l'opinion publique internationale et de l'intervention
du propriétaire de l'appartement qui a la double nationalité (croate et
canadienne), que la décision prise par le tribunal le 25 mars 1996 n'a pas
été appliquée.
4.4 S'agissant de la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle d'allégations
de discrimination, d'expropriation illégale et de violations d'autres droits
fondamentaux, l'auteur affirme que cette instance «est un instrument de
l'oligarchie au pouvoir et que [lorsqu'il s'agit de] questions essentielles,
les décisions du ... Président Tudjman» ne sont pas contestées. Il considère
donc que les recours constitutionnels qu'offre la Cour ne sont d'aucune
utilité; l'auteur estime par conséquent qu'en ce qui concerne l'ensemble
des questions et des allégations susmentionnées, il a épuisé tous les recours
internes.
Considérations concernant la recevabilité
5.1 À sa soixante-troisième session, le Comité a examiné la recevabilité
de la communication.
5.2 Le Comité a rappelé qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État
partie avait fait une déclaration restreignant la compétence du Comité aux
seuls faits ayant suivi l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour
la Croatie, le 12 janvier 1996. Le Comité a noté que la plupart des violations
présumées des droits de M. Paraga reconnus dans le Pacte résultaient d'une
série d'actes et d'événements datant de la période allant de 1991 à 1995
et étaient donc antérieurs à l'entrée en vigueur du Protocole facultatif
pour la Croatie.
5.3 Le Comité a considéré, toutefois, que l'allégation de l'auteur selon
laquelle il ne pouvait introduire une action en dommages et intérêts pour
son arrestation et sa détention présumées arbitraires du 22 novembre 1991
du fait que l'action qui lui avait été intentée n'avait jamais été officiellement
menée à terme, et que l'allégation selon laquelle les poursuites engagées
contre lui le 21 avril 1992 pour calomnie n'avaient jamais été abandonnées,
se rapportaient à des incidents qui avaient des effets persistants pouvant
constituer en eux-mêmes une violation du Pacte. Le Comité a considéré
en conséquence que ces allégations étaient recevables et qu'elles devaient
être étudiées quant au fond.
5.4 Le Comité a considéré que, compte tenu de la déclaration faite par
l'État partie au moment de son adhésion au Protocole facultatif, il n'était
pas habilité ratione temporis à examiner les autres éléments de la
communication dans la mesure où ils avaient trait à des événements qui s'étaient
produits avant le 12 janvier 1996, car les effets persistants dont se plaignait
M. Paraga ne semblaient pas constituer en eux-mêmes une violation
du Pacte et ne pouvaient non plus être interprétés comme une perpétuation,
par des actes ou de manière implicite, de violations antérieures qu'aurait
commises l'État partie (1)
.
5.5 À propos de la décision du tribunal par laquelle il a été enjoint à
l'auteur de quitter l'appartement qui abritait les bureaux de son parti,
le Comité a noté l'argument de l'État partie selon lequel la Cour constitutionnelle
était habilitée à connaître des plaintes pour dépossession illégale et arbitraire
d'un bien et pour discrimination. L'auteur a simplement affirmé que ce recours
n'était pas utile car la Cour constitutionnelle était «un instrument de
l'oligarchie au pouvoir». Le Comité a rappelé que le simple fait de douter
de l'utilité d'un recours interne ne dispensait pas un requérant de s'en
prévaloir; il a noté à cet égard que, par le passé, pour d'autres violations
présumées de ses droits, les tribunaux croates s'étaient prononcés en faveur
de l'auteur. En l'espèce, le Comité a conclu qu'un recours auprès de la
Cour constitutionnelle contre la décision par laquelle il avait été enjoint
à l'auteur de quitter l'appartement qui abritait les bureaux de son parti
n'était pas inutile a priori. Les dispositions du paragraphe 2 b
de l'article 5 du Protocole facultatif n'avaient donc pas été respectées.
5.6 S'agissant de l'allégation de l'auteur mentionnée au paragraphe 4.2
ci-dessus, selon laquelle celui-ci était victime d'une violation de l'article
26, le Comité a considéré que cette allégation était recevable et qu'elle
devait être examinée quant au fond.
