Présentée par : Anthony McLeod
[représenté par David Smythe, du cabinet d'avocats Kingsley Napley]
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Jamaïque
Date de la communication : 16 janvier 1997 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 mars 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 734/1997 qui lui
a été présentée par M. Anthony McLeod en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques;
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui
ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et
l'Etat partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Anthony McLeod, citoyen jamaïcain
en attente d'exécution à la prison du district de St. Catherine (Jamaïque).
Il affirme être victime de violations par la Jamaïque de l'article 7,
du paragraphe 1 de l'article 10 et de l'article 14 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil,
M. David Smythe, du cabinet d'avocats londonien Kingsley Napley.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 M. McLeod a été arrêté le 27 décembre 1994 et inculpé le 3 février
1995. Le 22 septembre 1995, il a été reconnu coupable du meurtre du dénommé
Anthony Buchanan et condamné à mort. Il a demandé l'autorisation de former
recours contre la déclaration de culpabilité et la condamnation auprès
de la Cour d'appel de la Jamaïque. A l'audience du 20 mars 1996, le conseil
commis d'office a informé le tribunal qu'il n'avait aucun autre argument
à faire valoir. Le 8 juillet 1996, la Cour d'appel a débouté l'auteur
de son recours. Le 16 janvier 1997, la section judiciaire du Conseil privé
a rejeté sa demande d'autorisation spéciale de former recours.
2.2 Au procès, l'accusation a développé la thèse suivante : le 3 décembre
1994, Anthony McLeod et un groupe de personnes venaient de voler le dénommé
Alvin Green sur la route de Rio Magno (paroisse de St. Catherine) lorsqu'un
agent de police, qui n'était pas en service, était arrivé sur les lieux.
Afin d'éviter qu'il les reconnaisse, ils l'avaient tué.
2.3 Le principal élément de preuve à l'appui de la thèse de l'accusation
était la déposition d'un certain Calvin Wright, cousin de l'accusé et
ami du défunt. Il a témoigné au procès que l'auteur lui avait confié le
mardi 6 décembre 1994 qu'il avait commis le meurtre. M. McLeod s'était
rendu chez lui à 14 heures et ils étaient en train de discuter dans la
véranda lorsque M. Wright a évoqué le décès de leur ami commun M. Buchanan
: "C'est qui ceux qui ont tué Anthony ?". L'auteur a alors dit
"... je vois que tu sais quelque chose". A ce moment-là, le
frère du témoin, Garnett Wright, était entré dans la maison. L'auteur
avait alors dit "Entre nous, Junior (autre nom du témoin), tu sais
qu'on m'a dit : tue-le". Il avait ensuite expliqué à Wright qu'il
était allé à la campagne pour cambrioler une dame et qu'ayant rencontré
un homme, dans l'obscurité, il lui avait volé un billet de 100 dollars.
Sur ces entrefaites, un homme de forte corpulence était arrivé. M. McLeod
et une autre personne l'avaient mis à terre. Ils avaient ensuite fouillé
son sac et vu qu'il contenait un uniforme d'agent de police. L'auteur
a déclaré qu'il avait tranché la gorge de l'homme parce qu'il craignait
d'être identifié. Il avait ensuite pris l'uniforme pour envelopper la
tête de la victime et y avait mis le feu.
2.4 Le frère du témoin, Garnett Wright, a déclaré qu'à son arrivée à
la maison le mardi 6 décembre 1994, il avait vu l'auteur qui discutait
avec son frère. Calvin Wright a parlé à sa tante de la conversation et
a informé la police. Le témoin a reconnu lors de son contre-interrogatoire
qu'il avait appris le décès de l'agent de police par la radio mais a nié
avoir inventé de toutes pièces les déclarations de l'auteur après avoir
entendu l'information. Il nie en outre avoir porté de fausses accusations
contre M. McLeod parce que leurs familles étaient en mauvais termes.
