Comité des droits de l'homme
Soixante-cinquième session
22 mars - 9 avril 1999
ANNEXE
Décisions du Comité des droits de l'homme déclarant irrecevables
des communications présentées en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils
et politiques
- Soixante-cinquième session -
Communication No 737/1997
Présentée par : Michelle Lamagna
Au nom de : L'auteur
État partie : Australie
Date de la communication : 30 octobre 1995
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 7 avril 1999,
Adopte la décision ci-après :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est Mme Michelle Lamagna, directrice et
propriétaire de la maison de repos Villa Magna en Nouvelles-Galles du Sud
(Australie). Aucune violation particulière du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques n'est spécifiée dans la communication.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le Gouvernement du Commonwealth d'Australie applique, en vertu du National
Health Act de 1953 (Commonwealth) (Loi sur la santé publique, dite ci-après
"la Loi"), un système de subventions en vertu duquel les propriétaires
de maisons de repos perçoivent une subvention pour chacun des patients dont
le placement en maison de repos a été approuvé, subvention qui est fonction
du nombre de journées que celui-ci y a passé.
2.2 Mme Lamagna et son mari ont acheté une maison de repos en juin 1991,
au nom de leur société Lamagna Enterprises Pty. Le Ministère des affaires
sociales et de la santé du Commonwealth a procédé en 1991/92 à un audit
("validation") des subventions qui avaient été versées au précédent
propriétaire en 1986/87, qui a fait apparaître des versements excédentaires.
Dans le système de financement adopté conformément à la loi en 1987, cette
erreur s'est traduite par la continuation de ces versements excédentaires
les années suivantes, à savoir de 1987/88 à 1990/91. On a déterminé en 1991/92
que le montant de ces versements excédentaires atteignait 94 912 dollars
australiens. Il est apparu également en 1991/92 qu'un autre versement excédentaire
avait été effectué pour l'exercice financier 1990/91; cela à la suite de
la présentation au Ministère par le précédent propriétaire, conformément
à ce qui avait été convenu entre le vendeur et l'acheteur dans le contrat
de vente, de la déclaration requise concernant le personnel employé. Le
montant du trop-perçu s'élevait à 50 404 dollars australiens.
2.3 Le Ministère a fait connaître, en avril 1992, à Mme Lamagna le montant
des versements excédentaires qui avaient été effectués pendant la période
1986/87 à 1990/91, indiquant que ce montant serait recouvré par prélèvements
sur les futures subventions qui devaient lui être versées. Le Ministère
l'a également informée en juillet 1992 qu'un autre versement excédentaire
avait été effectué pour l'exercice financier 1990/91, versement dont le
montant serait également recouvré par prélèvements sur les subventions futures.
Il semble que le Ministère ait sollicité un avis juridique autorisé, selon
lequel, à ce moment-là, ces versements excédentaires ne constituaient pas
une dette recouvrable par l'intermédiaire des tribunaux, car il n'était
pas évident que la responsabilité de l'un ou l'autre des précédents propriétaires
ou de Mme Lamagna puisse être engagée du seul fait qu'il avait été constaté
qu'il y avait eu trop-payé.
2.4 Mme Lamagna soutient que le Ministère ne l'a pas informée de l'existence
de charges grevant la maison de repos, alors qu'elle avait présenté une
lettre du vendeur autorisant le Ministère à lui communiquer tous renseignements
pertinents.
2.5 On notera que le Commonwealth a, depuis lors, amendé la loi, qui prévoit
désormais que le Gouvernement doit obligatoirement recevoir notification
de la vente d'une maison de repos, notification qui est assortie d'une période
d'attente obligatoire de 90 jours. Cet amendement permet au Ministère de
s'informer de l'existence de charges grevant l'établissement et d'en informer
les acheteurs, dont les intérêts se trouveront ainsi protégés. La loi a
aussi fait l'objet d'un autre amendement qui prévoit que les acheteurs éventuels
doivent avoir accès aux futurs barèmes applicables à une maison de repos.