6. En conséquence, le 24 juillet 1998, le Comité des droits de l'homme
a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle avait
trait à l'arrestation et à la détention de l'auteur le 22 novembre 1991,
aux poursuites engagées contre lui pour calomnie le 21 avril 1992 et au
fait qu'il affirmait être victime de discrimination.
Renseignements de l'État partie et réponse de l'auteur concernant
la communication quant au fond
7.1 Dans ses observations quant au fond, l'État partie fournit un complément
d'information sur les faits concernant l'arrestation et la détention de
l'auteur en novembre 1991 ainsi que sur les accusations de «diffusion de
fausses informations» portées contre lui en avril 1992 et confirme que toute
la procédure relative à l'ensemble des accusations visées est désormais
achevée.
7.2 L'État partie confirme que M. Paraga a été arrêté le 22 novembre 1991,
que sa mise en détention a été ordonnée par le magistrat instructeur en
vertu du paragraphe 2, alinéas 2 et 3, de l'article 191 du Code de procédure
pénale et qu'il a été libéré le 18 décembre 1991 sur décision du tribunal
du comitat de Zagreb.
7.3 L'État partie déclare que, le 25 novembre 1991, le cabinet du Procureur
du comitat de Zagreb a déposé une requête sous le numéro KT-566/91,
demandant l'ouverture d'une enquête contre M. Paraga pour «rébellion armée»
et «possession illégale d'armes et d'explosifs», en application, respectivement,
des paragraphes 1 et 2 de l'article 236 f et des paragraphes 2 et
3 de l'article 209 du Code pénal croate alors en vigueur. Une demande de
mise en détention provisoire a également été présentée en vertu du paragraphe
2, alinéas 2 et 3, de l'article 191 du Code de procédure pénale.
7.4 Le magistrat instructeur a rejeté la demande d'ouverture d'une enquête
et a renvoyé l'affaire devant un collège de magistrats qui a décidé de mener
une enquête en ce qui concernait uniquement les paragraphes 2 et 3 de l'article
209. Toutefois, le cabinet du Procureur du comitat n'a pas décerné
d'acte d'accusation et n'a pas demandé au magistrat instructeur d'ouvrir
l'enquête. En conséquence, le magistrat instructeur a de nouveau transmis
le dossier au collège des trois magistrats, lequel, dans une décision portant
le numéro Kv-48/98, datée du 10 juin 1998, a mis fin aux poursuites contre
M. Paraga, conformément au paragraphe 1, alinéa 3, de l'article 162 du Code
de procédure pénale. Selon l'État partie, la décision a été envoyée à M.
Paraga le 17 juin 1998 et celui-ci l'a reçue le 19 juin 1998.
7.5 L'État partie affirme que l'arrestation de M. Paraga a été effectuée
légalement, conformément au Code de procédure pénale alors en vigueur, et
qu'en conséquence la République de Croatie n'a pas commis de violation du
paragraphe 1 de l'article 9 du Pacte. En outre, l'État partie fait observer
que, la procédure ayant pris fin, l'auteur peut demander réparation devant
les tribunaux croates, conformément au paragraphe 5 de l'article 9 du Pacte.
7.6 L'État partie confirme que des poursuites ont été engagées par le cabinet
du Procureur municipal en avril 1992 pour «diffusion de fausses informations»,
en vertu de l'article 191 du Code pénal (par. 1 de l'article 197 de l'ancien
Code), en application du paragraphe 1 de l'article 425 et au titre du paragraphe
1, alinéa 1, de l'article 260 du Code de procédure pénale (voir également
plus loin). L'État partie déclare qu'en raison des modifications apportées
aux dispositions respectives du Code pénal et du temps qui s'était écoulé,
le tribunal municipal de Split, qui avait reçu l'acte d'accusation émis
par le cabinet du Procureur, a pris la décision n IK-504/92, datée du 26
janvier 1999, rejetant les accusations portées contre M. Paraga.
