Présentée par : Andrew Perkins (représenté par Allen & Overy,
cabinet d'avocats à Londres)
Au nom de : L'auteur
État partie : Jamaïque
Date de la communication : 20 décembre 1996 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 juillet 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 733/1997 présentée
par M. Andrew Perkins en vertu du Protocole facultatif se rapportant au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Andrew Perkins, citoyen jamaïcain,
qui attend son exécution à la prison centrale de St. Catherine à Kingston
(Jamaïque). Il se déclare victime d'une violation des articles 7, 10 et
14 du Pacte. Il est représenté par le cabinet d'avocats de Londres Allen
& Overy.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 12 décembre 1995, l'auteur a été reconnu coupable de deux chefs
d'accusation de meurtre emportant la peine capitale à la suite du décès
de William et Marian Burrell, survenu le 20 mars 1994, et condamné à mort.
La cour d'appel l'a débouté le 17 juin 1996. La section judiciaire du
Conseil privé a rejeté sa demande d'autorisation spéciale de recours le
16 décembre 1996. De ce fait, tous les recours internes disponibles auraient
été épuisés.
2.2 Lors du procès, l'accusation a avancé la thèse suivante : le 20 mars
1994, M. et Mme Burrell surprennent un intrus dans leur boutique le matin.
Celui-ci les agresse à coups de couteau, tuant la femme sur le coup. Un
témoin affirme avoir vu l'auteur s'enfuir de la boutique un couteau ensanglanté
à la main et avoir également vu M. Burrell, blessé à la gorge, sortir
en brandissant une machette. Selon un agent de police, Burrell est arrivé
au commissariat de police blessé à la gorge, une machette à la main, et
a déclaré que l'auteur avait tué sa femme et lui avait tranché la gorge.
M. Burrell succombait par la suite à ses blessures à l'h_pital.
2.3 L'auteur a été arrêté le 21 mars 1994. Le 22 mars 1994, il a fait
une déposition dans laquelle il a déclaré qu'il s'était caché dans la
boutique le 19 mars 1994 en fin de journée et que lorsqu'il était sorti
de sa cachette, il avait vu Mme Burrell et l'avait poignardée au cou.
M. Burrell l'avait alors attaqué avec un coutelas et l'auteur lui avait
tailladé le cou avant de s'enfuir.
2.4 Lors du procès, l'auteur a fait une déclaration du banc des accusés,
sans prêter serment. Il a déclaré qu'il vendait de la cocaïne à M. et
à Mme Burrell. Le 19 mars 1994, il s'est rendu, comme prévu, dans leur
boutique, vers 21 heures. Après avoir attendu pendant près de deux heures
qu'ils ferment leur boutique, une dispute a éclaté au sujet de l'argent
qu'ils lui devaient. M. Burrell a alors blessé l'auteur à la lèvre d'un
coup de couteau et, lorsque Mme Burrell s'est élancée vers M. Burrell,
elle a été accidentellement blessée à la gorge. L'auteur a ramassé le
couteau et a poignardé M. Burrell, qui se ruait sur lui avec une machette.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que, le 21 mars 1994, on lui a demandé de signer
une déclaration écrite dont il ignorait le contenu, sous peine de bastonnade
et de mort. Ayant refusé d'obtempérer, il a été ramené dans sa cellule.
Le lendemain, des policiers (qu'il cite nommément) l'ont battu à coups
de matraque. Au bout de 25 minutes, l'auteur a accepté de signer. L'auteur
affirme avoir porté par écrit cet incident à l'attention du médiateur
et qu'on lui avait écrit, en février 1996, que la question ferait l'objet
d'une enquête. Depuis, il n'a pas eu de nouvelles du médiateur. Il ressort
du compte rendu d'audience que la déclaration de l'auteur a été admise
comme preuve par le juge à l'issue d'un voir dire au cours duquel l'auteur
a déposé sous serment.
