Présentée par : Malcolm Ross (représenté par Douglas H. Christie,
avocat)
Au nom de : L'auteur
État partie : Canada
Date de la communication : 1er mai 1996
Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 18 octobre 2000
Ayant achevé l'examen de la communication No 736/1997 présentée
au Comité des droits de l'homme par M. Malcom Ross conformément au Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication est Malcolm Ross, citoyen canadien. Il affirme
être victime d'une violation par le Canada des articles 18 et 19 du Pacte.
Il est représenté par un conseil, M. Douglas H. Christie.
Rappel des faits présentés par l'auteur :
2.1 L'auteur a exercé les fonctions d'enseignant spécialisé en cours
de rattrapage de lecture dans un district scolaire du Nouveau-Brunswick,
de septembre 1976 à septembre 1991. Pendant cette période, il a publié
plusieurs ouvrages et pamphlets, fait des déclarations publiques et a
notamment donné une interview à la télévision, exprimant des opinions
controversées, apparemment dans le domaine religieux. Ses ouvrages avaient
pour thèmes l'avortement, les conflits entre le judaïsme et le christianisme
et la défense de la religion chrétienne. La couverture médiatique locale
de ses écrits a contribué à faire connaître ses idées au sein de la collectivité.
L'auteur souligne que ses publications ne constituaient pas une infraction
à la loi canadienne et qu'il n'a jamais été poursuivi pour avoir exprimé
ses opinions. En outre, tous ses écrits ont été rédigés pendant ses heures
libres et ses opinions n'ont jamais fait partie de son enseignement.
2.2 Des préoccupations ayant été exprimées, l'enseignement dispensé par
l'auteur a été placé sous surveillance à partir de 1979. La controverse
entourant l'auteur a pris de l'ampleur et, des inquiétudes ayant été exprimées
en public, la Commission scolaire a réprimandé l'auteur le 16 mars 1988
et l'a averti que si ses opinions continuaient à être débattues en public,
il pourrait faire l'objet d'autres mesures disciplinaires, y compris le
renvoi. L'auteur a toutefois été autorisé à continuer à enseigner et la
notification de la réprimande qui lui avait été adressée a été supprimée
de son dossier en septembre 1989. Le 21 novembre 1989, l'auteur a participé
à une émission de télévision et a été de nouveau réprimandé par la Commission
scolaire le 30 novembre 1989.
2.3 Le 21 avril 1988, M. David Attis, parent juif, dont les enfants fréquentaient
une autre école du même district scolaire, a déposé une plainte auprès
de la Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick, affirmant
qu'en ne prenant aucune mesure contre l'auteur, la Commission scolaire
cautionnait les opinions antijuives de ce dernier et avait violé, par
son attitude discriminatoire à l'égard des élèves juifs et des autres
élèves appartenant à des minorités, l'article 5 de la loi sur les droits
de la personne. Cette plainte a finalement conduit à l'imposition des
sanctions décrites au paragraphe 4.3 ci-dessous.
Législation et procédures internes applicables :
3.1 En raison de la structure fédérale du pays, la législation canadienne
relative aux droits de l'homme est répartie entre la juridiction fédérale
et les juridictions provinciales. Les provinces et les autorités fédérales
et celles des Territoires, ont chacune promulgué des textes de loi relatifs
aux droits de l'homme. Les différents régimes législatifs peuvent différer
dans le détail, mais leur structure et leur conception générale sont semblables.
3.2 Selon l'État partie, les codes des droits de la personne protègent
les citoyens et les résidents canadiens contre la discrimination dans
de nombreux domaines, notamment dans l'emploi, le logement et les services
fournis à la population. Tout particulier qui s'estime victime de discrimination
peut déposer plainte auprès de la commission des droits de l'homme compétente,
qui ouvre une enquête. La charge de la preuve qui incombe au plaignant
correspond à la norme de droit civil fondée sur le critère de la plus
forte probabilité et le plaignant n'a pas à prouver que la personne en
cause avait l'intention d'exercer une discrimination. Le tribunal chargé
d'enquêter sur une plainte peut ordonner toute une série de mesures de
réparation, mais n'est pas habilité à imposer des sanctions pénales. Les
particuliers lésés par des propos dénigrant certaines minorités peuvent
déposer plainte auprès d'une commission des droits de l'homme plutôt qu'auprès
de la police ou auprès des deux autorités.
3.3 La plainte contre la Commission scolaire a été déposée en vertu du
paragraphe 1 de l'article 5 de la loi du Nouveau-Brunswick sur les droits
de la personne, qui se lit comme suit :
"Nul ne doit, directement ou indirectement, seul ou avec une autre
personne, de lui-même ou par l'entremise d'autrui
a) refuser à quiconque ou à une catégorie de personnes les droits existants
en matière de logement, de services ou d'installations destinées au
public, ou
b) faire preuve de discrimination envers une personne ou une catégorie
de personnes en matière de logement, de services ou d'installations
destinées au public, pour un motif fondé sur la race, la couleur, la
religion, l'origine nationale, l'ascendance, le lieu d'origine, l'âge,
le handicap physique, le handicap mental, l'état matrimonial, l'orientation
sexuelle ou le sexe."
3.4 Dans sa plainte, M. Attis a déclaré que la Commission scolaire avait
violé l'article 5 en fournissant à la population des services d'enseignement
constituant une discrimination fondée sur la religion et l'ascendance du
fait qu'aucune mesure appropriée n'avait été prise à l'encontre de l'auteur.
Conformément au paragraphe 1 de l'article 20 de la même loi, au cas où elle
n'arrive pas à régler le litige, la Commission des droits de la personne
peut désigner une commission d'enquête composée d'une ou de plusieurs personnes
aux fins d'entreprendre une enquête. La Commission désignée pour examiner
la plainte déposée contre la Commission scolaire a formulé ses conclusions
conformément à l'article 20 (6.2) de la même loi, qui stipule ce qui suit
:
"Lorsque, à l'issue d'une enquête, la Commission considère que la
probabilité la plus forte est que la loi en question a été violée, elle
peut ordonner à toute partie reconnue coupable de violation de la loi
a) d'agir ou de s'abstenir de se livrer à un acte ou à des actes, de
façon à se conformer à la loi,
b) de remédier à tout dommage causé par la violation,
c) de rétablir toute partie lésée par la violation dans la situation
où elle se serait trouvée si la violation n'avait pas été commise,
d) de réintégrer toute partie qui a été privée de son emploi en violation
de la loi,
e) d'indemniser toute partie lésée par la violation pour toute dépense
encourue ou toute perte financière ou manque à gagner subi, à raison
d'un montant que la Commission estimera juste et approprié, et
f) d'indemniser toute partie lésée par la violation pour toute souffrance
émotionnelle subie, y compris la souffrance résultant d'une atteinte
à la dignité et au respect de soi, à raison d'un montant que la Commission
estimera juste et approprié."
3.5 Depuis 1982, la Charte canadienne des droits et libertés ("la Charte")
fait partie de la Constitution canadienne et, en conséquence, tout texte
de loi qui est contraire à ses dispositions est, dans la mesure de cette
incompatibilité, nul et de nul effet. La Charte est applicable au niveau
fédéral, des provinces et des Territoires, pour toutes les actions des gouvernements
sur les plans législatif, exécutif ou administratif. Les codes des provinces
relatifs aux droits de la personne et toutes les décisions prises en application
de ces codes sont susceptibles de révision en vertu de la Charte. La restriction
d'un droit énoncé dans la Charte peut être justifiée en vertu de l'article
premier de la Charte si le Gouvernement peut prouver que cette restriction
est prescrite par la loi et justifiée dans une société libre et démocratique.
Les articles 1 et 2 a) et b) de la Charte stipulent ce qui suit :
"1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits
et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par
une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la
justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris
la liberté de la presse et des autres moyens de communication; ..."