2.5 Alvin Green a témoigné que le 3 décembre 1994, vers 20 heures, plusieurs
hommes lui avaient volé un billet de 100 dollars sous la menace d'une
arme à feu, sur la route de Rio Magno. Il n'avait pas pu les identifier
parce qu'il faisait nuit.
2.6 L'accusation s'est fondée en outre sur des rapports médicaux indiquant
que l'agent de police était mort des suites de multiples blessures causées
par un objet aiguisé qui pouvait être un couteau. Il y avait sur tout
le côté droit du corps de la victime des brûlures au premier et au second
degré donnant à penser que le défunt avait été tué avant d'être brûlé,
le feu ayant été mis à ce qui ressemblait à un uniforme de policier.
2.7 Au procès, M. McLeod a déclaré qu'au moment du crime, il n'était
pas dans les parages; il a reconnu s'être rendu sur les lieux un autre
jour. Il affirme avoir été victime d'une machination à cause de l'hostilité
qui régnait entre les deux familles. Son père a confirmé que sa famille
et celle du témoin étaient en mauvais termes.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil affirme que les insuffisances du procès - en particulier
le fait que le juge a mal orienté le jury en ce qui concerne la question
de l'intention commune, qu'il n'a pas donné les instructions voulues à
propos des éléments de preuve en général et notamment des rapports médicaux
et des aveux faits à un témoin - constituent une violation du paragraphe
1 de l'article 14.
3.2 Il est affirmé que l'avocat de la défense n'a rencontré l'auteur
que la veille de l'audience en appel et n'a fait aucun cas de ses instructions.
A l'audience, n'ayant pas écouté les instructions de l'auteur, il n'a
pas pu convaincre la Cour d'appel des insuffisances du procès. Comme l'auteur
n'a pas eu les consultations voulues avec un avocat, il n'a pas pu préparer
valablement sa défense en appel, ce qui constitue une violation des paragraphes
1, 3 d) et 5 de l'article 14.
3.3 Le conseil fait valoir que la non-convocation de la soeur de l'auteur
comme témoin au procès par l'avocat constitue une violation du paragraphe
3 e) de l'article 14 du Pacte.
3.4 Il est en outre affirmé que le régime de détention à la prison du
district de St. Catherine est contraire à l'article 7 et au paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte. Le conseil se réfère à ce propos à des rapports
de Human Rights Watch et d'Amnesty International dans lesquels il est,
entre autres, indiqué que la population de la prison correspond au double
de la capacité pour laquelle l'établissement avait été construit au XIXe
siècle et que les facilités fournies par l'Etat sont insuffisantes : il
n'y a pas de literie ni de mobilier dans les cellules, pas d'installations
sanitaires, pas d'éclairage et seulement quelques bouches d'aération laissant
entrer la lumière du jour, peu d'activités pour occuper les prisonniers
et pas de médecins attachés à la prison, en sorte que les soins sont généralement
dispensés par les gardiens qui ne reçoivent qu'une formation limitée.
Il est affirmé que ces conditions générales font, en particulier, que
l'auteur reste enfermé dans une cellule de deux mètres carrés, 23 heures
par jour. Il est isolé des autres prisonniers presque toute la journée,
doit passer la plupart de ses heures d'éveil dans l'obscurité et n'a pas
grand chose pour s'occuper. Il n'est de surcroît autorisé ni à travailler
ni à étudier.
Observations de l'Etat partie sur la recevabilité et le fond
4.1 Dans ses observations du 17 mars 1997, l'Etat partie renonce à son
droit de se prononcer sur la recevabilité de la communication et examine
les allégations de l'auteur quant au fond. Pour ce qui est de l'allégation
de violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, il fait valoir
que la manière dont le juge a orienté le jury en ce qui concerne la question
de l'intention commune, les rapports médicaux qui ont servi à corroborer
des aveux et la pertinence de la déposition d'un témoin sont, selon la
jurisprudence du Comité, une question laissée à l'appréciation de la Cour
d'appel.