3.2 L'auteur affirme en outre que, pendant sa détention provisoire, il
était détenu dans une cellule avec 23 autres personnes et que, faute d'espace,
il devait rester debout le plus clair du temps. S'il dormait, c'était
généralement par terre. Depuis sa condamnation, il est détenu dans une
cellule exiguë pour une seule personne. Il couche sur un tapis de sol
en mousse et n'a qu'un seau pour w.-c. Il ne reçoit aucune lecture. Il
affirme encore faire l'objet de brimades de la part des gardiens qui lui
disent que le bourreau ne va pas tarder et qu'il est le prochain candidat
à la potence.
3.3 L'auteur déclare n'avoir rencontré son avocat qu'à la troisième audience
préliminaire et ne s'être entretenu avec lui qu'une seule fois avant le
procès. Il n'a pas eu la possibilité de lui donner des instructions et
se plaint que son avocat était souvent absent pendant le procès/ Il ne
ressort pas du compte rendu d'audience que l'avocat s'absentait pendant
le procès./. Il déclare également ne pas avoir eu l'occasion de s'entretenir
avec son avocat en dehors du tribunal pendant le procès et que l'avocat
ne s'est pas rendu sur le lieu du crime, comme il le lui avait demandé.
L'attitude de l'avocat constituerait une violation de l'article 14, paragraphe
3 b).
3.4 L'auteur soutient que l'ouverture de son procès a été indûment retardée
et qu'il a ainsi passé un an et neuf mois en détention provisoire, ce
qui serait contraire à l'article 14, paragraphe 3 c) du Pacte.
3.5 L'auteur affirme également que, dans son cas, l'article 14, paragraphe
3 e), a été violé, puisqu'il n'a pas été donné suite à sa demande tendant
à ce que son père soit cité comme témoin de moralité.
3.6 L'auteur affirme en outre que le juge du fond n'a pas laissé au jury
le soin de se prononcer sur la question de la provocation. Il affirme
par ailleurs que c'est à tort que le juge a donné pour instructions aux
jurés de ne pas retenir l'hypothèse que la déclaration de Burrell à l'agent
de police ait pu être concoctée. L'auteur soutient également que le juge
a fait erreur en admettant comme preuve la déclaration officielle de l'auteur
à la police.
Observations de l'État partie
4.1 Par une communication du 5 mars 1997, l'État partie informe le Comité
qu'il ne conteste pas la recevabilité de la communication et qu'il examinera
l'affaire au fond.
4.2 S'agissant de l'allégation de l'auteur selon laquelle il a été battu
par la police, l'État partie note qu'il n'est pas fait mention du résultat
de l'enquête du médiateur. Aussi, l'État partie estime ne pas pouvoir
assumer de responsabilité à raison de la violation alléguée du Pacte.
4.3 Pour ce qui est des griefs de l'auteur contre son avocat commis d'office,
l'État partie affirme qu'une fois qu'il a nommé un conseil compétent,
il n'est plus responsable de la manière dont celui-ci représente son client.
Par conséquent, l'État partie nie toute violation de l'article 14, paragraphe
3 b).
4.4 L'État partie refuse de reconnaître qu'une période d'un an et neuf
mois entre l'arrestation et le procès constitue un retard excessif au
sens de l'article 14, paragraphe 3 c), d'autant qu'une enquête préliminaire
a eu lieu au cours de cette période.
4.5 L'État partie affirme en outre que le fait de ne pas avoir cité le
père de l'auteur comme témoin ne constituerait une violation de l'article
14, paragraphe 3 e), que si des agents de l'État avaient empêché qu'il
soit cité.
4.6 Concernant les allégations de l'auteur relatives aux instructions
données par le juge aux jurés, l'État partie rappelle la jurisprudence
du Comité selon laquelle il convient de laisser aux cours d'appel le soin
d'examiner les instructions du juge. L'État partie conclut que rien, en
l'espèce, ne justifie de déroger à ce principe.
Observations du conseil
5.1 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle il a
été battu par la police, le conseil rappelle que, bien que l'auteur ait
signalé le fait à son avocat, au tribunal et au médiateur, aucune suite
n'a été donnée à l'affaire. Le conseil n'est pas d'accord avec l'État
partie pour en conclure qu'il n'y a pas eu de violation, estimant qu'il
faut peut-être en déduire au contraire que l'enquête n'est pas encore
terminée.