2.6 Il est clair que Mme Lamagna a largement exploré les voies de recours
s'offrant à elle. Conformément au rapport de l'Ombudsman, elle a commencé
par présenter, sans succès, son cas au Ministre chargé du Ministère.
2.7 Elle a ensuite intenté une action contre le Ministère (Lamagna Entreprises
Pty Ltd c. le Secrétaire du Ministère des affaires sociales et de
la santé (1993) 40 FCR 235). Mme Lamagna cherchait, en l'espèce, à obtenir
une ordonnance annulant le nouveau barème des charges déterminé par le Secrétaire
du Ministère dans lequel étaient prises en compte les charges grevant la
maison de repos. Mme Lamagna n'a pas davantage eu gain de cause, le juge
ayant estimé que le Ministère avait agi conformément à la loi /
Selon l'interprétation de la loi :
- Le principe sur lequel s'est fondé le Secrétaire pour grever l'établissement
considéré n'a pas été invoqué à des fins inappropriées. Page 13, le juge
a cité la loi (Neviskia Pty Ltd c. Ministre des affaires sociales
(1987) 17 FCR 407), qui dispose que "le Ministre est habilité à formuler
des principes qui exigent que soient prises en compte des charges grevant
un établissement, charges qui sont calculées en fonction des montants précédemment
économisés, et à répercuter ces charges sur le nouveau propriétaire lorsqu'il
existe un rapport suffisamment étroit entre celui-ci et le précédent propriétaire...
En l'espèce, ce rapport suffisamment étroit se déduit facilement de la relation
contractuelle directe existant entre la demanderesse et le précédent propriétaire".
- Le Ministre n'a pas agi ultra vires en formulant les principes
autorisant une telle méthode de recouvrement, p. 13 et 14. La loi l'y autorisait./.
2.8 Aucune autre action n'a été intentée par Mme Lamagna, faute, a-t-elle
déclaré, de moyens pour ce faire, précisant qu'elle se trouvait au bord
de la faillite et qu'elle ne pouvait bénéficier d'aucune assistance judiciaire.
2.9 Mme Lamagna a également porté plainte auprès du bureau de l'Ombudsman,
qui a informé le Ministère, en août 1994, qu'il estimait que l'administration
du Ministère avait été défaillante et recommandait que Mme Lamagna soit
indemnisée financièrement. Le Ministère en ayant référé au Ministère de
la justice, celui-ci a estimé que cet avis n'engageait pas légalement la
responsabilité du Commonwealth. Le Ministère a déclaré en conséquence qu'il
ne pouvait plus rien faire en la matière.
2.10 L'Ombudsman a ensuite achevé le rapport sur l'enquête qu'il avait
faite sur cette question. Ce rapport aboutissait aux conclusions suivantes
: la législation en vigueur en 1991/92 n'était pas bien fondée, ainsi qu'en
témoignaient les amendements qui y avaient été apportés; la défaillance
du Ministère, qui avait négligé d'informer Mme Lamagna de la procédure de
validation des charges au moment où celle-ci l'avait consulté avant d'acheter
la maison de repos, était avérée; les renseignements fournis par le Ministère
ne mentionnaient pas les validations de charges précédentes et les acheteurs
éventuels n'avaient pas été prévenus que la possibilité existait que le
Ministère réduise les subventions dont ils devaient bénéficier, du fait
d'un trop-perçu par le vendeur des années auparavant; le Ministère avait,
sur la foi de probabilités, inexactement informé Mme Lamagna qu'il recouvrerait
tout trop-perçu auprès du vendeur; en ce qui concerne les charges initiales
d'un montant de 94 912 dollars australiens, le Ministère avait négligé d'informer
Mme Lamagna de la procédure de validation, de telle sorte qu'elle puisse
prendre des mesures pour se protéger; pour ce qui est des secondes charges,
d'un montant de 50 404 dollars australiens, étant donné que l'auteur savait
effectivement que toute charge se rapportant à l'année considérée serait
recouvrée par prélèvement sur les subventions qui lui étaient dues, la responsabilité
du Ministère n'était pas engagée. L'Ombudsman avait recommandé en conséquence
que le Ministère paie à Mme Lamagna la somme de 94 912 dollars australiens,
plus les agios correspondant à son découvert.