3.6 Il existe également plusieurs autres dispositifs législatifs, au niveau
fédéral et au niveau des provinces, applicables aux propos qui dénigrent
des groupes particuliers de la société canadienne. Par exemple, le Code
pénal interdit de préconiser le génocide, d'inciter publiquement à la haine
et de la promouvoir volontairement. L'assentiment du Procureur général est
requis pour entreprendre des poursuites relatives à ce type de délit. La
charge de la preuve incombant à la Couronne consiste à démontrer que l'accusé
est coupable au-delà de tout doute raisonnable et la Couronne doit apporter
la preuve de l'existence de tous les éléments constitutifs de l'infraction,
y compris du fait que l'accusé était effectivement animé d'une intention
délictueuse.
La procédure devant les tribunaux nationaux :
4.1 Le 1er septembre 1988, une commission d'enquête en matière de droits
de la personne a été créée pour examiner la plainte. La première audience
a eu lieu devant la Commission en décembre 1990 et les délibérations de
cet organe se sont poursuivies jusqu'au printemps de 1991. Toutes les
parties y étaient représentées et, selon l'État partie, elles ont eu pleinement
l'occasion de présenter des éléments de preuve et d'exposer leurs griefs.
Il y a eu au total 22 jours d'audience et 11 témoins ont déposé. La Commission
a estimé qu'il n'y avait aucune preuve que l'auteur ait eu, durant les
cours, un comportement justifiant une plainte en discrimination. Toutefois,
elle a également noté ce qui suit :
"... le comportement d'un enseignant en dehors des heures de travail
peut avoir des incidences sur les fonctions qui lui sont confiées et constituer
ainsi un élément à prendre en considération ... Un facteur important à
prendre en compte pour déterminer si le plaignant a fait l'objet de discrimination
de la part de M. Malcolm Ross et de la Commission scolaire réside dans
le fait que les enseignants constituent un exemple pour les élèves, que
ceux-ci fassent partie ou non de la classe de tel ou tel enseignant. À
part les connaissances qu'ils inculquent ordinairement aux élèves durant
les cours, les enseignants exercent une très grande influence sur les
enfants par le biais de leur comportement général dans la salle de classe
et par leur style de vie en dehors des heures de cours. L'influence que
les enseignants exercent sur les élèves en tant qu'exemple signifie que
le comportement d'un enseignant en dehors des heures de travail peut relever
de la relation de travail avec l'employeur. Bien qu'il ne soit pas souhaitable
d'imposer des restrictions à la liberté des employés de vivre leur vie
d'une façon indépendante durant leurs heures libres, la jurisprudence
a clairement établi le droit d'imposer des mesures disciplinaires pour
comportement en dehors des heures de travail lorsqu'il peut être prouvé
que ce comportement a des effets négatifs sur l'activité de l'employeur."
4.2 Dans son évaluation des activités de l'auteur en dehors des heures de
travail et de leur incidence, la Commission d'enquête s'est référée aux
quatre ouvrages ou pamphlets publiés intitulés Web of Deceit, The Real
Holocaust, Spectre of Power et Christianity vs. Judeo-Christianity,
ainsi qu'à une lettre adressée au rédacteur en chef du Miramichi Leader,
datée du 22 octobre 1986 et à une interview donnée à la télévision locale
en 1989. La Commission d'enquête a déclaré notamment ce qui suit :
"... Force est de conclure que les écrits et les déclarations de
Malcolm Ross contiennent nombre de références qui, sauf preuve du contraire,
sont discriminatoires à l'égard des personnes de religion et d'ascendance
juive. Il serait impossible d'établir la liste de toutes les opinions
préjudiciables ou observations discriminatoires formulées dans les écrits
de l'auteur car elles sont innombrables et omniprésentes. Dans ses déclarations,
Malcolm Ross dénigre la religion et les convictions des juifs et engage
les 'véritables' chrétiens à non seulement contester la validité des convictions
et des enseignements juifs, mais également à afficher leur mépris à l'égard
des personnes de religion et d'ascendance juives, qui menaceraient la
liberté, la démocratie et les convictions et les valeurs chrétiennes.
Il désigne le judaïsme comme l'ennemi et demande à tous les chrétiens
de se joindre à la lutte.
Dans ses écrits, Malcolm Ross emploie la technique consistant à citer
d'autres auteurs qui ont fait des remarques désobligeantes sur les juifs
et le judaïsme. Il entremêle ces citations désobligeantes et ses propres
observations de telle façon qu'il est raisonnable de considérer qu'il
fait siennes les opinions ainsi exprimées. Dans tous ses ouvrages, il
ne cesse d'affirmer que la religion et le mode de vie chrétiens sont
menacés par une conspiration internationale dominée par les dirigeants
de la communauté juive.
... Les écrits et les déclarations de Malcolm Ross ne peuvent pas être
considérés comme entrant dans le cadre d'un débat théorique, ce qui
aurait eu pour effet de les soustraire aux dispositions de l'article
5 (de la loi sur les droits de la personne). Les observations ne sont
pas présentées sous forme de résumé objectif de constatations, de conclusions
ou de théories. Si les écrits ont pu donner lieu à une certaine recherche
de fond, l'objectif essentiel de Malcolm Ross est manifestement de mettre
en cause la sincérité, l'intégrité, la dignité et les convictions des
juifs plutôt que de présenter des travaux de recherche."
4.3 La Commission d'enquête a entendu les témoignages de deux élèves du
district, qui ont décrit en détail le milieu scolaire. Les deux élèves ont
évoqué notamment les actes répétés et constants de harcèlement consistant
à insulter les élèves juifs, à graver des croix gammées sur leurs pupitres,
à dessiner des croix gammées sur les tableaux et, d'une façon générale,
à intimider les élèves juifs. La Commission d'enquête n'a pas relevé de
preuves directes indiquant que le comportement de l'auteur en dehors de
ses heures de travail ait eu une incidence sur le district scolaire, mais
a considéré qu'il était raisonnable de supposer que les écrits de l'auteur
avaient contribué à susciter certains comportements discriminatoires de
la part des élèves. En conclusion, la Commission d'enquête a estimé que
les déclarations publiques et les écrits de Malcolm Ross avaient contribué
d'une façon permanente au cours des ans à la création d'une "atmosphère
envenimée dans le district scolaire No 15, ayant considérablement entravé
la qualité des services d'enseignement fournis au plaignant et à ses enfants".
Ainsi, la Commission d'enquête a estimé que la Commission scolaire était
le tiers responsable des actes discriminatoires de son employé et qu'elle
avait commis une violation directe de la loi du fait qu'elle n'avait pas
imposé à l'auteur des mesures disciplinaires en temps voulu et d'une manière
appropriée, cautionnant ainsi les activités et les écrits de l'auteur en
dehors du milieu scolaire. C'est pourquoi, le 28 août 1991, la Commission
d'enquête a ordonné :
"... 2) que la Commission scolaire
a) mette immédiatement Malcolm Ross en congé sans solde pendant 18
mois;
b) nomme Malcolm Ross a un poste de non-enseignant si, ..., un poste
de ce type ... pour lequel Malcolm Ross est qualifié ... devient vacant
dans le district scolaire No 15 ...;
c) mette un terme aux fonctions de Malcolm Ross à la fin des 18 mois
de congé sans solde si, dans l'intervalle, aucun poste de non-enseignant
ne lui a été proposé ou s'il a refusé un tel poste;
d) mette immédiatement fin aux fonctions de Malcolm Ross si, à n'importe
quel moment au cours des 18 mois de congé sans solde ou durant son emploi
en tant que non-enseignant, il
i) publie ou écrit à des fins de publication tout texte faisant état
d'un complot juif ou sioniste ou prenant pour cible des adeptes de la
religion juive, ou
ii) publie, vend ou distribue directement ou indirectement l'une quelconque
des publications suivantes : Web of Deceit, The Real Holocaust (The
attack on unborn children and life itself), Spectre of Power, Christianity
vs Judeo-Christianity (The battle of truth)."