5.2 Touchant la représentation de l'auteur au procès, le conseil estime
qu'il y a a priori des raisons de croire que l'État partie a failli à
l'obligation qui lui est faite de commettre un avocat qualifié. Il soutient
que l'avocat de l'auteur était incompétent parce qu'il n'a pas consulté
ce dernier ni sollicité ses instructions, s'est souvent absenté du procès
et n'a pas cité de témoins (de moralité) et ne s'est pas rendu sur le
lieu du crime. Le conseil fait en outre valoir que les absences fréquentes
de l'avocat du procès ont eu pour effet de priver l'auteur de représentation
durant divers intervalles de temps au cours du procès et que, dès lors,
l'assistance prêtée à l'auteur n'était ni suffisante ni efficace.
5.3 Le conseil soutient qu'un retard d'un an et neuf mois entre l'arrestation
et le procès constitue un retard excessif au sens de l'alinéa c) du paragraphe
3 de l'article 14 et, vu le jeune âge de l'auteur, une violation de l'alinéa
b) du paragraphe 2 de l'article 10.
5.4 Le conseil réaffirme que le fait pour l'avocat de n'avoir pas cité
le père de l'auteur comme témoin constitue une violation de l'alinéa e)
du paragraphe 3 de l'article 14.
5.5 Le conseil soutient également que les instructions données aux jurés
par le juge constituent une violation du paragraphe 1 de l'article 14,
en particulier le fait que celui-ci n'ait pas déclaré irrecevable comme
preuve la déclaration faite par l'auteur à la police, compte tenu de l'âge
de ce dernier au moment de son arrestation et de l'absence d'un adulte
indépendant pour le conseiller.
5.6 Le conseil fait observer que l'auteur est né le 23 septembre 1976
et qu'il avait donc 17 ans et 6 mois à l'époque de son arrestation. Il
estime dès lors que la détention de celui-ci avant son jugement constituait
une violation du paragraphe 2 b) de l'article 10, parce que bien que mineur
il n'avait pas été séparé des adultes. Il fait également valoir que la
durée de cette détention est particulièrement inacceptable vu l'âge de
l'auteur et constitue également une violation du paragraphe 2 b) de l'article
10.
5.7 Enfin, le conseil fait valoir que, dans la mesure où l'auteur était
mineur à l'époque des meurtres, sa condamnation à mort était illégale
et contraire au paragraphe 5 de l'article 6.
6.1 Dans une autre communication, le conseil fait valoir que le fait
pour le représentant de l'auteur au procès de n'avoir pas signalé l'âge
de celui-ci à l'attention de la cour montre clairement que l'auteur a
été mal représenté. Le conseil réaffirme qu'il serait illégal pour le
Gouvernement jamaïcain d'exécuter l'auteur puisque celui-ci était mineur
au moment où le crime a été commis.
6.2 Le conseil déclare en outre qu'au moins une lettre que l'auteur lui
avait adressée ne lui est pas parvenue et que cette lettre contenait des
renseignements essentiels concernant la correspondance échangée par l'auteur
avec le médiateur au sujet du traitement que lui avait fait subir la police.
Pour le conseil, s'il était établi que les autorités jamaïcaines interceptaient
la correspondance de l'auteur, cela constituerait une atteinte grave au
droit de celui-ci de s'entretenir avec ses avocats.
Décision du Comité concernant la recevabilité
7.1 Àà sa soixante-deuxième session, le Comité a examiné la question
de la recevabilité de la communication. Il a vérifié, conformément aux
prescriptions du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif,
que la même affaire n'était pas en cours d'examen devant une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement.
7.2 Le Comité a noté que l'État partie n'avait pas contesté la recevabilité
de la communication. Le Comité était néanmoins tenu de déterminer si tous
les critères de recevabilité énoncés dans le Protocole facultatif étaient
satisfaits.