2.11 Le Ministère n'ayant pas appliqué les recommandations de l'Ombudsman,
le rapport de celui-ci a été transmis au Cabinet du Premier Ministre et
au Conseil des ministres. Il ressort de la lettre de l'auteur datée du 20
février 1996 que le Conseil des ministres avait rejeté les recommandations
de l'Ombudsman en septembre 1995. Toutefois, dans une lettre en date du
6 février 1996 émanant du Cabinet du Premier Ministre et adressée à l'Ombudsman,
il était dit que la question ne pouvait être réglée avant les élections
(devant avoir lieu à la mi-mars) et que des fonctionnaires du Ministère
y travaillaient pour donner un avis au futur gouvernement et préparer pour
lui la réponse appropriée. Il semble que Mme Lamagna ait essayé d'entrer
en communication avec le nouveau gouvernement (lettre du 21 mars 1996),
mais on n'a pas eu connaissance de la réponse, si réponse il y a eu, qui
lui a été donnée. Des dernières lettres de Mme Lamagna, il ressort qu'elle
a dû fermer la maison de repos et qu'elle vit maintenant à l'étranger.
Teneur de la plainte
3. L'auteur soutient que les faits tels qu'ils sont présentés ci-dessus
sont inéquitables, injustifiés et qu'elle est victime d'un traitement inique
constituant une discrimination et par conséquent une violation du Pacte,
sans spécifier quels sont les articles qui auraient été enfreints.
Observations de l'État partie et commentaires de l'auteur
4.1 Dans les observations qu'il a présentées en juin 1997, l'État partie
argue que la communication est irrecevable. Il soutient que l'auteur n'a
fourni aucun élément à l'appui de son affirmation qu'elle a subi une injustice
au sens du Pacte.
4.2 L'État partie argue en outre que la communication est irrecevable ratione
personae étant donné que Mme Lamagna, en tant que représentante de Lamagna
Enterprises Pty Ltd, n'est pas habilitée à saisir le Comité, dans la mesure
où les articles premier et 2 du Protocole facultatif limitent expressément
aux particuliers le droit de lui présenter une communication. L'État partie
fait observer que l'auteur est propriétaire de la maison de repos Villa
Magna. Elle est aussi la directrice de la société Lamagna Enterprises Pty
Ltd qui contrôle cette maison de repos. L'État partie soutient que les mesures
prises par le Gouvernement australien en vertu de la Loi sur la santé publique
de 1953 en vue du recouvrement du trop-payé visaient la société Lamagna
Enterprises Pty Ltd et non l'auteur en tant que particulier; ce n'est donc
pas en cette qualité que la communication a été présentée par l'auteur,
mais en sa qualité de directrice de la société Lamagna Enterprises Pty Ltd;
la communication devrait en conséquence être jugée irrecevable ratione
personae, et l'État partie fait référence à cet égard à la jurisprudence
du Comité / Voir communication No 360/1989, Une société d'édition
c. Trinité-et-Tobago et communication No 361/1989, Une société
d'édition et d'impression c. Trinité-et-Tobago./.
4.3 L'État partie argue encore que la communication doit être jugée irrecevable
ratione materiae au regard de l'article 2 du Protocole facultatif,
étant donné que l'exercice légal d'un pouvoir statutaire visant le recouvrement
d'un trop-payé auprès d'une société à responsabilité limitée ne se rapporte
à aucun des droits énoncés dans le Pacte et ne relève pas de la compétence
du Comité.
4.4 En outre, l'État partie fait valoir que, fondamentalement, l'auteur
demande au Comité de juger si la Loi sur la santé publique de 1953 est compatible
avec le Pacte. Il argue qu'il ressort de la jurisprudence du Comité que
celui-ci ne peut conformément au Protocole facultatif examiner in abstracto
la compatibilité avec le Pacte des lois et usages d'un État. Il soutient
que dans la mesure où la communication tend à soulever la question de la
compatibilité de la législation nationale avec le Pacte, celle-ci est irrecevable.