4.4 Conformément à cette injonction, la Commission scolaire a transféré
l'auteur à un poste de non-enseignant dans le district scolaire. L'auteur
a introduit une demande d'examen judiciaire de cette injonction, réclamant
son annulation. Le 31 décembre 1991, le juge Creaghan J. de la Cour du ban
de la Reine a fait droit en partie à la demande de l'auteur, ordonnant que
la clause 2 d) de l'injonction soit annulée au motif qu'elle constituait
un abus de pouvoir et une violation de l'article 2 de la Charte. Pour ce
qui est des clauses a), b) et c) de l'injonction, la Cour a estimé qu'elles
restreignaient les droits de l'auteur à la liberté de religion et d'expression
énoncés dans la Charte, mais qu'elles se justifiaient en vertu de l'article
premier de la Charte.
4.5 L'auteur a fait appel de la décision de la Cour du ban de la Reine
auprès de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick. Simultanément, M. Attis
a formé un appel incident de la décision de la Cour concernant la clause
2 d) de l'injonction. La Cour d'appel a fait droit à l'appel de l'auteur,
annulant l'injonction délivrée par la Commission d'enquête et, en conséquence,
a rejeté l'appel incident. Par décision du 20 décembre 1993, la Cour a
estimé que l'injonction constituait une violation des droits de l'auteur
en vertu de l'article 2 a) et b) de la Charte car elle le pénalisait pour
avoir exprimé publiquement des opinions auxquelles il croyait sincèrement,
en l'empêchant de continuer d'enseigner. La Cour a estimé que, considérant
que les activités de l'auteur à l'origine de la plainte avaient eu lieu
à l'extérieur de l'école et que personne n'avait laissé entendre que l'auteur
s'était servi de sa position d'enseignant pour diffuser ses opinions religieuses,
les mesures correctives ordonnées ne répondaient pas aux prescriptions
de l'article premier de la Charte, à savoir que la nécessité à laquelle
celles-ci visaient à répondre n'était pas impérieuse et vitale au point
qu'il faille lui donner la primauté sur la garantie constitutionnelle
de l'auteur à la liberté d'expression. De l'avis de la Cour, en décider
autrement équivaudrait à approuver l'interdiction d'exprimer des opinions
qui ne sont pas politiquement populaires à un moment donné. L'un des juges,
Ryan J.A., a exprimé une opinion dissidente et a considéré que l'appel
de l'auteur aurait dû être rejeté et que l'appel incident aurait dû être
admis, ce qui aurait conduit au rétablissement de la clause 2 d) de l'injonction.
4.6 M. Attis, la Commission des droits de l'homme et le Congrès juif canadien
ont alors demandé l'autorisation de former recours auprès de la Cour suprême
du Canada, qui a fait droit à leur requête et, par son arrêt du 3 avril
1996, a annulé la décision de la cour d'appel et rétabli les clauses 2
a), b) et c) de l'injonction. Pour en arriver à sa décision, la Cour suprême
a considéré tout d'abord que l'avis de la Commission d'enquête, qui avait
conclu à une discrimination de la part de la Commission scolaire en violation
de l'article 5 de la loi sur les droits de la personne, était corroboré
par les éléments de preuve et n'était entachée d'aucune erreur. Pour ce
qui est des preuves de discrimination de la part de la Commission scolaire
en général et pour ce qui est en particulier de la création dans le district
scolaire d'une atmosphère envenimée imputable au comportement de l'auteur,
la Cour suprême a considéré
" ... qu'une présomption raisonnable est suffisante en l'espèce pour
appuyer la conclusion selon laquelle le maintien de [l'auteur] dans son
emploi a porté atteinte au milieu éducatif en général, en créant une atmosphère
'envenimée' caractérisée par un manque d'égalité et de tolérance. Le comportement
de [l'auteur] en dehors de ses heures de travail l'a empêché d'être impartial
et a eu des répercussions sur le milieu éducatif dans lequel il enseignait.
(par. 49)
... que la raison pour laquelle il est possible de 'supposer raisonnablement'
l'existence d'un lien de cause à effet en l'espèce est que les enseignants
exercent une influence significative sur les élèves et qu'un grand prestige
est attribué au rôle des enseignants. Ainsi, il est nécessaire de retirer
[l'auteur] de son poste d'enseignant afin de veiller à ce qu'il n'exerce
aucune influence de ce type sur ses élèves et de faire en sorte que
les services éducatifs soient exempts de toute discrimination."
(par. 101)
4.7 Au sujet de la place et des responsabilités particulières des enseignants
et de l'importance du comportement d'un enseignant en dehors des heures
de travail, la Cour suprême a également considéré ce qui suit :
"... Les enseignants sont indissociablement liés à l'intégrité du
système scolaire. Ils occupent des fonctions de confiance et exercent,
de ce fait, une influence considérable sur leurs élèves. Le comportement
d'un enseignant influe directement sur la perception qu'a la collectivité
de sa capacité d'assumer de telles fonctions de confiance et d'influence,
ainsi que sur la confiance de la collectivité dans le système public d'enseignement
en général.
... Par leur comportement, les enseignants, qui sont des 'intermédiaires',
doivent être perçus comme les défenseurs des valeurs, des convictions
et des connaissances que le système éducatif doit transmettre. Le comportement
d'un enseignant est jugé en fonction de sa position, qu'il adopte tel
ou tel comportement à l'école ou à l'extérieur importe peu. Les enseignants
sont considérés par la collectivité comme chargés de transmettre le
message éducatif et en raison de la place qu'ils occupent au sein de
la collectivité, ils ne peuvent pas 'porter telle ou telle casquette
selon les circonstances'.
... C'est en raison de sa position de personne de confiance et d'influence
que nous pouvons exiger de l'enseignant qu'il respecte des normes élevées
tant durant ses heures de travail qu'en dehors et c'est la dégradation
de ces normes qui peut conduire la collectivité à perdre confiance dans
le système public d'enseignement. Il ne s'agit pas de préconiser une
théorie qui voudrait que la vie entière des enseignants soit soumise
à un contrôle démesuré au nom de normes morales de comportement plus
exigeantes, ce qui risquerait de conduire à une atteinte substantielle
aux droits des enseignants à la vie privée et à leurs libertés fondamentales.
Toutefois, lorsque le comportement d'un enseignant en dehors des heures
de travail semble être à l'origine d'une 'atmosphère envenimée' au sein
d'un système scolaire et lorsque ce comportement risque d'entraîner
une perte correspondante de confiance dans l'enseignant et dans le système
en général, le comportement de l'enseignant en dehors des heures de
travail entre alors en ligne de compte." (par. 43 à 45)
4.8 Deuxièmement, la Cour a examiné la validité de la contestation de l'injonction
en vertu de la Constitution canadienne. À cet égard, la Cour a estimé tout
d'abord que l'injonction était contraire aux dispositions de l'article 2
a) et de l'article 2 b) de la Charte dans la mesure où elle restreignait,
respectivement, la liberté de religion de l'auteur et sa liberté d'expression.
La Cour a ensuite examiné la question de savoir si ces restrictions pouvaient
être justifiées en vertu de l'article premier de la Charte et a estimé que
celles-ci avaient été imposées dans le but d'éliminer une discrimination
dans la prestation de services éducatifs au public, objectif "impérieux
et vital". La Cour a estimé en outre que les mesures a), b) et c) imposées
en vertu de l'injonction pouvaient passer l'épreuve de la proportionnalité
en ce sens qu'il y avait un lien rationnel entre les mesures prises et le
but recherché, que les atteintes aux droits de l'auteur étaient minimes
et que les effets des mesures étaient proportionnels à l'objectif visé.
Elle a estimé que la clause d) n'était pas justifiée dès lors qu'il ne s'agissait
pas là d'une atteinte minimale aux libertés constitutionnelles de l'auteur,
mais d'une mesure visant à l'empêcher de s'exprimer d'une manière permanente.