7.3 En ce qui concerne l'allégation de l'auteur selon laquelle les instructions
du juge aux jurés n'étaient pas appropriées, le Comité, se référant à
sa jurisprudence a réaffirmé que, d'une manière générale, ce n'était pas
à lui mais aux cours d'appel des États parties d'examiner les instructions
particulières données par le juge du fond aux jurés, à moins qu'il ne
pût être établi que ces instructions étaient manifestement arbitraires
ou constitutives d'un déni de justice. Le Comité a noté que les moyens
avancés par l'auteur à l'appui de son allégation ne faisaient pas apparaître
que le procès était manifestement entaché d'arbitraire ou qu'il équivalait
à un déni de justice. En conséquence, l'auteur n'avait pas, aux fins de
la recevabilité, suffisamment étayé son allégation et cette partie de
la communication était irrecevable au titre de l'article 2 du Protocole
facultatif.
7.4 L'auteur a également prétendu que son droit de faire citer et d'interroger
des témoins avait été violé, son avocat n'ayant pas cité son père comme
témoin de moralité. Le Comité, se référant aux considérations développées
au paragraphe précédent, a considéré que rien n'autorisait à penser que
l'avocat en question n'avait pas fait preuve de son meilleur jugement.
Cette partie de la communication était en conséquence irrecevable au titre
de l'article 2 du Protocole facultatif.
7.5 Le Comité a considéré que les autres motifs de plainte allégués par
l'auteur, à savoir qu'il avait été victime de sévices lors de son arrestation,
que l'ouverture de son procès avait tardé de façon excessive, qu'il n'avait
pas bénéficié d'une représentation efficace lors du procès, que ses conditions
de détention avant et après le jugement étaient insatisfaisantes et qu'il
avait moins de 18 ans lorsque le crime avait été commis, étaient recevables
et devaient être examinés au fond.
7.6 Le Comité a noté que l'État partie avait transmis ses observations
sur le fond de la communication afin d'accélérer l'examen de l'affaire.
Néanmoins, le Comité a considéré que les renseignements dont il était
saisi étaient insuffisants pour lui permettre d'adopter ses constatations
à ce stade. Dans ce contexte, le Comité a relevé que l'État partie n'avait
donné aucune explication touchant les conditions de détention de l'auteur
avant le procès ou ses conditions de détention actuelles. L'État partie
n'avait pas davantage fourni de renseignements sur l'âge de l'auteur à
l'époque des faits.
8. En conséquence, le 19 mars 1998, le Comité des droits de l'homme a
décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle pouvait
soulever des questions au titre du paragraphe 5 de l'article 6, de l'article
7, du paragraphe 3 de l'article 9, des paragraphes 1 et 2 b) de l'article
10 et du paragraphe 3, alinéas b), c) et d) de l'article 14 du Pacte.
Observations de l'État partie et commentaires du conseil
9.1 L'État partie produit copie d'un certificat de naissance au nom d'Andrew
Perkins, fils d'Ina Johnson et de Hazeal Perkins, né dans la paroisse
de Clarendon le 23 septembre 1971. Il produit également copie d'une fiche
d'inscription scolaire d'Andrew Perkins à la Rock River School de Clarendon,
indiquant comme date de naissance le 2 septembre 1971 et comme date d'inscription
à l'école le 5 septembre 1977. L'État partie affirme qu'il a pris des
renseignements à la Rock Hall All Age School, mais que celle-ci ne trouve
pas trace d'Andrew Perkins dans ses dossiers.
9.2 Il ressort du rapport d'enquête sur les ressources de l'intéressé,
présenté au nom d'Andrew Perkins à l'appui de sa demande d'aide judiciaire,
que celui-ci a indiqué comme date de naissance le 23 septembre 1976. Les
noms de ses parents sont indiqués comme étant Mirriam Pennant et Hazeal
Perkins. Il est dit que les parents de l'auteur se sont séparés peu après
sa naissance, qu'il a été élevé par son père et sa belle-mère et qu'il
ne se rappelle avoir vu sa mère qu'une seule fois. Selon l'État partie,
les renseignements pris auprès du Probation Office (Bureau des mises à
l'épreuve) ont révélé que l'auteur avait déclaré avoir envoyé un certificat
de naissance aux forces de défense jamaïcaines lorsqu'il avait demandé
à s'enr_ler. Les investigations faites auprès des forces de défense ont
abouti à la production du certificat de naissance mentionné plus haut.