4.2 Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle, compte tenu du comportement
de l'avocat commis d'office devant la Cour d'appel, il y a eu violation
des paragraphes 3 d) et 5 de l'article 14 du Pacte, l'Etat partie soutient
qu'il ne peut être tenu responsable des actes de l'avocat. Il se réfère
à cet égard à la jurisprudence du Comité. En ce qui concerne l'affirmation
selon laquelle la non-convocation par l'avocat de la défense d'un témoin
sur lequel l'auteur comptait pour établir son alibi constitue une violation
du paragraphe 3 e) de l'article 14, l'Etat partie s'appuie sur le même
raisonnement pour nier tout manquement aux obligations énoncées dans le
Pacte.
Considérations relatives à la recevabilité et examen quant au fond
5.1 Le Comité note qu'avec le rejet de sa demande d'autorisation spéciale
de former recours par la section judiciaire du Conseil privé en janvier
1997, l'auteur a épuisé les recours internes aux fins du Protocole facultatif.
Dans ce contexte, il note que l'Etat partie a renoncé à son droit d'examiner
la recevabilité de la plainte et a fait des commentaires sur le fond.
Le Comité rappelle qu'en vertu du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole
facultatif, l'EÉtat à qui une communication est transmise est tenu de
lui faire parvenir dans les six mois par écrit ses observations sur les
faits sur lesquels porte la communication pour qu'il fasse les observations
quant au fond. Le Comité est d'avis que ce délai peut être réduit, dans
l'intérêt de la justice, si l'Etat partie le souhaite / Voir
constatations concernant la communication No 606/1994 (Clement Francis
c. Jamaïque), adoptées le 25 juillet 1995, (par. 7.4). /. Il note
en outre que le conseil de l'auteur accepte que la communication soit
examinée quant au fond à ce stade.
5.2 Le Comité constate que rien ne s'oppose à la recevabilité de la communication
et procède donc sans plus tarder à l'examen de la plainte quant au fond,
en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par
les parties, conformément au paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole
facultatif.
6.1 Pour ce qui est de l'affirmation de l'auteur selon laquelle il n'a
pas été convenablement représenté au procès par l'avocat commis d'office,
qui, en violation du paragraphe 3 e) de l'article 14 du Pacte, n'a pas
appelé à la barre un témoin sur lequel comptait l'auteur pour établir
son alibi, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu'il ne lui
appartient pas de mettre en cause le jugement professionnel d'un conseil
à moins qu'il ne soit clair ou qu'il aurait dû être manifeste pour le
juge que le comportement de l'avocat était incompatible avec les intérêts
de la justice. Dans le cas d'espèce, rien dans le dossier ne permet de
penser que le conseil n'a pas agi en son âme et conscience; il a effectivement
appelé à la barre un autre témoin (le père de l'auteur) pour établir l'alibi
de son client. Le Comité estime qu'aucun élément n'autorise à tenir l'Etat
partie pour responsable des actes du conseil et conclut qu'il n'y a pas
eu violation du paragraphe 3 e) de l'article 14 du Pacte.
6.2 Les autres allégations de l'auteur se rapportent à des irrégularités
dans le procès, aux instructions incorrectes données par le juge au jury
en ce qui concerne la question de l'intention commune, les rapports médicaux
qui ont servi à corroborer des aveux et la pertinence d'un témoignage.
Le Comité rappelle que, si l'article 14 du Pacte garantit le droit à un
procès équitable, c'est généralement aux tribunaux des Etats parties au
Pacte qu'il appartient d'apprécier les faits et les éléments de preuve
dans une affaire déterminée, sauf s'il peut être établi que les instructions
données par le juge aux jurés ont été manifestement arbitraires ou constituaient
un déni de justice ou que le juge a manifestement manqué à son devoir
d'impartialité. Les allégations de l'auteur et les minutes du procès communiquées
au Comité laissent penser que les points soulevés par l'auteur constituent
peut-être une indication qu'il y a eu des faiblesses dans les preuves.
