Comité des droits de l'homme
Soixante et unième session
20 octobre - 7 novembre 1997
ANNEXE
Décision prise par le Comité des droits de l'homme en vertu
du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques
- Soixante et unième session -
Communication No 735/1997
Présentée par : Lazar Kalaba
Au nom de : L'auteur
Etat partie : Hongrie
Date de la communication : 6 novembre 1996 (date de la lettre
initiale)
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 7 novembre 1997,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Lazar Kalaba, de nationalité australienne,
qui se déclare victime d'une violation de ses droits par la Hongrie. Il
n'invoque aucun des droits précis que confère le Pacte, mais les faits
pourraient soulever des questions au titre de l'article 26 (et du paragraphe
1 de l'article 14) du Pacte.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 1er mai 1941, l'auteur a été interné en même temps que sa mère
et ses soeurs dans le camp de concentration de Sárvár par les autorités
hongroises. Ses deux soeurs y sont mortes. La maison et l'exploitation
agricole des Kalaba ont été totalement détruites. L'auteur a été libéré
du camp le 1er octobre 1942, souffrant de malnutrition et d'une pneumonie.
2.2 Au moment de son internement, l'auteur était de nationalité yougoslave.
Il a pris la nationalité australienne le 18 février 1984.
2.3 En 1993, l'auteur a demandé réparation à la Hongrie en application
de la loi No XXXII de 1992. Le 21 janvier 1994, le Département d'indemnisation
du cinquième arrondissement de Budapest a rejeté sa demande au motif qu'il
n'avait pas la nationalité hongroise au moment de son internement, non
plus qu'au moment de sa demande.
2.4 Le 21 août 1995, l'auteur a fait appel de cette décision devant la
Cour suprême de la métropole à Budapest. Il déclare n'avoir toujours pas
reçu de réponse de la Cour, malgré trois rappels. Il conclut que la Cour
ne souhaite pas se prononcer et il demande au Comité des droits de l'homme
d'examiner sa plainte.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur estime que le refus du Gouvernement hongrois de l'indemniser
constitue une violation des droits garantis par le Pacte et un acte de
discrimination.
3.2 Il se pourrait que les faits soulèvent des questions au titre de
l'article 26 du Pacte, puisque l'auteur semble avoir fait l'objet d'une
discrimination en raison de sa nationalité. En outre, le fait que la Cour
suprême n'a pas donné suite à la démarche de l'auteur pourrait aussi soulever
des questions au titre du paragraphe 1 de l'article 14.
Observations de l'Etat partie et commentaires de l'auteur
4.1 Dans une réponse du 5 mai 1997, l'Etat partie ne prend position sur
les griefs de l'auteur que dans la mesure où ceux-ci paraissent soulever
des questions au titre des articles 14 et 26.
4.2 L'Etat partie rappelle que la demande d'indemnisation faite par l'auteur
en raison de son internement dans le camp de Sárvár, qu'il a présentée
le 9 juillet 1993 en application de la loi No XXXII de 1992, a été rejetée
par le Service d'indemnisation national le 21 janvier 1994. L'auteur a
fait appel le 11 juillet 1996 / Il semble y avoir confusion de dates.
L'auteur déclare qu'il s'est pourvu en appel le 21 août 1995./ devant
le tribunal de la ville de Budapest (Fõvárosi Bírósáq) (et non
pas devant la Cour suprême, comme l'a déclaré l'auteur). La demande de
l'auteur a été transmise au Service d'indemnisation national pour que
celui-ci présente ses observations, ce qu'il a fait le 11 juillet 1996
/ Voir la note 1./. D'après l'Etat partie, le tribunal s'est
efforcé en vain de faire tenir à l'auteur copie de la réponse du Service
d'indemnisation. Qui plus est, le tribunal, agissant conformément aux
règles applicables aux demandeurs d'outre-mer, qui prescrivent en l'occurrence
un délai d'au moins six mois entre la date de la convocation et celle
de l'audience, a fixé l'audience au 19 septembre 1997.