10.1 Le conseil fait observer que le nom donné par l'auteur comme étant
le nom de sa mère est Mirriam Pennant alors que le certificat de naissance
qu'il avait fourni porte le nom d'Ina Johnson. L'auteur soutient d'autre
part qu'il a fréquenté la Rock Hall All Age School de 1982 à 1986. Le
conseil se réfère au rapport d'aide judiciaire où il est dit que l'auteur
n'a pas fréquenté l'école régulièrement, ce qui, selon lui, pourrait expliquer
que l'école n'ait pas gardé sa trace. Le conseil fait état du formulaire
de demande d'aide judiciaire, où l'auteur a indiqué comme date de naissance
le 23 septembre 1976, et déclare qu'à son avis l'Andrew Perkins mentionné
dans le certificat de naissance et sur la fiche d'inscription scolaire
est quelqu'un d'autre que l'auteur.
10.2 En outre, le conseil note qu'aucune mesure de protection de l'auteur
n'a été prise à l'époque de sa demande d'aide judiciaire, alors qu'il
avait indiqué comme date de naissance septembre 1976, ce qui en faisait
un mineur à la date du crime. L'auteur a été jugé et condamné comme s'il
s'était agi d'un adulte. Selon le conseil, les investigations faites à
présent par l'État partie auraient dû l'être au moment où l'auteur a été
mis en accusation.
Délibérations du Comité
11.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication
en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises
par les parties, comme il y est tenu par le paragraphe 1 de l'article
5 du Protocole facultatif.
11.2 En ce qui concerne la plainte de l'auteur selon laquelle la police
l'a battu et menacé pour lui faire signer une déposition, le Comité note
que la question a fait l'objet d'un voir dire, à l'issue duquel la déposition
de l'auteur a été admise par le juge, que celle-ci a été portée à la connaissance
du jury pendant le procès, que le jury a rejeté les allégations de l'auteur
et que la question n'a pas été soulevée en appel. Le Comité estime que
les informations à sa disposition ne permettent pas de conclure qu'il
y a eu violation d'un quelconque article du Pacte à cet égard.
11.3 Le Comité note que le procès de l'auteur s'est ouvert en décembre
1995, un an et neuf mois après son arrestation. En application du paragraphe
3 de l'article 9, toute personne arrêtée a droit à être jugée dans un
délai raisonnable ou libérée. En l'absence d'explication satisfaisante
de la part de l'État partie concernant la raison pour laquelle l'auteur,
à défaut d'être mis en liberté sous caution, n'est passé en jugement qu'au
bout d'un an et neuf mois, un tel délai est déraisonnable et constitue
une violation du paragraphe 3 de l'article 9 parce que l'intéressé se
trouvait en détention provisoire. Dans ces conditions, le Comité n'a pas
à examiner la question de savoir si ce délai constitue aussi une violation
du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte.