7.7 Pour ce qui est de la discrimination dont l'auteur aurait été victime
en raison de ses opinions politiques, en particulier à la suite de ses déclarations
au quotidien Novi list, l'État partie confirme que le cabinet du
Procureur municipal de Zagreb a engagé des poursuites contre M. Paraga le
7 octobre 1997, pour «diffusion de fausses informations», conformément à
l'article 191 du Code pénal alors en vigueur. Toutefois, à l'achèvement
de l'enquête qui a suivi, les poursuites pénales ont été abandonnées le
26 janvier 1998.
7.8 L'État partie précise que, conformément à l'article 191 du Code pénal
alors applicable, la diffusion de fausses informations aurait pu être le
fait d'une personne «qui transmet ou répand des informations dont elle sait
qu'elles sont fausses, qui sont susceptibles de jeter le trouble parmi un
grand nombre de citoyens et qui visent à jeter un tel trouble». En vertu
du nouveau Code pénal, en vigueur depuis le 1er janvier 1998, le même délit
est désormais défini comme la «diffusion de rumeurs mensongères et perturbantes»
(art. 322 du Code pénal) et, pour en être reconnu coupable, «l'auteur doit
savoir que les rumeurs qu'il répand sont mensongères, son objectif étant
de perturber un grand nombre de citoyens et lesdits citoyens étant perturbés».
Il faut en conséquence que les effets correspondent à l'intention. Selon
l'État partie, tel n'était pas le cas en l'espèce et les accusations pénales
ont donc été levées, les poursuites contre M. Paraga ayant pris fin le 26
janvier 1998.
7.9 Pour ce qui est des affirmations de l'auteur selon lesquelles il aurait
été arrêté et détenu à la frontière autrichienne le 4 décembre 1997 et à
la frontière canadienne en juin 1996 sur la base d'informations erronées
communiquées précédemment par le Ministère croate des affaires étrangères
concernant l'objectif de ses déplacements, le Ministère en question rejette
fermement ces allégations qu'il considère malveillantes et entièrement dénuées
de fondement. Selon l'État partie, l'ambassade de Croatie à Vienne a demandé
et a reçu une explication officielle des autorités autrichiennes concernant
l'arrestation de M. Paraga, dont elle n'a été informée, selon elle, que
par la presse autrichienne. L'État partie a été informé que M. Paraga était
entré en Autriche en tant que citoyen slovène et avait été maintenu en détention
jusqu'à ce que certains faits soient établis concernant la raison pour laquelle
il avait déjà été interdit d'entrée en Autriche en 1995. Il a également
été informé qu'une plainte déposée par M. Paraga lui-même concernant sa
mise en détention était toujours en cours d'examen. L'État partie déclare
qu'étant donné que M. Paraga n'avait pas signalé l'incident à la Mission
diplomatique croate, il n'a pas été possible de le protéger en vertu des
conventions internationales.
7.10 De même, l'État partie déclare qu'il n'a été informé que par la presse
de l'arrestation de M. Paraga par le Bureau canadien de l'immigration à
Toronto et que, lorsqu'il a été informé de cette arrestation, le Consul
général de la République de Croatie à Mississauga a contacté l'avocat de
M. Paraga, lequel a refusé de lui fournir toute information. Le Consul général
a alors contacté M. Henry Ciszek, Directeur du Bureau canadien de l'immigration
à l'aéroport de Toronto, qui lui a indiqué que M. Paraga utilisait un passeport
slovène (il n'avait pas de visa canadien valide sur son passeport croate)
et qu'il ne souhaitait pas de protection consulaire puisqu'il refusait de
parler au Consul général.
8.1 L'auteur rejette les observations de l'État partie sur le fond comme
étant «entièrement fausses». Pour ce qui est de son arrestation et de sa
détention en novembre 1991, l'auteur déclare qu'il a été arrêté «sans inculpation»
et qu'il a été arrêté et détenu «arbitrairement et absolument sans raison»
uniquement pour des motifs politiques. Il affirme que le Président de la
République de Croatie a exercé des pressions sur le Président de la Cour
suprême d'alors pour qu'il le condamne «illégalement» et que, lorsque ce
dernier a refusé de le faire, il a été démis de ses fonctions de président
de la Cour suprême le 24 décembre 1991 (2).