Après examen toutefois, il n'apparaît pas au Comité que l'une quelconque
de ces faiblesses ait été arbitraire ou ait violé l'obligation d'impartialité.
6.3 Pour ce qui est de l'argument de l'auteur selon lequel il n'aurait
pas été valablement représenté en appel, l'auteur affirme que bien qu'il
ait été conseillé avant l'audience en appel, il ne savait pas que son
avocat commis d'office ferait valoir qu'il n'y avait pas matière à recours
et que ce dernier n'avait fait aucun cas des instructions qu'il lui avait
données. L'Etat partie ne réfute pas cette allégation, mais estime qu'il
n'est pas responsable des actes du conseil. Le Comité note que, d'après
les informations dont il est saisi, la Cour d'appel avait examiné l'affaire
bien que le conseil ait reconnu qu'il n'avait aucun argument à faire valoir.
Le Comité estime cependant que, pour pouvoir bénéficier d'un procès et
d'une représentation équitables, l'auteur doit être informé du fait que
son conseil n'a pas l'intention de plaider devant le tribunal et avoir
la possibilité de se faire représenter par un autre défenseur afin de
pouvoir se faire entendre en appel. Il ne semble pas, en l'espèce, que
la Cour d'appel ait veillé à ce que ce droit soit respecté. Le Comité
estime par conséquent que les droits de l'auteur au titre des paragraphes
3 b), 3 d) et 5 de l'article 14 ont été violés.
6.4 En ce qui concerne l'affirmation de l'auteur selon laquelle les conditions
de détention à la prison de St. Catherine, où il se trouve dans le quartier
des condamnés à mort depuis sa condamnation, constituent une violation
de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10, le Comité note que
l'auteur a fait des allégations précises à propos des conditions déplorables
dans lesquelles il serait détenu. Il affirme qu'il est enfermé dans une
cellule de 2 mètres carrés, 23 heures par jour, et qu'il reste isolé des
autres prisonniers pendant presque toute la journée. Il est obligé de
passer toutes les heures où il est éveillé dans l'obscurité et n'a pas
grand chose à faire pour s'occuper. Il ne lui est permis ni de travailler
ni d'étudier. L'Etat partie n'a pas réfuté ces allégations. Par conséquent,
le Comité conclut que la détention de l'auteur dans de telles conditions
constitue une violation du droit d'être traité avec humanité et avec le
respect de la dignité inhérente à l'être humain garanti au paragraphe
1 de l'article 10 du Pacte.
6.5 Le Comité considère que l'imposition de la peine capitale à l'issue
d'un procès où les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue,
en l'absence de toute autre possibilité d'appel contre la sentence, une
violation de l'article 6 du Pacte. En l'espèce, l'auteur n'a pas eu la
possibilité d'attaquer la décision puisque son conseil ne l'a pas informé
qu'il n'allait pas faire valoir de moyen de recours. Cela signifie que
la sentence de mort définitive a été prononcée contre M. McLeod sans que
les garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 14 aient été
respectées. Force est donc de conclure que le droit protégé à l'article
6 a également été violé.
7. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il
est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 10
et des paragraphes 3 b) et d) et 5 de l'article 14 du Pacte, et par conséquent
de l'article 6.
8. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'auteur a droit
à une réparation utile qui doit être un nouveau procès en appel ou, si
l'Etat partie n'est pas en mesure de donner effet à cette recommandation,
la libération de l'auteur.