11.4 Le Comité note que l'État partie n'a pas donné suite à la plainte
de l'auteur selon laquelle il a été détenu, avant le jugement, dans des
conditions déplorables. En l'absence de réponse de la part de l'État partie,
il convient d'attacher le poids voulu aux affirmations de l'auteur dans
la mesure où elles sont étayées. Le Comité conclut que les conditions
de détention provisoire décrites par l'auteur constituent une violation
du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
11.5 L'auteur a aussi affirmé qu'il n'avait pas eu le temps de préparer
sa défense, n'ayant rencontré son avocat qu'à la troisième audience préliminaire
et seulement une fois avant le procès. À cet égard, le Comité, se référant
à sa jurisprudence, réaffirme que le droit de l'accusé de disposer du
temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense est
un aspect important du principe de l'égalité des armes. Lorsque la peine
capitale risque d'être prononcée, l'accusé et son conseil doivent se voir
accorder suffisamment de temps pour préparer la défense. Pour déterminer
ce qui constitue le "temps nécessaire", il faut apprécier les
circonstances propres à chaque cas. Le Comité note, d'après les informations
qui lui ont été fournies, que l'avocat de l'auteur a en fait rencontré
ce dernier au moins deux fois avant le procès. Il n'appert pas des documents
dont le Comité est saisi que le conseil ou l'auteur se soient jamais plaints
au juge du fond de ne pas avoir disposé du temps nécessaire à la préparation
de la défense. Si le conseil ou l'auteur estimaient la préparation insuffisante,
il leur appartenait de demander un ajournement. Dans les circonstances
de l'espèce, rien ne permet de dire qu'il y ait eu violation des alinéas
b) et d) du paragraphe 3 de l'article 14.
11.6 L'auteur a soutenu qu'il était né en septembre 1976 et âgé de moins
de 18 ans lors de la commission du crime dont il a été déclaré coupable
et que la sentence de mort prononcée à son encontre l'a donc été en violation
du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte. Le Comité relève que l'État partie
a produit un certificat de naissance et une fiche d'inscription scolaire
indiquant comme date de naissance d'Andrew Perkins septembre 1971. Le
conseil a contesté la valeur de ces documents en prétendant qu'ils n'ont
pas trait à l'auteur. Il n'a toutefois produit aucun document invalidant
l'affirmation de l'État partie qu'Andrew Perkins est né en 1971. À ce
propos, le Comité relève que le conseil n'a pas démenti l'affirmation
de l'État partie selon laquelle ce certificat de naissance est celui que
l'auteur lui-même a adressé aux forces de défense lorsqu'il a demandé
à s'enr_ler. Le seul document indiquant comme date de naissance de l'auteur
septembre 1976 est sa demande d'aide judiciaire, dont le formulaire a
été rempli par l'auteur lui-même et qui, même s'il traduit la conviction
qu'avait l'auteur à ce moment-là, n'a aucune force probante. Le Comité
fait observer qu'il incombe à l'État partie d'enquêter si des doutes sont
émis quant au fait que l'accusé dans une affaire de condamnation à mort
soit mineur. En l'espèce, toutefois, le Comité constate que l'auteur n'avait
pas moins de 18 ans à la date de l'infraction et que rien ne permet de
dire qu'il y a eu violation du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte.
11.7 L'auteur a déclaré que, depuis sa condamnation, il était détenu
dans une cellule très exiguë, avec seulement un tapis en mousse pour tout
couchage et un seau hygiénique. Il affirme aussi être l'objet de brimades
de la part des gardiens. Les affirmations de l'auteur n'ont pas été réfutées
par l'État partie qui garde le silence à ce sujet. Le Comité considère
que les conditions de détention et le traitement décrits par l'auteur
constituent une violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
12. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître des violations du paragraphe 3 de l'article
9 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
13. Aux termes du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'État partie
a l'obligation d'assurer à Andrew Perkins un recours utile, aboutissant
à une indemnisation et à la commutation de la peine de mort prononcée
contre lui. Il est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne
se produisent pas à l'avenir.
14. En adhérant au Protocole facultatif, la Jamaïque a reconnu que le
Comité avait compétence pour déterminer s'il y a eu ou non violation du
Pacte. La présente affaire a été communiquée pour examen avant que la
dénonciation du Protocole facultatif par la Jamaïque ne prenne effet le
23 janvier 1998; celui-ci, selon le paragraphe 2 de l'article 12 dudit
Protocole, continue d'être applicable à la communication. Conformément
à l'article 2 du Pacte, l'État partie s'est engagé à garantir à tous les
individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction
les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire
lorsqu'une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l'État
partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures
prises pour donner effet à ses constatations.
_____________
* Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati,
M. Th. Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, M. Omran El Shafei,
Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, Mme Cecilia Medina
Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin, M. Maxwell Yalden et M.
Abdallah Zakhia.