8.2 L'auteur confirme que la décision du tribunal mettant fin aux poursuites
engagées contre lui a été prise le 10 août 1998. Toutefois, il déclare que
cette décision n'a été prise qu'après la présentation de sa communication
au Comité des droits de l'homme et après le dépôt auprès du tribunal du
comitat de Zagreb d'une «note urgente» demandant qu'il soit mis fin
à la procédure. En outre, l'auteur déclare qu'au moins entre 1991 et 1998,
il a fait l'objet d'une enquête pénale, ce qui l'a privé de ses droits civils
et politiques car «une personne visée par une enquête ne peut pas avoir
un emploi permanent, n'a pas droit à la protection sociale et sanitaire
et n'a pas le droit d'être employée».
8.3 En ce qui concerne les poursuites engagées contre M. Paraga en avril
1992 pour calomnie, l'auteur reconnaît qu'elles ont été abandonnées, mais
il fait observer qu'elles ont duré sept ans depuis la date de sa mise en
accusation.
8.4 En ce qui concerne les poursuites engagées contre lui le 7 octobre
1997 pour diffusion de fausses informations, l'auteur affirme que, contrairement
à ce que prétend l'État partie, celles-ci n'ont pas encore pris fin. Il
déclare qu'aucune décision concernant la fin des poursuites ne lui a été
communiquée. Il se dit de nouveau convaincu qu'il a été arrêté par les gardes
frontière au Canada en 1996 et en Autriche en 1997 en raison d'informations
données par les autorités croates aux agents de contrôle des frontières
des deux pays selon lesquelles il aurait été impliqué dans des activités
subversives. En fait, il affirme que ce sont les autorités d'immigration
tant au Canada qu'en Autriche qui l'ont renseigné à ce sujet. Il conteste
l'affirmation de l'État partie qui prétend que les autorités croates étaient
disposées à lui venir en aide au cours de sa détention au Canada et en Autriche
et affirme que, ni dans un cas ni dans l'autre, les autorités croates sont
intervenues pour obtenir sa libération. Il déclare qu'il a déposé plainte
contre le Gouvernement croate afin d'obtenir réparation après sa détention
au Canada et en Autriche pour ce qu'il appelle «abus d'autorité».
Réexamen de la décision concernant la recevabilité et examen quant
au fond
9.1 Conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif,
le Comité des droits de l'homme a examiné la communication en tenant compte
de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties.
9.2 Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a de
l'article 5 du Protocole facultatif, le Comité s'est assuré que la même
question n'était pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement (3).
9.3 En ce qui concerne l'arrestation et la détention de l'auteur, le 22
novembre 1991, le Comité avait estimé, dans sa décision du 24 juillet 1998
concernant la recevabilité, que la communication était recevable dans la
mesure où elle avait trait aux effets persistants des poursuites pénales
qui avaient alors été engagées contre l'auteur et qui n'étaient pas achevées
au moment de la présentation de la communication. Le Comité rappelle que
sa décision concernant la recevabilité était fondée sur les effets présumés
persistants des violations qui auraient été commises avant l'entrée en vigueur
du Protocole facultatif pour la Croatie.
9.4 Le Comité note que, selon l'État partie, les poursuites ont pris fin
le 17 juin 1998 et que l'auteur peut désormais saisir les tribunaux nationaux
d'une demande de réparation. Compte tenu de ce nouvel élément d'information
fourni depuis l'adoption de la décision concernant la recevabilité, le Comité,
conformément au paragraphe 4 de l'article 93 de son règlement intérieur,
revient sur sa précédente décision concernant la recevabilité et déclare
que l'allégation concernant la violation du paragraphe 5 de l'article 9
n'est pas recevable, l'auteur n'ayant pas épuisé les recours internes à
cet égard comme l'exige l'article 5, paragraphe 2 b, du Protocole
facultatif. L'auteur devrait se prévaloir des recours internes disponibles
à cet égard.
9.5 Le Comité passe immédiatement à l'examen, quant au fond, de la plainte
relative aux poursuites engagées pour calomnie et à l'allégation de discrimination.