4.3 L'Etat partie fait valoir que l'affaire est toujours en instance
devant le tribunal et estime en conséquence que la communication de l'auteur
doit être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2, alinéa b), de
l'article 5 du Protocole facultatif. A cet égard, l'Etat partie explique
que, en vertu de la section 14 de la loi No XXXII de 1992, il est possible
de demander aux tribunaux de "réviser les décisions du Service d'indemnisation
national. Les tribunaux peuvent examiner de telles décisions quant à la
forme aussi bien que sur le fond. Qui plus est, en vertu des articles
44 à 47 de la loi No XXX de 1989, la Cour constitutionnelle est habilitée
à abroger toute disposition du droit interne qu'elle jugerait être contraire
à un traité international auquel la Hongrie est partie. En conséquence,
l'auteur a la possibilité, premièrement, d'invoquer une violation de l'article
26 du Pacte devant le tribunal de la ville de Budapest, où son affaire
est en instance, et, deuxièmement, de demander à ce tribunal de renvoyer
l'affaire à la Cour constitutionnelle pour que celle-ci se prononce sur
la validité des dispositions en cause de la législation relative à l'indemnisation.
L'Etat partie affirme que la procédure engagée par l'auteur constitue
ainsi un recours efficace qui devrait être épuisé avant que le Comité
puisse déclarer la communication recevable.
4.4 L'Etat partie explique que la loi No XXXII de 1992 prévoit l'indemnisation
des personnes qui ont été illégalement privées de liberté pour des raisons
politiques ou l'indemnisation des proches de celles qui ont perdu la vie
dans les mêmes conditions /Les lois No XXV de 1991 et No XXIV
de 1992 prévoient l'indemnisation des pertes de biens imputables à l'Etat./.
L'Etat partie fait valoir que, dans le formulaire qu'il a rempli, l'auteur
n'a demandé réparation que pour son internement de mai 1941 à octobre
1942 et qu'il n'a jamais demandé à être indemnisé de la confiscation illégale
de ses biens. L'Etat partie affirme que, à cet égard, la communication
de l'auteur doit être considérée comme étant irrecevable au motif du non-épuisement
des recours internes.
5.1 Dans ses commentaires, l'auteur évoque les horreurs du camp de concentration
de Sárvár dans lequel sa famille et lui ont été internés. Il ajoute que
la maison familiale a été confisquée, de même que les meubles qui s'y
trouvaient et les machines agricoles de l'exploitation.
5.2 L'auteur indique qu'il a rempli le formulaire de demande d'indemnisation
en juillet 1993 et l'a envoyé au Service d'indemnisation national avec
une lettre explicative. Il a reçu en réponse une lettre l'informant que
sa demande avait été rejetée en raison de sa nationalité. Le 21 août 1995,
il s'est pourvu en appel contre cette décision devant la Cour suprême
de la métropole dont le nom était indiqué dans la décision /
Dans la décision du 21 janvier 1994 du Service d'indemnisation national,
il est précisé (selon la traduction officielle en anglais) qu'il peut
être fait appel de la décision dans les 30 jours suivant réception de
sa notification en s'adressant à la Cour suprême de la métropole, le recours
devant être déposé en trois exemplaires auprès du Département de réparation
et d'indemnisation national ou de la Cour suprême de la capitale./, en
adressant son recours en trois exemplaires au Service d'indemnisation
national, comme il convenait. Il y a indiqué son adresse en Australie
et n'a pas déménagé dans l'intervalle.
5.3 L'auteur conteste l'affirmation de l'Etat partie selon laquelle il
aurait saisi le tribunal de la ville de Budapest le 11 juillet 1996 et
répète que la Cour suprême n'a manifestement pas voulu se prononcer sur
son recours en date du 21 août 1995, ce qui constitue d'après lui une
violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. Il joint des extraits
du registre tenu au bureau de poste de Wagga Wagga (Australie), où il
est indiqué que l'auteur a adressé des lettres recommandées au Service
d'indemnisation national le 28 août 1995, le 23 octobre 1995, le 13 novembre
1995 et le 15 décembre 1995.
Demande de renseignements supplémentaires en vertu de l'article 91
du règlement intérieur du Comité
6. A sa soixantième session, en juillet 1997, le Comité, agissant par
l'intermédiaire de son groupe de travail, a décidé qu'il lui fallait de
plus amples renseignements avant de prendre une décision concernant la
recevabilité de la communication. Il a prié l'Etat partie d'expliquer
ce qu'avait entrepris au juste le tribunal de la ville de Budapest pour
faire tenir à l'auteur les observations du Service d'indemnisation national,
lui donner notification de l'audience d'appel, fixée au 19 septembre 1997,
ou pour lui communiquer tous autres documents requis.