Teneur de la plainte :
5.1 L'auteur déclare que ses droits en vertu des articles 18 et 19 du
Pacte ont été violés du fait que le droit d'exprimer librement ses opinions
religieuses lui est refusé. Son conseil souligne à cet égard qu'il n'a
jamais exprimé ses opinions en classe et que ses prestations en tant qu'enseignant
lui ont valu de bonnes appréciations, ce que les tribunaux ont reconnu.
Le conseil ajoute qu'il n'a jamais été démontré que les écrits de l'auteur
aient eu des effets néfastes ou aient influé sur ses élèves et que l'auteur
ait commis un acte quelconque de discrimination. Il souligne dans ce contexte
que la classe de l'auteur ne comptait aucun élève juif.
5.2 Le conseil déclare qu'il n'existe aucun lien rationnel entre l'expression
d'une opinion religieuse discriminatoire (consistant à dire que telle
religion est authentique et que telle autre est fallacieuse) et un acte
de discrimination (c'est-à-dire le fait de réserver à une personne un
traitement différent en raison de sa religion). À cet égard, le conseil
déclare que les opinions de l'auteur sont sincères et à caractère religieux
et que ce dernier s'oppose à la philosophie du judaïsme parce qu'il estime
que le christianisme est attaqué par les intérêts sionistes. Il affirme
qu'exiger que les sentiments et les opinions religieuses exprimés par
un employé en dehors des heures de travail soient soumis au contrôle des
pouvoirs publics ou à des règles fixées par l'employeur reviendrait à
retirer tout sens à la liberté de religion.
5.3 Le conseil déclare en outre que les opinions et les expressions de
l'auteur ne sont pas contraires à la législation canadienne, qui interdit
l'incitation à la haine, et que l'auteur n'a jamais été poursuivi pour
avoir exprimé ses idées. Il fait observer que l'affaire de l'auteur n'est
pas comparable à l'affaire J.R.T. et W.G. c. Canada
(1) mais établit plutôt un parallèle avec l'affaire Vogt
c. Allemagne (2) sur laquelle s'est prononcée la Cour européenne
des droits de l'homme. Le conseil déclare que, du fait de l'injonction,
l'auteur a été privé de son droit d'enseigner, alors que l'enseignement
était sa source de revenu professionnel.
5.4 Le conseil ajoute que si la Commission d'enquête avait considéré
qu'il régnait un climat antisémite parmi les élèves du district scolaire,
elle aurait dû recommander des mesures disciplinaires à l'encontre des
élèves ayant commis des actes discriminatoires. L'auteur affirme que ses
idées ne sont pas plus racistes que ne l'est l'athéisme ou le judaïsme
lui-même. Pour lui, le fait de critiquer le judaïsme ou le sionisme pour
des raisons religieuses ne peut être assimilé à de l'antisémitisme. L'auteur
se considère victime de discrimination parce qu'il est convaincu qu'un
enseignant qui s'attaquerait publiquement au christianisme ne serait pas
sanctionné comme il l'a été.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur à
ce sujet :
6.1 Dans sa réponse du 7 septembre 1998, l'État partie présente ses observations
à la fois sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il considère
que la communication devrait être déclarée irrecevable à la fois pour
manque de fondement et pour incompatibilité avec les dispositions applicables
du Pacte. Toutefois, pour le cas où le Comité déciderait que la communication
de l'auteur est recevable, l'État partie fait valoir qu'il n'a pas violé
les articles 18 et 19 du Pacte.
6.2 Selon l'État partie, la communication devrait être déclarée irrecevable
pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte car les publications
de l'auteur relèvent du paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte, c'est-à-dire
qu'elles doivent être considérées comme un "appel à la haine nationale,
raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination,
à l'hostilité ou à la violence". À cet égard, l'État partie souligne
que la Cour suprême du Canada a considéré que les publications visaient
à dénigrer la religion et les convictions des Juifs et que l'auteur engageait
les "véritables chrétiens" à non seulement contester la validité
de ces convictions, mais également à afficher leur mépris à l'égard de
la communauté juive. En outre, l'auteur a désigné le judaïsme comme l'ennemi
et a demandé aux "chrétiens" de se joindre à la lutte.
6.3 L'État partie déclare que les articles 18, 19 et 20 du Pacte doivent
être interprétés d'une manière cohérente et qu'il ne peut pas en conséquence
avoir violé les articles 18 ou 19 en prenant des mesures pour se conformer
aux dispositions de l'article 20. Selon lui, la liberté de religion et
d'expression telle qu'elle est consacrée dans le Pacte doit également
être interprétée comme excluant l'appel à la haine nationale, raciale
ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité
ou à la violence. À cet égard, l'État partie invoque également le paragraphe
1 de l'article 5 du Pacte et déclare qu'interpréter les articles 18 et
19 comme autorisant la diffusion de propos antisémites sous couvert de
défense du christianisme revient à refuser aux juifs la liberté d'exercer
leur religion, à répandre la peur parmi eux et d'autres minorités religieuses
et à avilir la foi chrétienne.
6.4 Pour ce qui est de l'interprétation et de l'application de l'article
20, l'État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, en particulier
à l'affaire J.R.T. et W.G. c. Canada (3). L'État
partie note que le conseil de l'auteur déclare que l'affaire à l'examen
n'est pas comparable à l'affaire J.R.T. et W.G. c. Canada
du fait que M. Ross n'a pas exposé ses opinions sur le lieu de travail;
les opinions de l'auteur étaient d'ordre religieux et aucune de ses publications
n'était contraire à la législation canadienne. Tout en reconnaissant qu'il
existe certaines différences factuelles entre les deux affaires, l'État
partie considère qu'il y a également entre elles d'importantes similitudes
et que la règle concernant l'irrecevabilité des communications incompatibles
avec le Pacte est applicable de la même manière. Tout d'abord, l'État
partie souligne que les deux communications concernent la diffusion de
propos antisémites. Il conteste l'affirmation du conseil selon laquelle
les opinions de l'auteur sont des opinions à caractère religieux et déclare
que celles-ci visent à promouvoir l'antisémitisme et ne peuvent pas être
considérées comme des convictions religieuses ou comme faisant partie
de la religion chrétienne. Deuxièmement, il fait observer que dans les
deux affaires, des décisions ont été prises en application de la législation
relative aux droits de la personne et non pas en vertu des dispositions
du Code pénal relatives à l'incitation à la haine. À cet égard, il déclare
que le conseil a tort d'affirmer que les écrits et les déclarations publiques
de l'auteur n'étaient pas contraires à la législation canadienne. Selon
l'État partie, les écrits et les déclarations de l'auteur ont bien constitué
une violation de la loi du Nouveau-Brunswick sur les droits de la personne
car ils ont été jugés discriminatoires et considérés comme ayant créé
une atmosphère envenimée dans le district scolaire.
6.5 L'État partie ajoute que l'allégation de l'auteur en vertu de l'article
18 devrait être considérée irrecevable pour incompatibilité avec le Pacte,
également du fait que les opinions de l'auteur "ne reflètent pas
des convictions religieuses et ne sont certainement pas conformes aux
principes de la religion chrétienne". Il déclare que l'auteur a "masqué
ses opinions sous le couvert de la religion chrétienne, mais qu'en réalité
il exprime sa haine et sa méfiance à l'égard des juifs et de leur religion".
Il déclare en outre que l'auteur n'a fourni aucune preuve indiquant que
les opinions antisémites fassent partie de la doctrine chrétienne et qu'aucune
preuve de ce type ne sera fournie. De même, il affirme que les déclarations
de l'auteur ne sont pas des manifestations d'une religion car l'auteur
n'a pas publié ses écrits à des fins de culte, d'exercice, de pratique
ou d'enseignement d'une religion.