9.6 En ce qui concerne les poursuites engagées pour calomnie, le Comité
a noté que l'auteur soutient qu'il a été poursuivi parce qu'il avait qualifié
le Président de la République de dictateur. L'État partie n'a pas réfuté
cette affirmation, mais a informé le Comité que les accusations retenues
contre l'auteur avaient finalement été rejetées en janvier 1999. Le Comité
remarque qu'une disposition du Code pénal en vertu de laquelle de telles
poursuites pourraient être engagées serait susceptible, dans certaines circonstances,
de conduire à des restrictions plus sévères que ne l'autorise le paragraphe
3 de l'article 19 du Pacte. Cependant, en l'absence d'informations précises
de la part de l'auteur et compte tenu du fait que les charges signifiés
à celui-ci ont été abandonnées, le Comité n'est pas en mesure de conclure
que le seul fait d'engager des poursuites contre l'auteur revenait à violer
l'article 19 du Pacte.
9.7 Le Comité estime que les accusations portées contre M. Paraga en novembre
1991 et les accusations de calomnie portées contre lui en avril 1992 soulèvent
la question du retard excessif (par. 3 c de l'article 14 du Pacte).
Il estime que cette allégation est recevable en raison du fait que les procédures
engagées dans les deux cas n'ont pris fin que deux ans et demi et trois
ans, respectivement, après l'entrée en vigueur du Protocole facultatif pour
l'État partie. Le Comité note que les deux procédures ont duré sept ans
en tout et constate que l'État partie, tout en ayant donné des informations
sur l'avancement de la procédure, n'a pas fourni d'explications indiquant
la raison pour laquelle les procédures concernant ces deux chefs d'inculpation
ont tant duré et n'a pas donné de raison spéciale pouvant justifier le retard
intervenu. Il estime en conséquence que l'auteur n'a pas pu être jugé «sans
retard excessif», au sens du paragraphe 3 c de l'article 14 du Pacte.
9.8 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle il serait
victime de discrimination en raison de son opposition politique au Gouvernement
croate alors en place, le Comité note que les poursuites engagées contre
lui le 7 octobre 1997 ont abouti à un non-lieu quelques mois plus tard,
le 26 janvier 1998. Par conséquent, et faute d'autres informations qui étaieraient
cette allégation, le Comité ne peut constater qu'il y a eu violation d'un
quelconque des articles du Pacte à cet égard.
9.9 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle il aurait
été victime de diffamation de la part des autorités croates en Autriche
et au Canada, le Comité note que, selon l'État partie, dans ni l'un ni l'autre
des cas l'auteur n'avait informé les autorités croates de sa mise en détention
et, s'agissant de son entrée au Canada, il utilisait un passeport slovène.
Il note que l'auteur n'a pas fait d'autres observations sur ces points.
En conséquence, il conclut que l'auteur n'a pas étayé son allégation et
qu'il n'y a pas eu de violation à cet égard.
10. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est
saisi font apparaître une violation par la Croatie du paragraphe 3 c
de l'article 14 du Pacte.
11. Conformément au paragraphe 3 a de l'article 2 du Pacte, le Comité
estime que l'auteur a droit à un recours utile, notamment sous la forme
d'une indemnisation appropriée.
12. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a
reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou
non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, l'État
partie s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son
territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte
et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie,
le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours,
des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté
par le Comité à l'Assemblée générale.]
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, Mme Christine Chanet,
M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina
Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M.
Hipólito Solari Yrigoyen, M. Ahmed Tawfic Khalil, M. Patrick Vella, M. Maxwell
Yalden.
Notes
1. Voir le paragraphe 4.5 des Constatations du Comité concernant la communication
No. 516/1992 (Simunek et consorts c. République tchèque),
adoptées le 19 juillet 1995.
2. L'auteur ne fournit pas de détails qui pourraient étayer cette allégation.
3. Le Comité note que l'auteur a soumis deux communications à la Cour européenne
des droits de l'homme en 1999, mais que les questions soulevées dans celles-ci
diffèrent des questions soulevées dans la présente communication.