9. En adhérant au Protocole facultatif, l'EÉtat partie a reconnu que
le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation
du Pacte. La présente affaire a été soumise à l'examen du Comité le 28
janvier 1998, c'est-à-dire avant la date à laquelle la dénonciation du
Protocole facultatif par la Jamaïque a pris effet; conformément au paragraphe
2 de l'article 12 du Protocole facultatif, les dispositions du Protocole
facultatif continuent donc de lui être applicables. Conformément à l'article
2 du Pacte, l'Etat partie s'est engagé à garantir à tous les individus
se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits
reconnus dans le Pacte et à assurer qu'ils disposeront d'un recours utile
et exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir
de l'Etat partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les
mesures prises pour donner effet à ses constatations.
______________
* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de
la communication : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N. Bhagwati, M.
Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville, M. Omar El Shafei,
Mme Elizabeth Evatt, M. Eckart Klein, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Fausto Pocar, M. Martin Scheinin,
M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.
** Le texte d'une opinion individuelle signée par un membre du Comité
est joint aux présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle de M. Martin Scheinin
Tout en souscrivant à tous égards aux constatations de violation du Comité,
je souhaite préciser un point concernant l'obligation de l'Etat partie
d'assurer une réparation pour les violations du Pacte subies par l'auteur.
La pratique du Comité en ce qui concerne la réparation due aux victimes
a suivi une évolution au cours des 20 années de travaux au titre du Protocole
facultatif. L'Etat partie a contracté en vertu du paragraphe 3 de l'article
2 l'obligation légale de garantir que toute personne dont les droits reconnus
dans le Pacte ont été violés "un recours utile". Outre cette
disposition générale, le paragraphe 5 de l'article 9 établit le droit
à réparation de tout individu victime d'arrestation ou de détention illégales.
Ces deux obligations découlent directement du Pacte et ne découlent pas
du mandat du Comité qui est d'émettre, quand il s'acquitte de ses fonctions
au titre du Protocole facultatif, des interprétations ou des recommandations
sur les mesures qui pourraient dans chaque cas constituer une réparation
utile. Dans ses toutes premières constatations, le Comité ne précisait
pas la nature de la réparation même si l'affaire relevait manifestement
du paragraphe 5 de l'article 9 (voir les constatations concernant la communication
No 5/1977, Moriana Hernández Valentini de Bazzano et consorts c.
Uruguay). Toutefois, dans la deuxième affaire qu'il avait traitée,
le Comité avait déjà précisé que l'indemnisation était la forme de réparation
appropriée en cas de violation de l'article 9 (voir communication No 9/1977,
Edgardo Dante Santullo Valcada c. Uruguay). Par la suite,
il a recommandé une indemnisation comme réparation ou à titre de réparation
partielle dans de nombreux cas où il avait constaté seulement une violation
d'autres articles que l'article 9. Les premières recommandations d'indemnisation
ont été formulées dans les constatations adoptées à la quinzième session
(1982) dans les affaires Pedro Pablo Camargo c. Colombie
(communication No 45/1979) et Mirta Cubas Simones c. Uruguay
(communication No 70/1980), après avoir établi une violation de l'article
6 dans le premier cas et des articles 10 et 14 dans le deuxième.
On peut s'attendre à ce que l'évolution vers des prises de position plus
précises en ce qui concerne la réparation se poursuive. Pour le Comité,
ce serait par exemple une bonne chose que les auteurs des communications
ou leur conseil indiquent, quand ils adressent une plainte, le montant
de l'indemnisation qu'ils jugent appropriée pour la violation qu'ils déclarent
avoir subie et que les Etats parties fassent des observations sur ces
prétentions dans leurs réponses. Le Comité serait ainsi en mesure de franchir
l'étape logique suivante, c'est-à-dire de préciser le montant (et la monnaie)
de l'indemnisation due dans les cas où il estime qu'il s'agit d'une réparation
appropriée. Cela renforcerait la procédure mise en place par le Protocole
facultatif en tant que voie de recours internationale autant que le rôle
du Comité en tant qu'autorité reconnue internationalement pour interpréter
le Pacte.