6.6 Enfin, pour ce qui est de la compatibilité de la communication avec
les dispositions du Pacte, l'État partie invoque les paragraphes 2 et
4 de l'article 18 et affirme qu'en vertu de ces dispositions, les États
parties ont l'obligation de veiller à ce que les enseignants faisant partie
de leurs systèmes publics d'enseignement encouragent le respect de toutes
les religions et de toutes les convictions et dénoncent fermement toutes
les formes de parti pris, de préjugé ou d'intolérance. L'État partie indique
que s'il autorisait l'auteur à continuer d'enseigner, il risquerait de
commettre une violation de ces dispositions en portant atteinte aux droits
des élèves juifs de manifester leur religion et de se sentir à l'aise
et en confiance dans le système public d'enseignement. Il déclare par
conséquent que l'allégation de l'auteur au titre de l'article 18 devrait
être déclarée irrecevable car incompatible également avec les paragraphes
2 et 4 de l'article 18 du Pacte.
6.7 En outre, l'État partie déclare que l'allégation de l'auteur au titre
de l'article 18 comme son allégation au titre de l'article 19 doivent
être déclarées irrecevables au motif que l'auteur n'a pas présenté suffisamment
d'éléments de preuve pour étayer une allégation prima facie. Notant
que l'auteur n'a fourni au Comité que des copies de ses propres déclarations
à la Cour suprême et des décisions des tribunaux, l'État partie déclare
qu'en dehors d'affirmer de façon péremptoire que la décision de la Cour
suprême porte atteinte à ses droits en vertu des articles18 et 19, l'auteur,
dans sa communication, ne fournit aucune explication précise qui pourrait
permettre de considérer ses allégations recevables. En particulier, l'État
partie note que nulle part la décision détaillée et soigneusement motivée
de neuf juges de la Cour suprême s'étant prononcés à l'unanimité n'est
soumise à une critique approfondie qui pourrait venir à l'appui des allégations
de l'auteur.
6.8 En ce qui concerne le fond de la communication, l'État partie déclare
tout d'abord que l'auteur n'a pas indiqué en quoi ses droits à la liberté
de religion et d'expression ont été limités ou restreints par l'injonction
de la Commission d'enquête telle qu'elle a été confirmée par la Cour suprême.
Il fait observer que l'auteur est libre d'exprimer ses opinions tant qu'il
est employé par la Commission scolaire comme non-enseignant ou lorsqu'il
est employé ailleurs.
6.9 Pour le cas où le Comité estimerait que les droits de l'auteur à
la liberté de religion et/ou d'expression ont été restreints, l'État partie
fait observer que ces restrictions sont justifiées en vertu du paragraphe
3 de l'article 18 et du paragraphe 3 de l'article 19, car i) elles étaient
prévues par la loi, ii) elles ont été imposées dans un des buts reconnus
et iii) elles étaient nécessaires pour atteindre l'objectif déclaré. De
l'avis de l'État partie, l'analyse à laquelle le Comité doit procéder
à cet égard est très semblable à celle qui a été faite par la Cour suprême
du Canada en application de l'article premier de la Charte, et le Comité
devrait accorder toute l'importance voulue à la décision de la Cour.
6.10 Pour ce qui est de la condition selon laquelle toute restriction
doit être prévue par la loi, l'État partie souligne que les écrits et
les déclarations publiques de l'auteur ont été jugés discriminatoires
et considérés comme ayant créé une atmosphère envenimée, en violation
du paragraphe 1 de l'article 5 de la loi du Nouveau-Brunswick sur les
droits de la personne. Il ajoute que l'injonction délivrée par la Commission
d'enquête a constitué la réparation qui devait être accordée pour la violation
dudit article et a été prise conformément à la loi.
6.11 En ce qui concerne la prescription selon laquelle la restriction
doit être imposée dans un des buts énoncés au paragraphe 3 de l'article
18 et au paragraphe 3 de l'article 19, respectivement, l'État partie déclare
que l'injonction a été imposée pour la protection à la fois des droits
fondamentaux d'autrui (4) et de la moralité publique. Pour ce qui
est du premier de ces objectifs, l'État partie renvoie à l'affaire Faurisson
c. France (5) et déclare que l'injonction a été prise à
l'encontre de l'auteur dans le but de protéger la liberté de religion
et d'expression et le droit à l'égalité des membres de la communauté juive.
Il souligne que la Cour suprême a estimé que l'injonction visait à protéger
les libertés et les droits fondamentaux des parents juifs de faire éduquer
leurs enfants dans un système public d'enseignement libre de parti pris,
de préjugé et d'intolérance et le droit des enfants juifs de recevoir
une telle éducation. S'agissant de la protection de la moralité publique,
l'État partie rappelle que la société canadienne est multiculturelle et
qu'il est essentiel pour sa cohésion morale que tous les Canadiens aient
droit à un traitement égal, sans discrimination fondée sur la race, la
religion ou la nationalité.
6.12 En outre, l'État partie déclare que toutes les restrictions imposées
dans l'injonction étaient clairement nécessaires à la protection à la
fois des libertés et des droits fondamentaux de la communauté juive et
des valeurs canadiennes de respect de l'égalité et de la diversité (moralité
publique). L'État partie fait valoir que l'injonction était nécessaire
pour faire en sorte que les enfants du district scolaire soient éduqués
dans un système qui soit à l'abri des partis pris, des préjugés et de
l'intolérance et dans lequel les valeurs canadiennes d'égalité et de respect
de la diversité puissent être défendues. De plus, il était nécessaire
de mettre fin aux fonctions d'enseignant de l'auteur afin de remédier
à l'atmosphère envenimée que ses écrits et ses déclarations publiques
avaient créée. Sur ce dernier point, l'État partie fait observer, comme
la Cour suprême l'a estimé, que les enseignants occupent une place appelant
la confiance et exercent une influence considérable sur leurs élèves.
En conséquence, les enseignants doivent satisfaire à des normes plus élevées
dans leur comportement lorsqu'ils enseignent, ainsi que dans leurs activités
en dehors des heures de travail. Selon l'État partie, l'auteur, en tant
qu'enseignant dans un établissement public, pouvait exercer une influence
sur des jeunes personnes qui n'avaient pas encore les connaissances ou
la capacité de jugement nécessaires pour placer les opinions et les convictions
dans le contexte approprié. En outre, la Commission d'enquête a entendu
des témoins qui ont déclaré que les élèves juifs en raison des déclarations
de l'auteur, éprouvaient de la peur, manquaient de confiance en eux-mêmes
et étaient peu enclins à faire partie du système scolaire. L'État partie
déclare que l'injonction a été nécessaire pour remédier à cette situation.
6.13 Enfin, l'État partie note que l'auteur établit un parallèle avec
la décision prise par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire
Vogt c. Allemagne (6), mais est d'avis que cette
décision n'est pas à prendre en considération dans le cas à l'étude pour
plusieurs raisons importantes : tout d'abord l'auteur, dans l'affaire
Vogt, était un membre actif d'un parti politique autorisé ayant
pour but déclaré de promouvoir la paix et de lutter contre le néofascisme.
Deuxièmement, les déclarations en cause dans les deux affaires sont de
nature profondément différente, les déclarations politiques mentionnées
dans l'affaire Vogt n'ayant pas un caractère discriminatoire comme
dans l'affaire à l'étude.
7.1 Dans ses commentaires du 27 avril 1999, l'auteur déclare à nouveau
qu'il n'existe pas de preuve qu'il ait exprimé ses opinions dans les salles
de classe. En outre, il n'existe pas de preuve indiquant que les convictions
qu'il avait exprimées en privé aient eu une incidence sur son lieu de
travail, c'est-à-dire qu'elles aient eu pour conséquence de créer une
atmosphère envenimée. La Commission d'enquête a uniquement estimé qu'il
était raisonnable de supposer l'existence de tels effets.