4.5 L'État partie argue finalement que la communication est irrecevable
ratione materiae au regard de l'article 3 du Protocole facultatif,
étant donné que l'auteur s'efforce effectivement d'obtenir une révision
de la décision rendue par la Cour fédérale dans l'affaire Lamagna Enterprises
Pty Ltd c. le Secrétaire du Ministère des affaires sociales et de
la santé. Si Lamagna Enterprises Pty Ltd entend réfuter l'interprétation
qui a été donnée de la Loi australienne sur la santé publique de 1953, il
convient pour ce faire qu'elle explore la possibilité d'interjeter appel
devant la Cour fédérale plénière sur un point de droit. Dans la mesure où
la communication de l'auteur concerne l'interprétation qu'a donnée la Cour
fédérale de la Loi australienne sur la santé publique de 1953, sa communication
ne relève pas de la compétence du Comité.
4.6 L'État partie reconnaît que l'Ombudsman fédéral a recommandé que si
les charges grevant l'établissement considéré étaient valides en vertu de
la Loi australienne sur la santé publique de 1953, leur imputation n'en
était pas moins injuste et mal fondée et que l'auteur de la communication
devait être remboursée des montants recouvrés. Toutefois, aussi bien le
Ministre des finances que le Ministre des affaires familiales ont déconseillé
au Premier Ministre d'accorder une indemnisation. C'est leur avis qu'a suivi
le Premier Ministre lorsqu'il a fait connaître sa décision au bureau de
l'Ombudsman, le 16 décembre 1996.
5. Dans une lettre datée du 3 octobre 1997, l'auteur réaffirme qu'elle
a été injustement et inéquitablement traitée par les autorités de l'État,
puisque c'est le ministère détenant le monopole de l'information concernant
les maisons de repos qui allait ultérieurement en faire usage à son encontre
pour réclamer le remboursement de paiements excédentaires faits au précédent
propriétaire de la maison de repos.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Le Comité note que l'État partie affirme que la communication doit
être déclarée irrecevable ratione personae. Il prend note, à cet
égard, de ce que l'auteur lui a présenté une communication dans laquelle
elle se prétend victime d'une violation du droit que lui reconnaît le Pacte
à un traitement juste et équitable, du fait qu'un ministère australien s'est
abstenu de lui communiquer des renseignements dont il allait faire usage
par la suite à son encontre. Ce que l'auteur soumet, pour l'essentiel, au
Comité, ce sont des violations des droits de sa société, société qui a sa
propre personnalité juridique. Tous les recours internes dont on s'est prévalu
en l'espèce ont, en fait, été mis en oeuvre devant les tribunaux au nom
de la société, et non au nom de l'auteur; en outre l'auteur n'a pas apporté
la preuve que les droits que lui reconnaît le Pacte ont été violés. En vertu
de l'article premier du Protocole facultatif, seuls des particuliers peuvent
soumettre une communication au Comité des droits de l'homme /
Voir communication No 502/1992, Sharif Mohamed c. Barbade,
décision d'irrecevabilité adoptée le 31 mars 1994./. Le Comité estime que
l'auteur, en soumettant au Comité des violations des droits de sa société,
droits qui ne sont pas protégés par le Pacte, n'est pas fondée à saisir
le Comité, au sens de l'article premier du Protocole facultatif, au sujet
de la plainte concernant sa société et qu'aucune plainte concernant l'auteur
personnellement n'a été étayée aux fins de l'article 2 du Protocole facultatif.
7. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide :
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles premier et
2 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.
*/ Les membres du Comité dont les noms suivent ont participé à
l'examen de la communication : M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra
N. Bhagwati, Lord Colville, Mme Pilar Gaitán de Pombo, M. Eckart Klein,
M. Rajsoomer Lallah, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Martin Scheinin, M.
Hipólito Solari Yrigoyen, M. Maxwell Yalden et M. Abdallah Zakhia.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
aussi ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]