Réponse complémentaire de l'Etat partie et commentaires de l'auteur
7.1 Dans une réponse du 15 octobre 1997, l'Etat partie explique que le
tribunal de la ville de Budapest a fait tenir les observations du Service
d'indemnisation national à l'auteur par une lettre recommandée du 21 août,
puis par une nouvelle lettre du 6 décembre 1996, en l'invitant à faire
des observations. En l'absence de toute réponse, le tribunal, soucieux
d'éviter un nouveau retard, a fixé l'audience au 19 septembre 1997, ce
qui a été notifié à l'auteur par une lettre du 22 avril 1997. L'auteur
a été informé qu'il pouvait, s'il le préférait, répondre par écrit aux
questions posées par le tribunal.
7.2 L'auteur a répondu à cette dernière lettre du tribunal le 19 août
1997. Dans sa réponse, l'auteur a fait observer que l'instance compétente
était la Cour suprême de la métropole et non pas le tribunal de la ville
de Budapest. Il a déclaré n'avoir jamais reçu de courrier auparavant et
a informé le tribunal de la ville de Budapest qu'il ne voulait pas que
ce dernier s'occupe de son affaire. Il n'a pas répondu aux questions posées
par le tribunal.
7.3 L'Etat partie explique qu'un tel manque de coopération aurait normalement
entraîné le rejet de l'appel. Dans le cas présent, toutefois, le tribunal
envisage de renvoyer le dossier à la Cour constitutionnelle du fait de
l'allégation de l'auteur selon laquelle la législation relative à l'indemnisation
est discriminatoire, raison pour laquelle le tribunal souhaiterait que
l'auteur lui fasse part de ses observations.
7.4 L'Etat partie maintient que le tribunal de la ville de Budapest est
compétent pour connaître des recours attaquant les décisions du Service
d'indemnisation national. D'après lui, l'appel est en instance et la communication
devrait donc être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours
internes.
8.1 Dans plusieurs lettres, l'auteur maintient que la Cour suprême de
la métropole est la seule instance qui puisse connaître de l'affaire qui
le concerne. Il déclare n'avoir reçu aucune lettre des tribunaux hongrois
avant celle du 22 avril 1997 (qu'il a reçue le 7 août 1997 seulement),
bien que les autorités aient eu son adresse tout au long de la procédure.
Il met en doute la bonne foi des autorités hongroises dans l'affaire qui
le concerne et demande au Comité de se prononcer définitivement sur sa
plainte à sa soixante et unième session, en octobre/novembre 1997.
8.2 L'auteur déclare avoir suivi les instructions données par les autorités
hongroises concernant sa demande; il précise que les autorités australiennes
ont fait traduire ses lettres d'anglais en hongrois et estime ne pas être
responsable d'éventuelles erreurs de traduction.
Délibérations du Comité
9.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable au titre du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
9.2 Les éléments dont dispose le Comité indiquent que l'auteur a été
informé que sa cause serait entendue en appel le 19 septembre 1997 et
qu'il a été prié de présenter des observations au sujet de sa plainte.
Le Comité note que l'auteur a révoqué en doute la compétence du tribunal
de la ville de Budapest pour connaître de l'affaire qui le concerne. Toutefois,
rien dans les éléments d'information dont dispose le Comité ne donne à
penser que le tribunal en question n'a pas compétence pour statuer sur
des recours attaquant les décisions du Service d'indemnisation national
ou que cette instance ne serait pas à même d'assurer à l'auteur une voie
de recours efficace. Dans ces circonstances, le Comité considère que la
communication ne satisfait pas à la condition énoncée au paragraphe 2,
alinéa b), de l'article 5 du Protocole facultatif, où il est précisé que
le particulier doit avoir épuisé tous les recours internes avant que le
Comité puisse examiner la communication.
10. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2, alinéa
b), de l'article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision pourra être reconsidérée en vertu du paragraphe
2 de l'article 92 du règlement intérieur du Comité, si l'organe est saisi
par l'auteur, ou en son nom, d'une demande écrite contenant des renseignements
d'où il ressort que les motifs d'irrecevabilité ont cessé d'exister;
c) Que la présente décision sera communiquée à l'Etat partie et à l'auteur.
_________
ANNEXE * Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen
de la communication considérée : M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra N.
Bhagwati, M. Thomas Buergenthal, Mme Christine Chanet, Lord Colville,
M. Omran El Shafei, Mme Elizabeth Evatt, M. David Kretzmer, M. Rajsoomer
Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Julio Prado Vallejo, M. Martin
Scheinin, M. Danilo Türk et M. Maxwell Yalden./
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]