7.2 L'auteur nie que ses écrits et ses déclarations portent atteinte
aux valeurs démocratiques et soient de nature antisémite. Il nie également
qu'ils représentent un appel à la haine religieuse qui constitue une incitation
à la discrimination, à l'hostilité et à la violence. En réponse à l'allégation
de l'État partie concernant l'article 20 du Pacte, il affirme qu'il n'a
aucunement tenté dans ses écrits d'inciter à la haine, mais s'est plutôt
efforcé de "défendre sa religion contre la haine des autres".
En ce qui concerne l'article 5 du Pacte, il affirme qu'il n'a jamais fait
de déclaration signifiant que les juifs ne pouvaient pas pratiquer leur
religion sans restriction. Au contraire, il déclare que l'État partie
lui a refusé à lui-même les droits et les libertés reconnus dans le Pacte,
du fait que la Cour suprême avait décidé qu'il ne pouvait pas exercer
sa liberté de religion tout en continuant à enseigner.
7.3 L'auteur ajoute que, contrairement à ce qu'affirme l'État partie,
ses déclarations sont l'expression de convictions religieuses au sens
du Pacte. Il déclare que ses ouvrages ont été écrits "pour défendre
la religion chrétienne et son patrimoine contre ceux qui tentent de les
dénigrer et pour encourager la population à vénérer Dieu et la Sainte-Trinité,
selon les révélations de la religion chrétienne". Selon l'auteur,
"la lecture attentive de [ses] écrits rend manifeste son désir de
contribuer avec les autres chrétiens à la réalisation de la mission chrétienne
qui a toujours été d'établir le royaume du Christ dans la société".
À cet égard, l'auteur fait observer également que, dans sa décision, la
Cour suprême du Canada a estimé que l'affaire faisait intervenir le droit
à l'expression religieuse et a estimé que l'injonction de la Commission
d'enquête portait atteinte à la liberté de religion de l'auteur.
7.4 Pour ce qui est de l'affirmation de l'État partie selon laquelle
l'auteur n'a pas fourni de preuve indiquant que l'injonction par laquelle
il avait été démis de ses fonctions d'enseignant, mais autorisé à s'exprimer
dans le cadre d'une fonction de non-enseignant, a porté atteinte à sa
liberté de professer ses convictions religieuses ou à sa liberté d'exprimer
ses opinions, l'auteur déclare qu'en juin 1996, il a reçu un avis de licenciement
de son employeur. Il affirme qu'il s'agit d'une "sanction sévère
pour avoir exercé ses droits à la liberté de religion et d'expression
garantis par la Constitution" et laisse entendre que l'avis a été
émis en conséquence de l'injonction prise à son encontre et de la décision
de la Cour suprême adoptée contre lui, ou du moins qu'il avait un rapport
avec ces décisions. Il ajoute qu'il n'a reçu ni compensation ni indemnité
de licenciement et que la seule justification qui lui a été donnée était
que le poste avait été supprimé. L'auteur déclare qu'il n'a jamais passé
d'entrevue en vue d'être affecté à un autre poste et qu'aucun autre poste
ne lui a été offert, bien qu'à l'époque il ait travaillé pour le district
scolaire depuis près de25 ans.
Autres observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
à ce sujet :
8.1 Dans ses autres observations du 28 septembre 1999, l'État partie
note l'affirmation de l'auteur selon laquelle il n'existait pas de preuve
indiquant qu'une atmosphère "envenimée" avait été créée dans
le district scolaire en raison des écrits et des déclarations publiques
de l'auteur. L'État partie s'appuie, pour contester cette affirmation,
sur la décision prise à l'unanimité par les juges de la Cour suprême et,
en particulier, sur les constatations de la Cour citées au paragraphe
4.7 ci-dessus. Il affirme que la Cour suprême a examiné en détail les
constatations de faits relatives à la discrimination et a considéré que
les preuves étaient suffisantes. Ainsi, d'après lui, les allégations de
l'auteur sur ce point doivent être rejetées.
8.2 Pour ce qui est de la question de savoir si les opinions de l'auteur
peuvent être considérées comme des convictions religieuses au sens du
Pacte, l'État partie reconnaît que la Cour suprême du Canada a considéré
celles-ci comme des "convictions religieuses" au sens de la
Charte canadienne. Toutefois, il souligne que même si la législation canadienne
n'impose pratiquement aucune limite à ce qui est considéré comme convictions
religieuses en vertu de l'article 2 de la Charte, elle protège néanmoins
contre les abus du droit à la liberté de religion du fait de la clause
restrictive énoncée à l'article premier. Il déclare que si telle est l'approche
adoptée en vertu de la législation canadienne, la jurisprudence du Comité
des droits de l'homme semble suggérer que celui-ci a opté pour une interprétation
plus étroite des dispositions de l'article 18. L'État partie renvoie en
particulier à l'affaire M.A.B., W.A.T. et J.-A.Y.T. c. Canada
(7). C'est en raison de cette différence d'approche que l'État partie
déclare que l'allégation au titre de l'article 18 devrait être considérée
irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif, même si des
dispositions analogues de la loi canadienne sont interprétées différemment
en droit interne.
8.3. En ce qui concerne la situation de l'auteur en matière d'emploi,
l'État partie note que l'auteur "a été licencié depuis 1996",
mais n'admet pas qu'il s'agisse d'une "sanction sévère pour avoir
exercé ses droits à la liberté de religion et d'expression garantis par
la Constitution" ou que la décision ait été liée d'une façon quelconque
aux précédentes mesures prises à l'encontre de l'auteur. Il déclare que
la sécurité d'emploi de l'auteur n'a été affectée que de façon minime
par l'injonction de la Commission d'enquête, telle qu'elle a été confirmée
par la Cour suprême. Il déclare qu'après la délivrance de l'injonction
le 28 août 1991, l'auteur a été mis en congé sans solde pendant une semaine
seulement, du 4 au 10 septembre 1991. À compter du 11 septembre 1991,
il a été affecté à un poste à plein temps dans le bureau du district et
chargé d'aider à la mise en place de programmes destinés aux élèves "à
risque". Selon l'État partie, ce poste, prévu à l'origine pour la
durée de l'année scolaire 1991-1992, devait être maintenu uniquement sous
réserve de la disponibilité de fonds, mais en réalité a continué à être
financé jusqu'en juin 1996. Le financement a cessé en raison d'une réorganisation
générale du système scolaire du Nouveau-Brunswick, ayant pris effet le
1er mars 1996. Ces mesures ont entraîné la suppression des commissions
scolaires et la responsabilité de l'administration du système éducatif
a alors été confiée au Ministère de l'éducation, ce qui a eu pour conséquence
la réduction du nombre de postes d'enseignants et d'administrateurs dans
l'ensemble de la province.
8.4 L'État partie déclare qu'en tout état de cause le poste de non-enseignant
de l'auteur relevait expressément des modalités et conditions de l'accord
collectif conclu entre le Comité de gestion et la Fédération des enseignants
du Nouveau-Brunswick, qui prévoit que tout employé peut déposer plainte
en cas de licenciement ou de renvoi illégal et peut obtenir réparation
s'il est fait droit à sa plainte. L'auteur ne s'étant pas prévalu de ce
recours, il ne peut pas désormais saisir le Comité d'allégations non étayées
selon lesquelles la perte de son emploi serait la conséquence de l'injonction
prise à son encontre ou de la décision rendue par la Cour suprême.
9. Dans ses observations du 5 janvier 2000, l'auteur réitère ses arguments
concernant l'absence de preuves directes et souligne à nouveau que ses
opinions controversées n'ont jamais fait partie de son enseignement. Pour
ce qui est de sa situation en matière d'emploi, il note que la Cour suprême,
le 3 avril 1996, a confirmé la décision contre la Commission scolaire,
en vertu de laquelle il devait se voir proposer un poste de non-enseignant.
Il déclare qu'aucun poste de ce type ne lui a été proposé et qu'en réalité
il a été licencié le 1er juillet 1996. Selon le conseil, le fait qu'aucun
autre poste n'a été offert à l'auteur depuis son licenciement en 1996
"est une preuve supplémentaire du mépris avec lequel le Gouvernement"
le traite.