Dans les affaires de condamnation à mort, quand il a établi qu'il y avait
eu violation du Pacte, le Comité a souvent, mais pas toujours, recommandé
la commutation de la peine ou la remise en liberté comme réparation utile.
Ces deux mesures font ressortir clairement que, quand un individu a été
condamné à mort en violation du Pacte ou a subi un traitement contraire
aux dispositions du Pacte alors qu'il était en attente d'exécution, la
réparation doit être une décision irréversible de ne pas exécuter le condamné.
Le Comité a eu une position particulièrement claire et cohérente sur ce
point quand il a établi une violation des garanties d'un procès équitable
énoncées à l'article 14 du Pacte. Dans plusieurs cas, dont la présente
affaire, il a expressément indiqué que l'imposition de la peine capitale
à l'issue d'un procès qui n'était pas conforme aux prescriptions de l'article
14 entraînait une violation du droit à la vie, c'est-à-dire de l'article
6 du Pacte.
Dans les cas où il y a eu violation de l'article 7 ou de l'article 10
ou des deux en ce qui concerne des condamnés à mort, le Comité n'a pas
systématiquement formulé de recommandations précises sur la nature de
la réparation. Cela ne saurait pas, évidemment, porter atteinte à la règle
essentielle qui est que la victime a droit à un recours utile en
vertu du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte. Dans le dernier paragraphe
de ses constatations sur l'affaire de condamnation à mort la plus importante,
l'affaire Earl Pratt et Ivan Morgan c. Jamaïque (communications
Nos 210/1986 et 225/1987), le Comité a donné une réponse claire et convaincante
à la question de savoir ce qui constitue un "recours utile"
pour une personne en attente d'exécution :
"Bien que, dans cette affaire, l'article 6 ne soit pas directement
invoqué puisque la peine capitale n'est pas en soi illégale en vertu du
Pacte, cette peine ne doit pas être infligée dans les situations où l'Etat
partie a violé l'une quelconque des obligations qui lui incombent en
vertu du Pacte. Le Comité est d'avis que les victimes des violations
des dispositions du paragraphe 3 c) de l'article 14 du Pacte et de l'article
7 ont droit à une réparation; la condition préalable nécessaire
en l'occurrence est la commutation de la sentence." (non souligné
dans l'original)
A la lumière de ce qui vient d'être dit, la position énoncée au paragraphe
8 des constatations du Comité dans l'affaire à l'étude n'est pas aussi
claire que je l'aurais souhaité. Conformément au paragraphe 3 de l'article
2, le Comité indique que l'auteur doit bénéficier d'un recours utile.
Après cette réaffirmation de l'obligation légale que l'Etat partie a contractée
directement en vertu du Pacte, le Comité indique toutefois qu'en l'espèce
la réparation utile serait soit un nouveau procès en appel soit la libération
de l'auteur. Dans le contexte particulier des présentes constatations,
qui sont émises après que la dénonciation du Protocole facultatif par
la Jamaïque a pris effet conformément à l'article 12 du Protocole facultatif,
il aurait été à mon avis plus approprié de déclarer que l'auteur a droit,
à titre de mesure immédiate et irréversible, à la commutation de la peine
capitale et, ensuite, soit à un nouveau procès en appel soit à la libération.
En formulant ainsi sa recommandation plutôt que comme il le fait au paragraphe
8 de ses constatations, le Comité aurait marqué clairement que dans le
cas où il constate une violation du paragraphe 1 de l'article 10, du paragraphe
3 b) et 3 d) de l'article 14 et de l'article 6 du Pacte, la réparation
utile doit être, avant toute chose, la protection absolue de la victime
contre l'exécution. Comme les constatations du Comité dans l'affaire Pratt
et Morgan le laissent penser, c'est ainsi qu'il faut comprendre la
réparation utile chaque fois qu'une violation du Pacte est établie
à l'égard d'un condamné en attente d'exécution. Pour un condamné à mort,
rester en vie est une condition essentielle pour que toute autre forme
de réparation soit "utile".