Examen de la recevabilité de la communication :
10.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le
Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son
règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en
vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
10.2 Le Comité note que les deux parties se sont exprimées sur le fond
de la communication, ce qui lui permet d'examiner dès à présent à la fois
la recevabilité et le fond de la communication, conformément au paragraphe
1 de l'article 94 de son règlement intérieur. Toutefois, en application
du paragraphe 2 de l'article 94 de son règlement intérieur, le Comité
ne se prononce pas sur le fond de la communication sans avoir examiné
l'applicabilité de tous les motifs de recevabilité visés dans le Protocole
facultatif.
10.3 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle son renvoi
en 1996 avait un lien avec la décision de la Cour suprême et a donc été
le résultat des restrictions imposées à sa liberté d'expression et à sa
liberté de manifester sa religion, le Comité note que l'auteur n'a pas
exercé les recours internes existants. Cette partie de la communication
de l'auteur est en conséquence irrecevable en vertu du paragraphe 2 b)
de l'article 5 du Protocole facultatif.
10.4 S'agissant de l'allégation de l'auteur selon laquelle il est victime
d'une discrimination, le Comité considère qu'elle n'a pas été étayée aux
fins de la recevabilité et qu'elle est par conséquent irrecevable en vertu
du paragraphe 2 du Protocole facultatif.
10.5 Le Comité note que l'État partie a contesté la recevabilité du reste
de la communication pour plusieurs motifs. Tout d'abord, il invoque le
paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte, en affirmant que les publications
de l'auteur doivent être considérées comme un "appel à la haine nationale,
raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination,
à l'hostilité ou à la violence". Renvoyant à la décision prise par
le Comité dans l'affaire J.R.T. et W.G. c. Canada,
l'État partie déclare que, par voie de conséquence, la communication doit
être considérée comme irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole
facultatif en raison de son incompatibilité avec les dispositions du Pacte.
10.6 Tout en notant que telle a effectivement été la démarche qu'il a
suivie dans l'affaire J.R.T. et W.G. c. Canada, le
Comité considère que les restrictions à la liberté d'expression qui peuvent
relever des dispositions de l'article 20 doivent également être autorisées
en vertu du paragraphe 3 de l'article 19 qui fixe les conditions dans
lesquelles elles sont autorisées. Lorsqu'il s'agit d'appliquer ces dispositions,
le fait qu'une restriction est réputée être nécessaire en vertu de l'article
20 entre naturellement en ligne de compte. En l'espèce, la mesure dans
laquelle les restrictions sont autorisées est une question à étudier dans
le cadre de l'examen quant au fond.
10.7 De même, le Comité considère que les questions de savoir si des
restrictions ont été imposées au droit de l'auteur de manifester ses convictions
religieuses et si de telles restrictions étaient autorisées en vertu du
paragraphe 3 de l'article 18 méritent d'être examinées.
10.8 L'État partie a également fait savoir que la communication devrait
être déclarée irrecevable car l'auteur n'a pas présenté suffisamment de
preuves permettant de supposer l'affaire à première vue fondée. L'État
partie déclare que l'auteur, au lieu de présenter une communication détaillée
au Comité, s'est appuyé uniquement sur les décisions des tribunaux nationaux
et sur ses propres déclarations à la Cour suprême. Ainsi, estime-t-il,
la communication "ne contient pas d'explications précises qui pourraient
permettre de considérer les allégations [de l'auteur] recevables".
Le Comité estime toutefois que l'auteur a clairement exposé ses allégations
de violation et que les documents fournis étayent suffisamment ces allégations
aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité entreprend l'examen
des allégations de l'auteur quant au fond, compte tenu des informations
qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1
de l'article 5 du Protocole facultatif.
Examen quant au fond :
11.1 Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur en vertu de l'article
19 du Pacte, le Comité note que, conformément à cet article, toute restriction
à l'exercice de la liberté d'expression doit répondre de façon cumulée
à plusieurs conditions énoncées au paragraphe 3. Le Comité doit en conséquence
déterminer tout d'abord si la liberté d'expression de l'auteur a été restreinte
en raison de l'injonction de la Commission d'enquête du 28 août 1991,
telle que confirmée par la Cour suprême du Canada. Comme suite à cette
injonction, l'auteur a été mis en congé sans solde pendant une semaine,
puis a été transféré à un poste de non-enseignant. Tout en notant l'argument
de l'État partie (voir le paragraphe 6.8 ci-dessus) qui déclare que la
liberté d'expression de l'auteur n'a pas été restreinte puisqu'il est
resté libre d'exprimer ses opinions pendant qu'il occupait un poste de
non-enseignant ou lorsqu'il était employé ailleurs, le Comité ne peut
partager le point de vue selon lequel en se voyant privé de son poste
d'enseignant, l'auteur n'a pas effectivement subi une restriction de sa
liberté d'expression. La perte du poste d'enseignant a été un préjudice
important, même en l'absence de dommage pécuniaire ou même si ce dommage
n'a été qu'insignifiant. Ce préjudice a été imposé à l'auteur en raison
de l'expression de ses opinions et, de l'avis du Comité, il s'agit d'une
restriction qui doit être justifiée en vertu du paragraphe 3 de l'article
19 pour être conforme aux dispositions du Pacte.
11.2 Le Comité doit ensuite déterminer si la restriction imposée au droit
de l'auteur à la liberté d'expression répondait aux conditions énoncées
au paragraphe 3 de l'article 19, c'est-à-dire si elle a été fixée par
la loi, si elle répond à l'un des objectifs énoncés au paragraphe 3 a)
et b) (respect des droits ou de la réputation d'autrui, sauvegarde de
la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité
publiques), et si elle est nécessaire pour atteindre un objectif légitime.
11.3 Pour ce qui est de la condition selon laquelle la restriction doit
être fixée par la loi, le Comité note qu'il existait un cadre juridique
régissant la procédure qui a conduit à démettre l'auteur de ses fonctions
d'enseignant. La Commission d'enquête a estimé que les observations de
l'auteur en dehors de ses heures de travail étaient offensantes pour la
religion juive et que cette situation avait porté atteinte à l'atmosphère
dans le milieu scolaire. La Commission d'enquête a estimé que la Commission
scolaire était le tiers responsable des actions discriminatoires de son
employé et qu'elle avait exercé une discrimination directe à l'encontre
des élèves juifs du district scolaire, en violation de l'article 5 de
la loi du Nouveau-Brunswick sur les droits de la personne, du fait qu'elle
n'avait pas imposé à l'auteur des mesures disciplinaires en temps voulu
et de façon appropriée. Conformément à l'article 20 (6.2) de la même loi,
la Commission d'enquête a ordonné à la Commission scolaire de remédier
à la discrimination en prenant les mesures exposées au paragraphe 4.3
ci-dessus. En effet, comme il est indiqué plus haut, la réparation pour
discrimination a consisté à mettre l'auteur en congé sans solde pendant
une semaine et à le transférer à un poste de non-enseignant.
11.4 Tout en notant le peu de précisions des dispositions qui ont été
appliquées dans la procédure dirigée contre la Commission scolaire et
qui ont été invoquées pour renvoyer l'auteur de son poste d'enseignant,
le Comité doit également prendre en considération le fait que la Cour
suprême a examiné tous les aspects de l'affaire et a estimé qu'il existait
dans le droit interne suffisamment de fondements à l'appui des clauses
de l'ordonnance qu'elle a rétablies. Le Comité note également que l'auteur
a été entendu dans toute la procédure et qu'il avait les moyens de faire
appel des décisions prononcées contre lui, moyens dont il s'est prévalu.
Dans les circonstances, il n'appartient pas au Comité de réévaluer les
conclusions de la Cour suprême sur ce point et le Comité estime en conséquence
que la restriction imposée était prévue par la loi.
11.5 Pour déterminer si les restrictions imposées à la liberté d'expression
de l'auteur ont été appliquées dans les buts reconnus dans le Pacte, le
Comité note tout d'abord (8) que les droits ou la réputation
d'autrui pour la protection desquels des restrictions peuvent être autorisées
en vertu de l'article 19 peuvent être les droits ou la réputation d'autrui
ou de la communauté dans son ensemble. Par exemple, notamment comme le
Comité l'a considéré dans l'affaire Faurisson c. France,
des restrictions peuvent être autorisées à l'égard de déclarations qui
sont de nature à susciter ou à renforcer un sentiment antisémite, afin
de préserver le droit des communautés juives d'être protégées contre la
haine religieuse. De telles restrictions sont également fondées sur les
principes énoncés au paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte. Le Comité
note que tant la Commission d'enquête que la Cour suprême ont estimé que
les déclarations de l'auteur étaient discriminatoires à l'égard des personnes
de religion et d'ascendance juives et que l'auteur avait dénigré la religion
et les convictions des juifs et engagé les "véritables" chrétiens
à non seulement contester la validité des convictions et des enseignements
juifs, mais également à afficher leur mépris à l'égard des personnes de
religion et d'ascendance juives, qui menaceraient la liberté, la démocratie
et les croyances et les valeurs chrétiennes. Compte tenu des conclusions
relatives à la nature et à l'impact des déclarations publiques de l'auteur,
le Comité conclut que les restrictions imposées à ce dernier avaient pour
but de protéger "les droits ou la réputation" des personnes
de religion juive, y compris leur droit à l'éducation dans un système
public d'enseignement libre de parti pris, de préjugé et d'intolérance.
11.6 Enfin, le Comité doit déterminer si la restriction imposée à la
liberté d'expression de l'auteur était nécessaire pour protéger les droits
ou la réputation de personnes de religion juive. En l'occurrence, le Comité
rappelle que l'exercice du droit à la liberté d'expression comporte des
devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Ces devoirs et responsabilités
ont une importance particulière dans le cadre du système scolaire, notamment
lorsqu'il s'agit de l'enseignement destiné à de jeunes élèves. De l'avis
du Comité, l'influence qu'exercent les enseignants peut justifier l'imposition
de restrictions afin de veiller à ce que le système scolaire n'accorde
pas de légitimité à l'expression d'opinions qui sont discriminatoires.
En l'espèce, le Comité note que la Cour suprême a estimé qu'il était raisonnable
de supposer l'existence d'un lien de cause à effet entre les expressions
de l'auteur et "l'atmosphère scolaire envenimée" que connaissaient
les enfants juifs dans le district scolaire. À cet égard, la décision
de démettre l'auteur de ses fonctions d'enseignant peut être considérée
comme une restriction nécessaire à la protection du droit et de la liberté
des enfants juifs de bénéficier d'un système scolaire à l'abri des partis
pris, des préjugés et de l'intolérance. En outre, le Comité note que l'auteur
a été assigné à un poste de non-enseignant après seulement une courte
période de congé sans solde et que la restriction n'a ainsi pas été appliquée
au-delà de la durée nécessaire pour qu'elle exerce son rôle de protection.
Le Comité des droits de l'homme conclut en conséquence que les faits ne
révèlent pas de violation de l'article 19.
11.7 Pour ce qui est des allégations de l'auteur en vertu de l'article
18, le Comité note que les mesures prises à l'encontre de ce dernier en
application de l'injonction de la Commission d'enquête d'août 1991 n'étaient
pas dirigées contre ses pensées ou ses convictions en tant que telles,
mais plutôt contre la manifestation de ces convictions dans un contexte
particulier. La liberté de manifester ces convictions religieuses peut
être soumise à des restrictions qui sont prescrites par la loi et qui
sont nécessaires à la protection des libertés et des droits fondamentaux
d'autrui et, en l'espèce, les questions soulevées au titre du paragraphe
3 de l'article 18 sont en conséquence en substance les mêmes que celles
qui sont soulevées au titre de l'article 19. En conséquence, le Comité
estime qu'il n'y a pas eu violation de l'article 18.
12. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe
4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est d'avis que les faits dont
il est saisi ne font pas apparaître de violation de l'un quelconque des
articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
______________
** Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à l'examen
de la présente communication : M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati, Mme Christine Chanet, Lord Colville, Mme Elizabeth
Evatt, Mme Pilar Gaitan de Pombo, M. Louis Henkin, M. Eckart Klein, M.
David Kretzmer, M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin
Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen, M. Roman Wieruszewski et M. Abdallah
Zakhia. Conformément à l'article 85 du règlement intérieur du Comité,
M. Maxwell Yalden n'a pas participé à l'examen de la communication. Le
texte d'une opinion individuelle signée par un membre du Comité est joint
en annexe au présent document.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Annexe
Opinion individuelle (dissidente) de M. Hipólito Solari Yrigoyen
À mon sens, les paragraphes 11.1 et 11.2 des constatations du Comité devraient
être remplacés par ce qui suit :
Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle il y a eu
violation de l'article 19 du Pacte, le Comité note que l'exercice du droit
à la liberté d'expression visé au paragraphe 2 de cet article s'accompagne
de responsabilités et de devoirs spéciaux énumérés au paragraphe 3. Le
Comité ne peut donc souscrire à l'affirmation selon laquelle la liberté
d'expression de l'auteur a été restreinte par l'injonction de la Commission
d'enquête en date du 28 août 1991, telle que confirmée par la Cour suprême
du Canada, dès lors que cette injonction était conforme au paragraphe
3 de l'article 19 du Pacte. Il y a lieu de constater en outre que l'exercice
de la liberté d'expression ne peut être envisagé séparément des dispositions
de l'article 20 du Pacte, et que c'est justement cet article que l'État
partie invoque pour justifier les mesures prises à l'encontre de l'auteur,
comme cela est indiqué au paragraphe 6.3 ci-dessus.
(Signé) H. Solari Yrigoyen
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Communication No 104/1981, décision d'irrecevabilité prise le 6 avril
1983.
2. Affaire No 7/1994/454/535, décision rendue le 26 septembre 1995. Dans
cette affaire, Mme Vogt a soutenu, notamment, que son renvoi de la fonction
publique (en qualité d'enseignante) en raison de ses activités politiques
en tant que membre du Parti communiste allemand avait constitué une violation
de son droit à la liberté d'expression, telle qu'énoncée à l'article 10
de la Convention européenne. En l'espèce, la Cour a considéré qu'il y
avait eu violation de l'article 10.
3. L'affaire concernait des messages enregistrés sur répondeur téléphonique,
émanant de l'auteur et d'un parti politique, mettant en garde contre "les
dangers de la finance internationale et de la communauté juive internationale,
qui conduisent le monde à la guerre, au chômage et à l'inflation et contre
l'effondrement des valeurs et des principes mondiaux". Conformément
à l'article 3 de la loi sur les droits de la personne, la Commission canadienne
des droits de la personne a ordonné à l'auteur et au parti politique de
cesser de transmettre de tels messages par téléphone. Le Comité des droits
de l'homme a décidé que la communication émanant du parti politique était
irrecevable car elle était dénuée de fondement et que la communication
de l'auteur était irrecevable pour incompatibilité avec le Pacte car les
messages diffusés "constituaient clairement un appel à la haine raciale
ou religieuse".
4. Le paragraphe 3 de l'article 18 concerne les "libertés et droits
fondamentaux d'autrui", alors qu'au paragraphe 3 de l'article 19
il s'agit "des droits ou de la réputation d'autrui".
5. Communication No 550/1993, constatations adoptées le 8 novembre 1996.
6. Voir la note de bas de page 3.
7. Communication No 570/1993. Décision d'irrecevabilité prise le 8 avril
1994.
8. Comme il l'a fait dans son Observation générale No 10 et dans la communication
No 550/1993, Faurisson c. France, constatations adoptées
le 8 novembre 1996.